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Recherche pour “une famille normale”

2017-07-09T19:54:48+02:00

Je me suis tue de Mathieu MENEGAUX

Publié par Tlivres
Je me suis tue de Mathieu MENEGAUX

Découvrir l'univers littéraire de Mathieu MENEGAUX, c'est l'adopter et en redemander.


A l'image de la plume de Delphine BERTHOLON, celle de Mathieu MENEGAUX fait partie de celles que l'on n'oublie pas. Dans un cas comme dans l'autre, je sors de mes lectures complètement sonnée, tant par l'histoire dont l'intrigue est parfaitement maîtrisée, que par les itinéraires des protagonistes, ponctués de choix, qui, une fois pris, prennent un caractère irréversible dans une spirale devenue infernale. Avec ces deux auteurs, il y a la forme et le fond ! Leurs thrillers psychologiques font subitement irruption dans nos vies et les marquent à jamais.

 

Pour "Je me suis tue", le 1er roman de Mathieu MENEGAUX, je vais essayer de vous donner l'envie de le lire mais sans trop vous en dire pour préserver le secret qui entoure toute cette histoire.


Claire est incarcérée à la maison d'arrêt des femmes à Fresnes. A l'origine, c'était une femme "sans histoire", une femme qui vivait en couple depuis plusieurs années. Elle avait tout pour être heureuse, un mari avec lequel elle vivait le grand amour, un travail épanouissant comme elle l'avait souhaité, un très bel appartement parisien qui suscitait l'envie de leurs amis... Mais, derrière les apparences se cachait une profonde douleur. Claire et Antoine ne pouvaient avoir d'enfant. Lui souffrait d'une pathologie, l'asthénospermie, ses spermatozoïdes n'étaient pas suffisamment vigoureux pour permettre une éventuelle fécondation. Elle, était rongée par ses 40 ans, elle voyait son horloge biologique s'accélérer et son ventre resté "sec". Un soir, ils sont invités à dîner par une famille avec enfants, comme elles le sont presque toutes dans leurs connaissances. Cette soirée est un passage obligé pour la carrière d'Antoine, elle s'y soumet. Après quelques heures passées autour d'un repas, fatiguée, Claire propose à Antoine de rester, elle va rentrer seule, elle va prendre un taxi. C'est cette soirée-là que sa vie à elle, à lui aussi, va basculer !  


Ce roman m'a pris à la gorge dès les premières pages, peut-être à cause de l'enfermement de cette femme dans une cellule qui l'oppresse, peut-être aussi parce qu'il s'agit du 2ème roman de Mathieu MENEGAUX que je lis (vous vous souvenez de "Un fils parfait") et que je reconnais, dès les premières lignes, cette manière à lui, bien singulière, de serrer, serrer, serrer encore l'étau qui se referme sur sa victime.


Très vite, le.a lecteur.rice prend connaissance de la démarche de la narratrice. Emprisonnée, elle décide d'écrire, c'est donc sa prose à elle qui va composer ce roman. Claire va lentement dérouler le fil de son existence 


L'écriture est la dernière étape de mon chemin de croix. P. 6

J'écris pour moi, pour m'évader, non pas en paix, ce serait impossible, mais soulagée du poids de mon silence. P. 7

et nous donner sa version à elle des faits. Mais pourquoi cette démarche ? Et bien, parce que là aussi, dès les premières pages, elle nous dit à quel point elle savait qu'elle ne serait pas écoutée :
 


Tout ce beau monde, face à moi, m'a condamnée dès que je me suis installée dans le box, avant même la lecture de l'acte d'accusation. Je suis entrée dans ce procès sans aucune chance d'en sortir libre. P. 4

Les premières pierres de l'édifice sont posées, il ne reste plus qu'à se laisser porter.


Bien sûr, il s'agit d'une affaire de femme, là, pas de suspense. Elle est incarcérée et parle à la 1ère personne. Mais plus encore, le sujet va tourner autour de la féminité, de la maternité aussi. Elle évoque la pression sociale qui pèse sur les femmes françaises aujourd'hui. Par choix ou par défaut, celles qui n'ont pas d'enfant à 40 ans sont regardées de façon particulière.
 


Ne pas avoir d'enfant, à quarante ans, c'est contraire à un certain nombre de Commandements tacites ou explicites de notre société moderne. Alors à quarante ans, sans enfant, dans le regard des Autres, on est une sorte de demi-femme, on vit une misérable vie sans accomplissement, sans héritage, sans autre perspective que la triste certitude de retourner en poussière. P. 28

J'ai l'impression de relire l'essai d'Elisabeth BADINTER "Le conflit, la femme et la mère" et de découvrir une illustration parfaite du propos tenu. Est-ce qu'un jour notre société s'émancipera de ses sacro-saints principes ? Si elle ne le fait pas naturellement en prenant en compte l'évolution du féminisme de ces dernières années (petit clin d'oeil à Adeline FLEURY et son "Femme absolument"), qu'elle le fasse en mesurant la gravité immense des conséquences qu'elle induit.


Et puis, tout à coup, un flash ! Alors même que tous les médias sont rivés sur elle, que sa voix résonne sur toutes les radios, que des documentaires envahissent la télévision, que la presse écrite retrace son parcours, Claire nous parle aussi d'elle :
 


Et je me disais que nous n'avions pas rendu suffisamment hommage à Simone Veil, qui avait porté quasiment seule cette loi. Il lui en avait fallu de la détermination. Dans notre pays, l'avortement a été considéré comme criminel dans la période qui a suivi la Première Guerre mondiale, parce qu'il fallait repeupler la France. Ensuite il a été qualifié de "crime contre l'Etat français" par Vichy, en 1942, et passible de la peine capitale. Peine que le Maréchal n'hésita pas à faire appliquer à Marie-Louise GIRAUD, la plus célèbre "faiseuse d'anges", décapitée en 1943, pour l'exemple. P. 40

Simone VEIL bien sûr ! Je suis toujours surprise par les concours de circonstances, celui-là est de taille et l'effet est encore décuplé. 


Comme quoi, le féminisme est un combat qui commence à dater et qui a encore de beaux jours devant lui. Impossible de rester insensible devant l'affaire de Claire et se dire que tout est acquis, que le droit français a déjà fait beaucoup et qu'il ne peut pas encore évoluer. Le combat ne cible pas les mêmes objets mais il tourne toujours autour de ce que la femme a de plus que les hommes, le pouvoir de donner la vie. 


Vous l'aurez compris, l'atmosphère est lourde, l'ambiance oppressante, mais c'est sans compter sur le talent de Mathieu MENEGAUX pour offrir quelques ponctuations source de légèreté. Il égrène effectivement tout au long du récit de cette femme des titres et extraits de chansons. Claire s'en souvient, ils lui permettent de pallier la solitude dans laquelle elle est plongée, le.a lecteur.rice s'en souvient aussi, et là, une prise de conscience, Claire est humaine, elle pourrait être moi, ou bien une copine, une voisine, une relation, bref, cette affaire, nous aurions chacune pu la vivre aussi !


Ce roman, un seul conseil, ne passez pas à côté. Il est écrit par un homme qui a tout compris des femmes, voire plus encore...


 

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2017-06-24T15:47:20+02:00

Les contes défaits de Oscar LALO

Publié par Tlivres
Les contes défaits de Oscar LALO

Editions Belfond


Quand je suis allée aux Journées nationales du livre et du vin de Saumur le 13 mars dernier, j'avais un objectif bien précis : faire la rencontre de Mathieu MENEGAUX. J'avais tellement lu de chroniques exaltées par la qualité et la puissance de son écriture, il m'était devenu impossible de le laisser passer à quelques dizaines de kilomètres de chez moi.


Il y a eu un premier passage devant sa table, personne, puis un deuxième, toujours personne. Je me suis dit qu'il arriverait plus tard et me suis laissée porter par le flux des visiteurs au Dome. Le pas un brin lymphatique (oui, ça peut m'arriver !), les yeux survolant les tables l'espace, le regard fixe quand même sur les couvertures des livres, leurs titres et les noms des auteurs (je ne suis quand même pas tout à fait déconnectée !), je me laisse interpeller par une femme qui me vante succinctement la prose de l'auteur d'un premier roman, Oscar LALO. Depuis que vous me suivez, vous savez certainement que les premiers romans me fascinent, n'est-ce pas les 68 premières fois ? Elle m'évoque un itinéraire douloureux et la voie de la  résilience. Là, ça y est, je suis prise au piège, je le sens. Je suis consentante et me laisse séduire !


"Les contes défaits", c'est le titre du roman.


Le narrateur et son frère prennent le train. La séparation avec les parents est traumatisante. Le coeur serré, ils s'en vont vers le home d'enfants. Pendant tout l'été, ils vont y passer leurs vacances. Les parents leur vantent le mérite qu'ils ont, eux, de pouvoir faire leurs valises et s'offrir de nouveaux horizons. Mais les enfants, eux, savent ce qu'ils vont y vivre. Tous les ans, ils s'y retrouvent, et tous les ans, ce sont les mêmes actes terribles qu'ils y subissent. Bienvenue au camp des menaces et "baisers trompettes".


Oscar LALO, pour un premier roman, n'a pas choisi un sujet simple, c'est certain. Mais il a su mettre les mots sur des actes ignobles qui marqueront à jamais la vie de jeunes garçons.  


Il décrit la vie quotidienne au home d'enfants qui aurait pu être un petit coin de paradis mais se révèle, en réalité, être un lieu d'enfermement où les prédateurs ont leurs proies à leur merci. Sous couvert de payer cher ces vacances, Madame la Directrice et son mari mettent en place une stratégie machiavélique et aveuglent les familles. 

 


Le home nous apprit très tôt que si l'argent ne fait pas le bonheur, il étouffe le malheur. P. 47

Oscar LALO use de phrases courtes mais ô combien percutantes. Elles sont cinglantes comme le fouet et permettent en quelques mots de prendre conscience de la gravité des faits.


Oscar LALO, c'est un magicien des mots, il arrive à décrire des silences, exprimer un profond sentiment de solitude et traduire des moments d'errements aussi. Il instille une tension extrême avec la description minutieuses des instants qui précèdent le passage à l'acte, l'installation de l'homme sur le lit et son étalement progressif pour maîtriser parfaitement sa victime. 


Mais plus que tout encore, c'est cette description de l'état suivant de l'enfant de déconnexion totale avec son environnement extérieur qui m'a bouleversée.

 


Quand un enfant avait les yeux dans le vide, c'est que l'homme était passé par lui. P. 82

Le poids des mots aurait pu devenir insoutenable et rendre la lecture totalement inabordable mais là encore, c'est sans compter le talent de l'auteur. Oscar LALO use d'une plume poétique à l'envi pour évoquer l'indicible. Il donne quelques respirations pour rythmer le roman :


Ils ressemblaient tous à des nuages. Mais des nuages d'un genre particulier. De ceux qui ne pleuvent jamais. P. 83

Comment surmonter de tels sévices ? Comment imaginer un avenir serein à des enfants maltraités à ce point ?


Et bien le narrateur, lui, se ressourcera dans la voie de l'écriture. C'est en écrivant que les vannes s'ouvriront et que le flot d'amerture, de haine, de rancoeur s'évacuera. Là aussi, avec les mots de Oscar LALO, il est aisé de mesurer à quel point elle va permettre au narrateur de se libérer :


Réflexe oblige, ma première pensée fut d'effeuiller ce bloc et d'en faire des avions. Puis mon regard arrêté sur la plume comprit qu'elle seule m'aiderait à prendre mon envol. Et c'est ainsi qu'en calligraphiant la laideur, j'ai tracé des lignes de vie que je ne connaissais pas. P. 190

De nombreux romans parlent de la résilience, de cette capacité de l'individu à surmonter un terrible traumatisme, tracer une voie pour continuer son chemin. Mais Oscar LALO a sa manière à lui, toute singulière :


[...] je réalise que réparer mon monde, ce n'est ni plus ni moins qu'apprendre à vivre. P. 198

Avec ce roman, l'auteur nous offre une magnifique leçon de vie, il met un peu de lumière dans ce qui n'est qu'horreur, souffrance et douleur. Sa plume est remarquable et la voie des contes pour enfants, pris pour cible, est une idée ingénieuse pour montrer à quel point une enfance peut être bafouée.


Juste sublime !


Quelle belle idée Mathieu MENEGAUX a eu d'arriver plus tard à son stand de dédicace !

 

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2017-06-22T11:00:00+02:00

Femme absolument de Adeline FLEURY

Publié par Tlivres
Femme absolument de Adeline FLEURY

Parce que, comme le disait Simone de Beauvoir : "[...] il suffira d'une crise politique, économique ou religieuse pour que les droits des femmes soient remis en question."


Parce que quelqu'un, ou plutôt quelqu'une, qui se reconnaîtra j'en suis sûre, a assuré mon "éducation" au féminisme et que j'ai fait mienne cette cause universelle,


Parce que je suis maman d'une fille et que je suis attentionnée à son avenir,


Parce que le monde change, qui aurait pensé qu'à l'Assemblée Nationale nous passerions de 155 à 223 femmes députées ?


Parce que la jeune génération porte un regard nouveau sur la vie en société, la condition féminine en particulier,


Parce que Adeline FLEURY a sû me séduire avec "Rien que des mots", son 1er roman découvert dans le cadre des 68 premières fois, publié aux éditions François BOURIN 

je me suis laissée séduire par "Femme absolument", son essai publié aux éditions Lattès et que j'avais rapporté du Salon du Livre de Paris, mais attention, c'est du sérieux, et là il s'agit de choisir le moment.


Dimanche dernier, il m'a fait de l'oeil, j'ai répondu à son invitation et j'ai bien fait.


Pour faire court, je suis plutôt réfractaire à la catégorisation des publics, aux entrées un peu trop ciblées qui passent finalement à côté des réalités, et bien là, aucun risque, l'écrivaine le dit très humblement, elle a puisé dans son intimité pour en extraire peut-être quelque chose de plus universel, elle ne détient pas la vérité, mais une vérité.


Adeline FLEURY est une jeune femme de 38 ans, maman, divorcée, je ne vous en dis pas plus, ce portrait rapidement brossé dévoile quelques traits de caractères de la famille d'aujourd'hui, le modèle "papa maman et les enfants" a largement explosé pour donner naissance à de tous nouveaux schémas.


Alors, être femme aujourd'hui, c'est quoi ? Adeline FLEURY lui attribue quelques qualificatifs : 


Séductrice, maladroite, ambitieuse, bûcheuse, oisive, insolente, fragile, forte, drôle, mélancolique, capricieuse, colérique, ultrasensible, tout ça dans la même personne. Complexe et singulière." P. 12

Cette approche de l'humain finalement, le multifacettes, a tout pour me plaîre. J'aime à penser qu'un individu, femme ou homme d'ailleurs, puisse avoir différents visages selon les émotions, les circonstances de la vie... et accepter qu'une personne puisse être tout ça à la fois, c'est déjà un grand pas vers l'interculturalité, enfin je crois.


J'ai beaucoup apprécié l'approche de l'auteure au gré des grandes périodes de la vie : l'enfance, l'adolescence, la jeunesse, la maternité, la renaissance, la maturité.  


Si chacune d'entre nous, peu importe l'âge, peut assurément se retrouver dans les anecdotes enfantines de Adeline FLEURY, il en est d'autres qui résonneront peut-être un peu moins. Personnellement, et malgré une dizaine d'années de plus que l'auteure, je ne vous cache pas que je me suis délectée à retrouver Vic de "La Boum" et plus encore Valentine de "L'Etudiante" formidablement interprétée par Sophie Marceau aux côtés de Vincent Lindon, toute une époque n'est-ce pas ? "J’ai envie d’un vrai baiser de cinéma ici dans la voiture, tout de suite." vous vous en souvenez ? non ?


