Après « Partages » en 2012, j’ai eu profondément envie de retrouver l’univers si singulier de Gwenaëlle AUBRY qui vient de publier son dernier roman « La Folie Elisa » aux éditions Mercure de France. Ce roman est émouvant à plus d’un titre. C'est un coup de coeur.
Quatre femmes, artistes, trouvent refuge à « La Folie Elisa », une maison dans laquelle une danseuse berlinoise, une sculptrice grecque, une rock star anglaise et enfin une actrice française vont être hébergée pour se reconstruire. Toutes sont marquées par des histoires de vie douloureuses en lien avec un monde en plein déclin. Chacune, dans sa chambre claire, déroule le fil de son existence et cherche, dans son propre corps, à puiser l'énergie pour rebondir.
J'ai été infiniment troublée par les itinéraires de vie de ces quatre femmes qui incarnent le monde contemporain, celui d'aujourd'hui dont elles s'extraient. Cette maison, "La Folie Elisa", qui entretient un lien intime avec l'écrivaine elle-même, offre un abri, une retraite, un asile (l'anagramme d'Elisa !) à des femmes meurtries. Le corps occupe une place prépondérante, un peu comme si, à leur arrivée, les femmes n'étaient plus que chair :
[...] ces instants souverains où les corps font sécession, opposent à la loi du monde le miracle de leur rencontre, l’insolence de leur don, et leur joie triomphale. P. 131
Ce rapport au corps est largement exploré par Gwenaëlle AUBRY. Outre les âmes, les corps de ces femmes sont douloureusement meurtris, à l'image des murs d'une construction qui eux, n'ont pas de complexes à afficher à l'extérieur leurs fissures comme les traces du temps qui passe, de l'environnement qui les agresse :
[...] les murs précaires que l’on maçonne à l’intérieur de soi et qui d’un coup s’effondrent, les fêlures que nous portons cachées et qui dessinent, exactes, nos lignes de brisure, l’architecture de notre fragilité, [...]. P. 123-124
Passionnée d'urbanisme, cette métaphore entretenue tout au long du roman m'a beaucoup touchée. Elle donne à voir cette force qu'ont les murs à renvoyer au monde les effets de ses attaques. Les femmes, si elles sortent un jour de "La Folie Elisa", auront dû retrouver assez de force pour, elles aussi, montrer l'objet de leurs fragilités et prouver leur capacité à colmater leurs failles.
Ce roman aurait pu être sombre, il est en réalité exaltant, lumineux et stimulant. Gwenaëlle AUBRY dresse des portraits de femmes qui ont vécu des expériences fulgurantes portées par la passion et une certaine urgence à vivre. Comme l'amour, l'art donne aux êtres humains la force d'EXISTER. L'auteure permet ainsi à Sarah, par la voie de la danse, de rompre avec son histoire, son passé, de se laisser porter par un élan de créativité :
Mais ces quelques lignes hâtives : une merveille. Non seulement je les aimais sans réserve, mais je savais d’instinct comment les danser. P. 61
Il n'y a plus de raison qui compte mais bien un instinct, presque animal, à SURvivre, s'enivrer et se surpasser, à s'exprimer aussi, s'affirmer, s'extérioriser. Le rapport du dedans et du dehors avec leurs porosités transcende "La Folie Elisa".
Ce roman chorale est judicieusement construit sur les monologues de chacune des quatre femmes accueillies et ponctué par le propos de la narratrice, la maîtresse de maison, à la sagesse altruiste. Il est aussi mathématique, le principe de la preuve par 3 est joliment illustré par une alternance des prises de parole en respectant le principe de l'égalité parfaite. Gwenaëlle AUBRY est une écrivaine cartésienne, c'est avec cette méthode qu'elle nous livre un roman efficace, d'une densité remarquable dans seulement 144 pages. La forme contribue à insuffler un brin d'espoir dans un roman marqué par la chute, celle des hommes, celle du monde.
Je l'ai adoré. Quant à rencontrer l'écrivaine, un pur moment de magie !