Le film fait partie de la Sélection Officielle Cannes 2020
Il est réalisé par Caroline VIGNAL.
Synopsis :
Des mois qu’Antoinette attend l’été et la promesse d’une semaine en amoureux avec son amant, Vladimir. Alors quand celui-ci annule leurs vacances pour partir marcher dans les Cévennes avec sa femme et sa fille, Antoinette ne réfléchit pas longtemps : elle part sur ses traces ! Mais à son arrivée, point de Vladimir - seulement Patrick, un âne récalcitrant qui va l'accompagner dans son singulier périple…
Mon avis :
Si vous avez envie de rire, je crois que cette comédie est faite pour vous !
Le personnage d'Antoinette est diablement bien interprété par Laure CALAMY, une actrice séduisante et sensuelle, spontanée et lumineuse.
Elle nous emmène en voyage dans des paysages de rêve mais il ne faudrait pas oublier que la rando est une activité à part entière. Antoinette n’en maîtrise pas les codes. La valise à roulettes, la jupe et les talons compensés sont inadaptés, lui faisant vivre dzs situations aussi loufoques que farfelues.
Quant à se lancer seule, sans formation ou si peu, dans l’aventure et avec un âne de surcroît, il n’y a qu’un pas qu’Antoinette ne manque pas de franchir. Elle collectionne les péripéties, pour notre plus grand plaisir, émotions garanties !
Celles et ceux qui connaissent les joies des dénivelés et des retrouvailles en refuge vont glousser de plaisir. Il y a des scènes tout à fait truculentes, on ne peut plus réalistes !
Et puis, il y a cette histoire d'amour avec Vladimir, interprété par un acteur à l'avenir prometteur, Benjamin LAVERNHE de la Comédie Française. Le jeu du mari et de sa maîtresse est un peu comme un Vaudeville des temps modernes.
Enfin, il y a un animal, Patrick, l'âne qui va porter les bagages d'Antoinette. Il a une approche très fine de la psychologie de ses compagnons de voyage et ne manque pas une occasion de faire part de ses impressions. Il vous réserve quelques parties de rigolade.
L'épopée est tout à fait jubilatoire.
J'ai retrouvé le plaisir d'aller au cinéma et de vivre un spectacle au rythme des rires de la salle, un bon moment. Cerise sur le gâteau, j'étais particulièrement bien accompagnée !
Mon #mardiconseil, c'est un premier roman sélectionné dans le cadre du Prix du roman Cezam 2020 : "La petite conformiste" d'Ingrid SEYMAN publié aux éditions Philippe REY.
L'autrice sera accueillie la semaine prochaine, mardi 6 octobre à 20h00 à la Médiathèque des Ponts-de-Cé (49).
Vous imaginez aisément que dans le contexte actuel de crise sanitaire il soit nécessaire de vous inscrire au préalable. Alors, n'attendez plus, adressez un mail à mediatheque@ville-lespontsdece.fren indiquant le nombre de places souhaitées.
Vous hésitez encore ? Je crois que la lecture de ma chronique s'impose...
Ma #lundioeuvredart, une fois n’est pas coutume, est une pièce de théâtre.
Inspirée du roman de Philippe CLAUDEL, « La petite fille de Monsieur Linh » est interprétée par Sylvie DORLIAT et mise en scène par Célia NOGUÈS.
Le décor est minimaliste, quelques drapés blancs, un banc, une valise et une cage à oiseaux avec une bougie rouge. Pour animer le tout, des ombres chinoises.
Et puis, une femme, Sylvie DORLIAT, elle nous livre un jeu à deux voix d’une très grande sensibilité. Tantôt Monsieur Linh qui découvre un nouveau pays dont il ne maîtrise pas la langue, les codes... tantôt Monsieur Bark, l’homme du banc.
Les deux sont déchirés par les malheurs qui les ont foudroyés. Le premier a vu son fils et sa femme mourir dans les rizières dans l’explosion de bombes. Il a fui la guerre avec sa petite fille, Sang diû. Le second est veuf, sa femme qui s’occupait du manège du parc est décédée. Ils vont se lier d’amitié. Les délicates attentions vont palier l’absence de mots, les coeurs vont s’attendrir... et nous émouvoir !
Il est question de deuil, d’exil, de déracinement, de solitude... de tout un tas de sujets graves tout en beauté.
L’interprétation est magistrale. J’ai passé une heure, sous l’emprise totale du jeu de Sylvie DORLIAT. Bravo !
Vous aussi avez envie de voir cette représentation ? Vous avez jusqu’au 11 octobre !
Ce spectacle sera peut-être l’occasion pour vous, comme ce fût le cas pour moi, de découvrir un tout nouveau lieu, Le Lucernaire. Un lieu culturel par excellence, 3 salles de théâtre, une librairie et une expo de photos dont je vous reparlerai...
Enfin, le clou de la soirée, ce sont les retrouvailles avec Botero Pop, il est partout avec des dizaines de Boteros sur les murs, les tables, les présentoirs, the king quoi !
J’allais oublier, il y a aussi un restaurant.
Bref, tout ce qu’il faut pour passer une parfaite soirée !
Ma #chansondudimanche, « Mesdames », est extraite du dernier album de Grand Corps Malade, un hymne aux femmes en général, et à celles qui lui sont proches.
Récemment, j’ai eu l’immense chance de rencontrer Nathalie-Audrey DUBOIS, une artiste dont j’ai découvert le talent il y a deux ans environ.
Dans la salle d’attente de mon kiné, un journal un peu particulier a attiré mon attention, c’était en réalité la restitution des créations de la résidence d’artiste de Nathalie au CHU d’Angers, un travail de six mois de résidence In situ au cours de laquelle Nathalie a utilisé en partie du matériel médical pour le détourner dans ses créations.
Depuis, nous nous suivons respectivement sur Instagram.
Alors, assez naturellement, après Adie BERNIER, Nicolas BOISBOUVIER et Alix de BOURMONT, j'ai proposé à Nathalie de m'ouvrir les portes de son atelier de l'Arboretum d'Angers. Elle a aimablement accepté.
Alors, Nathalie, raconte-nous ton parcours.
Je suis diplômée de l’école des Beaux-Arts de Marseille Méditerranée et de l’école du Paysage de Versailles. A la marge, j’ai fait deux ans de botanique au service du Service des Espaces Verts de la Ville de Nantes.
Parle-nous de ton rapport aux plantes.
Je me suis toujours intéressée au végétal. Quelle nature représenter ? Que raconte-t-elle de la relation de l'Homme à son environnement ? Je revisite ce genre qui n'a eu de cesse de se réinventer à travers les siècles.
