Pascal MANOUKIAN nous revient avec un roman haletant sur les traces laissées par l’histoire contemporaine de la guerre en Syrie. Souvenez-vous, c’était en 2016. Alep affrontait les bombardements russes, enfin, dans sa partie Est, là où fomentait la rébellion. C’est là-bas qu’Ernest est parti. Il est grand reporter dans les pays en guerre. Son père l’était avant lui. Il est décédé quand Ernest n’avait alors que 8 ans. Ernest laisse sa compagne, Louise, se morfondre sur son destin. Elle subit ses absences, les périodes sans nouvelles et s’interroge sur son avenir. Quelle vie familiale peut-elle envisager avec lui ? Parallèlement, leur entreprise à tous les deux est en cours de rachat par un industriel, une nouvelle approche est en train de révolutionner le monde du journalisme, mêlant à l'envi l'information, la désinformation, la mésinformation... Tous les coups sont permis dès lors qu'il s'agit d'argent. Ernest et Louise continuent pourtant, coûte que coûte, de mener leur combat, celui de la loyauté.
J’ai eu le privilège de lire ce roman en avant-première, un cadeau de l’auteur que je tiens à remercier personnellement.
Ce roman, c'est une lecture coup de poing, de celles que l’on n’oublie pas, marquée à jamais par les soubresauts de la guerre, le stress traumatique, les moments de ferveur aussi.
Roman historique me direz-vous ? C'en est un, oui, mais le voyage dans le temps sera de courte durée. Un simple regard dans le rétroviseur et nous y sommes. Les événements datent de 2016 avec le siège d'Alep en juillet, la reprise de la ville par Damas et le cessez le feu en décembre. C'était il y a 8 ans, ils continuent pourtant d'alimenter les actualités.
J'ai été bouleversée par les bombardements russes venus prêter main forte à Bachar AL ASSAD pour en finir avec les insurgés. Là, ce sont les civils qui sont les premières victimes. Peu importe à celui au pouvoir de voir une partie de la ville d'Alep réduite à des bâtiments soufflés et ses habitants assoiffés, affamés, privés des services de santé.
Aujourd’hui les médecins ne s’occupent plus que des blessés. Toutes les autres maladies sont devenues orphelines. Les mots lui arrachent le coeur. P. 199
Tous sont promis à mourir. Quelle ignominie !
Pascal MANOUKIAN concourt à la mémoire de ce qui s'est passé à Alep pour ne jamais oublier. Si les faits sont bien réels, malheureusement, l'écrivain choisit d'incarner le propos avec des personnages de fiction profondément attachants, des individus qui pourraient être vous, moi, nous.
Je me suis battue aux côtés d'Ernest. Dans les galeries souterraines syriennes, j'ai ressenti dans ma chair les soubresauts de la guerre. Le roman prend une dimension sensorielle, vous allez vibrer. A travers l'itinéraire d'Ernest, son irrépressible besoin de repartir, toujours, je me suis remémorée les propos tenus par Sorj CHALANDON lors d’un festival du Scoop à Angers.
Il a besoin d’ordre et de calme avant le chaos. C’est la raison pour laquelle chaque chose a sa place dans son sac à dos noir, toujours le même. P. 13
Je me suis découvert une âme de guerrière aussi avec Louise. Dans un monde professionnel dicté par les enjeux économiques, la rationalisation des moyens, les licenciements massifs... elle tente de lutter avec les moyens à sa disposition contre un système tout entier.
Tous deux s'inscrivent dans un mouvement de résistance, l'un pour capter les images et collecter des témoignages du terrain, il en va de la fiabilité et de l'authenticité, l'autre en bout de chaîne pour l'exploitation de ces données, il en va de la sincérité. Comment traiter d'un sujet aussi tragique que la guerre sans instrumentaliser l'opinion ?
Comme j'ai aimé revisiter les règles du journalisme et du monde de l'information à un moment où elles sont plus que jamais exposées à être bafouées.
L’immédiateté étouffe la réflexion à la vitesse des réseaux. P. 81
Pascal MANOUKIAN nous replonge dans les années 1975 avec le père d'Ernest et les carnets de chacune de ses expéditions laissés à la postérité.
Il nous livre un roman foisonnant avec autant de parenthèses que de parcours. Le propos est profondément pluriel, interculturel, empreint d'une telle humanité. Quant à la chute, je ne l'ai pas vue venir, c'est une petite bombe.
C'est un excellent roman.