Traduit de l’anglais par Marguerite CAPELLE
Quel plaisir de retrouver la plume de Jonathan COE, un formidable conteur. En introduction, un arbre généalogique pour tracer la descendance familiale, c'est dire si la plongée dans l'intime va être foisonnante.
Tout commence à Bournville, un petit village près de Birmingham, connu pour son usine de production de chocolat Cadbury. Elle date de l’époque où l’industrie constitue la locomotive du développement urbain. Avec sa construction et sa croissance, se déploient des logements pour les familles des salariés, des équipements publics pour répondre aux besoins des nouveaux arrivants sur le territoire. Mary Clarke rencontre Geoffrey Lamb. Ils se marièrent et eurent beaucoup d’enfants...
Loin du conte de fée en réalité, ils n’eurent que 3 enfants, 3 garçons. Mais c'est largement suffisant pour un écrivain comme Jonathan COE à l'imagination débordante pour construire un récit rocambolesque à l’envi. Les personnages sont profondément attachants, les émotions à fleur de peau.
Geoffrey pleure comme un bébé. Les larmes jaillissent de son corps : les larmes qu’il n’a jamais versées pour son père, ni pour sa mère ; les larmes que rien d’autre, rien de tout ce qui a pu leur arriver, à lui, à Mary ou à ses enfants, n’a jamais réussi à lui tirer en soixante-dix ans. P. 399
Et puis, à travers eux, cette famille qui pourrait être vos amis, vos voisins, Jonathan COE brosse le portrait de l’Angleterre sur plusieurs décennies pour terminer en 2020 avec l’épidémie du coronavirus.
Il y a notamment ce savoureux passage sur l'avènement de la télévision dans les foyers, une petite révolution. Nous étions à l'époque où le petit écran favorisait les liens sociaux ! Incroyable, non ?
Et puis, il y a cette fameuse histoire du chocolat Cadbury, la marque ancestrale de ces gourmandises que l'on a tous savouré à un moment ou un autre de notre vie. Mais le couperet tombe, la Communauté Européenne retoque le trésor culinaire anglais en raison des matières grasses végétales ajoutées. L'Europe est formelle, un authentique chocolat repose sur l'exclusivité du cacao comme composant, de quoi semer le trouble entre les différents pays, les rigoristes et les laxistes. Le sujet défraye la chronique. C'est l'occasion de découvrir notamment le rôle des lobbyistes présents à Bruxelles.
Mais les Anglais ne seraient rien sans la famille royale. Souvenez-vous, il y a eu le couronnement de la reine et puis, le décès accidentel de Lady Diana, véritable tragédie pour un peuple fidèle à sa monarchie.
Le tout est bien sûr servi par une plume pleine de fantaisie, teintée d’humour quand il ne s'agit pas d’ironie, cette signature so british. Les anecdotes sont croustillantes, le propos succulent. Il y a des passages d'extase totale.
Les quatre musiciens sourient et se regardent, repus d’émotion, légèrement incrédules à l’idée d’être arrivés à la fin de l’oeuvre, comme si le voyage avait duré des mois et des années plutôt que les cinquante-cinq minutes qui viennent en réalité de s’écouler. P. 393
Avec ce roman dont le personnage de Mary est largement inspiré par sa propre mère, l’auteur concourt à la mémoire de notre société moderne. Il assure la postérité des années 1945 à nos jours. Les protocoles sanitaires liés au Covid, c’était hier, on les oublierait presque. Ce roman, c’est une trace laissée par plusieurs générations pour ne pas tomber dans les oubliettes.
Ce roman se savoure avec du très bon chocolat, un incontournable of course !
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