Depuis mes premiers travaux, je privilégie les installations, les décors à traverser ou expérimenter. Les grands dessins de végétaux forment le seuil d'une forêt, une canopée qui constitue la voûte de cet environnement qui peut, tour à tour, sembler oppressant, mystérieux, labyrinthique, comme les bois imaginaires de nos contes d'enfants ou les jungles des origines de l'humanité. Ces installations se traversent ainsi, telle une fable sur le temps.
Mes premiers travaux étaient en noir et blanc. J’aime cette apparente simplicité. Cela évoque pour moi l’ombre, celle qui oblige à regarder pour apercevoir, cela demande de l’attention. Je pense à « Louange de l’ombre » de Junichirô TANIZAKI, l’ombre est décrite comme étant plus subtile que la blancheur, que l’éclairage direct, vulgaire. Les Maîtres Flamands utilisent à leur manière le noir pour révéler la lumière, le reflet des peaux ou des fleurs.
La nature, c’est vraiment mon sujet de prédilection. Cet atelier dans un parc, au milieu du vert, est juste incroyable. J’ai l’impression d’être chez moi. Je suis ravie. Je m’y plais.
Je représente beaucoup de fleurs, comme les iris, les tulipes, des fleurs charnues. J’aime les fleurs pour leur délicatesse, leur beauté éphémère, leur croissance lente pour grandir, tout ça me fascine.
Et le papier ?
J’aime travailler le papier, il y a un rapport à la matière qui me plaît beaucoup, je les choisis parfois lisses, d'autres fois tissés. Je travaille aussi sur du papier calque indéchirable, du papier de fleuriste. Là, par exemple, j’obtiens des noirs avec des reflets.
J’ai fait des tirages de planches botaniques du 16ème siècle, puis j’ai redessiné avec des crayons de couleur. Le résultat est un dialogue entre la représentation codifiée de la botanique et un dessin au crayon.
On est plutôt sur des grands formats, non ?
Oui, j’aime le grand format.
Les grands formats se déploient et offrent une surface importante. La relation n’est pas la même, je dessine à même le sol ou sur les murs, cela dépend. Le geste prend alors une toute autre dimension, l’outil lui-même ne fait pas le même travail Dans les grands formats, j’oscille entre rapidité, vibration de la touche picturale et précision du trait de crayon. Dans les dessins, aucun paysage ne vient donner une échelle, un cadre, une stabilité, un enracinement... les végétaux, libres, jouent de leur asymétrie. L’entremêlement des lignes, leur superposition et les variations colorées lient désordre, harmonie, tensions, chutes. Cette nature, coupée de sa terre, s'offre dans sa beauté et son énergie.
Quand je commence une création, en grand format, les études au préalables constituent une armature importante, mais au fil du dessin cela peut évoluer.
Avec quels matériaux travailles-tu ?
Tous les matériaux ont leur spécificité, l’huile reste très agréable, l’encre de chine aussi. Les crayons de couleurs ont, selon moi, un aspect plus doux.
Parlons des couleurs justement...
Quand tu as un bleu de Prusse, tu voudrais bien aussi un bleu un peu violet, mais tu n’as pas de violet ! Les verts sont pour moi des bonnes bases. Toutes sont séduisantes, je reviens souvent à la même palette. Je crée aussi mes couleurs. J’aime jouer avec les transparences des couleurs, les superpositions qui contribuent à donner de la profondeur au dessin.
Comment tout ça s’organise alors ?
Je fonctionne par série et puis, je passe à autre chose, c’est un peu une conversation.
Comme tous les artistes, la création ne peut se faire désincarnée de l’histoire, nos pères. Je suis touchée, en ce moment, à nouveau, par l’œuvre de Pierre SOULAGES. Je me nourris bien évidemment de l’histoire des explorations réalisées par d’autres. J’aime le noir, l’impression de traverser, de plonger dans l’insondable. J’ai vu récemment le très beau travail de Joaquin SOROLLA, une autre lumière, celle de l'Espagne, "sa touche libre et brillante, exalte la lumière et la couleur. La question de la curiosité est constamment présente."
Au fil des années, il y a comme une signature qui se dessine...
C'est dans ces oppositions, ces antagonismes que je creuse le sillon d'une œuvre qui se déploie avec une grande cohérence depuis plus de vingt ans.
Dans un incessant aller/retour intérieur/extérieur, je m'interroge sur ce que, en tant qu'être humain aux parcours singuliers, nous partageons. Cet espace commun, mais hors du commun, de nos existences.
En mode participatif, lors de vos résidences d'artiste aussi, n'est-ce pas ?
Il y a eu le CHU effectivement. Il y a eu aussi le projet "Les Voisins".
C'était une commande d'un établissement d'hébergement pour personnes âgées et désorientées (EHPAD) avec une volonté d'impliquer les résidents. Une transformation de La Résidence d’Orée était programmée avec l’union de deux maisons d’accueil : La Résidence de Saint-Laurent-des-Autels (49) et La Résidence de Landemont (49), deux communes voisines.
Le déménagement, prévu en fin d’année 2019, allait bouleverser les habitudes, les pratiques et l’histoire de chacun. L’équipe m'a fait appel pour accompagner ce changement et susciter une appropriation des différents espaces du nouveau lieu.
Il y a eu des moments très émouvants, comme les rencontres peuvent les susciter.
Quand on veut voir tes œuvres, où va-t-on alors ?
A l’Artothèque d’Angers, il y a un papier à l’acrylique, Monstera Deliciosa qui est une plante tropicale pouvant devenir monstrueusement grande d’où son nom.
Je suis présente dans des collections publiques, FNAC, Musée de Sérignan, Frac Paca, Artothèque d’Angers.
Est-ce qu’il y a des événements à venir ?
En fait, avec la crise sanitaire, des choses sont engagées mais ne sont pas confirmées.
Promis Nathalie, alors, on suivra ton actualité sur les réseaux sociaux.
Merci infiniment pour ton accueil, ta sympathie, ce fut un réel bonheur que cette « Visite d’atelier ».
Ma #Vendredilecture, c'est un premier roman, couronné tout récemment du Prix Stanislas.
Les années passées, ce prix littéraire avait été décerné à Sébastien SPITZER pour "Ces rêves qu'on piétine", un immense coup de coeur, et puis Victoria Mas pour "Le bal des folles", deux romans repérés par les fées des 68 Premières fois.
"Ce qu’il faut de nuit" de Laurent PETITMANGIN, c'est une lecture coup de poing, j'en suis sortie K.O. !
