Depuis que j’ai découvert votre plume, chère Valerie, je ne l’ai plus lâchée, elle est presque devenue addictive pour moi, c’est dire si j’ai un immense plaisir aujourd’hui à vous interviewer.
Merci infiniment d’avoir accepté de répondre à mon invitation.
Personnellement, votre roman « Par amour » a été un énorme coup de cœur. Ce roman dévoile une page de l’Histoire du Havre. Pourquoi un roman historique ? Qu’est-ce qui a motivé votre démarche ?
Ma famille maternelle est originaire du Havre. J’ai voulu rendre hommage à cette ville sacrifiée pendant la guerre, et à tous ces civils, hommes, femmes, enfants, dont les morts, les douleurs et les blessures ont été passées sous silence.
Avant d’évoquer votre actualité littéraire, je voudrais que vous nous parliez de votre rapport à l’écriture. Enfant, vous saviez déjà que vous seriez écrivaine ?
Pas exactement. Je pourrais dire que j’ai écrit dès que j’ai su tenir un stylo, mais sans jamais me projeter. J’écrivais par pure nécessité.
Est-ce que vous avez besoin d’un environnement particulier pour écrire ? Est-ce qu’une pièce chez vous est dédiée à votre activité professionnelle ?
J’ai besoin de solitude. Il peut m’arriver d’écrire dans n’importe quelle pièce, cuisine, salon, chambre, à condition que j’y sois seule, même si j’ai la chance de posséder mon propre bureau.
Le thriller psychologique est un genre dans lequel vous excellez. Il y a eu « Pardonnable, Impardonnable », puis « L’ardoise magique », et enfin tout récemment « Les guerres intérieures ». Sandrine COLLETTE dit ne pas savoir écrire autre chose que du roman noir. Pour vous, est-ce naturel d’écrire de cette manière ou bien cela exige-t-il un effort de votre part ?
L’âme humaine, ce terrain obscur et mouvant, m’attire et me surprend depuis toujours. Je m’y sens naturellement à l’aise mais, sans que je ressente cela comme un effort, j’éprouve le besoin de travailler en profondeur mes personnages. Je sais tout d’eux avant d’écrire le premier chapitre.
AUÐUR AVA ÓLAFSDÓTTIR que j’ai eue la chance de rencontrer récemment dit : « Aucune écriture n’est innocente ». Que dit le thriller psychologique de votre personnalité ?
Je rejoins cette auteure. Mon écriture est portée par mon histoire personnelle, mes fractures, mes obsessions, mes combats. Au lecteur de les deviner entre les lignes. Ce n’est pas un hasard si jusqu’ici, je n’ai jamais écrit d’autofiction.
Depuis 2013, vos livres sont édités chez Lattès. Qu’est-ce qui fait que l’on devient fidèle à une maison d’édition ?
Le rapport à une maison d’édition est complexe. Comme dans un couple, le désir doit être présent, vivant, de part et d’autre, et chacun doit permettre à l’autre de progresser, d’avancer. Il peut y avoir des accrocs, mais l’engagement doit rester total et fécond. Le facteur humain est décisif : non seulement le regard de l’éditeur/trice sur son texte, mais aussi le lien qui se crée avec l’ensemble de l’équipe, en l’occurrence une véritable famille chez Lattès, soudée, solidaire, animée par la même passion.
Vos derniers livres ont été publiés tous les deux ans. Quel est approximativement le temps octroyé à l’écriture en tant que telle ? Quelle est la durée de sa finalisation sous l’œil que je suppose exigeant des éditions Lattès ?
Je mets environ un an à écrire un roman, puis les corrections et la préparation de la sortie se font sur quelques semaines ou quelques mois selon les livres et selon le calendrier de publication. Vient ensuite le temps de promotion, où je vais à la rencontre des lecteurs et des libraires. J’y consacre environ 6 mois.
Votre tout dernier roman « Les guerres intérieures » vient de sortir en librairie. Pouvez-vous nous le présenter ?
Pax Monnier, un comédien de seconde zone, reçoit un jour l’appel tant attendu d’un réalisateur prestigieux : c’est la chance de sa vie. Passé chez lui pour enfiler une veste, il entend des bruits suspects provenant de l’étage supérieur, mais se persuade qu’il ne s’agit de rien d’important et se rend à son rendez-vous. À son retour, il apprend qu'un étudiant de 19 ans, Alexis Winckler, a été sauvagement agressé et laissé pour mort. Lorsqu’un an plus tard, il tombe amoureux d’Emi Shimizu, il ignore encore qu'elle est la mère d'Alexis. Bientôt, le piège se referme sur Pax, pris dans les tourments de sa culpabilité…
« Les guerres intérieures » est un roman sur les lâchetés ordinaires, mais aussi sur le dépassement et le don de soi. Qui n'a jamais dans son existence fait preuve de lâcheté ? Qui n’a jamais trahi ses valeurs ? Quel est le prix à payer ?
