Traduit par Anita ROCHEDY
Ce 1er roman est lauréat du Prix Médicis étranger 2017, mais c'est aussi un coup de coeur de Jackie de la Librairie Richer, assurément un très bon conseil de lecture.
Je vous emmène à Grana dans le Val d'Aoste où les sommets culminent à plus de 4000. Deux amoureux fous, un brin originaux, s'y marièrent en 1962. Rejetés par leurs familles, ils étaient 4, le nombre minimum pour célébrer une union. Rien de plus naturel donc que de fuire la ville au moment des vacances pour aller s'y ressourcer. De cette union, naîtra un garçon, Pietro. Très vite, il est initié aux plaisirs de la randonnée. Le père et le fils y réalisent de nombreuses escapades, de quoi tisser le fil de la complicité. Vient parfois se glisser dans cette intimité, Bruno, cet enfant des montagnes. Lui les regarde d'un tout autre oeil. Elles ne représentent pas ses vacances mais sa vie quotidienne, il y est né, il y mourra aussi. Entre les deux garçons du même âge, le jeu de la concurrence et le sentiment de jalousie viennent parfois troubler les relations. Les année passent et puis un jour, un drame vient assombrir le tableau, les cartes sont rebattues et commence alors une autre vie...
Ce roman d'apprentissage est d'une exquise beauté. Il montre tout ce dont les enfants ont besoin pour se construire et puis, cette nécessité, un jour, de s'affranchir de l'éducation de ses parents pour s'affirmer, décider de son propre chemin. Il y a de formidables passages sur la relation père-fils, si peu décrite dans la littérature en général, les femmes (mères-filles) y occupant une très grande place il faut bien l'avouer. Heureusement, Paolo COGNETTI est là pour réduire un peu cette inégalité de traitement et il le fait avec beaucoup de talent.
Il évoque avec une infinie précision la relation de l'homme à la nature, et à la montagne plus encore.
Peut-être ma mère avait-elle raison, chacun en montagne a une altitude de prédilection, un paysage qui lui ressemble et dans lequel il se sent bien. P. 53
Les descriptions des panoramas m'ont évoqué avec ravissement ce trek réalisé au Pérou. Il y a quelque chose de singulier, d'unique dans la découverte, la surprise :
Ce qui est beau, avec les lacs alpins, c'est que l'on ne s'attend jamais à les trouver si on ne sait pas qu'ils sont là, on ne les voit pas tant que l'on n'a pas fait le dernier pas, on dépasse la berge et là, sous les yeux, c'est un paysage nouveau qui s'ouvre. Le bassin n'était que pierraille côté soleil, et plus nous regardions vers l'ombre, plus il se couvrait de saules et de rhododendrons, d'abord, puis de forêt. Au milieu il y avait ce lac. P. 88
Et comme à chacun à son altitude, à chacun sa manière de s'approprier la montagne. Avec elle, c'est tout un panel de disciplines qui s'offre à qui veut bien la conquérir :
La grimpe, c'était le plaisir d'être ensemble, d'être libre et de faire des expériences, aussi un rocher de deux mètres au bord d'un fleuve valait-il autant qu'un huit mille. Ça n'avait rien à voir avec le culte de l'effort et la conquête de sommets. P. 107
Mais il ne faudrait pas réduire ce roman à cette seule dimension. Dans "Les huit montagnes", il y a aussi un brin d'interculturalité,. J'ai beaucoup aimé la confrontation des univers des jeunes garçons et les mots attachés à chaque environnement social et urbain :
Et il disait : c'est bien un mot de la ville, ça, la nature. Vous en avez une idée si abstraite que même son nom l'est. Nous, ici, on parle de bois, de pré, de torrent, de roche. Autant de choses qu'on peut montrer du doigt. Qu'on peut utiliser. Les choses qu'on ne peut pas utiliser, nous, on ne s'embête pas à leur chercher un nom, parce qu'elles ne servent à rien. P. 210
Enfin, il explore les relations humaines. Comme pour les montagnes, à chacun sa manière de les apprécier. Il y a celles et ceux qui, à l'image de la mère de Pietro, ont besoin d'y baigner et en font le sens de leur existence :
Du côté de ma mère, je voyais les fruits d'une vie passée à cultiver les relations, à les soigner comme les plantes de son balcon. Je me demandais si on pouvait acquérir un don pareil, ou si on naissait avec [...] P. 160
Et puis il y a les autres qui ont besoin de distance et d'isolement pour être soi-même :
Ce que je tenais à protéger, c'était ma capacité à rester seul. Il m'avait fallu du temps pour m'habituer à la solitude, en faire un lieu où je pouvais me laisser aller et me sentir bien, mais je sentais que notre rapport était toujours aussi compliqué. P. 229
La plume de Paolo COGNETTI est absolument remarquable, elle est empreinte de sensibilité et d'humanité. Dans "Les huit montagnes", il fait de la nature sa toile de fond pour examiner en profondeur ce qui compose chacun, ses origines, ses souvenirs, sa manière très personnelle et subjective d'apprécier la vie à sa juste valeur.
Un très beau roman initiatique.
Impossible de vous quitter sans cette chanson de Jean FERRAT "Que la montagne est belle", elle est à propos je crois !
Cette lecture
Les huit montagnes de Paolo Cognetti *****
s'inscrit dans le cadre du Challenge 1% Rentrée littéraire organisé par Délivrer des livres après :
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