Fus est un jeune garçon passionné de football et reconnu pour ses qualités sportives dans le club du village. Son père l'accompagne aux matches le dimanche matin. C'est le rendez-vous, un lieu de rencontre des copains, comme un rituel qui tient toute sa place dans une journée de collégien qui se poursuit avec la visite de la moman à l'hôpital. Elle est malade d'un cancer. Trois années durant, Fus et son père seront au chevet d'une femme battue par la maladie. Quand elle s'éteint, Fus s'occupe de son jeune frère, Gillou, pendant que leur père travaille de nuit à la SNCF. Le premier été suivant la mort de la moman, les trois garçons partent en vacances en camping. Il n'y aura qu'une année tous ensemble. Fus grandit, il a de nouveaux copains, d'autres plans. Et puis rapidement, c'est l'engrenage, la distance prise avec Jérémy, son pote d’enfance, un retour à la maison avec un bandana affichant une croix celtique, et puis, l’impossibilité à communiquer d'homme à homme, et puis, l’extrême, l’irréparable...
La narration de ce roman est à la première personne du singulier.
Derrière le je, il y a un homme, un Français du 54, un employé de la SNCF, un supporter du FC Metz, qui s'exprime dans une langue un brin populaire, qui dévoile ses états d'âme comme une confession. Le texte est au présent, un peu comme si le narrateur nous dévoilait son journal intime au fil des années.
Derrière le je, il y a un veuf. Sa femme est décédée. Elle l'a laissé seul. Il n'y a pas eu d'élan de tendresse, de complicité amoureuse, de gestes passionnés. Elle est partie comme elle a enduré la maladie, avec fatalisme. Il s'évertue pourtant à penser qu'elle serait fière de lui...
La moman m’habitait dans ces moments, je pense qu’elle était contente de la façon dont je gérais l’affaire. P. 95
Derrière le je, il y a un père, un être qui se sent responsable, en charge de deux garçons. C'est quelqu'un qui gère le quotidien avec ses armes. Les mots et les grands discours, c'est pas son truc, mais quelle preuve d'amour ! Bien sûr, s'il n'avait pas été directement concerné par l'affaire, il aurait pris de la distance, il se serait peut-être même exprimé, mais là... c'est un peu comme une déferlante qui s'abat sur lui. Il est tétanisé par la gravité des faits et rongé par un sentiment de culpabilité.
Un réflexe de vieux, poussif à ne plus en pouvoir, mais j’avais agi en père dont le fils était en danger. P. 10
A travers cet itinéraire familial, c'est un roman social, celui de la désillusion d'une famille, de la mort d'une industrie, d'une région aussi.
Laurent PETITMANGIN, à défaut de comprendre, tente d'expliquer, par l'exemple, la montée du populisme, l'adhésion à une idéologie de haine, l'expression par les poings.
A la naissance, tous les bébés se ressemblent, leurs destins seront pourtant fondamentalement différents. C'est aussi la paternité qui est explorée dans une famille monoparentale, la jeunesse d'un enfant bafouée, le deuil, l'adolescence, cette période de toutes les prises de risques, de vulnérabilité aussi.
Que toutes nos vie, malgré leur incroyable linéarité de façade, n’étaient qu’accidents, hasards, croisements et rendez-vous manqués. Nos vies étaient remplies de cette foultitude de riens, qui selon leur agencement nous feraient rois du monde ou taulards. P. 171
Ce roman, si j'en ai commencé la lecture avec un certain détachement, je me suis rapidement retrouvée piégée par le jeu d'écriture de l'auteur. La pression a monté, mon indignation aussi. J'ai senti mon coeur se serrer et puis la digue a lâché.
Je me suis retrouvée à fondre en larmes sur les toutes dernières pages, la chute est magistrale.
La plume, je l'ai dit, elle est un brin populaire, ça ne l'empêche pas d'être empreinte d'une tendresse profonde et d'une force inouïe.
Chapeau Monsieur PETITMANGIN pour le contenu de l'histoire, la qualité du scénario.
Chapeau aussi à La Manufacture des livres, il fallait oser.
"Ce qu'il faut de nuit" me rappelle d'autres premiers romans qui, ces dernières années, m'ont fait sortir de ma zone de confort pour me laisser sur le carreau, je pense à
Je vous propose d'extraire aujourd'hui ma #citationdujeudi d'une biographie de Colette, celle écrite par Dominique BONA, Académicienne, publiée aux Editions Grasset et maintenant chez Le livre de poche, une pure gourmandise.
Dominique BONA nous livre une biographie absolument remarquable de Colette et ses trois amies, toutes des femmes éprises de liberté, insoumises, sensuelles et gourmandes, qui vont nourrir des liens de complicité de soeurs et de solidarité de filles pour lutter contre la solitude. J'ai adoré vivre à leurs côtés leurs moments d'euphorie. En quête d'une identité nouvelle, elles cherchent par tous les moyens à EXISTER. Elles sont toutes aussi audacieuses qu'impétueuses.
"Colette et les siennes" est aussi un livre social qui décrit les modes de vie d'une certaine catégorie de la population.
C'est encore un livre historique qui donne à voir les réalités des années 1910 et des trois décennies suivantes.
Et puis c'est également un livre féministe qui montre l'évolution de la condition des femmes de l'époque.
C'est, de plus, un livre artistique qui relate le développement de la presse écrite et les débuts de l'activité cinématographique.
Mais c'est encore beaucoup plus que ça... c'est un coup de coeur, un cadeau à offrir sans modération !
Après « Ces rêves qu’on piétine », un immense coup de coeur découvert grâce aux fées des 68 Premières fois, Sébastien SPITZER fait son entrée dans la rentrée littéraire de septembre avec « La fièvre ».
Nous sommes quelques jours avant le 4 juillet 1878 à Memphis aux Etats-Unis. Les préparatifs de la Fête de l’Indépendance battent leur plein. Le 4 juillet, c’est aussi la date anniversaire d’Emmy Evans. Son père est derrière les barreaux depuis quelques années. Pour ses 13 ans, quel formidable cadeau que de le voir descendre du navire, le Natchez. Malheureusement, en plein débarquement, un coup d’arrêt est donné. Les voyageurs sont contraints à réembarquer dans l’urgence. Un malade vient d’être repéré. Le bateau repart pour être mis en quarantaine. Emmy rentre chez elle, retrouver sa mère dans le cabanon qui fait office d’habitation. Sa mère travaille chez la famille Adams, des Blancs. Elles ne tarderont pas à découvrir que le père d’Emmy était bien arrivé en ville, mais la veille du débarquement. Il avait passé la nuit à la Mansion House, un bordel tenu par Anne Cook. Au petit matin, pris d’une fièvre insoutenable, il sort nu de l’établissement et meurt dans la rue principale de Memphis. Son corps est pris en charge. Les autorités essaient de faire l’omerta sur ce cas de fièvre jaune. Keathing, lui, un proche du Ku Klux Klan, Chef du Memphis Daily et témoin de la prolifération de la maladie, dévoile dans les pages de son journal l’état de la situation. Un exode massif de la population s’engage, là commence une nouvelle histoire !