Plus sérieusement, et plus gravement aussi, l'écrivaine aborde une épreuve de sa vie, aucun intérêt de vous la dévoiler maintenant mais si vous avez lu "Les corps fragiles" de Delphine BERTHOLON, vous en aurez sûrement une petite idée ! Le traumatisme qu'elle a vécu, c'est celui que redoute toute mère quand elle voit sa fille lentement s'émanciper, vivre cette période de la vie où l'insouciance et la soif de liberté sont les fils conducteurs de l'existence. 
 
Mais là, il ne s'agit pas d'une fiction, non, il s'agit d'un fait réel qui marquera à jamais le corps de l'écrivaine. Ce corps justement qu'elle habite pleinement et qui fait d'elle ce qu'elle est, ce corps qu'elle a appris avec l'âge à aimer. Bien sûr, il y a eu la maternité qui l'a fait brusquement évolué mais il y a eu aussi, après, cette période de plénitude qu'elle a savouré avec gourmandise.


La sexualité est un sujet largement abordé dans cet essai. Il donne à voir les différentes expériences qui s'offrent à la génération du XXIème siècle, la quête d'une certaine identité. J'avoue avoir été très sensible à sa définition du désir. Mais oui, qu'est-ce que le désir ? Un beau sujet de philosophie, non ? 

 


Le désir s'appréhende d'abord au creux de soi, se construit lentement dans l'exploration, l'écoute et la reconnaissance que l'on s'accorde, puis vient le plaisir et enfin l'acceptation de sa condition de femme désirante et jouissante." P. 149

Là, il s'agit du regard porté par une femme mâture, de celles qui ont une certaine expérience de la vie, un brin de recul pour se recentrer sur soi et identifier ses propres sources de plaisir. Nul doute que les femmes de mon âge, et plus, se retrouveront dans le propos !


Ce qui m'a aussi intéressée dans cet essai, c'est l'approche d'un phénomène qui, s'il n'est pas nouveau, est de plus en plus dévoilé par les femmes et donne à voir une réalité juste insupportable. HDR, ça vous dit quelque chose ? Le harcèlement de rue, peut-être un peu plus ? Les hommes semblent pouvoir aborder les femmes dans la rue comme une simple marchandise et avec des propos on ne peut plus abjectes. C'est un fléau qui entrave la liberté des femmes et contre lequel il nous faut absolument lutter.


Adeline FLEURY tire une conclusion qui résonne totalement avec mes impressions :


Une femme n'est jamais totalement sereine. Sa vie est un tourbillon perpétuel. P. 158

Tiraillée entre ses différents statuts, elle peine à trouver l'apaisement.


Le livre à peine refermé, je suis tombée de ma chaise quand, au lendemain des élections législatives, j'ai entendu à la radio un député sortant doutant que la femme qui allait lui succéder ait "le temps de faire sa lessive et d'emmener ses enfants à l'école". Quelle vision réductrice du rôle de la femme dans la société et de ses aspirations !

 

Nul doute qu'il soit encore nécessaire d'écrire sur le sujet pour continuer d'avancer !

 

S'appuyant sur de très nombreuses références, Adeline FLEURY permet au singulier d'évoluer vers le collectif et ainsi de dresser le portrait du féminisme du XXIème siècle. Avec "Femme absolument", l'écrivaine réalise un acte militant, elle participe à l'écriture d'une nouvelle page de l'Histoire de la condition féminine française, c'est peut-être notre Elisabeth BADINTER de demain !

 

Pour qu'une cause soit audible toutefois, il convient de la diffuser. Et là, la balle est dans notre camp. Si l'on veut faire évoluer les perceptions, rompre avec le sexisme, il serait très intéressant, je crois, de mettre cet essai dans toutes les mains, qu'elles soient jeunes et moins jeunes (nous avons aujourd'hui la chance d'avoir une espérance de vie de 4 générations, c'est dire la résonance possible !), féminines et masculines bien sûr, et d'en échanger pour confronter les points de vue et tendre vers une vision universelle de la chose !

 

1, 2, 3, partez ! 

 

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2017-04-28T20:42:59+02:00

Maestro de Cécile BALAVOINE

Publié par Tlivres
Maestro de Cécile BALAVOINE

Editions Mercure de France

 

Maestro, c'est le 1er roman de Cécile BALAVOINE tout juste sorti des presses et immédiatement sélectionné par les fées des 68 premières fois, tout ça est de très bon augure.


Oh, surprise, à la première page, il est écrit : "A vous.". Ce roman m'intrigue, il s'adresse à moi ? lectrice ? Ma curiosité est attisée, je plonge et n'en ressorts qu'en fermant la toute dernière page ! Un roman sublime.


Je vous explique :


Cécile, une femme journaliste, est sur le point de réaliser une interview par téléphone, celle d'un Chef d'Orchestre, reconnu mondialement. Elle est dans une chambre d'hôtel à New–York. Elle finalise ses questions. Le rendez-vous téléphonique est sur le point de se concrétiser. Elle décroche le combiné, compose le numéro, la sonnerie retentit et puis, sa voix, à lui, cette voix qui la renvoie immédiatement dans sa plus tendre enfance, alors même qu'elle chérissait un mort. Mais pas n'importe lequel, non, Mozart. Excusez du peu ! Alors même qu'elle n'était qu'une petite fille, son cocon familial se désagrégea avec l'arrivée d'un bébé. Une petite soeur allait lui voler les attentions et le regard de Papa et Maman. Pour atténuer sa peine, elle hait cette petite soeur a priori, ses parents lui offrent un piano, rien qu'à elle. Il est installé dans sa propre chambre et sera le moyen de nourrir cette passion pour la musique.


Vous l'aurez compris, le "Vous" s'adresse à ce Chef d'Orchestre, cet homme que la narratrice va interviewer et qui va la replonger dans son passé. Cécile BALAVOINE va ainsi alterner les paragraphes dédiés à cet entretien téléphonique et aux flash-backs qui vont permettre progressivement de découvrir d'où remonte cette passion pour un virtuose qui a vécu au XVIIIème siècle.


J'ai beaucoup aimé découvrir comment la musique avait réussi à trouver lentement sa place dans la vie de cette enfant. 


Je sais seulement qu'il y a la partition sur le piano et qu'il suffit de l'ouvrir, de la lire et de bouger les doigts pour que la chambre vibre, danse, pour arriver dans un ailleurs très lointain et faire surgir Volfgangamadéoussemozare. [...] Mes mains apprennent à se placer, se déplacer sur le clavier, elles tracent les notes du plus grand musicien de tous les temps. P. 16

Et mesurer la puissance artistique de la musique sur les mélomanes...


Vos yeux s'animent, dans un mouvement rapide, vos sourcils se relèvent, ils expriment l'intensité et la beauté de la musique. P. 193

J'ai été profondément touchée par le pouvoir du père et cette personnalité qui anéantit toute expression de l'enfant. 


Mais tout à coup, debout devant papa, je me mets à douter. Tout à coup, cela me traverse, c'est fulgurant. ...] Je sens dans ma poitrine la peur de décevoir papa. P. 17

Cette perception, je l'ai récemment lue dans le roman de Marie BARRAUD "Nous, les passeurs". Les deux écrivaines, toutes jeunes, en disent long sur cet ancrage encore très marqué du chef de famille incarné par le père. A croire que nous avons encore beaucoup de chemin à parcourir pour espérer un jour une égalité hommes/femmes !

 

Ce roman, c'est aussi celui de la vie de Wolfgang Amadeus Mozart, ce musicien au talent incommensurable. Cécile BALAVOINE fait référence à son oeuvre en ponctuant régulièrement le roman de morceaux. L'un résonne d'une tonalité toute singulière tout au long de ce livre : Verklärte Nacht. Je ne résiste pas à vous le faire écouter ! 
 

Mais plus encore, ce roman se concentre sur la passion, celle de la musique bien sûr, on en a parlé, celle d'un musicien mort il y a quelques centaines d'années maintenant et que la narratrice continue de chérir, et puis, enfin, celle qu'elle voue à un homme, fait de chair et d'os, celui-là. Ce livre, c'est la reconnaissance de l'amour dans ses dimensions les plus intenses, Cécile BALAVOINE décrit très bien la violence de la passion et la fulgurance des sentiments qui transcendent toutes les frontières :


Et c'est ainsi que je vivais ces moments avec vous, en me disant qu'il fallait s'engouffrer dans ce temps hors du temps, jouer en virtuoses notre passion. P. 202

J'ai été littéralement subjuguée par la qualité de l'écriture de cette écrivaine dont c'est le premier roman. J'ai lu "Maestro" avec une profonde intensité. Dès les premières lignes, j'ai été séduite par cette plume remarquable, tellement fine, juste, sensible à l'envi. Evoquer l'art avec une telle qualité de français est un immense plaisir, je l'ai savouré sans modération. Le jeu de la construction très réussi n'a fait qu'amplifier mon ardeur. Quant à son bandeau, il ne fait que renforcer encore la beauté du livre, assurément un très bel objet.

 

C'est un coup de coeur ce roman ! 


Indéniablement, pour moi, c'est aujourd'hui l'un des meilleurs de la sélection des  68 premières fois pour son édition 2017 :

 

Marguerite de Jacky Durand *****

La plume de Virginie Roels ****

Mon ciel et ma terre de Aure Atika *****

Nous, les passeurs de Marie Barraud *****

Principe de suspension de Vanessa Bamberger *****

Les parapluies d'Erik Satie de Stéphanie Kalfon ****

Presque ensemble de Marjorie Philibert ***

Ne parle pas aux inconnus de Sandra Reinflet *****

La téméraire de Marine Westphal *****

La sonate oubliée de Christiana Moreau ****

Cette lecture participe aussi au Challenge de la Rentrée Littéraire MicMelo de janvier 2017 ! 

Marguerite de Jacky Durand *****

Les indésirables de Diane Ducret ***** Coup de coeur

Mon ciel et ma terre de Aure Atika *****

Nous, les passeurs de Marie Barraud *****

Pour que rien ne s'efface de Catherine LOCANDRO *****

Principe de suspension de Vanessa BAMBERGER ****

Les parapluies d'Erik Satie de Stéphanie KALFON ****

Coeur-Naufrage de Delphine BERTHOLON ***** Coup de coeur

Presque ensemble de Marjorie PHILIBERT ***

La baleine thébaïde de Pierre RAUFAST ****

L'article 353 du code pénal de Tanguy VIEL ****

Ne parle pas aux inconnus de Sandra REINFLET ****

La téméraire de Marine WESTPHAL *****

Par amour de Valérie TONG CUONG ***** Coup de coeur

La société du mystère de Dominique FERNANDEZ ****

L'abandon des prétentions de Blandine RINKEL ****

La sonate oubliée de Christiana MOREAU ****

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2020-06-30T06:00:00+02:00

Gabriële de Anne et Claire BEREST

Publié par Tlivres
Gabriële de Anne et Claire BEREST

Editions Stock

Lors de la rentrée littéraire de septembre 2019, j’ai découvert la plume de Claire BEREST avec son roman « Rien n’est noir » dédié à une page de la vie de Frida KAHLO et récemment consacré par le #GrandPrixdesLectricesElle 2020.

En refermant le livre, je ne savais pas si c’était les mots de Claire BEREST qui m’avaient foudroyés ou bien le personnage flamboyant et jouissif de Frida KAHLO, j’ai maintenant la réponse !

« Gabriële », c’est l’histoire de l’arrière-grand-mère de Anne et Claire BEREST, deux sœurs, co-autrices d’un roman absolument jubilatoire.

Gabriële, née BUFFET, grandit au côté de femmes inspirantes, sa grand-mère, Laure de JUSSIEU, essayiste, sa tante, Alphonsine, peintre, formée avec Berthe MORISOT auprès de Charles CHAPLIN. En 1898, elle tente le concours d’entrée au Conservatoire national de musique de Paris. Elle échoue, mais, acharnée, elle sera la première femme à accéder à la classe composition de La Schola Cantorum. Elle part pour Berlin contre l’accord de ses parents. Là-bas, elle gagne sa vie pour payer ses cours après de Ferruccio BUSONI, auteur du manifeste « Esquisse d’une nouvelle esthétique de la musique », l’homme cultive le terreau déjà bien fertile chez Gabriële, il transmet à ses élèves l’envie de créer. Il dit lui-même « Qui est né pour créer devra préalablement accepter la grande responsabilité de se débarrasser de tout ce qu’il a appris. » Gabriële se délecte des plaisirs qu’offre Berlin, la capitale européenne porteuse de modernité. Elle y poursuit ses études de musique. Lors de l’un de ses séjours en famille, son frère, Jean, peintre, qui a élu domicile à Moret-sur-Loing dans les pas de l’impressionniste Alfred SISLEY, lui présente Francis PICABIA. Là commence une toute nouvelle histoire !

Ce roman c’est une histoire d’amour, d’abord, entre Gabriële et Francis PICABIA, une passion vertigineuse, de celles qui vous font tout abandonner sur le champ.


Elle ressent une tension. Celle qui parcourt la peau quand on pénètre pour la première fois l’intimité de quelqu’un avec qui on soupçonne qu’on va non seulement faire l’amour, mais peut-être partager des jours, des nuits et des années. P. 25/26

Et là, avouons que PICABIA a plus d'un tour dans sa poche. Amoureux des voitures, il aimait donner rendez-vous à Gabriële et lui proposer un départ pour des destinations inconnues, des invitations sans aucune forme d’anticipation, mais Gabriële jouira d’un plaisir inouï à monter à ses côtés dans la décapotable.


Son bolide est un accélérateur de particules, les situations amoureuses se nouent avec la fréquentation du danger. P. 78

« Gabriële », c’est aussi une histoire d’amour pour l’art en général. Il y a la musique bien sûr, mais il y aura aussi et surtout, la peinture. Gabriële est une visionnaire dans le domaine, une avant-gardiste, elle saura proposer à Francis PICABIA, devenu son mari, des chemins de traverse qui feront sa singularité. Mais comme le dit le proverbe « Nul n’est prophète en son pays », PICABIA attendra parfois que le temps passe pour dévoiler ses créations. Ce fut ainsi le cas de son oeuvre « Caoutchouc », réalisée en 1909, et qui ne sera rendue publique qu’en 1930.

© Jean-Claude Planchet - Centre Pompidou, MNAM-CCI /Dist. RMN-GP © Adagp, Paris

© Jean-Claude Planchet - Centre Pompidou, MNAM-CCI /Dist. RMN-GP © Adagp, Paris

Parce ce que leur amour les remplit tous les deux mais qu'ils ont une curiosité à revendre et une irrésistible envie de croquer la vie, et parce que Gabriële, mère de plusieurs enfants, ne saurait se contenter des tâches ménagères et du rôle que semble lui octroyer parfois son mari, fréquentant alors les salles d’opium du tout Paris, le couple est régulièrement accompagné d'amis. Certains leur voueront une indéfectible fidélité, à l'image de  Marcel DUCHAMPS, le petit dernier de la fratrie. Tous les trois vont vivre les 400 coups, des moments d’ivresse absolue. Et puis, il y a cette relation d'amitié avec un énième invité de PICABIA, Guillaume APOLLINAIRE, rien de moins ! Il est meurtri par sa récente rupture avec Marie LAURENCIN.

Gabriële, vous l'aurez compris, est une femme EXTRAordinaire, de celles qui marquent leur vie avec l'empreinte de la liberté. Elle n'a pas vécu que de bons moments avec un mari artiste à l'ego surdimensionné mais


Gabriële possède cette capacité à vivre chaque journée comme une potentielle aventure. P. 208

Sous la plume des soeurs BEREST, une expérience littéraire audacieuse mais parfaitement réussie, Gabriële devient un personnage de roman dont le lecteur découvre le parcours avec une véritable frénésie. La narration du tourbillon artistique est exaltée. "Gabriële" devient rapidement un page-turner, une épopée à vous couper le souffle, une biographie époustouflante.

