Marwan, le narrateur, rentre tout juste de six semaines de vacances au Portugal. Agrégé d'histoire, il s'apprête à faire sa rentrée des classes quand Capucine, sa compagne, lui annonce qu'elle le quitte. Après quatre années passées à ses côtés, elle en aime un autre que lui. Et comme un malheur n'arrive jamais seul, c'est à ce moment-là que son père décède. Le garagiste de Clichy, installé rue de Paris depuis une trentaine d'années, lui qui n'a jamais cessé de travailler, s'en est allé à l'âge de 54 ans. Marwan découvre les dernières volontés de son père, se faire enterrer dans son pays, le Maroc. C'est aussi lui que son père a désigné pour l'accompagner dans son rapatriement. Il prend l'avion avec Kabic, le meilleur ami de son père. Il ne sait pas encore qu'au cours de ce voyage, il découvrira une histoire familiale ponctuée de secrets bien gardés sur deux générations. Plus jamais sa vie ne sera comme avant.
Olivier DORCHAMPS nous livre un roman intimiste. Il nous fait entrer à pas de velours dans la vie d'une famille d'origine marocaine. Le père et la mère sont de là-bas. Le père a gardé sa nationalité alors que son épouse et les trois enfants, trois garçons nés sur le territoire français, ont été naturalisés. C'est tout en pudeur que l'auteur dévoile une existence tiraillée entre la terre d'origine et celle d'adoption, entre deux langues, deux cultures. Le Maroc, les enfants n'y sont allés que lors de vacances. Marwan se souvient des listes de gadgets qu'ils avaient à emmener pour la famille, il se souvient aussi de la difficulté à communiquer avec les cousins avec lesquels ils ne partageaient que les liens du sang. Quand ils étaient considérés là-bas comme de riches français, Marwan voyait ô combien ses parents luttaient chaque jour pour payer les études. Ali est devenu avocat, Foued en est à sa dernière année de faculté.
Les premières pages déroulent le fil de la vie de cette famille, aujourd'hui parisienne, avec tout ce qu'elle traduit de problématiques d'intégration. Olivier DORCHAMPS montre à quel point il est difficile d'être comme les autres quand vous êtes regardé à jamais à travers le filtre de la différence :
Je ne suis jamais ce que je suis, je suis ce que les autres décident que je sois. P. 100
Ce qui m'a beaucoup intéressée, c'est l'effet de rupture avec ce bain, contraint et forcé, dans un pays que Marwan ne connaît pas, à un moment où la famille est fragilisée par la mort, torturée par la douleur, tenaillée par le manque, déjà. Il y a l'atterrissage en terre étrangère et ce premier étonnement devant les rouages d'une société qui vit autrement :
J’avais oublié qu’au Maroc, il y a toujours un métier dont on ignore l’existence en Occident, soit qu’il a été remplacé par une machine, soit qu’on s’est habitué au self-service. P. 130
J'ai beaucoup aimé l'analyse du rapport au temps aussi, révélée avec un trait d'humour mais qui traduit bien la différence de sensibilité exprimée par les mots :
L'expression en français c'est mieux vaut tard que jamais, Mo.
En français oui, parce que les Français sont obsédés par le temps qui passe. Ici on a tout le temps, inch’allah, mais aucune certitude, alors on dit mieux vaut sûr que jamais. P. 136
A travers les yeux de Marwan, Olivier DORCHAMPS dresse le portrait d'un pays, explique ses codes, son mode de vie, son rapport à la religion, la condition des femmes aussi. L'auteur le fait avec beaucoup de bienveillance, sans jugement aucun.
J'ai adoré le personnage de Kabic, ce vieux sage qui guide les pas du jeune homme contraint, malgré lui, à tenir un rôle dans un costume trop grand pour lui. Marwan n'a plus de père, il peut compter sur cet ami pour tracer sa voie :
Si tu commençais par accepter d’être l’enfant de deux pays, tu te sentirais mieux, en France et ici. P. 164
Dans une intrigue parfaitement maîtrisée autour de secrets qui vont, au fil des conversations, se dévoiler, Olivier DORCHAMPS décrypte les rouages de la mémoire intergénérationnelle, ces empreintes qui se transmettent inconsciemment avec la filiation :
Car la blessure de Mi Lalla, sa hchouma, est un héritage indélébile, une douleur qu’elle nous a transmis malgré elle et qui perdure inconsciemment en chacun de ses petits-enfants. P. 207
Olivier DORCHAMPS nous livre un premier roman dans une plume délicate, poétique, marquée par une profonde humanité, une réussite.
Mesdames les fées, une nouvelle fois, vous avez encore frappé !
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