Ce roman, éblouissant, commence avec une scène effroyable, le meurtre d’un homme noir par le Ku Klux Klan. Sébastien SPITZER donne le ton d’une époque où, je le cite,
[...] naître noir est une malédiction
L’écrivain concourt au devoir de mémoire de la grande Histoire des Etats-Unis avec une focale sur celle de la condition noire. Il rappelle, s’il en était nécessaire, à quel point le racisme peut gangrener une société, au péril de la vie des minorités.
C’est dans ce contexte historique et politique des plus tendus que la maladie fait son apparition, en quelque sorte, la double peine, celle qui va faire tomber 5 000 hommes, femmes et enfants de Memphis.
S’il est des êtres chez qui l’instinct de survie fait perdre son sang-froid, au risque de sombrer dans la lâcheté,
La vague des rumeurs brise toutes les résistances. Même celle de la raison. P. 132
Il en est d’autres qui font preuve d’une force supérieure et d’un courage inouï pour surmonter les événements. Anne COOK et Raphaël T. BROWN, un ancien esclave, font partie de ceux-là.
Sébastien SPITZER, qui s’est largement documenté, s’est effectivement inspiré de faits réels pour construire un scénario éminemment romanesque. Dans un jeu d’écriture audacieux, parfaitement réussi, il arrive à faire se croiser réalité et fiction au bénéfice de grands Hommes dont l’honneur est aujourd’hui rendu. Ce roman est d’une profonde sensibilité.
C’est dans les épaisseurs de ces instants, dans le creux de ces mots, que se loge le sentiment. P. 205
Et puis, il y a ce questionnement autour du journal, le Memphis Daily, et de son responsable, Keathing. Devait-il relater des faits portés à sa connaissance au risque d’engendrer un mouvement de foule non maîtrisé et des événements d’une extrême gravité ? Ce fut pour lui un cas de conscience. Il a décidé seul. Sébastien SPITZER, avant de devenir écrivain, était journaliste de formation. Assez subtilement, mais tout à fait judicieusement en tant que professionnel du genre, il évoque la puissance des médias. C’était vrai en 1878, ça l’est encore plus aujourd’hui avec la multiplication des supports. Où en sommes-nous de la liberté de la presse ? Quel rôle lui vouons-nous ? Peut-elle s’affranchir des opinions qu’elle est susceptible d’influencer ? Qui peut décider des contenus publiés ? Autant de questions auxquelles l’écrivain nous invite à réfléchir !
Ce roman est sorti en librairie dans un contexte de crise sanitaire lié à la pandémie du coronavirus. C’est un concours de circonstances relevant du plus grand des hasards, Sébastien SPITZER en fut le premier surpris.
Dans une plume tendre et délicate, l’auteur décrypte avec minutie la psychologie de chacun des personnages et dresse des portraits d’une rare beauté. C’est un roman prodigieux.
Dans cette rentrée littéraire de septembre 2020, retrouvez mes chroniques de
Une fois n'est pas coutume, ma #lundioeuvredart est une photographie.
Intitulée "Melting point", elle fait partie d'une série réalisée en 2016 par Stéphane COUTURIER à Bab-El-Oued à Alger.
Stéphane COUTURIER, je ne le connaissais pas avant de visiter la très belle exposition temporaire qui lui est consacrée à l'Artothèque désormais installée au R.U., Repaire Urbain, ce nouveau lieu culturel d'Angers, installé dans le Jardin du Musée des Beaux Arts, à deux pas de la Bibliothèque Toussaint.
Différents clichés de l'artiste parisien sont exposés en grand format.
Ceux réalisés à l'argentique sont d'une très grande qualité esthétique et méritent à eux seuls le détour.
Mais, personnellement, ceux qui m'ont le plus séduite, ce sont ceux créés par la voie du numérique et le jeu, tout à fait singulier, de la superposition de deux images. Stéphane COUTURIER, et c'est là son originalité, s'amuse à réaliser des créations en retravaillant chaque pixel. Avec l'artiste, 1 + 1 font 3.
J'ai été très sensible à la beauté de cette oeuvre. Il y a cette façade d'immeuble construite sur le modèle Haussmannien dans les années 1920 et puis une autre, plus discrète, plus subtile aussi, qui vient s'y superposer.
J'aime beaucoup le jeu des rideaux dans les teintes bleues qui tantôt se retrouvent à l'arrière des ferronneries et les magnifient, tantôt les devancent en transparence. Et puis, il y a tout ce linge étendu aux fenêtres. J'imagine assez aisément qu'en pleine chaleur une douce brise vienne animer la composition. L'artiste fait ainsi dialoguer le côté statique du bâti avec le mouvement des matières.
Si l'humain n'est pas représenté en tant que tel, une autre particularité du travail artistique de Stéphane COUTURIER, sa présence est soupçonnée à travers ses vêtements mis à sécher, les plantes vertes aussi. Il y a une certaine représentation du vivant.
Bien sûr, il aurait été difficile de deviner la technique employée par l'artiste sans la médiation culturelle assurée par l'équipe du R.U.. Je voudrais saluer la qualité de l'intervention. Au fil de l'exposition, j'ai appris à repérer quelques détails de la composition et décrypter l'intention de l'artiste, c'est un peu comme si l'on visitait les coulisses d'un spectacle.
Alors, vous aussi êtes intéressé(e)s ? Profitez des Journées du Patrimoine, le week-end prochain, pour visiter l'exposition !
S’émerveiller une nouvelle fois de la beauté de la plume de Sébastien SPITZER avec son tout dernier roman, publié chez Albin Michel : « La fièvre » et se souvenir de l’album de Julien DORÉ sorti très récemment. Il porte le même titre.
« La fièvre », c’est ma #chansondudimanche.
Elle commence comme ça...
Le monde a changé
Il s’est déplacé
Quelques vertèbres...
Vous voulez l’écouter maintenant ? À votre guise !
