Le roman de Serge JONCOUR, « Nature humaine », marque des retrouvailles avec une plume que j'apprécie tout particulièrement. Vous vous souvenez peut-être de "Chien-loup", un énorme coup de coeur, ou bien de "Repose-toi sur moi" et "L'amour sans le faire".
Ce roman est lauréat du Prix Femina 2020, toutes mes félicitations vont à l’écrivain et sa maison d’édition, Flammarion.
Direction le Lot dans le Sud-Ouest de la France. Bienvenue à la ferme des Fabrier. Nous sommes en 1976, en pleine sécheresse. Alexandre, le jeune homme de la maison, s’inscrit dans la succession de ses parents. Ses trois soeurs, elles, sont attirées par la ville. Caroline fait des études à Toulouse où elle vit en colocation. Alexandre ne manque jamais une occasion de faire le taxi. Il en profite pour vivre des soirées entre jeunes. C’est là qu’il rencontre Constanze, une jeune Allemande de l’Est, dont il va tomber amoureux. C’est là aussi qu’il va côtoyer des activistes mobilisés contre l’installation de centrales nucléaires. Mais rien n’y fait, Alexandre est un rural, c’est un agriculteur, assailli par l’essor de la grande distribution. Un hypermarché Mammouth vient de s’installer à proximité. Les normes sanitaires évoluent. Alexandre doit faire face, coûte que coûte.
« Nature humaine » de Serge JONCOUR est le roman des mutations.
On commence avec la mutation climatique. L’écrivain tape fort, il commence le roman avec cet été mémorable de 1976. A l’époque, on appelait ça une sécheresse et c’était exceptionnel, aujourd’hui le terme a changé, nous vivons des canicules. Elles se suivent et se ressemblent, malheureusement. Serge JONCOUR achève le propos avec l’année 1979, l’année de la tempête.
Ce roman, c’est celui de la mutation économique aussi.
Avec l’exemple de la marque Mammouth, que l’on peut prendre au premier comme au second degré, la métaphore est très bien trouvée pour illustrer la grande distribution émergente, anéantissant le système de production agricole ancestral. La consommation de masse exige des agriculteurs de s’adapter pour produire toujours plus. Le rouleau compresseur est lancé, plus rien ne pourra l’arrêter.
Ce roman, c’est encore celui de la mutation sociale, en particulier des femmes, qui fuient leur confinement aux tâches domestiques auxquelles les hommes les avaient dédiées, en particulier dans un monde rural loin des activités professionnelles extra-agricoles. Avec les trois filles de la famille Fabrier, Serge JONCOUR illustre parfaitement l’appât de la ville sur les filles et leur souhait de poursuivre des études supérieures pour se faire une place dans un univers encore réservé aux hommes. Elles sont prêtes à repousser les limites.
Ce roman, c’est également celui de la mutation entre les générations. La fresque historique sur trente années montre le passage de relais par la voie des garçons assurant, bon gré mal gré, la succession des parents. Il y a une affaire de déterminisme là-dedans. Alexandre n’y échappe pas, comme ses parents précédemment. Chez les agriculteurs, il y a un attachement fort à la terre. D’ailleurs, quand les anciens partent à la retraite, ils font construire une maison non loin des bâtiments agricoles, histoire d’y garder leur ancrage. Avec cette construction, les grands parents d’Alexandre s’offrent un brin de modernité et s’approprient de nouveaux modes d’existence, ainsi va la vie.
Ce roman, c’est enfin celui de la mutation politique. L’année 1981 verra la gauche arriver au pouvoir. Là commencent les années dites Mitterrand. L’écrivain relate la soirée de fête suite aux élections présidentielles qui marquent un tournant dans l’Histoire de France.
Avec « Nature humaine », Serge JONCOUR explore les racines d’un mariage malheureux, voire impossible, entre Dame Nature, havre de paix et écrin de verdure, et l’activité humaine, génératrice de modifications environnementales. Les agriculteurs incarnent parfaitement la responsabilité des hommes à l’origine des changements climatiques et les plus concernés par les effets dévastateurs des éléments.