 

 

C'est un coup de coeur qui vient confirmer le talent de Claire BEREST que j'évoquais en introduction. Je crois que je vais tomber dans l'addiction !

Impossible de vous quitter sans un petit clin d'oeil à Delphine BERTHOLON, une autre écrivaine dont je suis devenue au fil du temps une inconditionnelle. C'était son anniversaire il y a quelques jours. Alors, comme un cadeau, je vous propose "L'Oeil cacodylate", un tableau réalisé en 1921 par Francis PICABIA.

©Adagp Paris 2018©MNAM CCI Dist RMN Grand Palais

©Adagp Paris 2018©MNAM CCI Dist RMN Grand Palais

Cette oeuvre je l'ai découverte dans "L'effet Larsen".  Nola, qui se sent responsable de sa mère et se bat pour leur offrir un nouvel horizon, se saisit de l'art comme une échappatoire et s'inspire de cette création pour donner un sens à sa vie.

Quand la littérature est une opportunité de tisser des liens...

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2020-01-11T07:00:00+01:00

Rivage de la colère de Caroline LAURENT

Publié par Tlivres
Rivage de la colère de Caroline LAURENT

Les Escales

Après « Et soudain, la liberté », un livre écrit à quatre mains avec Evelyne PISIER, Grand Prix des Lycéennes Elle, Prix Marguerite Duras et Prix Première Plume, Caroline LAURENT s'invite dans cette rentrée littéraire de janvier avec  « Rivage de la colère », un roman historique bouleversant, un coup de coeur, tout simplement, l'occasion d'un clin d'oeil à l'équipe de la Librairie Richer.

Tout commence avec une conversation établie par un fils avec sa mère, que l'on soupçonne disparue. Il lui rend compte de sa mission, de son combat, et d'un aboutissement que l'on comprend imminent. L’heure est grave, rendez-vous est donné à la Cour de Justice Internationale de La Haye. L’instant d’après, nous sommes en 1967 au nord de l’océan Indien. Marie-Pierre Ladouceur dite Marie vit sur l’île Diego Garcia avec sa fille, Suzanne, et toute sa famille. Elle travaille au coprah, la production de noix de coco. L’île est administrée par les Anglais. Marcel Mollinart est administrateur. Un tout jeune garçon, Mauricien, Gabriel, débarque sur l'île, il est recruté pour être secrétaire. Entre Marie et Gabriel commence une histoire d’amour. Après quelques mois, Marie est enceinte. Elle donne naissance à un garçon, Joséphin, bien noir, bien fort, qui ne laisse présumer d’aucun métissage. Le vent de la décolonisation souffle sur l’archipel mais c'est sans compter sur un "arrangement" préalable entre puissants. Alors que l’île Maurice accède à son indépendance en 1968, celle de Diego Garcia reste dans le giron britannique sous le statut de British Indian Ocean Territory. Elle a été monnayée, comme l'existence de ses habitants, trois millions de livres. Et pour en faire quoi ? Une base militaire américaine ! Mollinart a bien essayé de séduire les foules pour un départ volontaire vers l'île Maurice mais tous n'y succomberont pas. Marie tient a sa terre d'origine, elle tient à sa dignité aussi. La pression s'organise alors jusqu'à la déportation manu militari des Chagossiens. Marie se retrouve dans la cale d’un navire avec sa fille, malade, son fils, et quelques menus effets personnels. Une nouvelle vie commence alors.

Caroline LAURENT est une formidable conteuse. Elle nous offre une épopée éminemment romanesque avec le personnage de Marie dont les aventures, y compris amoureuses, sont tumultueuses. Elle nous dresse un portrait de femme haut en couleur, de ces femmes libres que rien ne saurait arrêter, pas même les hommes. Enfant, elle ne supportait pas les chaussures, les brides, les liens, elle allait et venait pieds nus ! 


Le courage est l’arme de ceux qui n’ont plus le choix. P. 17

Le personnage de Gabriel n’en est pas moins bouleversant avec une mère décédée alors qu’il n’était qu’un enfant, un père focalisé exclusivement sur son fils aîné, un ignoble personnage usant de son pouvoir, abusant aussi. 

Quant à l’amour, impossible, entre un Mauricien et une Chagossienne, il n’en fallait pas plus pour nous captiver et nous tenir en haleine de bout en bout de ces 400 pages.

Mais ce qui m’a fascinée le plus dans ce roman, c’est aussi et surtout qu’il s’inspire d’une histoire vraie, celle d’un peuple sacrifié par des hommes que l'on dit grands de ce monde ! Dans la démarche de Caroline LAURENT, il y a la volonté de porter au grand jour une page de l'Histoire, de rendre publics des faits, méconnus. 


J'accuse le silence qui entoure depuis trop longtemps notre drame. Il est temps aujourd'hui de faire tomber les masques. P. 127

Dès les premières lignes, j’ai ressenti la force d’un propos au service d’un peuple exilé, arraché à sa terre, pour que justice lui soit rendue. Prêter sa plume aux Chagossiens est devenu pour elle :


Comme une nécessité... P. 292

L'écrivaine égrène les années 1967-1975 comme autant de souvenirs d'une tragédie humaine et pose le mot "déportation" pour qualifier le déracinement de ces hommes et ces femmes, ces enfants aussi, de leur terre. C'est aussi les modalités de leur "accueil" qui sont dénoncées. Reclus aux confins de la ville, le ghetto n'était rien de moins qu'un bidonville où régnaient la misère et un grand dénuement !


Le passé ne se change pas, tout au mieux il s’affronte. P. 193

Au fil du roman, j'ai senti se propager en moi une violente colère, une de ces rages que seules les dernières pages m'ont permis d'apaiser.

Avec "Rivage de la colère", l'autrice explore les sujets de l'identité, de l'indépendance, de la mémoire. 

Caroline LAURENT mêle astucieusement et avec un immense talent la fiction à la réalité. Par le jeu de l'écriture et l'alternance des narrations, elle trace le sillon de la reconnaissance des droits de tout un peuple, peut-être la voie de la justice...

Caroline LAURENT, c'est aussi une très belle personne, de ces femmes profondément généreuses qui offrent leur plume pour donner de la voix à ceux qui n'en ont pas. Elle nous livre un roman engagé. Si aujourd'hui, à la lumière de l'instrumentalisation d'un peuple, de son exil contraint et forcé, de son arrachement à sa terre, au profit de stratégies géopolitiques abjectes, il nous est facile de choisir notre camp, pour l'écrivaine, le combat des Chagossiens, qu'elle a fait sien, est beaucoup plus fort. Franco-Mauricienne, Caroline LAURENT entretient une relation personnelle avec ces territoires. On comprend aussi pourquoi elle y a mis tout son coeur et nous livre aujourd'hui un roman intime et émouvant. Elle a puisé dans ses propres racines et son parcours personnel la puissance des mots  qu'elle a posés sur l'indicible.

Quand j'ai choisi le graffiti de Banksy pour orner mes coups de coeur de l'année, je ne savais pas qu'il illustrerait à merveille l'itinéraire des Chagossiens : "There is always hope". C'est aussi par ces mots que s'ouvre le roman :


Ce n'est pas grand chose, l'espoir. P. 15

Et s'il n'y avait pas de hasard dans la vie...

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2019-04-06T07:40:13+02:00

La mer monte de Aude LE CORFF

Publié par Tlivres
La mer monte de Aude LE CORFF

Stock

 

 

Le tout dernier roman de Aude LE CORFF, vous l'avez lu ?

 

Non, pas encore ! Et bien, si vous cherchez une bonne action à réaliser aujourd'hui, je crois qu'un passage dans votre librairie préférée s'impose.

 

Vous ne sauverez pas la planète, ça non, les générations qui vous ont précédées ont lancé un mouvement tel que ses effets sont maintenant inéluctables, mais vous soutiendrez la création littéraire et plus généralement les métiers du livre, chapeau ! Je suis prête à lancer aussi les paris que vous succomberez au charme de la plume de Aude LE CORFF et lirez comme un page-turner l’histoire de Lisa ! Alors, vous êtes convaincu(e) ? Non, pas encore ! Je vous en dis plus.

 

Lisa vit seule. C'est l'apanage de nombre d'hommes et de femmes qui, aujourd'hui - nous sommes en 2042, préfèrent la solitude aux concessions imposées par la vie commune. Sa santé est suivie à la loupe par toutes les applications et autres microprocesseurs qui ont envahi sa vie, totalement instrumentalisée par les objets qui l'entourent et qui se chargent, pour son bien, de prendre les choses en main. Les drones et autres robots font partie de son quotidien et réalisent à sa place des tâches qui ne méritent pas que l'on s'y attarde. Et puis, elle est jeune, elle n'a rien connu d'autre. Les générations d'avant peuvent déplorer la fonte des glaciers, la montée des eaux, mais tout ça fait désormais partie de la mémoire collective. Lisa a quand même un ami, en chair et en os, avec qui elle partage quelques soirées. C'est un peu comme une parenthèse  dans ses relations de tous les jours, à croire que côtoyer ses congénères a encore du bon ! Elle en profite pour lui confier ses états d'âme. Lisa, qui semble vivre une vie tout à fait ordinaire, est obsédée par un mal qu'elle traîne depuis sa plus tendre enfance, quelque chose qui lui vrille les tripes, qui la torture dans sa chair. Mais d'où vient ce mal ? Et s'il était perpétué par sa mère, Laure ? Mais là commence une toute autre histoire...

 

Il y a des destins qui vous happent dès les premières pages d'un roman, celui de l'humanité tel qu'elle pourrait exister en 2042 (non vous ne rêvez pas, c'est dans une vingtaine  d'année) fait partie de ceux-là. Pourquoi me direz-vous ? Et bien parce que son portrait est saisissant.

 

Je me souviens de la lecture (au siècle dernier !) de Globalia de Jean-Christophe RUFIN mais d'aucun ne s'aventurerait aujourd'hui à partager la perspective de l'an 2000 telle que certains d'entre nous ont pu la vivre, au risque de passer pour un vieux démodé sentant la naphtaline.

Non, avec Aude LE CORFF, le scénario est tout autre. Il est tellement plausible qu'on se demande même pourquoi il n'est pas encore là. Imaginez ! Tous ses écrans qui envahissent notre vie, pourquoi ne pas intégrer directement sur notre rétine une petite cellule qui ferait oublier cet accessoire si décrié ? Vous vous attendiez à autre chose ? Les discours sur la réduction du temps hebdomadaire de consultation des écrans auront volé en éclats et seront purement et simplement oubliés pour laisser place à d’autres, plus actuels !

 

Le propos est ironique, vous l'aurez compris, mais tellement réaliste qu'il réussit à nous faire froid dans le dos. Ce roman est porteur d'un propos militant, assurément, mais pas de ceux largement médiatisés aujourd'hui. Non ! Aude LE CORFF a une longueur d'avance, elle dénonce, elle, l'hypocrisie de tout ce que l'on nous vend pour notre bien-être, assurément ! 

 

Elle nous alerte aussi sur l'infantilisation de l'être humain avec tous ces objets qui se substituent aux souhaits de l'homme, cet être faible, qui ne saurait de lui-même utiliser les escaliers plutôt que les ascenseurs pour assurer le nombre de pas quotidiens nécessaires pour lutter contre l’obésité et les accidents cardiovasculaires. Dans le monde tel qu'il est projeté par l'écrivaine, l'ascenseur refusera tout simplement de vous transporter dans les étages !

 

Et puis, comme une prédisposition à ce qui m’attendait dans ce roman, mon téléphone portable sur lequel je prends désormais toutes mes notes (quand je vous dis que le monde décrit par Aude LE CORFF est déjà là !) avait crû bon de modifier « mer » par « mère », il était dans le vrai ! Là, vous pouvez rire, jaune !

 

Dans ce roman, l’auteure, habituée à raconter des histoires rocambolesques (souvenez- vous de « L’importun » et de « Les arbres voyagent la nuit ») nous dévoile la vie de Lisa dans ce qu’elle a de plus intime. Les destins de mère et fille s’entremêlent pour laisser se dévoiler lentement failles et blessures.


La cicatrice est encore visible, me rappelant que je ne peux pénétrer l’esprit de ma mère sans en payer le prix. P. 72

Chacune a les siennes mais la mémoire transgénérationnelle fait qu’elles se retrouvent liées, chacune empoisonnée par la toxicité de la relation à l’autre.


Mon corps déjà émettait des signaux douloureux, une oppression qui le quittait rarement au creux de la poitrine et de la gorge, et alors tout me revenait. P. 72

J’ai ressenti jusque dans mes tripes les soubresauts des corps, la douleur des souffrances perpétuées à travers les âges.

 

Je ne vous en dirai pas plus. Ah, si ! Ne lisez surtout pas la 4ème de couverture, laissez-vous porter par ces quelques lignes, faites moi confiance !

 

Tous ces destins se côtoient dans un roman où l’alternance des chapitres donne du rythme, tantôt la grande Histoire, l’intérêt général, tantôt la petite, l’intérêt particulier, pour nous livrer une sage philosophie de vie.


Pour continuer à vivre, il faut accepter de ne pas tout comprendre. P. 147

La plume de Aude LE CORFF est juste sublime, elle vous séduira par sa sensibilité et sa puissance. Elle parle de secrets de famille, de tragédies, de souffrances, tout en beauté, et la chute est juste magistrale.

 

C’est un coup de cœur. Trois romans, trois coups de coeur, je crois que vous pouvez juste l’acheter !

Je participe au 

orchestrée de jolie manière par notre amie Joëlle, retrouvez mes lectures

La mer monte de Aude LE CORFF

Les miroirs de Suzanne de Sophie LEMP

Edmonde de Dominique DE SAINT PERN

D'origine italienne de Anne PLANTAGENET

Anatomie d'un scandale de Sarah VAUGHAN

Vigile de Haym ZAYTOUN

Nous aurons été vivants de Laurence TARDIEU

Médée chérie de Yasmine CHAMI

Personne n'a peur des gens qui sourient de Véronique OVALDE

Le rituel des dunes de Jean Marie BLAS DE ROBLES

Celle qui marche la nuit de Delphine BERTHOLON

La nuit se lève d'Elisabeth QUIN

Ce qui nous revient de Corinne ROYER

Les heures solaires de Caroline CAUGANT Coup de coeur

Etat de nature de Jean-Baptiste de FROMENT

Piano ostinato de Ségolène DARGNIES

et plein d'autres encore !

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2019-03-29T07:00:00+01:00

Quand des libraires vous ouvrent leur portes... interview de Marie et Antoine !

Publié par Tlivres
Quand des libraires vous ouvrent leur portes... interview de Marie et Antoine !

Le Renard qui lit, je vous en ai déjà parlé à plusieurs reprises. Ma première visite remonte au 2 septembre 2017. Depuis, il y a eu des rencontres avec les Cholecteurs, une soirée dédicace avec Gilles MARCHAND... et plein d'autres choses encore.

Alors, pour poursuivre la danse des interviews en partenariat avec Page des Libraires, Marie et Antoine sont naturellement devenus des incontournables. A eux deux, ils forment un couple de professionnels du livre tout à fait remarquable, ils ont accepté de répondre à quelques unes de mes questions :

"Le Renard qui lit" est la librairie de Chalonnes-sur-Loire, racontez-nous son histoire ? 

La librairie est installée place de l’Hôtel de Ville, elle a succédé à un magasin de vêtements. Elle a ouvert le 29 septembre 2016. Pour moi (Marie), c’était un peu un retour aux sources, j'ai passé, enfant, à Chalonnes-sur-Loire, toutes mes vacances, c'est là que sont nés mon grand-père, mon père... inutile de vous dire que lorsque j'ai annoncé ce projet à mon père, il a eu des étincelles plein les yeux !