Samir est né en 1984 en Allemagne. Ses parents, Brahim et Rana, chrétiens, ont fui quelques années plus tôt leur pays d’origine en feu, le Liban. Ils ont posé leurs valises en Allemagne en 1983. Un premier accueil leur a été assuré dans un camp de réfugiés. Avec eux, il y avait Hakim, le meilleur ami de Brahim, fils de luthier, musicien, musulman. Lui, bénéficiera du droit d’asile. Il élève seul Yasmin, sa fille de deux ans. Il obtiendra aussi un permis de séjour illimité, un logement social, un permis de travail et accédera à un emploi dans une menuiserie. Pour Brahim et Rana, le parcours sera plus compliqué mais à force d’apprentissage, ils réussiront. Brahim, qui a appris l’allemand dans les livres, sera interprète pendant que Rana réalisera des travaux de couture. Les deux familles exilées se retrouveront dans le même immeuble et partageront leur intimité jusqu’au jour où, Brahim, totalement adulé par son fils, disparaîtra. L’enfant n’aura alors que huit ans, il sera pourtant marqué à vie par cet événement. Plus grand, il se lancera dans un véritable parcours du combattant sur les traces de son père, à moins que ça ne soit de tout un pays.
Dans ce roman, vous l’aurez compris, il est question de déracinement. Pierre JARAWAN décrit avec beaucoup de pudeur le parcours de deux familles d’immigrés des années 1980. A travers elles, il décrit les conditions d’accueil des immigrés et tient un propos qui malheureusement prend une dimension universelle et intemporelle.
Telle une famille d’animaux, j’avais l’impression que nous pouvions envisager avec sérénité la venue de la mauvaise saison, car nous avions des provisions suffisantes et une tanière chaude et confortable. P. 53
Pierre JARAWAN donne pourtant une connotation singulière au sujet avec des personnages profondément attachants. J'ai été troublée par cette relation père/fils et ce sentiment d’un terrible abandon. Quand Samir découvre la disparition de son père qu’il admirait plus que tous, c’est un peu comme s’il avait été trompé, comme si son père lui avait caché l’existence d’un autre homme, d’une autre vie. Samir, devenu adulte, ne pourra résister au besoin irrépressible de la quête d’un secret trop bien gardé.
Il y a le Liban fantasmé par des exilés qui resteront, toute leur vie, ancrés à leur terre d’origine, et puis, il y a celui de la réalité que Samir va découvrir, peut-être au péril de sa vie. « Tant qu’il y aura des cèdres » devient alors un roman d’aventure, au rythme haletant.
Et puis, j'ai été séduite par l’approche de l’art. Tout au long du roman, Pierre JARAWAN va convoquer des disciplines artistiques au chevet de Samir et des gens qu’il aime. Tout a commencé avec ces moments fabuleux de l’heure du conte dans le camp des réfugiés. Mais il y a eu aussi le graff arrivé au centre aéré pour embellir un bâtiment. Et puis, i y a eu la couture avec la friperie et la rencontre d’Agnès Yung. Et encore, le leitz-prado pour les diapositives, ces photographies de l’époque. Pierre JARAWAN nous émerveille de toutes ces créations qui, dans des moments de grandes fragilités, permettent à l’homme de sauver sa peau en s’émancipant de sa condition de simple mortel.
Enfin, dans une plume d’une profonde sensibilité, Pierre JARAWAN et Paul WIDER, en qualité de traducteur, nous offrent un très beau roman, de ceux qui vous ouvrent les portes du monde. Il y a cette petite graine d’espoir qui ne demande qu’à être arrosée...
Même si c’est une image éculée, il y a toujours une lumière là où tu ne vois que l’obscurité. P. 352
Ma #citationdujeudi est extraite du roman de Catherine BARDON : "Les déracinés", le premier d'une trilogie.
Avec "Les Déracinés", tout commence à Vienne dans les années 1930. Wilhelm, Wil, est promis à la succession de l'entreprise d'imprimerie familiale créée par le grand-père, Josef Rosenheck. Sa soeur, Myriam, elle, est passionnée de danse depuis sa plus tendre enfance. Leurs destins vont pourtant prendre un tout autre chemin avec l'annexion de l'Autriche à l'Allemagne hitlérienne. Jeune homme, et dans l'ambiance des cafés viennois où se retrouvent les intellectuels, Wil fait connaissance avec Almah, ils tombent fous amoureux l'un de l'autre même si leur histoire relève presque de l'impossible, il suffit de regarder le fossé entre leurs milieux sociaux. L'étau de l'antisémitisme se resserre cruellement autour de leurs existences. Myriam, la soeur de Wil, se marie précipitamment avec Aaron suite à l'agression d'un juif dans la rue. Ils partent pour les Etats-Unis. Wil et Almah, eux, choisissent de rester, au péril de leur vie.
Sous la plume de l'écrivaine, les personnages deviennent au fil de la lecture profondément attachants.
J'ai tellement hâte de retrouver Wil et Alma dans "L'Américaine" et puis, "Et la vie reprit son cours".
Ma #lundioeuvredart est une création de l'artiste Virut.
Thaïlandais, il a une quarantaine d'années et un talent fou.
Spécialisé dans la réalisation de portraits en grands formats, ses oeuvres sont composées de collage, offrant une double lecture.
Ses créations peuvent être admirées de loin, permettant de voir ainsi la globalité des traits, mesurer les émotions qui traversent le personnage.
Elles peuvent être aussi observées de près pour identifier chacun des petits morceaux de papier qui composent le portrait. Là, c'est la démarche artistique et esthétique qui focalise notre attention.
Personnellement, je trouve que les regards sont profondément, saisissants. C'est peut-être là où Virut excelle. Les yeux, organisés comme un puzzle, rendent les personnages très réalistes.
Sous les traits d'une vieille dame aux yeux rieurs, parée d'un tissu coloré pour attacher ses cheveux, sa "Grandma" est d'une très grande beauté.
Si vous passez sur Angers, une nouvelle exposition des oeuvres de Virut est annoncée en juin 2021 à la Galerie In Arte Veritas. Alors, on prend rendez-vous ?
