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2019-08-23T06:00:00+02:00

A crier dans les ruines d'Alexandra KOSZELYK

Publié par Tlivres
A crier dans les ruines d'Alexandra KOSZELYK

Aux Forges de Vulcain


Il y a des romans qui vous inspirent une sensation de bien-être, de plénitude, de sérénité... et d'autres qui résonnent comme des  bombes, vous laissant littéralement sur le carreau, exsangue. Assurément, le premier roman d’Alexandra KOSZELYK fait partie de ceux-là. Enoooorme coup de coeur de cette rentrée littéraire.

Lena vivait en Ukraine, près de Kiev, à Pripiat très précisément, cette ville construite de toutes pièces pour loger les employés de la centrale nucléaire. Ses parents, Dimitri et Natalia, faisaient partie du cercle des éminents scientifiques russes, lui y travaillait. Depuis sa plus tendre enfance, Lena nourrissait une relation d'amitié avec Ivan, un garçon de son âge. Ensemble, ils découvraient la nature, les choses de la vie. Avec les années, les jeux ont évolué, les sentiments aussi jusqu'au 26 avril 1986, date de l'accident à la centrale de Tchnernobyl. Dimitri a découvert très vite l'ampleur de la catastrophe et organisé, en toute urgence, l'exil de sa famille. Pas le temps de dire au revoir, pas de valises à emporter non plus. A leur arrivée en France, les parents ont imposé à leur fille d'oublier la vie passée, de se construire un avenir dans ce nouveau pays. Pour mettre fin au souvenir d'Ivan, son père lui a fait croîre à sa mort. Léna a bien essayé de s'intégrer en France, d'apprendre une nouvelle langue, de se faire des nouveaux amis, elle n'a malheureusement jamais réussi à combler le vide abyssal laissé par ses origines et son tendre amour pour Ivan. Une bonne vingtaine d'années après l'événement, avec des touristes, elle participe à une visite guidée du site pollué !

Si je me souviens très bien de cette année-là, des images télévisées des enfants rongés par le cancer de la thyroïde sur des lits d'hôpitaux austères et spartiates conformes à l'idée que l'on se faisait de l'U.R.S.S., je n'avais plus jamais repensé à ce territoire, ces populations, honte sur moi. Il aura fallu l'audace d'une toute nouvelle écrivaine pour me rappeler cette catastrophe environnementale et mesurer l'ampleur du cataclysme psychologique de celles et ceux qui ont pu fuir à l'étranger, et les autres, condamnés à vivre dans leur pays, dans une cité sans âme construite à la va vite pour répondre aux besoins des familles, voire retournés dans le champ de ruines laissé par l'explosion nucléaire. Alexandra KOSZELYK, que je suis de longue date dans le cadre de son blog Bricabook et avec qui j'ai eu l'honneur et l'avantage de vivre le jury 2018 France Bleu_Page des Libraires, fait partie de ces gens que rien n'arrête, pas même l'idée d'être en tête d'un peloton d'écrivains qui se consacreront dans les décennies à venir à l'histoire de Tchernobyl. Hardie, elle l'est ! Si souvent la littérature donne lieu à une profusion d'ouvrages quand la génération ayant vécu les traumatismes s'éteint, à l'image de la seconde guerre mondiale traitée massivement 70 ans plus tard, on se dit qu'elle a au moins 40 ans d'avance, chapeau.

Si aujourd'hui, de nombreux touristes se rendent sur les lieux, destination à la mode s'il en est, Lena, elle, cherche quelque chose de plus dans cette "excursion". On le sent dès les premières lignes, cette femme a quelque chose à voir avec ce territoire dont elle est meurtrie. J'ai ressenti très vite le poids angoissant d'une Histoire trop lourde à porter.