Nous y recevons régulièrement des parents (30/40 ans) et leurs enfants, de jeunes retraités actifs culturellement, Chalonnes-sur-Loire bénéficie d’associations très actives.

En aparté, outre l’oeil malicieux et le sourire jusqu’aux oreilles de Marie, l’enthousiasme et la verve d’Antoine, vous y trouverez de la BD adulte, le rayon qui fonctionne le mieux, la BD documentaire, les Tardi, sans compter "L’arabe du futur" de Riad SATTOUF, Blake et Mortimer de Edgar P. JACOBS, "Les vieux fourneaux" de Paul CAUUET et Lupano WILFRID... qui ont dépassé les ventes du Prix Goncourt ! Il y a aussi des tas de romans, de livres jeunesse...

Et puis Marie et Antoine s'autorisent aujourd'hui à sortir de leurs murs. Peut-être les croiserez-vous ailleurs qu'à la librairie. Ils étaient présents par exemple sur le "Salon du bien-être", le "Festival 360",  le "City Truck Festival",  le Festival BD de Chalonnes-sur-Loire bien sûr avec ses 4000 visiteurs.

Pourquoi « Le Renard qui lit » d’ailleurs ?

Là, c’est une référence au renard de Saint-Exupéry dont je (Marie) fais la collection et puis, un petit clin d’oeil au chanteur Renaud, "Docteur Renaud, Mister Renard".

Comment êtes-vous devenue libraire Marie ? 

J’ai fait des études dans le domaine et puis j’ai travaillé 13 ans en librairie dans le secteur jeunesse. En janvier 2015 est né le projet. L’idée a fait son chemin, les conseils de la C.C.I. ont permis de réorienter le concept d’une librairie ambulante vers une boutique. Il y a eu la recherche de financements et le recours à un crowdfunding qui a permis de concrétiser un rêve. 300 donateurs ont participé à l’opération dont les 2/3 étaient des Chalonnais. 

L’aventure aurait été impossible sans le soutien d’Antoine qui a crû dur comme fer au projet et qui y a largement contribué en prenant en charge la vie de famille.

La librairie c’est aujourd’hui une histoire de couple, comment vous est venue cette idée ?

Dès l’origine, nous avions imaginé une expérience ensemble mais nous l'avions pensée pour plus tard. Finalement, Antoine est arrivé le 13 mars 2018, ça fait tout juste un an.

Bon anniversaire !

Comment ça se passe au quotidien ? 

Très bien en fait. Quand je (Marie) me suis lancée, j'étais seule. La librairie, c'était donc un peu mon bébé mais le partage s’est bien passé, assez naturellement. Chacun a son registre, les polars plutôt pour moi, les BD pour Antoine. Et puis, il y a aussi une qualité de vie géniale, le confort de pouvoir maintenant se relayer. Quand l’un veut terminer sa lecture, il peut se délecter sans complexe, pendant que l’autre assure l’ouverture de la librairie !

Qu’est-ce qui vous plaît le plus dans votre métier ? 

Vivre au milieu des livres bien sûr, échanger avec les clients, se laisser porter par des conseils de lectures... c’est comme ça que j'ai découvert Olivier NOREK par exemple.

Quel est LE livre qui a modifié votre vie ?

Antoine : Moi, j'ai grandi au milieu des livres, alors, enfant, c'était « Vingt mille lieues sous les mers », puis au collège les Rougon Macquart, et à l’adolescence, la découverte de "Dune" de Frank HERBERT.

Marie : c’est "Shining" de Stephen KING à 17 ans et plus récemment, "Une bouche sans personne" de Gilles MARCHAND qui a coïncidé avec l’ouverture de la librairie, tout un symbole. C’est aujourd’hui notre meilleure vente ! Je le propose avec la mention « Satisfait ou remboursé » ! L’occasion de faire un petit clin d’oeil à Violaine, blogueuse, et de se souvenir d’une très belle soirée passée avec l’auteur !

Nous sommes en mars, la rentrée littéraire de janvier est encore récente. Quels sont pour vous les livres marquants ? 

Marie : Dans tout ce qui sort et une fois passé l’effet « wouaou », ce sont les romans de Caroline CAUGANT « Les heures solaires » et de Franck BOUYSSE « Né d’aucune femme » qui sortent du lot.

 

Antoine : Parmi toutes les BD qui sont inspirées de romans, très à la mode, c'est "Noire" d’Emilie PLATEAU que je retiens parce qu'elle dévoile l’histoire de Claudette Colvin qui aurait pu être connue à la place de Rosa Parks et que l’adaptation est très bien réussie, une vraie découverte dans la catégorie des romans graphiques.

Je n'ai pas résisté, je reviendrai vous en parler prochainement !

Que lisez-vous actuellement ? 

Marie : "Les gratitudes" de Delphine de VIGAN, le suivant sera le thriller de Xavier de MOULINS. 

Antoine, c’est "Nous sommes Bob" de Dennis E. TAYLOR, le dernier tome d'une trilogie bourrée de références des années 1980. Le suivant sera le roman de Jean-Christophe RUFIN "Les sept mariages d’Edgar et Ludmilla".

Vous êtes une toute nouvelle librairie du réseau Page des Libraires. Qu’est-ce qui vous a séduit dans cette aventure ?

Page, c’est une vieille histoire. Quand j'étais môme (Antoine), je fréquentais la librairie Contact dans mon quartier, j'y récupérais mon exemplaire ! Marie, elle, travaillait à la SADEL, elle le recevait sur des palettes entières ! 

C’est donc une nouvelle histoire qui va s’écrire.

Ça sera l’occasion de lire les avis de collègues libraires et puis une très belle idée cadeau pour des clients de la librairie.

Il y a aussi le site, très bien fait. Dans un premier temps, nous allons nous familiariser avec les livres « lus » et « aimés » et puis, sonnera l’heure de la première chronique... et là, surprise ! Nous en reparlerons c'est certain.

J'aurais bien continué à papoter toujours et encore avec Marie et Antoine mais il faut parfois se faire une raison. Si vous aussi, vous avez envie de découvrir ce couple de libraires hors du commun, je vous invite à pousser la porte de la librairie "Le Renard qui lit", vous ne serez pas déçus.

Un très grand merci à Marie et Antoine. Au plaisir de vous revoir ! 

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2019-04-12T12:42:05+02:00

Né d'aucune femme de Franck BOUYSSE

Publié par Tlivres
Né d'aucune femme de Franck BOUYSSE
 
Ce roman fait partie de la dernière sélection du #GrandPrixdesLectricesElle2019. Il est classé dans la catégorie des policiers.
 
Ce roman, il vous captive d'abord par la beauté de la première de couverture. De couleur sépia, elle fait apparaître une femme qui donne le sein à son bébé, ce portrait de la maternité est juste magnifique. Quand vous y regardez de plus près, vous réalisez que la photographie est en réalité un montage, qu'un découpage est intervenu et qu'une pièce du "puzzle" est décalée, à l'image de ce que faisait Picasso avec ses croquis. Ce qui peut paraître une ombre dans le tableau n'est rien à côté de ce qui vous attend, ce roman est une lecture coup de poing, un roman noir... mais aussi tellement lumineux, je vous explique !
 
Rose a 14 ans, c'est l'aînée d'une fratrie de 4 filles. Ses parents sont des paysans. Un jour, son père, Onésime, l'emmène avec lui. Rose fait l'objet d'un contrat diabolique. Elle est vendue à un homme moyennant une petite somme d'argent, de quoi assurer pour quelques temps la survie du reste de la famille. Les remords n'y feront rien, le sort de Rose est ainsi jeté. Elle devient l'employée d'une maison qui renferme de nombreux secrets, à commencer par l'existence de l'épouse de "l'acheteur" qui serait gravement malade. Rose ne l'a jamais vue. Le médecin du village vient régulièrement lui rendre visite, de quoi susciter la curiosité de l'adolescente. Elle sera bien malgré elle entraînée dans un scénario des plus machiavéliques.
 
Ce roman est noir, je vous l'ai dit. Il m'a beaucoup rappelé mes lectures d'il y a une trentaine d'années, ces livres qui brossent le portrait de la maltraitance, que dis-je, la torture en milieu rural. Rose est accueillie par des rustres dans une campagne profonde, là où le rapport dominant/dominé relève plus de l'esclavage que de la relation humaine, là où les hommes se comportent comme des bourreaux, se gaussant de martyriser plus faible que soi, là où le maître des lieux décide de la vie ou de la mort de ceux qu'il emploie, là où les sévices corporels condamnent au silence.
 
Franck BOUYSSE imagine une histoire absolument démoniaque, un scénario morbide dont je n'ose pas imaginer les images portées au cinéma.
 
Si la première partie est empreinte de sauvagerie, j'ai beaucoup aimé la seconde dans ce qu'elle a de plus fort. Rose incarne le personnage d'une jeune femme révoltée, pleine de courage, que rien ne saurait abattre, pas même l'indicible, impossible à vous dévoiler. Rose va trouver le moyen de s'extraire de toute cette violence, elle va puiser la force dans son âme pour surmonter tout ce qu'elle endure physiquement, elle va trouver la voie des mots :


Les mots, ils me font sentir autrement, même enfermée dans cette chambre. Ils représentent la seule liberté à laquelle j'ai droit, une liberté qu'on peut pas me retirer, puisque personne, à part Génie, sait qu'ils existent. P. 233

Ce roman est un hymne à l'écriture. Nul besoin de vouloir être écrivain pour se plier à l'exercie, le seul fait de coucher les mots sur le papier peut délivrer du poids qui vous assaille. Franck BOUYSSE fait preuve d'énormément de poésie à leur égard : 


C’est toujours ce qui se passe avec les mots nouveaux, il faut les apprivoiser avant de s’en servir, faut les faire grandir, comme on sème une graine, et faut bien s’en occuper encore après, pas les abandonner au bord d’un chemin en se disant qu’ils se débrouilleront tout seuls, si on veut récolter ce qu’ils ont en germe. P. 268

Franck BOUYSSE, je la découvre. Marie de la librairie "Le Renard qui lit" l'encense, c'est évidemment un très bon conseil de lecture.

Parfaitement structuré dans un roman choral, le propos est servi par une plume éminemment belle. La chute est juste magistrale.

Ce policier est en lice avec : 

Sirènes de Joseph KNOX

Anatomie d'un scandale de Sarah VAUGHAN

Rituels d'Ellison COOPER

Dura Lex de Bruce DESILVA
 
Rivière tremblante de Andrée A. MICHAUD
 
La disparition d'Adèle Bedeau de Graeme MACRAE BURNET
 
Présumée disparue de Susie Steiner 

Il fait aussi partie du

orchestrée de jolie manière par notre amie Joëlle, retrouvez mes lectures

La mer monte de Aude LE CORFF

Les miroirs de Suzanne de Sophie LEMP

Edmonde de Dominique DE SAINT PERN

D'origine italienne de Anne PLANTAGENET

Anatomie d'un scandale de Sarah VAUGHAN

Vigile de Haym ZAYTOUN

Nous aurons été vivants de Laurence TARDIEU

Médée chérie de Yasmine CHAMI

Personne n'a peur des gens qui sourient de Véronique OVALDE

Le rituel des dunes de Jean Marie BLAS DE ROBLES

Celle qui marche la nuit de Delphine BERTHOLON

La nuit se lève d'Elisabeth QUIN

Ce qui nous revient de Corinne ROYER

Les heures solaires de Caroline CAUGANT Coup de coeur

Etat de nature de Jean-Baptiste de FROMENT

Piano ostinato de Ségolène DARGNIES

et plein d'autres encore !

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2019-03-15T07:00:00+01:00

Pirate N°7 d'Elise ARFI

Publié par Tlivres
Pirate N°7 d'Elise ARFI

Editions Anne Carrière

"Pirate n° 7" fait partie des documents en lice pour le #GrandPrixdesLectricesElle2019.

Elise ARFI est avocate. Elle revient sur une affaire peu ordinaire à laquelle elle a consacré quelques années de sa vie, professionnelle et personnelle. Le 20 septembre 2011, elle est l'avocate commise d'office pour défendre X SD, un jeune Somalien expatrié de la Corne d'Afrique où il sévissait avec d'autres pirates. Un couple de Français s'est aventuré en eaux troubles. A bord de leur catamaran, ils sont attaqués, l'homme est assassiné sous les yeux de son épouse, prise en otage puis libérée. Fahran Abchir Mohamoud a tenté le coup pour une centaine de dollars. Le voilà parachuté à l'autre bout de la planète pour être jugé. Commence alors le parcours du combattant d'Elise ARFI. Fahran n'a pas de papier, il ne peut attester de son identité ni, plus grave encore, de sa date de naissance. Sur la base des tests osseux, la justice le considérera comme majeur et lui imposera donc le système carcéral des plus de 18 ans. Elise ARFI a perdu son premier combat, elle en perdra d'autres au péril de la vie de son protégé. Elle le retrouvera à l'hôpital, là, un poumon vient de lui être retiré. Fahran criera au scandale, il pensera être victime d'un trafic d'organes. Il ne tardera pas à sombrer dans la folie et commettre plusieurs tentatives de suicides. Elise ARFI ira pourtant jusqu'au bout !

Ce texte court de 181 pages est d'une violence effroyable.

Bien sûr, les faits sont rappelés dans leur ensemble mais ce n'est pas là qu'est le coeur du livre. Non, le projet d'Elise ARFI est ailleurs. Il porte un regard critique sur la justice française, le régime carcéral qui déshumanise les individus, leur fait perdre leur dignité, les rend fous.

Elise ARFI n'a que 10 ans quand l'affaire Malik OUSSEKINE se produit. C'est pourtant là qu'elle va puiser sa vocation. Elle a toujours su qu'elle était faite pour le pénal, son combat à elle, c'est de sauver la dignité des hommes et des femmes qu'elle défend. Elle déroule le fil de son existence et nous fait part de ses convictions personnelles, de sa foi dans la justice. 


Il faut tout donner, puiser au fond de soi pour accéder à sa liberté de ton, se dégager enfin du regard des autres. P. 11

Elle ne sait pas encore à quel point elle sera exposée dans l'affaire de Fahran.

A la lecture du document, j'ai eu l'impression que tout était perdu d'avance. Il faut dire que Fahran cumule beaucoup de handicaps. Il est soupçonné d'... mais, tiens donc, voilà que je me surprends à tirer les conclusions d'un discours tenu par une professionnelle du barreau. En France, ne sommes-nous pas présumés innocents ? La question est fondée, à moins que la subtilité du sujet ne repose sur le fait qu'il s'agisse d'étrangers ! Fahran ne maîtrise pas la langue française, il est à plus de 4 500 kilomètres de chez lui, il est séparé de sa famille, sa mère lui manque terriblement. En plus de l'exil, du déracinement, du choc culturel, Fahran est maltraité par le système, par les autres détenus aussi. Son corps en porte les traces à chaque visite de son avocate avec qui s'établit progressivement une relation singulière, comme une complicité, la seule peut-être à le considérer comme un être humain, à communiquer avec lui avec bienveillance.

"Pirate N° 7", c'est un peu comme le combat de la dernière chance d'Elise ARFI. Torturée par la culpabilité de ne pas avoir été à la hauteur dans la défense de Fahran, c'est un peu comme si l'écrivaine voulait se racheter en alertant l'opinion publique, écrire un livre pour se libérer du terrible poids qui pèse sur ses épaules.