Et puis, je vous avais annoncé vouloir égrener les autres au fil du temps comme ces pâquerettes que l'on effeuille
un peu
beaucoup
passionnément
à la folie
Aujourd'hui, place aux premières lignes de "A la noce" :
"- Allo ? Philippe ? C’est Edouard. - Eh ! Salut Edouard. Comment vas-tu ? - Très très bien ! J’ai une grande nouvelle à t’annoncer : je vais me marier ! - Ah...bon...Avec Laure ? - Évidemment avec Laure ! Avec qui veux-tu que je me marie ? - Non, non. Bien sûr. C’est idiot comme question. Mais... tu es sûr ? - Et bien, oui. Je suis sûr. Mais je ne m’attendais pas à ce que tu réagisses comme ça... Ca te pose un problème ? - Bien sûr que non Edouard. Tu me prends au dépourvu. C’est tout. - On est quand même ensemble depuis cinq ans. Ca n’a rien de surprenant. - Tu as raison... C’est juste que le mariage et moi..."
Vous ne résistez pas au plaisir de lire la suite ?
Rendez-vous sur son blog. Elle se fera un plaisir de vous offrir l'intégralité de son recueil, il est d'une pure beauté.
Impossible de passer à côté effectivement de l'invitation lancée par Anne De Rochas de découvrir les coulisses du Bauhaus, cette école d'art allemande créée en 1919 par Walter Gropius, et l'intimité d'une cinquantaine d'artistes et intellectuels avant-gardistes d'une époque aussi jubilatoire que compromise par le régime nazi.
La littérature offre cette possibilité de revisiter la grande Histoire, une manière de nourrir le souvenir d'une époque que l'on voudrait révolue à jamais et avouons que Anne de ROCHAS, dans ce premier roman, l'assure tout en beauté. Je me suis délectée des 463 pages de "La femme qui reste", un livre foisonnant dans une plume d'une éblouissante poésie.
Ma chronique existe maintenant en version audio sous-titrée...
Cet été, j'avais rendez-vous avec Martine MAGNIN. Un peu comme un rituel, je retrouve régulièrement sa plume, profondément tendre et délicate, pleine d'humour aussi, trouvant son inspiration dans le coeur des gens.
Pauline et Antoine partagent leur vie depuis une trentaine d'années. Leur fils, Louis, est parti au Québec vivre sa passion de pêcheur. Elle, est coiffeuse, lui, plombier, mais chacun regorge de talents cachés. Elle, altruiste, s'évertue à apporter du bien-être à celles et ceux qui l'entourent, lui, est sculpteur. Antoine est passionné d'entomologie, la science des insectes qu'il magnifie avec la réalisation d'oeuvres métalliques monumentales. Un jour, une cliente de Pauline évoque la recherche de gardiens pour une copropriété de huit maisons sur l'île des Saules. Pauline et Antoine, qui vivent dans un petit appartement sans âme, présentent leur candidature. Elle est acceptés, c'est là que commence une nouvelle histoire.
Ce roman, structuré en deux parties, aurait aussi pu faire l'objet de deux tomes, tellement les fins sont abouties et soignées.
Avec Martine MAGNIN, qui a le don de vous tirer les larmes des yeux, traite de l'amitié, de l'amour, de la mort, du deuil, bref, de l'humanité mais que l'on ne se méprenne pas, ce roman n'a rien de léger.
J'ai adoré l'approche de l'art de sculpter le fer. L'écrivaine décrit avec beaucoup de précision tout ce que ce travail exige de maîtrise. Je connaissais le travail artisanal, mais sous la plume de Martine MAGNIN, la discipline devient artistique. Immense bonheur que d'accompagner Antoine dans sa quête de la perfection, tant dans l'équilibre de ses oeuvres que dans la nuance des tons du matériau.
La passion, quelle qu’elle soit, est une maladie contagieuse. Avoir une passion, c’est surtout avoir un grand coeur, c’est repousser ses limites, vivre dans la démesure, c’est la flamme et le feu et aussi l’assurance de ne jamais s’ennuyer. P. 246
Et puis, bienvenue dans le monde des insectes. Plus jamais vous ne verrez ces petites bêtes comme avant mais bien comme des éléments essentiels de cette chaîne qu'est la biodiversité, nécessaire à la (sur)vie de la planète.
Enfin, il y a l'approche, un brin singulière, des arbres. Bien sûr, l'écrivaine met en lumière l'essence des saules pleureurs, très présents dans les environs de l'Oise, et de l'île sur laquelle elle choisit de faire vivre ses personnages, mais Martine MAGNIN va aussi sur le terrain de leur sensibilité.
Elle puise la substantifique moelle de son roman dans le discours de Peter WOHLLEBEN, ce forestier allemand qui dit d'eux :
Les arbres ressentent la douleur, mais également des sentiments comme la peur. L’amitié entre eux existe, et ils tissent des liens.
Martine MAGNIN s'inspire de cette évocation pour en faire de véritables personnages de cette communauté endiablée. Avec la rigueur du métronome, elle offre aux arbres, ces êtres vivants, les derniers mots de chacun de ses chapitres.
J'aime les romans de Martine MAGNIN pour ce qu'ils nous apportent de connaissances. Elle sait explorer avec minutie des univers qu'elle fait siens pour mieux les promouvoir.
Une nouvelle fois, le piège de l'écrivaine s'est refermé sur moi.
Par son écriture et à travers une galerie de personnages, tous très attendrissants, chacun dans son genre, elle m'a fait vivre des moments d'une très grande beauté, d'autres d'une profonde tristesse. Ainsi va la vie ! Ce qui distingue sa plume, c'est assurément le ton, celui de l'humour, de la malice et de la BIENVEILLANCE, un mot qui vient régulièrement ponctuer sa prose, histoire de ne pas l'oublier.
Je vous propose de partir en voyage, en Caroline du Nord.
Nous sommes le 30 octobre 1969, un homme est retrouvé mort, dans le marais, au pied de la tour de guet. C'est le corps de Chase Andrews, le fils unique d'un couple connu à Barkley Cove pour sa réussite avec le garage, la Western Auto. Marié, beau garçon, Chase avait le monde à ses pieds. Le marais, c'était son terrain de jeu. Il y bravait les courants avec son hors-bord. Dans sa jeunesse, il avait passé beaucoup de temps avec Kya, une fille de son âge, abandonnée de tous dès sa plus tendre enfance. La première à quitter le foyer avait été sa mère. En 1952, n'en pouvant plus de recevoir les coups de son alcoolique de mari, Ma avait pris sa valise et, sous les yeux de l'enfant, s'en était allée, sans se retourner. Et puis, ce fut le tour de la fratrie, même Jodie, le frère, n'avait pas résisté à l'attrait d'un ailleurs. Et encore, le père. Si, au début, il passait quelques nuits par semaine à la cabane, un jour, il n'était plus revenu. Enfin, Tate. Le garçon l'avait guidée un soir qu'elle s'était perdue. Leur amitié n'avait pas résisté aux études universitaires du jeune homme. Kya, qui n'avait que 7 ou 8 ans, avait d'abord vécu des vivres qu'il restait à la maison, et puis, elle avait dû prendre la barque du père, se rendre au village, échanger les moules, qu'elles ramassait à l'aube, avec quelques denrées de première nécessité. C'est là qu'elle avait fait connaissance avec Jumping et sa femme, Mabel. Lui, vendait du carburant pour les bateaux, elle, avait pris la petite de pitié, c'était la seule à voir dans la Fille du marais, un être humain, une enfant, celle que le village tout entier méprisait. Loin de tous, Kya avait voué un amour fou à la nature. Elle s'était gorgée des baignades en eaux douces, enivrée de la beauté des paysages et comblée de sa relation aux oiseaux. De là à penser que ça soit Kya qui ait tué Chase, il n'y a qu'un pas, à moins que...
