Il y a eu cette soirée de vernissage d’une exposition, cet échange entre elle et lui, et puis ce rendez-vous trois mois plus tard, gare de Lyon. Elle habite Paris. Lui arrivera avec le train venant d’Annecy à 13h. Arrivée tôt le matin, pour être à l’heure, elle se remémore les trains du vendredi soir, ceux qui l’emmenaient elle et son frère passer le week-end chez leur père. Leurs parents étaient divorcés. Quel déchirement de devoir la quitter, elle. Le temps de l’attente est l’opportunité pour les souvenirs d’affluer, de retisser le fil de la vie de celle qui a trente-cinq ans. C’est aussi celle de nourrir le désir…
Aurélia RINGARD nous livre un premier roman ou l’introspection d’une jeune femme dans un lieu public les quelques heures précédant les retrouvailles avec son amant.
Elle observe celles et ceux qui l’entourent, la société en transit qui, dans un café de gare, vit un sas entre deux existences comme autant de prétextes à inventer les vies, heureuses ou bafouées, lire les émotions qui s’expriment sur les visages et agitent les corps, trouver les mots pour traduire les ressentis…
Je gratte mes souvenirs comme on écorche la roche lors de fouilles archéologiques. P. 104
La jeune femme a besoin d’un ancrage, de valeurs sur lesquelles compter, de faire le point sur ses propres intentions à elle, avant de les diluer avec celles d’un autre. Elle sait à quel point ces retrouvailles peuvent constituer le point de rupture avec sa vie d’avant. Elle assouvit cette quête de soi, une focale sur sa personnalité à elle…
J’abrite un goût prononcé pour la désobéissance et une faim encore plus grande pour la liberté qui contrastent, de façon éclatante, avec les traits lisses de mon visage. P. 112
Elle prend le temps nécessaire pour une parfaite maîtrise de soi. C'est cet exercice qui a capté mon attention.
Le désir est toujours tapi quelque part, prêt à bondir. Quand il surgit, nous voilà de nouveau frais et brillants, lavés de tout ce qui a pu nous abîmer, nous amoindrir, aptes à accueillir avec avidité le chapitre qui se présente. C’est étonnant, cette capacité à se renouveler. A faire table rase. P. 116
Il y a chez la jeune femme une furieuse envie de se laisser emporter par l’ivresse et pourtant, elle joue de ses sentiments pour que l’extase de la rencontre fantasmée n’en soit que plus grande.
Ce roman est transcendé par la couleur bleue :
Jour bleu
Au Train bleu
La moquette bleue
Bleu du ciel
Ciel bleu
Chaos […] de bleu
Rideaux bleus
Les yeux bleu-vert
Coton bleu clair
Doudounes bleu ciel
Du bleu et du vert
Son bleu éternel
Un bleu de noblesse
cette couleur qui fait penser au ciel et à l’océan, une invitation vers d’autres horizons, c’est aussi la couleur de la sagesse et de la vérité, une couleur primaire qui offre le calme intérieur, un sentiment de "Plénitude", c’est encore la couleur de l’imaginaire et des rêves.
Aurélia RINGARD joue sur les registres du regard, l’un porté sur l’extérieur avec ce qu’il a de profondément troublant et l’autre porté sur l’intérieur, un brin spirituel, qui cherche la confiance en soi.
Dans une narration qui alterne le voyage intérieur avec le je et le survol d’une scène de genre avec la troisième personne du singulier, Aurélia RINGARD nous offre un roman singulier, très actuel, qui interroge sur le chemin restant à parcourir pour chacun.
Parce qu’il n’y a pas de bal sans musique, je vous propose de rester dans le ton avec « Blue Train » de John COLTRANE.
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