Nul doute qu'elle doit jubiler en ce moment. Hasard du calendrier, nous sommes le vendredi 15 mars 2019, il y a quelques jours que le Conseil Constitutionnel planche sur une question de constitutionnalité : "le recours aux tests osseux pour définir l'âge de mineurs isolés étrangers est-il constitutionnel ?" Si le cas d'école présenté aux Sages concerne le régime social auquel un jeune Guinéen peut prétendre, il en va de même pour ceux qui tombent sous le coup de la justice. La décision pourrait avoir de lourdes conséquences sur les affaires en cours. Le sujet est passionné et passionnant, associations, professionnels de la santé sont en lutte contre un système dont la fiabilité est mise en cause, des radiographies de la main et du poignet ne sauraient déterminer l'âge d'un individu notamment parce que les tables de référence ont été établies en 1930 sur des populations nord-américaines qui n'ont rien à avoir avec celles sur lesquelles les tests sont aujourd'hui appliqués. L'avenir nous dira si Elise ARFI a bien fait d'aller sur ce terrain-là même si l'histoire ne se réécrit pas bien sûr. Peut-être trouvera-t-elle enfin le moyen de tranquilliser sa conscience.

La littérature invite à une mise à distance nécessaire pour aborder des sujets aussi complexes et dans lesquels il est question de vie ou de mort.

Dans une plume fluide et percutante, Elise ARFI nous confronte à la violence de notre société et nous dévoile les rouages d'un système pénitentiaire archaïque à cent mille lieues des droits de l'Homme, un éclairage particulièrement utile pour décrypter l'actualité et se construire sa propre opinion.

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2019-02-16T08:56:24+01:00

Médée chérie de Yasmine CHAMI

Publié par Tlivres
Médée chérie de Yasmine CHAMI

Actes Sud

Je vous livre quelques mots de l'histoire :

Médée et son mari Ismaïl sont en escale dans un aéroport parisien. Ils s'apprêtent à s'envoler pour Sydney. Il est chirurgien, elle l'accompagne à un séminaire, bien malgré elle. Il lui dit de patienter quelques minutes près du kiosque à journaux, il va aux toilettes. Mais en réalité, il ne reviendra pas. Cette femme, ce sont deux de ses enfants, Aya et Adam qui la retrouveront pour lui annoncer qu'Ismaïl est parti à jamais. Elle s'est trompée sur les sentiments de son mari avec qui est vit depuis une trentaine d'année. Sculptrice, elle avait préféré le toit de la maison au jardin pour y créer son atelier. Elle y travaillait la pierre, des créations exigeantes physiquement qu'elle s'évertuait, une fois réalisées, à emmailloter avec du fil, des câbles, des morceaux de tissu, tout ce qu'elle pouvait trouver, un peu comme si elle voulait assurer leur protection. Alors que tout s'écroule autour d'elle, saura-t-elle se protéger, elle ? Retrouvera-t-elle un jour la voie de l'art ?

Yasmine CHAMI dresse un portrait de femme d'une infinie patience auprès de ses trois enfants, deux filles et un garçon, leur prodiguant tout son amour, une femme qui a toujours vécu dans l'ombre de son mari, aussi. Lui répare les vies, elle ne fait que modeler la pierre. Cultivant elle-même son infériorité, elle s'est construit un refuge à l'abri des regards et a dédié toute son existence au sacro-saint chef de famille.

Elle a fait de sa vie une dévotion. Alors, se retrouver là, au milieu de nulle part, dans une zone de  transit où les passagers sont à destination de... Médée, où en est-elle, elle ? Vers où va-t-elle ? Il faudrait déjà qu'elle puisse comprendre ce qui lui arrive. Paralysée par la violence foudroyante de la séparation, torturée par la déchirure fulgurante de la trahison, Médée choisit, dans l'urgence, de se retirer dans une chambre d'hôtel, tout ce qu'il y a de plus neutre et aseptisé. Alors qu'elle s'apprêtait à s'envoler, elle choisit de se terrer et d'explorer le vide abyssal qui l'habite maintenant. 

Yasmine CHAMI est audacieuse dans son projet littéraire. Elle procède à une mise à nu complète de Médée, cette femme anéantie par le sentiment d'abandon. Elle fait le choix de l'isoler, du monde dans quelques mètres carrés totalement insignifiants, des siens aussi. Malgré la douleur qui l'assaille, elle pousse ses enfants à la laisser là, choir, seule, pour écouter son corps, le laisser guider ses pas.


Médée, son corps sait ce que sa pensée ne conçoit pas encore, elle est comme ces personnages arrêtés, piégés dans une matière plus lourde que le mouvement qu’ils tentent. P. 15

L'écrivaine explore le destin de cette femme par la voie de la chair. Elle évoque la maternité et ce lien indéfectible qui lit une mère à ses enfants, le fruit de ses entrailles. C'est avec son corps aussi qu'elle sculpte :


[…] ses mains aux ongles coupés très courts, calleuses par endroits malgré l'usage répété de la pierre ponce pour attendrir la chair durcie par le maniement des outils : marteaux, burins, gradines, pointes, gouges, ciseaux, scies, mais aussi râpes, limes... P. 18

Médée est à la croisée des chemins, elle réalise sa mue, se libère progressivement des peaux mortes laissées par l'infidélité. Yasmine CHAMI décrit la métamorphose d'une femme forte, puissante, courageuse, en quête de nouveaux repères, d'un nouvel ancrage. Outre cette rencontre fabuleuse avec Tanya qui va panser ses plaies, lui donner du baume au coeur, c'est dans l'art aussi qu'elle imagine pouvoir lui donner une nouvelle vie, lui offrir la voie de la résilience. 

Les premières pages relatent une scène fracassante, le moment fugace où le château de cartes s'écroule. L'écrivaine va dédier son roman, "Médée chérie", à la (re)construction, lente, apathique, d'une femme. Dans une plume charnelle, médicale, presque chirurgicale, elle nous offre un condensé de sensibilité, de délicatesse et de générosité, elle nous livre un propos profondément humain, éclatant, plein d'espoir.

Ce roman, c'est un hymne à la vie, la consécration du pouvoir des femmes aussi. A la lâcheté d'un homme, elle oppose l'ardeur, l'énergie, la volonté, le ressort... des femmes. Sublime !

Je participe au 

orchestrée de jolie manière par notre amie Joëlle, retrouvez mes lectures

La mer monte de Aude LE CORFF

Les miroirs de Suzanne de Sophie LEMP

Edmonde de Dominique DE SAINT PERN

D'origine italienne de Anne PLANTAGENET

Anatomie d'un scandale de Sarah VAUGHAN

Vigile de Haym ZAYTOUN

Nous aurons été vivants de Laurence TARDIEU

Médée chérie de Yasmine CHAMI

Personne n'a peur des gens qui sourient de Véronique OVALDE

Le rituel des dunes de Jean Marie BLAS DE ROBLES

Celle qui marche la nuit de Delphine BERTHOLON

La nuit se lève d'Elisabeth QUIN

Ce qui nous revient de Corinne ROYER

Les heures solaires de Caroline CAUGANT Coup de coeur

Etat de nature de Jean-Baptiste de FROMENT

Piano ostinato de Ségolène DARGNIES

et plein d'autres encore !

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2017-12-26T15:31:25+01:00

Les huit montagnes de Paolo COGNETTI

Publié par Tlivres
Les huit montagnes de Paolo COGNETTI

Editions Stock

Traduit par Anita ROCHEDY

Ce 1er roman est lauréat du Prix Médicis étranger 2017, mais c'est aussi un coup de coeur de Jackie de la Librairie Richer, assurément un très bon conseil de lecture.


Je vous emmène à Grana dans le Val d'Aoste où les sommets culminent à plus de 4000. Deux amoureux fous, un brin originaux, s'y marièrent en 1962. Rejetés par leurs familles, ils étaient 4, le nombre minimum pour célébrer une union. Rien de plus naturel donc que de fuire la ville au moment des vacances pour aller s'y ressourcer. De cette union, naîtra un garçon, Pietro. Très vite, il est initié aux plaisirs de la randonnée. Le père et le fils y réalisent de nombreuses escapades, de quoi tisser le fil de la complicité. Vient parfois se glisser dans cette intimité, Bruno, cet enfant des montagnes. Lui les regarde d'un tout autre oeil. Elles ne représentent pas ses vacances mais sa vie quotidienne, il y est né, il y mourra aussi. Entre les deux garçons du même âge, le jeu de la concurrence et le sentiment de jalousie viennent parfois troubler les relations. Les année passent et puis un jour, un drame vient assombrir le tableau, les cartes sont rebattues et commence alors une autre vie...


Ce roman d'apprentissage est d'une exquise beauté. Il montre tout ce dont les enfants ont besoin pour se construire et puis, cette nécessité, un jour, de s'affranchir de l'éducation de ses parents pour s'affirmer, décider de son propre chemin. Il y a de formidables passages sur la relation père-fils, si peu décrite dans la littérature en général, les femmes (mères-filles) y occupant une très grande place il faut bien l'avouer. Heureusement, Paolo COGNETTI est là pour réduire un peu cette inégalité de traitement et il le fait avec beaucoup de talent.


Il évoque avec une infinie précision la relation de l'homme à la nature, et à la montagne plus encore.


Peut-être ma mère avait-elle raison, chacun en montagne a une altitude de prédilection, un paysage qui lui ressemble et dans lequel il se sent bien. P. 53

Les descriptions des panoramas m'ont évoqué avec ravissement ce trek réalisé au Pérou. Il y a quelque chose de singulier, d'unique dans la découverte, la surprise :
 


Ce qui est beau, avec les lacs alpins, c'est que l'on ne s'attend jamais à les trouver si on ne sait pas qu'ils sont là, on ne les voit pas tant que l'on n'a pas fait le dernier pas, on dépasse la berge et là, sous les yeux, c'est un paysage nouveau qui s'ouvre. Le bassin n'était que pierraille côté soleil, et plus nous regardions vers l'ombre, plus il se couvrait de saules et de rhododendrons, d'abord, puis de forêt. Au milieu il y avait ce lac. P. 88

Et comme à chacun à son altitude, à chacun sa manière de s'approprier la montagne. Avec elle, c'est tout un panel de disciplines qui s'offre à qui veut bien la conquérir :
 


La grimpe, c'était le plaisir d'être ensemble, d'être libre et de faire des expériences, aussi un rocher de deux mètres au bord d'un fleuve valait-il autant qu'un huit mille. Ça n'avait rien à voir avec le culte de l'effort et la conquête de sommets. P. 107

Mais il ne faudrait pas réduire ce roman à cette seule dimension. Dans "Les huit montagnes", il y a aussi un brin d'interculturalité,. J'ai beaucoup aimé la confrontation des univers des jeunes garçons et les mots attachés à chaque environnement social et urbain :
 


Et il disait : c'est bien un mot de la ville, ça, la nature. Vous en avez une idée si abstraite que même son nom l'est. Nous, ici, on parle de bois, de pré, de torrent, de roche. Autant de choses qu'on peut montrer du doigt. Qu'on peut utiliser. Les choses qu'on ne peut pas utiliser, nous, on ne s'embête pas à leur chercher un nom, parce qu'elles ne servent à rien. P. 210

Enfin, il explore les relations humaines. Comme pour les montagnes, à chacun sa manière de les apprécier. Il y a celles et ceux qui, à l'image de la mère de Pietro, ont besoin d'y baigner et en font le sens de leur existence : 
 


Du côté de ma mère, je voyais les fruits d'une vie passée à cultiver les relations, à les soigner comme les plantes de son balcon. Je me demandais si on pouvait acquérir un don pareil, ou si on naissait avec [...] P. 160

Et puis il y a les autres qui ont besoin de distance et d'isolement pour être soi-même :
 


Ce que je tenais à protéger, c'était ma capacité à rester seul. Il m'avait fallu du temps pour m'habituer à la solitude, en faire un lieu où je pouvais me laisser aller et me sentir bien, mais je sentais que notre rapport était toujours aussi compliqué. P. 229

La plume de Paolo COGNETTI est absolument remarquable, elle est empreinte de sensibilité et d'humanité. Dans "Les huit montagnes", il fait de la nature sa toile de fond pour examiner en profondeur ce qui compose chacun, ses origines, ses souvenirs, sa manière très personnelle et subjective d'apprécier la vie à sa juste valeur.


Un très beau roman initiatique.

 

Impossible de vous quitter sans cette chanson de Jean FERRAT "Que la montagne est belle", elle est à propos je crois !

Cette lecture

Les huit montagnes de Paolo Cognetti *****

s'inscrit dans le cadre du Challenge 1% Rentrée littéraire organisé par Délivrer des livres après :

Ces rêves qu'on piétine de Sébastien Spitzer ***** Coup de coeur

Nos richesses de Kaouther Adimi ***** Coup de coeur

Et soudain, la liberté de Evelyne Pisier et Caroline Laurent *****

La petite danseuse de quatorze ans de Camille Laurens ***** 

L'invention des corps de Pierre Ducrozet ***** 

Légende d'un dormeur éveillé de Gaëlle Nohant ***** Coup de coeur

Luwak de Pierre Derbré ***** Coup de coeur

Les Peaux rouges de Emmanuel BRAULT ****

Le grand amour de la pieuvre de Marie BERNE ***

Mina Loy, éperdument de Mathieu TERENCE ****

Minuit, Montmartre de Julien DELMAIRE *****

Le jour d'avant de Sorj CHALANDON *****

Un funambule sur le sable de Gilles MARCHAND ***** Coup de coeur

Un dimanche de révolution de Wendy GUERRA ****

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2018-02-13T07:00:00+01:00

L'Attrape-souci de Catherine FAYE

Publié par Tlivres
L'Attrape-souci de Catherine FAYE

Mazarine éditions
 


- Dans la famille des romans de la rentrée littéraire 2018, je demande un "feel good book".
- Je n'en ai pas. Pioche.
- Bonne pioche. C'est "L'Attrape-souci" de Catherine FAYE, un premier roman.


Ce roman, j'ai pu le lire en version numérique grâce à Netgalley que je remercie très sincèrement, de même que la maison d'édition. Pour tout vous dire, c'est une première avec Mazarine éditions, personne n'est parfait !


Si vous rêvez d'un roman plein de bons sentiments, de tendresse et de bienveillance, celui-là est pour vous.


Je vous explique :


Lucien est un jeune garçon de 11 ans. Avec sa mère, Violette, il quitte Paris et s'envole pour Buenos Aires. L'Argentine est le pays natal de Violette. Nous sommes en 2001. Ils sont dans une librairie. Lucien tombe en admiration devant de petites boîtes jaunes  avec dedans, une minuscule poupée. C'est un attrape-souci. Il suffit d'en mettre une sous son oreiller le soir, de lui confier son souci et le lendemain, il a disparu. Captivé par la magie de ces boîtes, Lucien relève les yeux, et là, c'est sa mère qui a disparu. Commence alors, pour l'enfant, une toute nouvelle vie...


Par la voix du jeune garçon, le narrateur, Catherine FAYE nous prend par la main, nous emmène comme dans un songe visiter un nouvelle ville, rencontrer des personnes du pays, apprivoiser la langue maternelle... Ce roman relate le parcours initiatique du jeune Lucien, renommé Lucio par ses nouveaux amis, des adultes qui vont le prendre pour ce qu'il est, le reconnaître en tant qu'individu, lui faire confiance... 


Elle m'a regardé comme si j'étais anormal, avec curiosité et aussi de la peur. J'ai baissé les yeux, puis j'ai pensé : Non, regarde-la. Regarde-la et souris-lui. C'est ce que j'ai fait. Alors, elle m'a souri elle aussi. P. 33

J'ai été particulièrement séduite par la relation privilégiée qui va s'établir avec un homme, un jardinier, rencontré tout-à-fait par hasard. Il ne va rien lui demander de son passé, il va l'accueillir chez lui en contrepartie d'heures de travail. Lucio va apprendre à cultiver les fleurs, à les aimer, à les harmoniser...


Je me suis arrêté à sa hauteur. Autour de lui, des plantes. Partout. Un immense champ de pots de fleurs. En relevant la tête, il a eu l'air surpris. J'ai ramassé son sécateur, je le lui ai tendu. Il m'a interrogé du regard. Avec lui, j'apprenais tout le temps des choses nouvelles, surtout sur la nature et la météo. P. 95/96

Avec cet homme qui n'a presque rien mais qui lui offre tout, avec une riche cliente qui habite tout-à-côté dans une villa sécurisée à l'envi, Lucio va mesurer l'ampleur du fossé social qui les sépare mais aussi cette possibilité qu'ont les humains à le surmonter, tout n'est affaire que volonté et centre d'intérêt.