Delia OWENS nous émerveille avec ses descriptions de la faune et de la flore des marais, une façon de louer les vertus de Dame Nature. Quant au parcours initiatique de Kya, je suis tombée sous le charme, tout simplement !
Dans cette rentrée littéraire, j'ai succombé sous le charme de votre premier roman, "La femme qui reste", un énorme coup de coeur. Quelques jours après cette lecture, vous me faites la joie de répondre à mes questions, c'est un immense plaisir de faire un peu plus connaissance avec vous.
Donc, Anne, je crois que vous êtes, avant tout, créatrice textile. Pouvez-vous nous dire quelques mots de votre parcours ?
J’ai eu la chance d’entrer très jeune chez Yves Saint Laurent, et de vivre une grande partie de son histoire. Cette Maison a été mon autre famille. J’ai très vite compris que les tissus m’intéressaient plus que les vêtements. Le monde infini des motifs, des gammes de couleurs m’a apporté beaucoup de plaisirs la fois de l’esprit, car il faut nourrir sa créativité, et de la main : La préparation des couleurs, le mélange des gouaches, toute cette petite cuisine et ses jolis outils. L’ordinateur est arrivé très tardivement dans nos studios !
Quelle matière aimez-vous travailler ?
La soie, bien sûr, pour sa profondeur.
Quel lien entretenez-vous avez l'écriture ?
J’ai toujours aimé les mots. Depuis l’enfance. Leur sonorité, leur forme, leur couleur, la manière de les accoler. Il faut aller les chercher, parfois ils s’imposent. "Je cherche une phrase pour en faire ma maison", écrit Christian Bobin dans "Un bruit de balançoire". Je crois que cette phrase vaut pour toute création. Mais on a le droit d’avoir plusieurs maisons, et d’aller de l’une à l’autre.
Un premier roman, c'est forcément un saut vers l'inconnu. Qu'est-ce qui vous a donné envie d'écrire un roman ?
L’envie a été toujours là, mais pas la disponibilité suffisante pour un travail de cette importance.
Pourquoi écrire sur le Bauhaus ?
Certaines rencontres marquent votre enfance : Les costumes d’Oskar Schlemmer, lors de la première exposition du Bauhaus à Paris en 1969, et Brecht, dont adolescente je connaissais par cœur les chansons de L’Opera de quat’sous. Ils m’attendaient. Même si le fréquentais au travers de ma vie de créatrice textile, je dois avouer que j’avais une image un peu convenue du Bauhaus. Ses maîtres, ses objets iconiques, des photos de fêtes, ce qu’on montre partout, ses théories réduites à des slogans. Ce que j’aurais envie de qualifier de "Bauhaus de l’ouest". La chute du mur a permis de rendre accessible Dessau, l’est, et de recoller les deux moitiés de l’image, de comprendre ses contradictions, de les accepter. Elles sont à l’origine de l’idée de mes trois personnages. Notre époque aussi est faite de clichés, de contradictions entre idéalisme et pragmatisme. D’urgence à reconstruire. Les Bauhaüsler nous parlent aussi de nous.
Comment avez-vous organisé vos recherches ? sur combien de temps ?
Le Bauhaus a fait l’objet de beaucoup de travaux, en France, en Allemagne et dans les pays anglo-saxons. J’ai énormément lu. Chacun a ses points de vue. Depuis quelques années, ils ont eu le bénéfice de faire émerger ceux que l’histoire avait dispersés, qu’on avait oubliés, notamment les femmes du Bauhaus qui ont été plus importantes que ce qu’on voulait bien en dire. Je me suis demandé ce qu’il y avait derrière ces visages, ces regards. Je suis partie sur leurs traces, à Berlin, à Weimar, et bien sûr à Dessau. J’ai parcouru leurs paysages, me suis assise à leur côté dans les ateliers, j’ai dormi dans un de leurs studios.
Je suis devenue leur compagnon de travail. Leur compagnon d’exil et de guerre. Le Bauhaus en lui-même n’a existé que quatorze ans, mais il a déterminé leur vie.
C’est cette histoire humaine qui m’a passionnée et que j’ai voulu partager.
Pourquoi avoir décidé de retenir 50 artistes et/ou intellectuels ?
Comme je le raconte dans ce roman, le Bauhaus est une communauté très forte, mais connectée à Berlin. La vie sociale et culturelle de cette époque, les tensions politiques, les courants artistiques sont une toile de fond essentielle pour comprendre les aspirations et les enthousiasmes de cette jeunesse. Pour cela aussi j’ai beaucoup lu, beaucoup écouté de musiques, visionné de films. J’ai tenté de capter cette pulsation, parfois mécanique, parfois violente. Une pulsion de survie. Le temps n’était pas au romantisme, mais à l’objectivité. Ce qui fait que ce roman peut sembler parfois un peu dur.
Parmi toutes les personnalités citées, j’ai deux tendresses particulières : Otti Berger et Xanti Schawinsky. L’un comme l’autre me semblent avoir un rayonnement exceptionnel, une humanité, une générosité magnifiques. Le destin d’Otti est tragique, et le regard de Xanti, dans une photo prise après la guerre à New York, en dit long sur ce qu’exil veut dire.
J’ai aussi une très grande admiration pour Hélène Weigel, le roc de Brecht, et pour Lotte Lenya, la voix de Kurt Weill. Artistes pour elles-mêmes, femmes pour leur homme.
Sur la base de toute cette riche matière, comment s'est passée la rencontre avec votre éditeur ?
