"Rivière tremblante" fait partie de la sélection d'octobre pour le Grand Prix des Lectrices Elle 2019 dans la catégorie Policier.
Je ne connaissais pas encore la plume d'Andrée A. MICHAUD, c'est une révélation pour moi !
Marnie est de retour dans le village de Rivière-aux-Trembles pour les funérailles de son père. Avant de quitter le cimetière, elle demande au ciel qu'un message lui soit envoyé et là, un cri surgit, le même que celui qui, il y a une trentaine d'années, est venu troublé les jeux d'enfant de la fillette et son ami, Michaël. Elle avait 11 ans quand les faits se sont produits, lui 12. Tous deux, portés par leur insouciance, se racontaient des histoires inspirées des livres et autres B.D. qui nourrissaient leur imaginaire, ils endossaient les costumes de leurs héros et partaient à la découverte de la forêt et la rivière qui bordaient leur village, la nature était leur terrain de jeux. Ils étaient complices à la vie, à la mort, et se promettaient de ne jamais se séparer. Pourtant, ce 7 août 1979, le destin en décidera autrement. Alors que les enfants se baignent, le tonnerre commence à gronder. Ils sortent de l'eau, Michael prépare une cabane avec des branchages, Marnie s'y abrite pendant que le garçon va récupérer les maillots de bain laissés sur un rocher. Un éclair foudroie l'enfant qui devient un pantin désarticulé. Michaël prononce à Marnie quelques mots totalement incompréhensibles et s'enfuit en furie. La fillette, choquée, réussira à rentrer chez elle et à lancer l'alerte mais hormis une chaussure retrouvée, les enquêtes resteront vaines. La disparition restera mystérieuse, la petite fille sera soupçonnée de ne pas dire la vérité. Les gens du village la prendront pour une sorcière. Harcelée, la famille n'aura d'autre choix que de déménager, partir pour fuir l'insoutenable culpabilité. C'est aussi ce qu'a fait Bill, le père de la petite Billie, disparue à l'âge de 8 ans alors qu'elle quittait l'école pour se rendre à son cours de danse. Il était marié mais leur couple ne résistera pas à la force des événements. Considéré comme coupable par sa femme qui le hait, par la police aussi, il quittera le foyer familial pour souffrir en paix de l'absence de sa fille qu'il chérissait. Une troisième disparition d'enfant dans le village pourrait bien faire se croiser les destins de Marnie, devenue adulte, et Bill, et réveiller la terrible souffrance qui n'a jamais cessé de les habiter.
Je ne suis pas une adepte des romans policiers, craignant de beaucoup les descriptions de scènes macabres, mais je commence à apprécier ce genre littéraire avec les belles découvertes réalisées dans le cadre du #GrandPrixdesLectrices Elle 2019.
Assurément, ce roman restera gravé dans ma mémoire pour tout ce qu'il revêt de psychologique. L'écrivaine explore en profondeur les sentiments de Marnie et de Bill, deux être douloureusement marqués par des disparitions. Elle va mettre le doigt sur le deuil impossible à réaliser en l'absence de corps, de funérailles, et remuer le couteau dans la plaie jusqu'à faire exprimer par chacun l'ensemble des émotions.
Par le jeu de la narration, l'auteure évoque cette terrible réalité avec les yeux d'une enfant d'une part, et celle d'un adulte d'autre part. Un chapitre sur deux est dédié à la vie de la petite Marnie pendant que l'autre donne la parole à un père profondément affecté.
A l'en croire, il n'y a pas d'âge, ni de genre, pour cultiver un sentiment terrible d'impuissance devant l'absence totale d'indices susceptibles d'aider chacun à retrouver une trace de l'être cher.
C’est ce genre d’inavouable sentiment qu’éprouvent ceux qu’on place devant le vide et qui doivent se démerder avec l’infinité des possibles susceptibles de donner quelque consistance à leur ignorance. P. 321
Les personnages sont en permanence sur le fil du rasoir. Entre la raison et la folie, leur coeur balance inlassablement, montrant à tout jamais la vulnérabilité de chacun.
Mais plus encore, ce qui ressort de ce roman, c'est cette pression de l'environnement, ce besoin irrépressible qu'ont les gens de trouver un responsable, tout de suite, maintenant, transférant de fait les projecteurs des médias, de la police... sur l'un, l'autre, avec la condamnation possible d'innocents ! Marnie et Bill sombrent sous le coup de la double peine. Non seulement, ils souffrent douloureusement de l'absence de l'être cher, mais encore ont-ils à supporter cette culpabilité qui les ronge. Le propos de Mathieu MENEGAUX de son dernier roman : "Est‐ce ainsi que les hommes jugent ?" ne manque de résonner, confrontant le lecteur à sa propre posture, à cette justice rendue hâtivement par la société civile qu'il alimente peut-être lui-même ! Nul besoin de recourir à aux réseaux sociaux, les moyens les plus rudimentaires peuvent aussi contribuer à la propagation de rumeurs.
Personnellement, j'ai été bouleversée par cet acharnement des deux personnages à trouver la voie de la résilience. Meurtris par ces disparitions, Marnie et Bill mènent la quête de leur vie. Chacun, à sa manière, se forge ses propres convictions.
Pleurer n’atténue en rien la souffrance, mais ça lui donne le droit de se laisser aller un peu, de se répandre en petites rigoles salées sur la peau froide, pendant que le cerceau de métal enserrant le plexus solaire se relâche d’un cran ou deux. P. 46
Isolés, tous deux tentent d'imaginer un avenir et de trouver une certaine sérénité. Ce roman nous livre deux formidables leçons de vie.
Ce roman policier est un excellent thriller psychologique à plus d'un titre. L'intrigue est parfaitement maîtrisée, le suspens est haletant jusqu'à la toute dernière page, la narration à deux voix est audacieuse et très réussie, la plume est fluide et émouvante. Je suis séduite.
Un immense merci aux lectrices du jury d'octobre. Sans vous, je serai passée à côté de cette pépite.
Ce roman concourt au Challenge 1% rentrée littéraire organisé par Délivrer des livres, tout comme :
Miss Sarajevo d'Ingrid THOBOIS Coup de coeur
Asta de Jon Kalman STEFANSSON Coup de coeur
Cette maison est la tienne de Fatima FARHEEN MIRZA *****
Chien-loup de Serge JONCOUR Coup de coeur
L'hiver du mécontentement de Thomas B. REVERDY *****
Lèvres de pierre de Nancy HUSTON Coup de coeur
Les exilés meurent aussi d'amour d'Abnousse SHALMANI *****
Quand Dieu boxait en amateur de Guy BOLEY *****
Hôtel Waldheim de François VALLEJO *****
Le Grand Nord-Ouest d'Anne-Marie GARAT *****
37, étoiles filantes de Jérôme ATTAL *****
Je, tu, elle d'Adeline FLEURY ****
La douce indifférence du monde de Peter STAMM *****
La neuvième heure d'Alice McDERMOTT *****
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