Bien sûr, Lucio va poursuivre sa quête, celle de retrouver sa mère. Tenace, déterminé, il ira jusqu'au bout. Devant le portrait brossé par la réalité, l'enfant tirera les conclusions qui s'imposent et fera un bien d'un mal.


Alors, j'ai compris. Que je ne saurais jamais. Que c'était comme ça. Et que ça irait. En la perdant, je m'étais trouvé. Plus besoin de petite boîte pour soulager ma peine. J'avais découvert quelque chose de bien plus fort au fond de moi. P. 191

Perspicace, il a une espèce de clairvoyance qui le rend singulièrement attachant :
 


Finalement, pour un mot, c'était la même chose. Si on le prononçait trop vite et n'importe comment, impossible de l'effacer après. Les mots restent. De vrais poisons. P. 122

L'histoire est belle, l'écriture sensible et douce, ce premier roman m'a beaucoup fait penser à ceux écrits par Barbara CONSTANTINE, ça sent bon le printemps, la fraîcheur, l'innocence. 


Il y a un brin de François BUGEON aussi. Vous vous souvenez de Chevalier dans "Le monde entier" bien sûr. Tiens tiens, mais c'était déjà un premier roman, lui. Et il avait été sélectionné par nos fées des 68 Premières fois. Pas étonnant que "L'Attrape-souci" de Catherine FAYE soit dans la sélection 2018. Avec cette lecture, on se prend à rêver en une humanité meilleure, et nos fées, elles aiment ça !

Ce roman concourt au Challenge de la Rentrée Littéraire organisé par le blog "Aux bouquins garnis" :

comme :

- Les guerres de mon père de Colombe SCHNECK

- Une vie minuscule de Philippe KRHAJAC

- Une longue impatience de Gaëlle JOSSE Coup de coeur

- Tristan de Clarence BOULAY

- Un funambule d'Alexandre SEURAT

- Juste une orangeade de Caroline PASCAL

- Les déraisons d'Odile d'OULTREMONT

- Pays provisoire de Fanny TONNELIER

- Une verrière sous le ciel de Lenka HORNAKOVA CIVADE

- Le cas singulier de Benjamin T. de Catherine ROLLAND

Il fait désormais partie de la sélection des 68 Premières fois pour la rentrée littéraire janvier/février

tout comme :

Les déraisons d'Odile d'OULTREMONT

Pays provisoire de Fanny TONNELIER

Eparse de Lisa BALAVOINE

Les rêveurs d'Isabelle CARRE

L'homme de Grand Soleil de Jacques GAUBIL

 

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2018-01-13T09:54:21+01:00

Pays provisoire de Fanny TONNELIER

Publié par Tlivres
Pays provisoire de Fanny TONNELIER

Alma éditeur
 

"Pays provisoire" est le 1er roman de Fanny TONNELIER. C'est mon 2ème coup de coeur de l'année !

 

Cette lecture est réalisée en duo avec Leiloona qui anime le blog Brikabook. Je la remercie infiniment pour sa proposition. Pour votre week-end, ce n'est donc pas une chronique que nous vous offrons, mais 2 !

 

Nous partons pour Saint-Pétersbourg. Amélie Servoz, française d'origine, est modiste. Elle s'est installée dans cette ville comme beaucoup de femmes au tout début du XXème siècle, portées par l'élan de l'aventure et le faste de la Russie. Mais voilà, nous sommes en juillet 1917.  La boutique d'Amélie a été pillée, comme celle de tous les autres artisans installés dans sa rue. L'homme qu'elle aimait a été tué au début des événements. C'est le moment pour elle de quitter un Empire en pleine déliquescence. Mais, là commence une toute nouvelle aventure. 


Je me suis laissée complètement surprendre par ce roman qui fait la part belle à la mode. J'ai découvert notamment toute la chaîne de production des chapeaux et l'ensemble des métiers qui y sont attachés. Et puis, les chapeaux, on ne le sait peut-être pas, mais ils sont divers et variés, depuis le canotier jusqu'au bibi, en passant par la capeline, le feutre, le béret, la cloche... Fanny TONNELIER prend beaucoup  de plaisir à nous faire découvrir l'artisanat d'art, le soin et l'attention apportés aux matières : les plumes, les fleurs, les strass, le papier, le tulle, la mousseline, la gaze, la soie, les taffetas... Les tissus n'ont pas de secret pour ces mains délicates habituées à travailler avec minutie. L'harmonisation des couleurs, le choix des matériaux, l'envergure de l'oeuvre, depuis la plus discrète jusqu'à la plus extravagante, sont autant d'éléments qui pourraient paraître des détails mais qui n'en sont pas dans la recherche de la perfection.


Et puis, dans ce roman, il y a une page de la grande Histoire de l'Empire russe. Par la voie des souvenirs d'Amélie, l'écrivaine nous dresse le portrait d'une capitale éblouissante avec ses canaux, son fleuve, ses palais, l'île Vassilievski, le Lac Ladoga, la perspective de Nevski. Les descriptions sont enchanteresses, elles rendent compte du luxe ambiant, ce contre quoi les Bolcheviks se sont révoltés. Elles relatent la vie du début du XXème siècle avec ses fiacres, ses rues pavées, ses boutiques à l'ancienne... mais toute cette vie est mise à mal par la révolution qui sévit. Le gouvernement est provisoire, c'est notamment la source du titre de ce roman. Tout devient éphémère et précaire.


Mais ce roman ne serait rien sans l'exil d'Amélie, ce départ réalisé dans l'urgence devant la crainte de se faire tuer. Après avoir tout perdu, Amélie décide donc de rentrer en France. Elle va réussir à quitter le territoire et à suivre un périple ô combien audacieux et dangereux pour l'époque. Elle va ainsi prendre le train puis le bateau, se retrouver en Finlande, en Suède, en Angleterre avant de pouvoir poser le pied sur sa terre d'origine. Avec cette épopée romanesque, le livre devient un véritable roman d'aventure avec la découverte de nouveaux horizons, la rencontre de personnes différentes...

 

C'est ainsi qu'Amélie va prendre connaissance d'un passé douloureux avec la bataille navale de Jutland qui a opposé en mai-juin 1916 les Allemands aux Anglais. 8 000 corps ont échoué sur les côtes suédoises. La Suède a dû organiser des sépultures pour tous ces soldats morts au combat.  Un instant, je me suis souvenue de cette lecture qui m'avait profondément marquée il y a quelques années, celle du roman de Maria ERNESTAM "Toujours avec toi", un bijou, j'en frissonne encore !


Tout relève de l'inconnu et devient un événement. L'itinéraire, long et semé d'embûches, est ponctué par ce type de parenthèses qui viennent donner du rythme aux tribulations de la jeune femme. 


Avec le personnage d'Amélie, Fanny TONNELIER nous brosse le portrait d'une femme libre du début du XXème siècle. Amélie a beau être loin de chez elle, de sa famille, elle a des convictions et tient à les affirmer.
 


Voilà bien un militaire, se dit Amélie, on décide, on commande et il faut acquiescer, dire "oui mon lieutenant". Eh bien non, ce n'est pas comme ça la vie ! P. 152

L'écrivaine a tenu à rendre hommage à toutes ces femmes  qui, en 1917, ont fait la demande d'un passeport auprès de l'Ambassade de France pour quitter la Russie. Des femmes dont on ne doute pas du courage, de l'audace, de la témérité. Mission accomplie tout en beauté, la plume est belle, délicate, raffinée. 

 

Leiloona dit :  "Le récit étonne et charme aussi par sa précision. Que ce soit le métier de chapelière, les conditions de vie durant cette époque troublée, mais aussi les mœurs entre hommes et femmes, tout y est. Quel plaisir de plonger dans cette description de travail de plumassière, son envie de créer une harmonie entre la tenue et le chapeau ! Une belle époque faite de charme et de classe."


"Pays provisoire" est un coup de coeur, de ces romans qui vous marquent par leur grâce. Il y a une page de la grande Histoire, la  splendeur de l'art et de son pouvoir, des personnages hauts en couleur, du rythme, le tout porté par une très belle plume. Je confirme, c'est un coup de coeur et je vous le conseille assurément ! 
 

Ce roman concourt au Challenge de la Rentrée Littéraire organisé par le blog "Aux bouquins garnis" :

comme :

- Les guerres de mon père de Colombe SCHNECK

- Une vie minuscule de Philippe KRHAJAC

- Une longue impatience de Gaëlle JOSSE Coup de coeur

- Tristan de Clarence BOULAY

- Un funambule d'Alexandre SEURAT

- Juste une orangeade de Caroline PASCAL

- Les déraisons d'Odile d'OULTREMONT

Il fait désormais partie de la sélection des 68 Premières fois pour la rentrée littéraire janvier/février.

tout comme :

L'Attrape-souci de Catherine FAYE

Les déraisons d'Odile d'OULTREMONT

Pays provisoire de Fanny TONNELIER

L'homme de Grand Soleil de Jacques GAUBIL

Les rêveurs d'Isabelle CARRE

Eparse de Lisa BALAVOINE

 

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2019-01-22T07:00:00+01:00

Les heures solaires de Caroline CAUGANT

Publié par Tlivres
Les heures solaires de Caroline CAUGANT

Stock - Arpège

Dans la toute nouvelle collection Arpège aux éditions Stock, Caroline LAURENT a offert une place de choix aux premiers romans qui le lui rendent bien. Il suffit d'ouvrir "Les heures solaires" de Caroline CAUGANT pour s'en convaincre. 

Dès les premières lignes, j'ai senti la pression m'envahir, l'étau se fermer sur moi, avec cet appel téléphonique venu perturber le quotidien de Billie. La trentaine, elle habite Paris. De son appartement, elle surplombe le cimetière du Père-Lachaise. Elle est artiste, elle dessine. Elle prépare une exposition et travaille avec acharnement, le calendrier est serré. Dans son univers, la portée des vues, l'intensité de la lumière, la présence des ombres sont autant d'éléments qui la font vibrer. Mais là, subitement, son tremblement  trouve sa cause ailleurs que dans sa passion. La Directrice de la résidence des Oliviers vient de lui apprendre la mort de sa mère, Louise, cette femme qu'elle n'a pas vue depuis des années. Avec ce décès, le passé, qu'elle s'était efforcée d'oublier, resurgit. Billie ne peut plus reculer, elle va retrouver V., le village de son enfance. Elle sait déjà que son château de cartes risque de s'écrouler, plus rien ne sera comme avant.

Ce première roman est un immense coup de coeur, je sors de cette lecture totalement habitée par le personnage de Billie. 

Je vous dis en quelques mots.

J'ai été captivée par ce roman et son côté foisonnant. Il déroule lentement le fil de la vie de trois femmes. Il y a Billie bien sûr. Elle fut longtemps appelée Bill par sa mère. Elle avait horreur de ce prénom, à moins que ça ne soit tout ce que sa mère représentait qui l'assaillait. Bill, c'était pour sa vie d'avant, celle menée jusqu'à ses 17 ans, jusqu'au jour où elle a quitté V. avec, pour seul bagage, un vulgaire sac à dos. Et puis, il y a Louise, la mère de Billie. Elle est morte noyée la veille de son anniversaire. Leur relation était faite de silences. Et avant elles, il y avait Adèle, la mère de Louise, la grand-mère de Billie. Dans les brumes de la seconde guerre mondiale, il y a l'amour, des enfants, la vie. A l'image de poupées russes, les destins de ces trois femmes s'entremêlent les uns les autres. Il y a la filiation qui les unit, il y une terrible malédiction aussi.


N’y a-t-il donc aucun refuge où enterrer les actes passés ? P. 125

J'ai été intimement touchée par l'effet des secrets de famille sur les différentes générations. A l'image de la première de couverture, ils agissent comme les ronds dans l'eau. Au plus près du lieu d'impact, il y a ce léger frémissement à la surface. Et puis, au fur et à mesure que la distance s'accroît, la vaguelette prend de la force et devient aussi violente qu'une déferlante, emportant tout sur son passage, le corps et l'âme. Billie, hantée par ses fantômes, se retrouve confrontée à la réalité de ses origines. 


Comme l’eau de la rivière, les secrets enfouis se faufilent, même dans les creux les plus infimes. P. 235

Caroline CAUGANT est passionnée par la mémoire transgénérationnelle, par ce qui se transmet des parents aux enfants jusque dans leur inconscient. Elle en fait le sujet de son roman et l'explore avec talent.

Et puis, il y a cette relation d'amitié entre Bill et Lila. J'ai été profondément émue par les plaisirs d'enfant, l'espièglerie des deux petites filles, les jeux innocents, les journées passées sous le soleil de V. à s'amuser, à se baigner. L'écrivaine brosse minutieusement le portrait d'un paysage du sud de la France, d'un arrière-pays, qui lui aussi laisse une trace, infiniment charnelle, dans la mémoire de Billie, un peu comme si le territoire qui nous a vu naître nous marquait à jamais du sceau de son empreinte.


Le passé et le présent se mêlant dans un étrange ballet. P. 24

Mais le tableau n'aurait pas été complet sans l'invitation de la grande Histoire dans l'itinéraire de ces femmes, meurtries à jamais.

Et puis, j'ai été littéralement transportée par l'expression artistique, ce que les oeuvres disent des états d'âme de l'artiste au moment de leur création. L'approche technique de la discipline comme celle de la psychologie de la dessinatrice relèvent de l'expertise. La quête de liberté de Billie, son irrépressible besoin de connaître ses racines pour mieux s'en émanciper, sont autant d'éléments sur lesquels Caroline CAUGANT construit une puissante alchimie. 

Enfin, et c'est là toute la beauté de ce roman, il y a l'écriture, une plume prodigieuse, parfaitement maîtrisée dans une construction ô combien structurée. La narration fait alterner les personnages et les temporalités, sème le doute, entretient le mystère jusqu'à la chute, juste éblouissante. 

"Les heures solaires", c'est un roman initiatique qui dévoile l'immense talent de Caroline CAUGANT.

Quelle plus jolie pierre Caroline LAURENT aurait pu trouver pour la construction de sa fabuleuse collection ? Avec ce brillant premier roman, elle va prendre de la hauteur, se laisser pousser des ailes et rêver, un jour, de délicatement gratter le ciel ! 

Je participe au 

orchestrée de jolie manière par notre amie Joëlle, retrouvez mes lectures

La mer monte de Aude LE CORFF

Les miroirs de Suzanne de Sophie LEMP

Edmonde de Dominique DE SAINT PERN

D'origine italienne de Anne PLANTAGENET

Anatomie d'un scandale de Sarah VAUGHAN

Vigile de Haym ZAYTOUN

Nous aurons été vivants de Laurence TARDIEU

Médée chérie de Yasmine CHAMI

Personne n'a peur des gens qui sourient de Véronique OVALDE

Le rituel des dunes de Jean Marie BLAS DE ROBLES

Celle qui marche la nuit de Delphine BERTHOLON

La nuit se lève d'Elisabeth QUIN

Ce qui nous revient de Corinne ROYER

Les heures solaires de Caroline CAUGANT Coup de coeur

Etat de nature de Jean-Baptiste de FROMENT

Piano ostinato de Ségolène DARGNIES

et plein d'autres encore !

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2018-04-10T06:00:00+02:00

Le théâtre de Slávek de Anne DELAFLOTTE MEHDEVI

Publié par Tlivres
Le théâtre de Slávek de Anne DELAFLOTTE MEHDEVI

Gaïa éditions
 

Après « La chambre des merveilles » de Julien SANDREL publié chez Calmann-Levy, voici la deuxième lecture s’inscrivant dans le Prix du Livre France bleu_Page des libraires pour son édition 2018.

