"A la fin le silence", c'est le dernier roman de Laurence TARDIEU, une écrivaine dont je n'avais pas encore découvert la qualité de la plume. Personne n'est parfait !
C'est Antigone qui m'a sauvée de ce bien mauvais pas. J'avais effectivement lu sa chronique enthousiaste, le sujet m'avait interpellée, il ne restait plus qu'à passer chez mon libraire préféré... Bon choix assurément !
La narratrice vit à Paris. C'est une jeune femme, une écrivaine, une mère aussi. Elle a 2 filles et elle est enceinte de 5 mois quand les attentas de Charlie Hebdo du 7 janvier 2015 ont été commis. C'est aussi la période à laquelle il est envisagé de vendre la maison de famille de Nice, cette maison pleine de souvenirs et qui lui échappe.
Ce roman de Laurence TARDIEU nous invite à un voyage intérieur, aux confins du moi, là où les sentiments sont exacerbés. Il explore la place du corps, ses frontières, mais aussi ses sensations, ses réactions, sa capacité à surmonter les événements. Il a le mérite de poser des mots sur le ressenti de cette femme dont le corps devient le réceptacle de ses émotions. Il y a celles qui relèvent du collectif (qui n'a pas été affecté par la violence des faits perpétrés au sein de la rédaction du journal satirique ?), et puis celles qui impactent une famille en particulier et qui prennent une dimension individuelle.
Ce roman aborde les liens établis, consciemment ou non, entre une maison de famille et le corps de la narratrice qui l'occupe, les interférences aussi.
J'ai appris chaque fois à la connaître plus intimement. Au fil du temps, ma peau, mon corps, mon âme se sont attachés à la maison, à force de s'y attacher s'y sont agrégés, à force de s'y agréger s'y sont incorporés. Ses fondations sont devenues une part de mon ossature. J'y ai construit mon espace de sécurité intérieure. P. 28
Il va encore plus loin en mesurant les effets du manque à venir.
Vendre la maison, c'était perdre ce qui m'ancrait depuis l'enfance. C'était perdre le lieu de mes racines, le lieu des images heureuses - les voix, les corps, les gestes si présents encore là-bas, chaque fois que j'y revenais, de ceux que j'avais aimés et qui n'étaient plus là. P. 17
Avec l'angle des attentats perpétrés le 7 janvier et aussi le 13 novembre 2015, ce roman met en exergue le côté imprévisible de la vie. L'homme est mortel, chacun le sait, mais avec les actes terroristes qui ont frappé la France en son coeur, la fragilité de la vie a pris une dimension toute particulière dans la conscience collective. Il y a un avant et il y aura un après. L'auteure appréhende cette mutation psychique avec beaucoup de finesse et de précision.
Pourtant, comme ces mots-là me faisaient du bien. Je m'y agrippais, je leur étais reconnaissante d'exister. Bien au-delà de l'état de violence extérieure, imprévisible et frappant au hasard, dont ils se faisaient les témoins, ils me permettaient de nommer une partie du magma de sensations dans lequel j'étais empêtrée depuis des mois. P. 97/98
L'écriture de ce roman a une vocation thérapeutique pour la narratrice. Dès les premières lignes, elle nous livre l'objet même de sa démarche, laisser une trace de l'existence de cette maison de famille en voie de disparition. Elle ne soupçonnait pas encore que sa vie à elle serait impactée par des attentats commis tout près de son domicile. Le roman de Laurence TARDIEU repose ainsi sur le parcours, l'itinéraire de cette femme qui, grâce à cet exercice, va s'offrir de nouveaux horizons :
Il me semble ce matin, alors que j'écris ces dernières lignes, que quelque chose s'est passé, s'est transformé en moi, comme si j'avais effectué une longue, douloureuse, impossible traversée. Je m'apprête à poser le pied sur un nouveau rivage, un rivage dont j'ignorais l'existence avant d'entreprendre ce texte, un rivage où je n'aurais jamais pensé un jour mettre les pieds, en être à vrai dire capable, un rivage sans maison blanche ni odeur de mimosa, un rivage sans nul refuge possible, un rivage sur lequel la folie des hommes peut tout détruire en un instant. P. 169
J'ai été frappée par la ressemblance du propos tenu par Laurence TARDIEU :
[...] ce qui n'aura pas été écrit tombera dans l'oubli, ce qui n'aura pas été écrit se confondra avec ce qui n'a pas existé. P. 121
avec celui de Gilles MARCHAND dans "Une bouche sans personne" sur cette nécessité d'écrire pour donner corps à des événements et ainsi assurer leur mémoire. Gilles MARCHAND faisait lui-même référence à une citation empruntée au roman « La conscience de Zeno » d’Italo SVEVO :
Les choses que tout le monde ignore et qui ne laissent pas de trace n'existent pas.
Cette ressemblance relève-t-elle d'un simple hasard ou bien est-elle la représentation d'une préoccupation émergente des auteurs du 21ème siècle ? Cette question me taraude mais peut-être avez-vous une idée sur le sujet...
J'avoue avoir lu ce roman avec beaucoup de plaisir et je crois qu'une prochaine fois, à la Bibliothèque, je passerai avec curiosité dans le rayonnage des T histoire de... Si vous avez d'autres romans de Laurence TARDIEU à me conseiller, je suis preneuse !