Comme vous le savez, je ne participe pas à l'opération des 68 Premières fois pour la rentrée littéraire de janvier 2019. Mais il est bien difficile de ne pas résister au chant des sirènes, alors, je picore avec parcimonie dans la sélection de nos fées et fais de très jolies découvertes, comme la plume de Constance JOLY dans "Le matin est un tigre". En ouvrant ce roman, je ne savais pas encore qu'il résonnerait formidablement bien avec la sculpture de Marie MONRIBOT découverte la veille : "Introspection".
Alma et Jean s'aiment depuis longtemps maintenant, enfin, s'aiment est peut-être un grand mot. Disons qu'ils cohabitent ensemble et entretiennent une relation empreinte de tendresse. L'amour s'est étiolé avec les années. Il y a bien leur fille, Billie, de 14 ans, mais le mal qui la ronge de l'intérieur fragilise plus encore le couple. Alma est bouquiniste à Paris, elle a repris l'affaire de sa mère décédée quand elle était encore jeune. Elle est persuadée qu'un chardon croît à l'intérieur du corps de sa fille. Rongée par un sentiment de culpabilité, et si elle lui avait transmis ses peurs et ses angoisses, Alma se décide à répondre à l'invitation d'un vieil homme, fasciné par ses collections de beaux livres, alors même que Billie est au plus mal. Et si sa guérison était à portée de main...
Dès les premières pages, j'ai été happée par la relation fusionnelle qui lie la mère à sa fille. Alma et Billie nourrissent une complicité redoutable que rien ne saurait rompre au point d'imaginer un langage rien que pour elles, des codes facilitant leur compréhension et les isolant de l'environnement extérieur. Pas étonnant que Jean peine à trouver sa place dans un cocon familial trop étroit pour lui. Alors, quand une mystérieuse maladie s'empare du corps de Billie, il devient de plus en plus difficile d'affronter à trois la dure réalité.
On n’entre pas facilement dans le malheur des autres, il est comme un bois trop sombre, une terre dévastée et lointaine pleine des grincements de la nuit. P. 50
Alma est elle-même une femme torturée. Avec la maladie de sa fille, ce sont ses propres démons qui resurgissent du passé. Toutes les deux se retrouvent unies par la malédiction de la filiation. J'ai été profondément touchée par leur mal-être, la douleur qui les tourmente et leur incapacité, dans cet état charnel et psychique, à mettre un pied devant l'autre.
Affronter la maladie de Billie devient pourtant la raison d'être d'Alma. L'écrivaine dresse le portrait d'une mère meurtrie qui va puiser dans son fort intérieur pour résister aux épreuves de la vie, chercher l'issue que le monde médical ne saurait trouver à la pathologie de sa fille. Elle est persuadée d'être la seule à pouvoir la libérer du mal qui l'assaille.
Constance JOLY aurait pu se contenter de mettre des mots sur des maux mais c'était sans compter sur la délicatesse et la grâce de sa plume. Elle réussit admirablement à imager son dessein et ainsi, à offrir des respirations dans un propos que tout obsède.
Elle a besoin de poésie. D’un espace où les mots sortent des clôtures du sens. Elle les visualise, comme des moutons sautant par-dessus la barrière, des mots libres, dans de grandes prairies tendres. P. 111
Le livre refermé, je le sens infuser lentement, j'ai envie de le savourer encore longtemps !