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2018-11-02T13:45:25+01:00

Miss Sarajevo d’Ingrid THOBOIS

Publié par Tlivres
Miss Sarajevo d’Ingrid THOBOIS

Editions Buchet Chastel
 

Dans le cadre des Matchs de la Rentrée Littéraire organisés par Rakuten, après « L’insouciance » de Karine TUIL, une lecture coup de poing qui me fait encore frissonner rien qu’à l’évoquer, « Légende d’un dormeur éveillé » de Gaëlle NOHANT, énorme coup de coeur que de partager, le temps d’une lecture, l’univers de Robert DESNOS, poète mais pas que, j’ai vécu de profondes émotions avec « Miss SARAJEVO » d’Ingrid THOBOIS. C’est aussi un coup de coeur, n’ayons pas peur des mots !

Joaquim Sirvins est un homme de 44 ans. Il vit meurtri par une histoire familiale douloureuse. Sa sœur s’est défenestrée à l’âge de 16 ans. Lui en avait alors 19. Leurs parents étaient partis au marché. C’était un dimanche matin, Joaquim prenait son bain. Viviane est tombée du 9ème étage, elle n’a poussé aucun cri, elle n’a laissé aucune lettre. La mort de Viviane a semé le trouble dans la famille. Joaquim a poursuivi ses études à l’école des Gobelins de Paris, rentrant le vendredi soir, repartant le lundi matin. Et puis, il y a eu Sarajevo. Reporter, la ville bosniaque en guerre lui a offert l’exutoire qu’il recherchait. Il partageait alors une histoire d’amour avec Ludmilla, l’une de ses professeurs, elle avait 15 ans de plus que lui. Elle avait quitté les Balkans pour sauver sa peau, lui faisait le chemin inverse, à la vie, à la mort !

Je tiens à remercier tout spécialement ma marraine de ces #MRL 2018, Antigone HERON, qui m’a mise sur la voie de cette pépite de la littérature écrite par une écrivaine dont je ne connaissais pas encore la plume, bonne pioche !

Ce roman c’est d’abord l’histoire de la photographie, cette discipline artistique qui, en deux cents ans, depuis « Le point de vue du Gras » de Nicéphore Nièpce, ingénieur, père fondateur, a connu de formidables évolutions technologiques pour donner lieu aujourd’hui au cliché numérique. J’ai vécu le grand frisson dans la chambre noire dans l’attente de la révélation de l’image qui se fixe grâce à un geste minutieux, parfaitement synchronisé avec la vie des éléments. Qu’il est bon de ce se souvenir du geste artisanal dans ce qu’il a de plus créatif, de manuel et d’unique.


Du bout de la pince plastique, il remue doucement le portrait, le tourne, le retourne, veille à ne pas le laisser noircir, le dépose dans le fixateur à l’instant précis où la beauté de Ludmilla culmine, dans un équilibre des blancs, dans un équilibre des noirs [...]. P. 72

Avec ce roman, Ingrid THOBOIS rend ses lettres de noblesse à la photographie qui relève d’une grande technicité quand elle est réalisée par des professionnels ou des initiés du genre, rien à voir avec les dizaines ou les centaines d’images que l’on peut prendre frénétiquement d’un sujet.


La compulsion faite norme, on n’a jamais employé à meilleur escient le verbe « shooter ». P. 148

Mais l’écrivaine va beaucoup plus loin, un cliché est aussi porteur d’un message qu’il véhicule. J’ai adoré explorer cette subtilité aux côtés de Joaquim dans une ville menacée de disparition. Outre l’émotion qu’il génère, il a cette capacité à figer le temps, à graver une réalité dans le marbre, à témoigner d’un instant qui, très vite, s’inscrira dans le passé.


Dans les pays en guerre, les photographies ont valeur de talismans. Visages, paysages, maisons. Elles disent ce qui a existé, et ce qu’il reste à perdre. P. 124

De fait, une photographie constitue un élément de patrimoine, une trace de l’histoire. Ingrid THOBOIS avec « Miss Sarajevo » évoque cette page récente que l’on voudrait oublier mais qui, pour nos enfants, nos petits-enfants, composera le puzzle de la grande Histoire. L’écrivaine assure ainsi le devoir de mémoire de cette guerre des années 1992/1995 et aborde de façon ingénieuse le sujet du temps qui passe.

