Ma #vendredilecture est le tout dernier roman de Sandrine ROUDEIX publié aux éditions Le Passage : "Ce qu'il faut d'air pour voler".
Lui a 17 ans et 5 mois. Elle, sa mère, a 43 ans. Elle a quitté son mari il y a une quinzaine d’année. Depuis, il y a eu la garde alternée d’un enfant qu’il est toujours difficile de lâcher. Et ce n’est pas plus facile en grandissant. Il est moins présent et quand il est là, il s’isole. Elle a perdu cette complicité avec l’enfant qu’elle chérissait. Saura-t-elle un jour trouver la sérénité d’une mère accomplie ?
Ce roman familial, c’est la quête incessante de soi. Dès les premières pages, on découvre que la narratrice a toujours vécu dans l’ombre de quelqu'un, son mari d’abord en se fondant dans sa vie à lui, son univers à lui, son enfant ensuite, un garçon petit, devenu grand.
Sandrine ROUDEIX propose l’introspection d’une femme qui, au fil de 219 pages et trois ans tout juste de l’existence de son fils, décrit ses joies, ses peines, depuis qu’elle est devenue mère.
Les questions se font plus cuisantes avec l’adolescence de l’enfant, unique. Les trois années que Sandrine ROUDEIX a choisi d'explorer, sont, pour elle, un véritable chemin de croix. Chaque fois que la mère tend la main, l'adolescent la repousse. A la tendresse des premières années, les caresses, les câlins... succède la violence de la distance, voire de l'absence.
Tu emploies des termes que je ne connais pas et c'est comme si tu me rejetais un peu plus, rompant avec ta langue maternelle pour te créer ta syntaxe à toi. P. 139
Si la garde alternée avait pu la préparer, le vide abyssal est ailleurs. L'adolescence agit comme un miroir pour cette mère qui lit dans les faits et gestes de son fils ses propres causes de fragilités à elle.
Le cheminement est douloureux. Chaque pas de son fils vers l'autonomie agit chez elle comme le sel de la mer sur une plaie ouverte, ravivant incessamment la blessure, creusant indéfiniment les tissus. Parce qu'enfanter relève du charnel, dans le lien qui unit la mère à son enfant, il y a quelque chose de viscéral, de corporel. C'est là me semble-t-il que se situe la dimension universelle du propos. Si l'instinct maternel est aujourd'hui largement diabolisé, il n'en demeure pas moins qu'une mère (sans doute tout autant qu'un père d'ailleurs) ne regarde pas son enfant (garçon ou fille) s'éloigner pour construire sa vie sans avoir "mal aux tripes".
Chez cette mère, les actes de résistance relèvent plus de la quête d'un bonheur à deux, d'un amour possessif, d'une certaine forme d'égoïsme au fond.
C'est ton anniversaire. Il y a dix-huit ans, lune pour lune, tu venais au monde. On venait au monde, toi et moi, naissant à tout ou à une partie de ce que l'on est aujourd'hui. P. 177
Si l’allusion est faite à l’héroïne du roman de Laurent MAUVIGNIER « Continuer » qui emmène son fils faire « Une randonnée à cheval au Kirghizistan », il ne s’agit là que d’une bouteille à la mer, une question un instant posée. Vous aurez compris que les deux mères sont aux antipodes l'une de l'autre. Il faut dire que dans "Continuer", l'initiative maternelle relève de l'instinct de survie, il est question de vie ou de mort de l'adolescent. Les enjeux sont diamétralement différents et pourtant, dans les deux cas, il s'agit d'une forme d'amour porté par une mère à son enfant.
Personnellement, je ne me suis pas reconnue dans le portrait de cette femme, une mère épleurée de voir son fils grandir, construire sa vie, se construire.
Je reconnais toutefois le talent de Sandrine ROUDEIX dans le traitement du sujet pour en faire un objet littéraire. Le roman est construit comme un journal intime avec sa chronologie rigoureuse des événements. Il pourrait aussi être une lettre de cette mère adressée à son fils, le jeu de la narration à la deuxième personne du singulier matérialise cette interpellation faite à celui qui occasionne ses déchirements. Ingénieux !