Je crois que je ne vais pas pouvoir vous le cacher bien longtemps, il s’agit d’un coup de coeur, de ceux qui vous transportent dès les premières pages.


Je vous explique :

Nous sommes à la fin du 18ème siècle, un vieil homme savoure les derniers moments de sa vie, fenêtre grande ouverte malgré un état de santé fragile. Il n’y a rien qu’il aime tant que s’imprégner de l’ambiance de la rue, de jour comme de nuit. Avant que la mort ne l'emporte, il prend sa plume et rédige ses confessions. Il relate sa vie et celle de sa ville, Prague, qu’il chérit depuis son plus jeune âge. Slávek, c’est son nom. Né en 1707 d’un mariage d’amour, il a connu une enfance heureuse. Il y a bien eu la grande épidémie de peste en 1713, mais la famille, cloîtrée, y a résisté. Les roues du carrosse du Comte Sporck auront toutefois raison de ses jambes. Alors qu'il jouait avec d'autres enfants pour fêter la Saint-Pancrace, il n'a pu éviter l'accident avec le véhicule lancé à vive allure sur la grande place. Sa vie aurait pu s'arrêter là mais c'était sans compter sur les soins du médecin attitré du comte. Remis sur pied, et devant la difficulté tout de même à se déplacer, Slávek bénéficiera d'une éducation privée, à domicile, dispensée par un piariste. A la mort de ses parents, le comte prendra définitivement Slávek sous son aile et lui offrira une destinée hors du commun. La vie, pour lui, ne fait alors que commencer !

Ce roman historique nous offre le loisir d'un voyage dans le passé, la bagatelle de 300 ans, pour nous immerger dans la ville de Prague. A l'époque, les métiers artisanaux sont à l'oeuvre, l'effervescence artistique du Siècle des Lumières porte l'ambition des hommes. Les uns sculptent la pierre, les autres bâtissent. Anne DELAFOSSE MEHDEVI nous offre un livre truffé de descriptions d'une grande précision. Les scènes de la vie, je les vois, je les sens, je les entends. Avec une narration à la première personne du singulier, tous les sens sont éveillés. L'auteure brosse un tableau si méticuleux qu'il se développe tout naturellement sous nos yeux. De là à composer un scénario cinématographique, il n'y a qu'un pas !

J'ai tout simplement adoré de me laisser porter par le mouvement de l'époque, celui de la création, de l'inspiration, il n'y a pas de rêve assez fou. Le comte Sporcks qui a reçu une éducation à l'étranger est un passionné de philosophie, de littérature. Il porte le projet extravagant de faire édifier un château sur le modèle de celui de Versailles orchestré par le Roi Soleil. Après la ville, l'écrivaine nous emmène à la campagne sur les rives de l'Elbe.  A Kuks, le comte fait construire des thermes, un hôpital, une église, un théâtre aussi. C'est là que Slávek fait ses premiers pas dans le 6ème art.


Des chanteurs et danseurs s'habillaient au vu de tous et sans gêne. Grande, très excitante affaire, et je dirais émouvante même, de voir ces nus trop maigres ou trop gras, fragiles en tout cas, passer des cuirasses fantastiques ou des toges dans lesquelles dès lors qu'ils en étaient parés, ils devenaient sublimes. P. 235

L'auteure rend hommage tout particulièrement au Vénitien, Denzio, l'impressario d'une cinquantaine d'opéras. Avec lui, c'est tout l'art italien qui rayonne dans la cité pragoise.
Malheureusement, l'homme est capable du meilleur comme du pire. Parallèlement à un monde qui s'enorgueillit de la magnificence et de la splendeur, le peuple se déchire.

Le roman historique devient alors un roman d'aventure. La vie de Slávek est marquée par une multitude d'événements donnant au récit un rythme haletant. Anne DELAFLOTTE MEHDEVI  sait parfaitement lier la petite histoire à la grande et nous relater l'ignominie qui animait alors l'humanité. Les soldats français sous les ordres de Maurice de Saxe conquièrent la ville en escaladant les fortifications. Les Autrichiens s'y affairèrent aussi avant que les Prussiens ne s'y aventurent, faisant chaque fois de nombreuses victimes et plongeant la population dans la misère. La stigmatisation des tziganes et la persécution des juifs ne manquaient pas d'animer des guerres intestines entre ceux qui jadis cohabitaient dans la même ville.   
 


Il y a des maux et des souffrances auxquels les hommes sont pour quelque chose, quand ils oppressent, torturent, humilient. P.360

Le tout est servi dans une plume d'une rare beauté. Le français y est riche et soutenu, la langue y porte ses plus beaux atours, l'épopée romanesque revêt le costume du chef d'oeuvre !

Je suis tombée littéralement sous le charme de la prodigieuse écriture de Anne DELAFLOTTE MEHDEVI. Il s'agit de son cinquième roman. Je me demande comment j'ai bien pu faire pour passer jusque là à côté. Mais heureusement, le choix des libraires est soigneusement éclairé.

Cette lecture concourt donc au Prix du Livre France bleu_Page des Libraires

aux côtés de :

- "La chambre des merveilles" de Julien SANDREL

- "Fugitive parce que reine" de Violaine HUISMAN

- "Un océan, deux mers et trois continents" de Wilfried N'SONDE

- "Kisanga" de Emmanuel GRAND.
 

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2018-03-19T18:27:00+01:00

Pour le 40ème anniversaire de Actes Sud, conversons !

Publié par Tlivres
Pour le 40ème anniversaire de Actes Sud, conversons !

Mes escapades parisiennes sont toujours éclectiques. Celle du week-dernier, tout particulièrement !


Bien sûr, il y avait le Salon du Livre, je vous en ai fait quelques retours. 


Et puis, dimanche, j’ai eu envie de prendre un peu de distance avec la Porte de Versailles, malgré le programme alléchant proposé il faut bien le dire, mais l’infidélité n’a été que de courte durée. 

 


En réalité, j’ai été attirée par la conversation proposée par Cyril DION avec Isabelle DELANNOY dans le cadre des 40 ans des éditions Actes Sud au Bon Marché Rive gauche.

Excellente idée, je vous fais un petit retour !  

Pour le 40ème anniversaire de Actes Sud, conversons !

Cyril DION est avec Pierre RAHBI le cofondateur du mouvement Colibris, c'est également le coréalisateur avec Mélanie LAURENT du film "Demain", récompensé par le César du meilleur documentaire. Son premier roman "Imago" faisait partie de la sélection des 68 Premières fois l'année dernière. Chez Actes Sud, il codirige la collection "Domaine du possible". Avec tous ces "co", il n'y a qu'un pas à parler de coopération, un pas que nous n'allons pas manquer de franchir !


C'est lui qui prend la parole pour introduire le sujet de la conversation, et là, âmes sensibles, prenez garde, l'homme n'y va pas par quatre chemins. L’espère humaine est menacée. Il suffit de voir à quelle vitesse évolue le climat pour s’en convaincre. A partir de ce postulat, deux alternatives. Soit nous attendons notre fin bien patiemment, soit nous agissons pour la retarder autant que de possible et agissons au quotidien pour préserver le peu qu’il nous reste de qualité de vie.


Cyril DION, vous l'aurez compris, a choisi d’agir. Oui, mais pas n’importe comment. Il nous propose de changer de récit. Mais quel est-il, le récit ? Et bien, depuis la révolution industrielle, une sorte de cercle vicieux s’est installé nous laissant croire que les progrès technologiques nous apporteraient plus de confort et qu’en consommant tous les objets créés nous serions heureux. Ce qui n’était pas écrit dans le récit, ou pas dit, ou oublié, ou nié, c’était que les ressources naturelles n’étaient pas inépuisables.


Il nous explique l’architecture du système reposant sur 3 piliers :


- La loi qui édicte les règles de vie en société et conditionne nos comportements
- L’argent avec cette nécessité qui nous est éditée d’en gagner pour vivre
- L’algorithme et le web qui savent aujourd'hui tout ce que nous aimons et sont en mesure de nous présélectionner tous les objets que nous serions susceptibles d'aimer, et donc de consommer, vous connaissez maintenant la chanson.


Pour lutter contre le récit qui nous est proposé, il convient d’en inventer d’autres. Isabelle DELANNOY nous en propose un basé sur l’économie symbiotique.


Isabelle DELANNOY est, elle, Directrice de l'Agence Do Grren-économie symbiotique. Elle a d'ailleurs publié un ouvrage en 2017 sur le sujet, nous proposant une synthèse de tout ce qui existe dans le domaine à l'échelle de la planète. Elle est aussi l’auteure avec Yann ARTHUS-BERTRAND du film « Home ». 


Elle se dit activiste et préfère faire carrière au service de ses convictions plutôt que de militer. Le récit qu'elle nous propose, donc, repose sur un être humain co-créateur. Elle suggère de changer de modèle grâce à la coopération, nous y voilà donc !


Isabelle DELANNOY part du principe que la nature sait faire des choses par elle-même et que, si elle est soutenue dans son action par l’intelligence humaine, avec des outils adaptés, les effets de son action peuvent être décuplés à l’envi. Ainsi, par exemple, si l’usage de la voiture est mutualisé avec le covoiturage, il y aura moins de voitures sur l’espace public, nous gagnerons ainsi des surfaces qui pourront être végétalisées, et, par voie de conséquence, favoriser la biodiversité, et ainsi de suite.


Dans ce cas d’école, l’homme devient utile à la planète, c’est un homme positif qui s’inscrit dans une économie de la beauté, séduisant comme récit, non ?


Cyril DION est convaincu de la nécessité de raconter d’autres récits pour faire évoluer les cultures, les comportements... Il nous parle de son usage du vélo. S’il pédale chaque jour pour réaliser les 14 kilomètres entre la Gare Montparnasse et son lieu de travail, certes, il a réalisé un éco-geste mais qui restera individuel avec un impact limité sur ses congénères. Si, par contre, il fédère les amis, les voisins, la famille... autour de son récit, nous pouvons espérer qu’il incite d’autres personnes à recourir aussi au vélo pour se déplacer et ainsi multiplier le nombre de cyclistes avec, là, des effets beaucoup plus intéressants parce que pluriels.


J’ai beaucoup aimé cette conversation, d’abord pour la forme. Avouez qu’il est assez insolite d’organiser une rencontre sur la protection de la planète dans l’antre du luxe, de la mode, des grandes marques... mais avec du recul je trouve qu’il s’agit d’une excellente idée et même si nous n’étions malheureusement pas très nombreux, nous étions un noyau de personnes acquises à la cause du développement durable et susceptibles de proposer un autre récit aux personnes se promenant dans les rayons de la librairie entre la maroquinerie et l’espace restauration ! C'était une très belle opportunité, rien que d'y avoir pensé, bravo !

Pour le 40ème anniversaire de Actes Sud, conversons !

Et puis, j’ai énormément apprécié cette conversation pour le fond aussi. Cyril DION et Isabelle DELANNOY portent des valeurs que je défends modestement depuis une vingtaine d’années. Devant l'étendue du sujet et les effets négatifs de l'action de l'homme mesurables chaque jour sur nos éco-systèmes, nous pourrions être tentés de baisser les bras. Et bien non ! Avec ce type de conversation, nous nous disons qu'il faut garder espoir et subitement, nous nous sentons un peu moins seul(e)s. Je suis sortie regonflée à bloc !


Enfin, j’ai adoré le propos de Cyril DION quand il nous a parlé de livres. C’est vrai qu’après 2 jours passés au Salon, je risquais de manquer de références ! Je ne crains absolument pas l’overdose (qui, sous la plume de Mathou devient d’ailleurs Lover-dose !, une forme que je préfère bien sûr !)...

 

et donc, c’est avec un immense plaisir que je me suis délectée à prendre note de quelques titres supplémentaires comme "L'espère régulatrice" de Nancy HUSTON (je suis une inconditionnelle de la plume de cette écrivaine et pourtant, j'étais passée à côté !), et "Homo Deus" de Yval NOAH HARARI.


Quand vous sortez du Bon Marché Rive gauche après ce type d'intervention, vous vous dites qu'effectivement, chacun a le pouvoir de création en racontant ses propres histoires, alors, pourquoi pas nous ? Et quand le langage permet de croiser nos subjectivités, je dis allons-y, parlons-nous, essaimons, en commençant par la rédaction de ce genre de chronique. C'est une première pierre à l'édifice, non ?


Je félicite les éditions Actes Sud d'avoir organisé avec Bon Marché Rive gauche cette conversation. D'ailleurs, une autre est programmée dimanche prochain, il sera question de Van GOGH. Elle sera animée cette fois par Adrien GOETZ, journaliste et historien de l'art. Alors, si vous êtes sur Paris, n'hésitez pas !


Pour que la boucle soit bouclée, je crois qu'il ne me reste plus qu'à souhaiter un très bel anniversaire à Actes Sud, longue vie à votre Maison d'édition !

Pour le 40ème anniversaire de Actes Sud, conversons !

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2018-05-23T18:21:17+02:00

Grand frère de Mahir GUVEN

Publié par Tlivres
Grand frère de Mahir GUVEN

Philippe Rey Editeur

Lauréat du Prix Goncourt du Premier Roman

Ce roman choral donne alternativement la parole aux deux garçons, Grand frère et Petit frère qui nous livrent chacun leur réalité, leurs sentiments, leur mal-être, leurs aspirations aussi.

Grand frère est un trentenaire, torturé, malheureux comme les pierres depuis le décès il y a 18 ans de sa mère, le deuil est douloureux, son absence le hante. Il a sombré dans la délinquance à l'adolescence, s'en est plutôt bien sorti en passant un contrat, moral, avec un policier. Bon gré mal gré, il réussit, non mène serait plus approprié, sa vie, entre son activité professionnelle, conducteur uberisé, et sa vie personnelle sclérosée par la consommation de drogue, Marie-Jeanne est sa plus fidèle compagne. 

Lui, c'est un irrépressible lien de loyauté qui lui permet de tenir, à l'égard de son père d'une part, lui qui a tout donné, tout sacrifié, pour la réussite de ses fils, et son frère d'autre part. Grand frère se sent responsable des faits de Petit frère. C'est un peu le garant d'un château de cartes qui s'écroule pourtant à mesure que le temps passe. Avec le cham de Petit frère, il sent son avenir lui échapper. De deux choses l'une, soit il meurt en martyr en Syrie, soit il revient et risque de faire sombrer toute la famille pour complicité.

Petit frère, infirmier, croit en un avenir professionnel. Il a un mentor, chirurgien, mais se fait une raison sur l'impossibilité en France d'évoluer sans mener des études. 


Dans ce pays, les gens comme moi ont pas leur place sous le soleil de belles études. On en veut pas. P. 18

Devant un ascenseur social en panne, il va chercher sa voie et la trouver dans l'humanitaire, un domaine qui est dénoncé par Douniar BOUZAR comme l'une des filières djihadistes de recrutement des âmes sensibles. Petit frère est jeune, insouciant, naïf, il se fait recruter par une O.N.G. et disparaît de la circulation. 3 ans durant, ni Grand frère, ni le père, n'auront de ses nouvelles jusqu'au jour où... mais là, je ne vous dirais rien ! 

Ce roman dresse un portrait satirique de notre société française en tirant le fil croustillant, si ce n'était terrifiant, des codes vestimentaires. Mahir GUVEN tricote le personnage de Grand frère qui se travestit chaque matin en se revêtant du traditionnel costume/chemise blanche/cravate pour inspirer confiance, un brin de professionnalisme et de sérieux auprès de sa clientèle. Il y a aussi le personnage de Petit frère qui, lui, endosse la tenue occidentale et se noie allègrement dans la masse. D'aucun aurait misé sur la djellaba et la barbe longue comme des signes identitaires de radicalisation. La société se voit trompée par ses références, nous aurions presque envie d'en rire si ce n'était si grave.