Où avez-vous puisé votre inspiration ?
Mon fils a été agressé dans le hall de mon immeuble, lorsqu’il était âgé d’une douzaine d’années. Un voisin est passé sans intervenir, détournant le regard. Cela m’a évidemment interpellée. J’ai su alors que j’écrirais un jour sur ce sujet.
Le personnage d’Emi, travaillant dans les ressources humaines de l’entreprise Demeson, est originaire du Japon. Quels sont les liens qui vous unissent à ce pays dont vous rentrez tout juste je crois ?
J’aime profondément ce pays, malgré ses paradoxes et ses limites dont je suis très consciente. J’apprécie ce mélange unique de tradition et d’extrême modernité, ou encore la délicatesse dans les relations, mais par-dessus tout j’aime la nature japonaise, ses nuances de vert, les forêts de cèdres et de cyprès, l’ombre et la lumière des jardins, les cascades et les étangs.
Les deux personnages principaux, Pax et Emi, ont de bonnes raisons de se sentir coupables. Pensez-vous qu’il soit inévitable pour une âme humaine d’être hantée par les fantômes d’histoires passées ?
Passées ou à venir… Personne n’est innocent. Nous avons tous nos moments de faiblesse, cela fait partie de la donne, pour tout être humain.
Ce mal ronge l’existence de Pax et ses relations aux autres pour le pire, et le meilleur j’oserai dire. Il y a ce petit point lumineux au bout du tunnel ! Est-ce à dire que vous avez encore confiance en l’avenir de l’humanité ? Pensez-vous que l’Homme puisse vivre heureux malgré ses faiblesses ?
Dans Les guerres intérieures, j’ai aimé observer combien la culpabilité, souvent décriée, est en réalité un moteur vertueux, et un régulateur social. Nous avons, pour la plupart d’entre nous, ce code moral personnel qui fait que lorsqu’on se sait coupable, on éprouve le besoin de réparer, de compenser. La culpabilité nous change, parce qu’on veut se réconcilier avec la personne que l’on voit chaque matin dans le miroir. Elle nous pousse à être meilleurs.
Ce roman, il est aujourd’hui entre les mains des libraires, ces professionnels du livre. Quelles relations entretenez-vous avez eux ? Avez-vous une adresse à nous conseiller ?
Les libraires me soutiennent depuis des années. Je leur dois beaucoup et leur en suis extrêmement reconnaissante. C’est un métier de passionnés, très difficile, exigeant, usant, peu rémunérateur et pourtant indispensable…Cela particulièrement pour les libraires indépendants, vers qui je vous recommande donc de vous tourner en priorité.
Comme vous le savez, cet entretien est diffusé en partenariat avec Page des libraires. J’en profite donc pour faire un petit clin d’œil à Marie MICHAUD de Gibert Joseph de Poitiers et Murielle GOBERT de la librairie Passerelles qui ont rédigé des chroniques de vos romans.
Clin d’oeil partagé avec joie ! J’ai eu le plaisir de participer à une rencontre chez Passerelles, où j’ai été reçue avec beaucoup de chaleur par Murielle et Lise-Marie. J’ajouterai également un clin d’oeil à Maria FERRAGU de la librairie Le Passeur de l’Isle, qui m’a fait l’honneur de présenter "Les guerres intérieures" lors de la rentrée Page.
Je suppose que vous lisez aussi ! Avez-vous un coup de cœur à partager avec nous ?
Cette année, j’ai été particulièrement touchée par « Amour propre », de Sylvie le Bihan (Lattès), qui aborde brillamment le sujet de la maternité en tant que norme sociale, mais aussi par « À jeter sans ouvrir », de Viv Albertine, deuxième volet de sa décapante autobiographie après « De fringues, de musique et de mecs » (Buchet-Chastel). Enfin, dernièrement, j’ai adoré « Le Sauvage », de Guillermo Arriaga, un roman flamboyant dans lequel l’auteur établit un parallèle entre la sauvagerie de l’homme et celle de l’animal.
Quel livre lisez-vous actuellement ?
La mort de Toni Morrison m’a donné envie de me replonger dans son oeuvre. Je redécouvre Beloved des années après l’avoir lu, une sensation intéressante.
Enfin, si vous deviez partir vous installer sur une île déserte avec un seul livre dans votre valise. Quel serait-il ?
Une encyclopédie ! Peut-être bien le dictionnaire universel de Lachâtre, paru à la fin du 19ème siècle. Deux tomes fascinants que je viens de trouver dans un vide-grenier, où il ne faut pas chercher la définition de l’avion ou de la télévision, mais où apparait une langue éblouissante.
Merci infiniment, chère Valérie, pour cet entretien très... privé !
Que votre nouveau roman soit couronné de succès.