Le temps est un personnage à part entière du roman d’Ingrid THOBOIS, le temps qui s’égrène lentement, inlassablement depuis le décès de Viviane, et de la mère de Joaquim deux ans plus tard, en silence, et puis celui qui se décline en dixième de seconde, juste ce qu’il faut pour abattre un homme dans un pays en guerre. À Sarajevo, la vie est rythmée par le son des balles qui retentissent, le temps y est compté, il y a urgence à vivre, son écoulement y est assourdissant.

Ingrid THOBOIS signe enfin un roman ponctué par des vies parallèles, il y a celle du noyau familial, claquemuré dans un appartement d’une profonde tristesse, et celle de la ville de Rouen, il y a cette chambre dans laquelle se prépare un défilé de mode et celle de Sarajevo, ville assiégée. Joaquim s’évertue à s’affranchir du fantôme de sa sœur quand Inela tente d’échapper à la guerre. Chacun, à sa mesure, incarne une forme de résistance portée par une éprouvante soif de liberté. Le rapport aux murs, à l’urbanisme, y est absolument saisissant.

J’ai été profondément touchée par ce roman, la plume d’Ingrid THOBOIS est d’une très grande sensibilité. Charnelle, elle s’attache à décrire avec beaucoup de minutie le contour des corps marqués à jamais par l’empreinte de la douleur.


Joaquim veut éprouver dans chacun de ses muscles, ligaments, dans chacune de ses articulations, la fracture entre le monde d’hier et celui d’aujourd’hui. P. 128

Il y a la profondeur des sentiments et le poids des secrets familiaux comme autant d’obstacles à franchir pour EXISTER.

Merci infiniment à Rakuten d’organiser ces #MRL, gage d’une très grande qualité littéraire, vivement l’année prochaine !

 

Miss Sarajevo d’Ingrid THOBOIS

Ce roman concourt au Challenge 1% rentrée littéraire organisé par Délivrer des livres, tout comme :

Asta de Jon Kalman STEFANSSON Coup de coeur

Cette maison est la tienne de Fatima FARHEEN MIRZA *****

Chien-loup de Serge JONCOUR Coup de coeur

L'hiver du mécontentement de Thomas B. REVERDY *****

Lèvres de pierre de Nancy HUSTON Coup de coeur

Les exilés meurent aussi d'amour d'Abnousse SHALMANI *****

Quand Dieu boxait en amateur de Guy BOLEY *****

Hôtel Waldheim de François VALLEJO *****

Le Grand Nord-Ouest d'Anne-Marie GARAT *****

37, étoiles filantes de Jérôme ATTAL *****

Je, tu, elle d'Adeline FLEURY ****

La douce indifférence du monde de Peter STAMM *****

La neuvième heure d'Alice McDERMOTT *****

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commentaires

I
La photographie et l'ex-Yougoslavie ? Effectivement beaucoup de points communs avec A son image, de Jérôme Ferrari !
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T
Ohlala voilà qui éveille ma curiosité ????
S
Je suis restée assez distante vis à vis du personnage de Joachim et je n'ai pas autant apprécié ce roman que je l'aurais souhaité.
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T
Aïe, désolée pour toi ! Moi, il m’a littéralement transportée, j’ai été profondément touchée par son parcours, la souffrance psychique liée au suicide de sa sœur et sa capacité à puiser dans la photographie la force d’y SUR-vivre.
F
Antigone a bien fait de choisir ce livre, ça a été un coup de cœur pour moi aussi!
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T
Oh Fanny, merci de ton empreinte laissée sur le blog, et qui plus est, pour un coup de coeur commun !
A
Quel magnifique billet ! Je suis très contente quand mes choix de marraine rencontre les lecteurs.
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T
Oh, merci Antigone. C'est un vrai plaisir que d'être l'une de tes filleules !

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