Dans ce roman, il est question de la terre nourricière. Là où l'écrivaine m'a littéralement bluffée, c'est en invitant la nature à la table des personnages de son roman. Alors que mon cerveau avait mémorisé les images d'une région en cendres, d'un champ de ruines, d'une ville fantôme... Alexandra KOSZELYK, dans un style éminemment descriptif, y substitue celles d'une végétation envahissante, d'être vivants en fort développement, assoiffés de terres irradiées. Là où je voyais du gris, elle met du vert. Là où je présumais l'immobilisme, elle propage le mouvement. Là où je flairais la mort, elle insuffle la vie, tout simplement, et pourtant ! Au fil des pages, l'écrivaine donne à voir une autre réalité de la zone contaminée, elle laisse lentement s'imprégner dans les pores de la peau la sève d'un renouveau pour, progressivement, réintroduire dans le décor des vies humaines. 


Là, des arbres poussent et repoussent les anciennes infrastructures des hommes. Les bâtiments carrés des années 1970 se teintent d'Art nouveau avec cet enchevêtrement de feuilles. Leurs branches perforent les fenêtres et les bâtiments. Ils entourent les colonnes de béton et forment des guirlandes enchanteresses. P. 17

Alexandra KOSZELYK traite du sujet de la terre d'adoption. Avec le portrait de Lena, et de sa grand-mère, Zenka, elle aborde l'exil, la migration, le déracinement... autant de plaies dont la cicatrisation laisse une trace indélébile dans la chair des êtres, dans leur esprit aussi. Malgré ses efforts d'intégration, Lena demeure torturée par l'absence de son pays, ses origines, sa langue, toutes ses fondations, tout ce qui lui permettait de se maintenir en équilibre. A la lecture du roman, j'ai ressenti jusque dans mes tripes les états d'âme de Lena, l'ampleur des sacrifices, l'impossibilité à se REconstruire ailleurs que dans son pays, celui qui l'a vu naître.


Elle revint avec un cœur funambule : l’absence piétinait la peine et l’espoir réunis. P 88

"A crier dans les ruines" montre, s'il en était besoin, à quel point les liens établis à la terre d'origine sont d'une force irrépressible. A travers ses études, ses voyages, d'autres ruines, Lena a bien essayé de substituer à son pays la vie d'autres. A force de lectures, d'imaginaire, de contes et légendes, elle s'est donné aussi une chance de vivre par procuration d'autres vies que la sienne


Ce livre devint sa famille d’adoption, de celle qui console de l’incommensurable abandon. P.83

mais rien n'y a fait. Son appartement, son parc, son arbre qu'elle partageait avec son amoureux, l'ont irrémédiablement amenée à quelque chose d'inéluctable, son retour au pays ! J'ai adoré explorer au bras d'Alexandra KOSZELYK l'intimité de cette femme, ses sentiments, sa force de VIVRE. 


Un à un, Léna retissa les anciens liens, les étira sur toute leur longueur, les polit pour leur redonner leur couleur d’autrefois. P. 214

Ce roman, il a pour moi la résonance d'un propos militant. Si d’aventure on pensait encore que l’homme n’y est pour rien dans les fortes chaleurs que l’on vit cet été, il est des catastrophes environnementales dont il est bien le seul responsable, à commencer par l’accident de Tchernobyl avec des conséquences sur l’économique et le social, les trois piliers du développement durable ! Parce que les concepts ne suffisent plus à nous faire prendre conscience de nos erreurs à l’égard de notre planète. Alexandra KOSZELYK avec son premier roman donne une dimension humaine aux événements. Lena et Ivan incarnent ce que sont déjà et seront en nombre effroyable d'ici peu les réfugiés climatiques. C’est par l’itinéraire de gens ordinaires - Lena et Ivan pourraient être nos amis - que l’écrivaine rend explosif le propos, un procédé ingénieux, audacieux et réussi. 

La plume est d'une sensibilité dramatique et bouleversante, l'histoire captivante, le rythme haletant. Bref, cette lecture est un CRI du coeur.

Le premier roman d'Alexandra KOSZELYK fait partie de la sélection des 68 Premières fois

 

A crier dans les ruines d'Alexandra KOSZELYK

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commentaires

K
C'est le seul roman français que j'ai eu envie d'acheter, les autres je les emprunterai.
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T
Un premier roman très réussi, je re le conseille vraiment !

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