Plusieurs éditeurs se sont intéressés à ce roman sans donner suite. J’ai eu beaucoup de chance de rencontrer Les Escales et d’être accueillie dans leur collection. C’est un équipe formidable. J’avais déjà retravaillé plusieurs fois mon manuscrit, et l’essentiel était là. J’ai modifié certains passages selon leurs conseils, d’autres parce qu’on peut toujours faire mieux. C’est un travail qui pourrait ne jamais finir ! Nous avons trouvé le titre ensemble, et, puisque je les avais beaucoup fréquentées, j’ai proposé des photos pour la couverture. Celle qui a été choisie, Otti Berger sur un balcon du bâtiment de Dessau, était la bonne !
Votre roman vient de sortir en librairie. Vous allez vous préparer à prendre la route pour en assurer la promotion. Avez-vous quelques dates et lieux de dédicaces à nous indiquer ?
La situation ne se prête malheureusement pas aux rencontres en librairie et aux signatures. Je regrette beaucoup de ne pas pouvoir partager ces moments avec des lecteurs, mais c’est le cas pour beaucoup de parutions de cette année. Et c’est aussi très triste pour les éditeurs et les libraires. Le seul événement prévu actuellement est à Besançon le 5 octobre. Heureusement, Les Escales font un travail remarquable de communication, je les en remercie. Et puis les réseaux sociaux aident beaucoup, vous en êtes le meilleur exemple, un grand merci à vous !
Anne, je suppose que vous lisez aussi. Quel est votre dernier coup de cœur ?
J’ai lu avec délices "Quand arrive la pénombre" de Jaume Cabré. L’écriture est stupéfiante, les nouvelles plus inattendues les unes que les autres. La littérature catalane est un trésor !
Quelle est votre lecture en cours ?
En préparation du Salon de Besançon, le lis les ouvrages des auteurs avec qui je vais partager une table ronde : "La fièvre", de Sébastien Spitzer, dont j’ai lu les précédents ouvrages et qui m’emporte une fois de plus, quel bonheur ! Et je vais découvrir "Le métier de mourir" de Jean René van der Plaetsen, dont le thème rejoint celui d’un de mes auteurs préférés, Julien Gracq.
Chère Anne, merci infiniment pour cet entretien et vos jolis cadeaux. J'aime tout particulièrement quand vous jouez Otti Berger au balcon...
Je vous souhaite un énorme succès avec "La femme qui reste", mon coup de coeur de cette rentrée littéraire.
Je ne résiste pas à un petit clin d'oeil à Sébastien Spitzer et son premier roman "Ces rêves qu'on piétine", un autre coup de coeur, il date de décembre 2017 et c'était avec les 68 Premières fois !
Coup de ❤️ pour le roman de Jón Kalman STEFANSSON, il sort en format poche chez Folio, l’occasion de revenir sur Ásta publié aux éditons Grasset. C'est mon #mardiconseil.
Nous sommes dans les années 1950 à Reykjavik en Islande. Helga a 19 ans, Sigvaldi 30. Ils vivent le parfait amour. Ils ont une enfant de 7 mois. Une nouvelle grossesse se profile. Ils cherchent un prénom pour le bébé à venir, une autre fille. En mémoire d'une lecture qu'ils avaient partagée, « Gens indépendants » de Halldór LAXNESS (Prix Nobel de littérature), et qui les avait beaucoup émus, ils choisissent Ásta. A une lettre près, le prénom de la fillette aurait signifié "amour", mais voilà, cette lettre va faire toute la différence ! La grossesse d'Helga est marquée par ses crises de nerfs, un peu comme si la maternité faisait resurgir le passé et tourmentait les âmes par des souvenirs douloureux. Avec la naissance, les sentiments s'apaisent malgré une vie de famille chahutée par une économie en perte de vitesse. Sigvaldi est contraint d'exercer deux métiers pour permettre à sa femme et ses enfants de vivre. Il est marin. Il est peintre en bâtiment aussi, il a monté son entreprise avec un associé. Un jour, il tombe d'une échelle. Un peu sonné, il se remémore les bons moments de son existence. Il culpabilise aussi. S'il n'avait pas été un bon père pour sa fille...
Ce roman d'apprentissage est absolument EXTRAordinaire.
Dès la première page, j'ai été totalement happée par le tourbillon des destins qui se croisent, se lient, se délient, se relient, perturbés qu’ils sont, comme le climat islandais. Il y est question d'amour, de passion, l'incandescente, celle qui brûle, enflamme, et s'éteint pour ne plus laisser derrière elle que quelques cendres. Mais c'est sans compter, parfois, sur un léger souffle qui suffit à rallumer le tison que l'on croyait à jamais disparu. Il n'y a pas de demi-mesure, juste l'immense sensation d'exister.
Avoir hâte. Surtout quand il s’agit de retrouver une personne qui vous est chère. Alors, on se sent vivant. P. 217
Dans ce roman dont la construction narrative est exceptionnelle émerge un certain rapport au temps. Il y a d'abord celui qui prend appui sur les deux générations de couples, Helga et Sigvaldi d'une part, Ásta et Josef d'autre part. Mais il y aussi celui qui se déploie au rythme des sentiments, tantôt il y a urgence à vivre, assouvir sa passion, chaque minute, chaque heure compte, tantôt les mois, les années, s'étirent inlassablement.
Nous avons tant à faire que parfois, on dirait que notre existence va plus vite que la vie elle-même. P. 42
Enfin, j'ai été profondément touchée par cette espèce de déterminisme dans les générations de femmes, un peu comme si, avec la filiation, elles se transmettaient une partie de leur histoire qui se répéterait indéfiniment. J'avais déjà mesuré cette fragilité dans le roman de Lenka HORNAKOVA-CIVADE et ses "Giboulées de soleil".
Mais là, sous la plume de Jón Kalman STEFANSSON, la tragédie devient une fatalité, emportant tout sur son passage, y compris la raison. L'histoire d'Ásta est ponctuée par des périodes de profonde dépression, certaines réalités sont trop lourdes à porter.
L’ignorance vous rend libre alors que la connaissance vous emprisonne dans la toile de la responsabilité. P. 264
L’exercice littéraire est époustouflant dans la maîtrise des scénarios. Ce roman fait un peu plus de 490 pages, j'aurais aimé qu'il en fasse 100, 200, 300 de plus, totalement habitée que j'ai été par le personnage d'Ásta.
A saluer également la qualité de la traduction proposée par Eric BOURY, juste prodigieuse !
Ásta, je l’ai découvert dans Le cadre du 50e prix des lectrices Elle en 2019. Je faisais partie des heureuses élues, l’occasion de saluer Olivia de Lamberterie et toute l’équipe des jurées.