Vous avez été nombreux sur la toile à parler du dernier roman de Delphine BERTHOLON : "Les corps inutiles".
Alors, à la veille d'un séjour en Bretagne, je suis passée à la Bibliothèque pour l'emprunter, mais là, malheureusement, quelqu'un m'avait devancée. "L'effet larsen" était bien là, lui. Bref regard sur la 4ème de couverture, je suis tentée, je ne lâche plus prise !
Arrivée en Bretagne, le soleil brille, brille, brille... impossible de rester à lire, j'ai envie de bouger, de marcher sur les sentiers côtiers et de profiter de cette 1ère semaine de novembre, inespérée. Avec du recul, j'ai bien fait. Il suffit de voir comment nous avons passé la 2ème...
Et "L'effet larsen", qui a su attendre patiemment son heure, restera gravé à vie dans ma mémoire, j'en suis persuadée. Et oui, c'est lui que je m'apprêtais à terminer le vendredi 13 novembre et qui a fait les frais de toutes mes larmes le lendemain. En lisant cette citation, vous comprendrez pourquoi :
On ne pardonne pas pour les morts ; on pardonne pour les vivants. P. 360
Je ne crois pas au hasard. "L'effet larsen" devait être là, c'est tout. Lisez : "It's a strange world, isn't it ?". C'est la citation de David LYNCH extraite de "Blue Velvet" qu'a choisi Delphine BERTHOLON pour commencer son roman. N'est-ce pas la question qui nous taraude tous aujourdhui ?
Nola a 18 ans. C'est elle la narratrice. Son papa était coiffeur, il avait repris l'entreprise familiale. Cette phrase est au passé parce qu'il s'est fait abattre sur le seuil de son salon de coiffure par un individu suicidaire qui, avant de se tirer une balle, a lancé une raffale tuant sur le coup plusieurs personnes.
Là, pas d'acte terroriste, pas de revendication, pas de lettre pour expliquer le geste, mais une fille et sa mère qui vivent les jours suivants. Et c'est là que ce roman devient intéressant, aujourd'hui tout particulièrement.
Dans La Grande Librairie du jeudi 5 novembre, Maelis de KERANGAL répond à la question du sens de l'écriture par une très belle phrase : "La littérature livre des expériences".
Delphine BERTHOLON, elle, explore les effets du deuil. Elle fait évoluer 2 femmes : l'épouse fuyant la réalité qui l'agresse, elle sombre dans la dépression, se mure dans le sommeil à coup de somnifères et plonge dans le silence munie de boules Quies ; la fille, Nola, qui se sent responsable de sa mère et se bat pour leur offrir un nouvel horizon. Elle saisit l'art comme échappatoire et s'inspire de l'oeuvre "L’œil cacodylate" de Francis PICABIA pour donner un sens à sa vie.
Affectée par la souffrance liée à la perforation du tympan de sa mère, Nola choisit l'oreille comme repère. Elle en trace les contours. Elle va ensuite se promener avec sa toile et demander à chaque personne de son environnement d'y écrire une petite phrase, un mot, ce qui lui vient à l'esprit à l'instant présent. Voisins, clients du bar où elle travaille, sa mère... tous vont jouer le jeu et participer à la reconstruction de cette jeune femme, peut-être un chemin vers la résilience.
C'est en cela que ce livre peut concourir à notre bibliothérapie à tous. Il y a des phrases qui résonnent tellement juste dans le contexte que nous vivons actuellement. Elles permettent de faire couler les larmes qui restent encore à couler mais elles donnent aussi beaucoup d'espoir.
C'est un roman qui met en lumière une formidable relation mère/fille empreinte de tendresse.
Il traite aussi de la maladie mentale, notamment de l'impuissance des proches :
Je ne savais plus comment réagir, écartelée par des émotions contradictoires - agacement, inquiétude, terreur, solitude. Il fallait s'y résoudre : sa souffrance était réelle. Invisible, incompréhensible, mais réelle. Et comment gerer cela, alors ? Sa souffrance était aussi insensée que ta mort, papa, oui, le rapprochement était infaillible, la maladie de maman était un non-sens et les non-sens, rien à faire, on ne sait jamais par quel bout les prendre. P. 146
Le sujet est abordé avec lucidité mais aussi beaucoup d'humour :
Réclamer de l'amour à une âme si cassée, c'était comme faire l'aumône auprès d'un sans-abri. P. 84
Il met le doigt avec poésie sur le processus de guérison qui n'appartient qu'au malade lui-même :
Nola, votre mère possède en elle toutes les clés pour guérir. Pour l'instant, elle ne sait pas dans quelle serrure enfoncer quelle clé, voilà tout. P. 261
C'est aussi un très beau roman sur le poids des secrets.
C'est enfin un magnifique roman sur la mémoire, les souvenirs...
Je vous le conseille absolument.