Impossible de passer à côté du sujet de l'immigration bien sûr. Ces deux frères sont issus de la vague des années 1970-1980. Leur père est arrivé de Syrie. Il s'est mariée avec une femme française qui prenait des cours d’arabe à l’institut des langues orientales où il intervenait en tant qu'enseignant. De cette union, naissent les deux frères sur le sol français. Il y a chez Petit frère l'appel du bled, la terre de ses origines familiales dont il ne sait rien. Il faut dire que le secret entre hommes a été bien gardé, privant les enfants de fait de la transmission entre les générations tant utile pour se construire.


Mon père a pas raconté sa moitié de l’histoire, du coup, il manque des épisodes et on imagine le reste. P. 72

Tout au long du roman, j'ai ressenti une furieuse urgence à vivre. Il y a quelque chose de terriblement précaire dans la vie de ces deux frères qui ne semble tenir qu'à un fil, un détonateur peut-être ! La menace est permanente, la pression intense. L'auteur sait entretenir le suspense jusqu'à la dernière page, là, il vous appartiendra d'imaginer la suite... 

Parlons de la plume de l'écrivain. Elle est ponctuée de jolis passages poétiques :


Le doute, c’est un robinet qui fuit. Goutte après goutte, le doute fait son nid dans le sol, creuse son chemin dans la terre. P. 212

Elle est empreinte aussi de la langue des banlieues, celle que l'auteur aime à appeler "le créole du béton". Pour celles et ceux qui la redoutent, un glossaire en fin de roman vous aidera à vous y retrouver mais très sincèrement, une fois l'habitude prise, les mots prennent leur place très naturellement dans le propos et vous finissez pas l'oublier, elle fait partie intégrante du roman. 

Mahir GUVEN est lauréat du Goncourt du Premier Roman 2018. Il succède à Maryam MADJIDI pour son "Marx et la poupée" qui faisait l'objet de la sélection des 68 Premières fois.

J'y vois là, personnellement, la reconnaissance d'un défi très difficile à relever, celui d'écrire une fiction à partir d'un sujet qui inonde les médias et donne lieu à des débats passionnés, celui de la radicalisation et des actes terroristes. Et puisque nous parlons de l'écriture, la narration à la première personne proposée à deux voix est un exercice littéraire audacieux, le pari est réussi.

Je peux bien l'avouer maintenant, je ne serai pas allée naturellement vers ce premier roman, mais c'était sans compter sur le concours organisé par Delphine et la maison d'édition que je remercie infiniment.

Je me suis laissée surprendre, n'est-ce pas ça, aussi, la vocation de la littérature ?

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2018-05-15T06:00:00+02:00

Avant que les ombres s’effacent de Louis-Philippe DALEMBERT

Publié par Tlivres
Avant que les ombres s’effacent de Louis-Philippe DALEMBERT

Sabine Wespieser éditeur


Il est des livres que leur lecture sait attendre patiemment pour devenir, un jour, incontournable. "Avant que les ombres s'effacent" fait partie de ces romans, son heure est venue, et quel plaisir !

Quelques mots de l'histoire :

Ruben fuit la Pologne avec sa famille pour s'installer à Berlin. C'est la période des années folles mais très vite, se profile un changement de décor. En 1933, Ruben est sur les bancs de l'Université, il suit des études de médecine. C'est à cette période que les Lois de Nuremberg sont votées. Juif, il est déporté avec son oncle à Buchenwald. Alors que sa vie ne tient plus qu'à un fil, le Führer décide d'une amnistie pour ses cinquante ans, Ruben fait partie de celles et ceux qui sont libérés. Mais rien n'est gagné pour autant. En quête d'un nouvel exil, il embarque sur le Saint-Louis, ce navire parti de Hambourg avec plus de 1000 demandeurs d'asile, juifs comme lui, à destination de Cuba. Lui et ses compatriotes arrivent trop tard, les lois de l'immigration viennent de changer, ils ne peuvent accoster. Retour au point de départ, ou presque ! Arrivé en France, à Paris, il est interné au camp de regroupement d'Argenteuil. Grâce à des amis acharnés, il est arraché aux griffes de l'occupant. Monté à bord du Meknès, il prend la destination de Haïti, le territoire insulaire dont le tout nouveau Président, Antoine Louis Léocardie Elie Lescot, déclare en décembre 1941 la guerre au IIIème Reich et au Royaume d’Italie. Une toute nouvelle vie commence alors...

Ce roman, comme ils sont nombreux aujourd'hui, aborde une sinistre page de notre l'Histoire, celle de la seconde guerre mondiale. Et pourtant, Louis-Philippe DALEMBERT réussit à en faire quelque chose de singulier.

Le rythme est soutenu, le récit haletant et le suspense prégnant. Il faut dire que l'auteur imagine un personnage de fiction pour incarner la communauté juive, persécutée, menacée d'extermination et condamnée à l'exil. On ne compte pas les instants où la vie du jeune Ruben a été mise en danger.

Mais ce roman, plus que tout, rend un vibrant hommage à un peuple qui a su tendre ostensiblement la main aux juifs. En 1939, celui qui en formulait la demande pouvait obtenir des autorités haïtiennes un passeport ou un sauf-conduit. Vous le saviez, vous ?

Moi, il est des temps où j'ai l'impression, soit d'avoir été absente aux cours d'histoire, soit de souffrir d'amnésie. Heureusement, la littérature permet de revisiter notre passé et de nous en proposer un tout nouvel éclairage. 

"Avant que les ombres s'effacent" assure le devoir de mémoire de l'accueil porté par cette terre d'asile à une communauté traquée. 

Je me souvenais bien que les Cubains avaient refusé au paquebot "Le Saint-Louis" d'accoster, Leonardo PADURA a d'ailleurs consacré une partie de son roman "Hérétiques", un coup de coeur, à cette tragédie et au retour, en terres allemandes, de ces hommes et ces femmes condamnés à mourir. 

Je n'avais toutefois pas connaissance de la bravoure des Haïtiens et de leur fraternité. Louis-Philippe DALEMBERT met ainsi la focale sur les qualités humaines nécessaires à un tel investissement : 


S’approcher de la vérité d’un seul être humain, a fortiori d’un peuple, requiert de l’empathie et de la patience mêlées. P. 214

Les Haïtiens, il les connaît bien. L'écrivain est né à Port au Prince. Qui mieux que lui aurait pu, en relatant ces faits pour éviter qu'ils ne tombent dans l'oubli, promouvoir la solidarité, la fraternité des siens ?

Par le jeu de la conversation imaginée entre le Docteur Schwarzerg et sa petite cousine, Deborah, arrivée d'Israël en mission avec des médecins du monde au moment du terrible séisme de 2010, l'auteur nous parle de transmission, de la nécessité de communiquer entre les générations pour offrir un ancrage aux souvenirs. 

Ce roman ne serait pas ce qu'il est sans la plume de Louis-Philippe DALEMBERT, je ne la connaissais pas encore et pourtant, c'est une révélation! D'une profonde sensibilité, empreinte de tendresse, de pudeur et de respect, elle explore les subtilités de la langue et du rapport à l'autre. L'auteur évoque ainsi l'intégration des juifs en terre haïtienne, l'apprentissage des rites et traditions, la mise à distance des événements par les mots, étrangers, posés sur l'indicible pour panser ses plaies. 


Peut-être parce qu’il n’utilisait pas sa langue maternelle, comme ça peut arriver de se sentir plus à son aise dans une langue autre que la sienne : les mots nouveaux, moins proches de notre corps, charrient plus de légèreté et s’envolent ainsi sans contrainte aucune, libres des blessures de l’enfance. P. 194

Pour celles et ceux qui ont connu l'exil, le déracinement, ce propos résonne foncièrement. Ni Lenka HORNAKOVA-CIVADE, ni Maryam MADJIDI, pour ne citer qu'elles, n'auraient réussi à écrire respectivement "Giboulées de soleil" et "Marx et la poupée" dans leur langue maternelle. 

Ce roman est empreint d'une très grande humanité. Il est lauréat du Prix du Livre France bleu_Page des Libraires 2017.

Le 4 juin prochain, je vais avoir l'immense chance de rencontrer Louis-Philippe DALEMBERT, il assurera le passage de relais à celle ou celui qui lui succédera. Ce moment promet d'être émouvant !

Vous ne connaissez pas les cinq romans en lice cette année ? Il suffit de demander !


"La chambre des merveilles" de Julien SANDREL
"Fugitive parce que reine" de Violaine HUISMAN
"Un océan deux mers trois continents" de Wilfried N'SONDE
"Kisanga" de Emmanuel GRAND,
"Le théâtre de Slavek" de Anne DELAFLOTTE MEHDEVI.

 

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2018-07-03T12:25:31+02:00

Le livre que je ne voulais pas écrire de Erwan LARHER

Publié par Tlivres
Le livre que je ne voulais pas écrire de Erwan LARHER

Quidam éditeur
 

Ce roman, je peux bien l'avouer, je ne voulais pas le lire. La toile de fond des attentats du 13 novembre 2015 au Bataclan m'angoissait terriblement. 

Je me souviens encore parfaitement de cette soirée passée à regarder, à la télévision, des images en boucle des événements, que dis-je, des images d'un périmètre de sécurité posé autour d'un équipement et du ballet des véhicules de secours élancés dans une danse macabre, une soirée passée aussi à imaginer l'indicible. On a tous des souvenirs de concerts, de ces moments où la foule en liesse est portée par une transe communicative dans une promiscuité qui pourrait paraître indécente mais qui, justement, là, témoigne d'une même passion, d'une identité culturelle... Projeter sur ces instants de jouissance le filtre d'une scène d'attentat relève juste de l'imaginable et pourtant.

Je me souviens aussi particulièrement de la journée du lendemain passée à pleurer toutes les larmes de mon corps. Personne de ma famille, de mes amis, de mes proches n'y était, je n'étais pas le moins du monde affectée individuellement et pourtant, je vivais profondément les émotions d'un drame collectif. Pour fuir les médias qui, inlassablement, écrivaient notre histoire contemporaine, moi, j'essayais de me concentrer sur ma lecture en cours, le roman de Delphine BERTHOLON : "L'effet larsen", qui ne faisait que donner une résonance encore décuplée à notre triste réalité. Je tiens d'ailleurs à présenter toutes mes excuses auprès de l'équipe de ma plus fidèle Médiathèque, je l'ai rendu totalement gondolé. Ce roman, introduit par la citation de David LYNCH extraite de "Blue Velvet" : "It's a strange world, isn't it ?", était tout à fait d'actualité. Cette question nous taraudait toutes et tous ce jour-là. 


Lire un roman sur les événements, c'était quelque chose que je redoutais. Pourtant, de passage chez Marie à Chalonnes-sur-Loire à la Librairie du Renard qui lit, je m'en suis saisie. Il figurait dans la liste des sélectionnés pour le Prix Libr'à nous mais j'était incapable d'aller plus loin. Il m'a fait de l'oeil pendant plus d'un an. Il me narguait du haut de ma PAL mais impossible de l'ouvrir. Et puis, il y a eu ce projet de participer bénévolement aux Journées Nationales du livre et du vin de Saumur. L'auteur serait là, je ne pouvais décemment plus reculer, il fallait me lancer, et quelle surprise !

Ce roman, il a fini par devenir celui que je ne voulais pas terminer, une sensation totalement incroyable. Alors que généralement c'est avec une gourmandise à peine dissimulée que je dévore les dernières pages d'un livre, là, non, je ne voulais pas le laisser filer, je l'avais adopté ! Je me suis, dans un premier temps, promise d'attendre cette rencontre pour parcourir la quinzaine de pages qu'il me restait, j'ai encore différé le moment. Il serait précieux, je le savais. J'ai choisi les premiers instants qui ont suivi mon Tour du Mont Blanc, ceux où vous appréciez sans commune mesure de vous déchausser (comme un clin d'oeil à la première de couverture), de mettre vos orteils en éventail, de les glisser dans l'herbe fraîche et de savourer, tout simplement.


Et puis, un instant, ce roman est devenu celui que je ne voulais pas chroniquer. Comment, moi, modeste blogueuse, allais-je réussir à mettre des mots sur ce que je venais de découvrir, de ressentir ? Comment pourrais-je le synthétiser.  J'ai fini par me lancer, je savais, avant même de commencer, que ma prose ne respecterait aucune des formes habituelles, elle sera à l'image de celui qui a signé cet OVNI littéraire !

Dans ce roman, Erwan LAHRER s'interpelle lui-même par le jeu de la narration à la deuxième personne du singulier, un peu comme s'il se regardait dans un miroir et qu'il conversait avec son lui intérieur. Il nous déroule ainsi le fil de sa jeunesse, sa découverte de la musique et sa passion grandissante pour le rock. Habitué des salles de concert, il ne s'est posé aucune question lorsqu'il a acheté sa place pour aller voir Eagles of Death Metal le vendredi 13 novembre 2015 au Bataclan. 

Bien sûr, il ne savait pas qu'il y serait blessé, une balle de kalachnikov dans les fesses (lui qui finalisait justement son roman "Marguerite n'aimait pas ses fesses", avouez que ça pouvait être drôle si ce n'était si grave !), qu'il serait peut-être sauvé par cette "mauvaise bière", bue à son arrivée et qui le maintiendrait en dehors de la fosse, à moins que ça ne soit lié au fait qu'il n'avait pas de portable sur lui. Ce tout petit accessoire qui a envahi nos vie était présent en de multiples exemplaires dans la salle de spectacles ce soir-là, tous aussi convulsés par de fulgurantes vibrations et éclairés par des flashs incessants qui, bientôt, deviendraient, après les hommes, les cibles des auteurs des attentas, épris de silence et de nuit qu'ils étaient.

Erwan LAHRER a vécu les événements de l'intérieur, dans sa chair même, il a ressenti d'effroyables douleurs, il s'est battu aussi dans sa rééducation, mais de cela, il ne voulait pas en devenir un héros. Non, les héros, ce soir-là, et les jours suivants, c'était les soignants, ces professionnels et ces bénévoles d'un jour à qui il rend un vibrant hommage.

Non, Erwan LAHRER, s'il n'y avait eu la pression de ses amis, il ne l'aurait jamais écrit ce livre.

Et d'un coup, c'est la construction d'un roman, la réalisation d'un projet d'écriture qui devient le sujet même du livre, un exercice littéraire à 30 mains, les 28 d'amis  (ils n'allaient quand même pas s'en tirer à de si bons comptes !), de proches aussi, et les siennes, toutes associées dans un même objectif, celui de faire de ces événements un objet littéraire. 

Impossible pour lui de rédiger un témoignage, ni un récit de vie, que serait-il alors ? Un livre tout simplement inoubliable, un livre qui laissera dans votre mémoire une empreinte indélébile comme la cicatrice que l'auteur portera à tout jamais. Ce roman, c'est une leçon de vie, c'est le propos d'un homme profondément humaniste, il aime les gens, alors, lui demander d'en haïr quelques uns sous prétexte qu'ils mènent un projet fou, ne comptez pas sur lui. 

Cet homme est un "hyper sensible", ce sont ses amis bienveillants qui le qualifient ainsi !

Erwan LAHRER fait partie de ceux qui ne font qu'un avec les autres, il suffit de le regarder se déplacer sur le salon du livre de Saumur pour s'en rendre compte, son pas est assuré, dynamique, rapide, rien ne peut l'arrêter, pas même de vous analyser dès les premières secondes et de vous livrer une dédicace qui en dit long sur votre personnalité. 

Dans une plume joyeuse, généreuse, lumineuse, Erwan LAHRER, qui dépasse d'une bonne tête l'ensemble de nos concitoyens, nous livre une philosophie de vie à sa dimension, EXTRAordinaire ! 
 

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