Je vous livre quelques mots de l'histoire :
Médée et son mari Ismaïl sont en escale dans un aéroport parisien. Ils s'apprêtent à s'envoler pour Sydney. Il est chirurgien, elle l'accompagne à un séminaire, bien malgré elle. Il lui dit de patienter quelques minutes près du kiosque à journaux, il va aux toilettes. Mais en réalité, il ne reviendra pas. Cette femme, ce sont deux de ses enfants, Aya et Adam qui la retrouveront pour lui annoncer qu'Ismaïl est parti à jamais. Elle s'est trompée sur les sentiments de son mari avec qui est vit depuis une trentaine d'année. Sculptrice, elle avait préféré le toit de la maison au jardin pour y créer son atelier. Elle y travaillait la pierre, des créations exigeantes physiquement qu'elle s'évertuait, une fois réalisées, à emmailloter avec du fil, des câbles, des morceaux de tissu, tout ce qu'elle pouvait trouver, un peu comme si elle voulait assurer leur protection. Alors que tout s'écroule autour d'elle, saura-t-elle se protéger, elle ? Retrouvera-t-elle un jour la voie de l'art ?
Yasmine CHAMI dresse un portrait de femme d'une infinie patience auprès de ses trois enfants, deux filles et un garçon, leur prodiguant tout son amour, une femme qui a toujours vécu dans l'ombre de son mari, aussi. Lui répare les vies, elle ne fait que modeler la pierre. Cultivant elle-même son infériorité, elle s'est construit un refuge à l'abri des regards et a dédié toute son existence au sacro-saint chef de famille.
Elle a fait de sa vie une dévotion. Alors, se retrouver là, au milieu de nulle part, dans une zone de transit où les passagers sont à destination de... Médée, où en est-elle, elle ? Vers où va-t-elle ? Il faudrait déjà qu'elle puisse comprendre ce qui lui arrive. Paralysée par la violence foudroyante de la séparation, torturée par la déchirure fulgurante de la trahison, Médée choisit, dans l'urgence, de se retirer dans une chambre d'hôtel, tout ce qu'il y a de plus neutre et aseptisé. Alors qu'elle s'apprêtait à s'envoler, elle choisit de se terrer et d'explorer le vide abyssal qui l'habite maintenant.
Yasmine CHAMI est audacieuse dans son projet littéraire. Elle procède à une mise à nu complète de Médée, cette femme anéantie par le sentiment d'abandon. Elle fait le choix de l'isoler, du monde dans quelques mètres carrés totalement insignifiants, des siens aussi. Malgré la douleur qui l'assaille, elle pousse ses enfants à la laisser là, choir, seule, pour écouter son corps, le laisser guider ses pas.
Médée, son corps sait ce que sa pensée ne conçoit pas encore, elle est comme ces personnages arrêtés, piégés dans une matière plus lourde que le mouvement qu’ils tentent. P. 15
L'écrivaine explore le destin de cette femme par la voie de la chair. Elle évoque la maternité et ce lien indéfectible qui lit une mère à ses enfants, le fruit de ses entrailles. C'est avec son corps aussi qu'elle sculpte :
[…] ses mains aux ongles coupés très courts, calleuses par endroits malgré l'usage répété de la pierre ponce pour attendrir la chair durcie par le maniement des outils : marteaux, burins, gradines, pointes, gouges, ciseaux, scies, mais aussi râpes, limes... P. 18
Médée est à la croisée des chemins, elle réalise sa mue, se libère progressivement des peaux mortes laissées par l'infidélité. Yasmine CHAMI décrit la métamorphose d'une femme forte, puissante, courageuse, en quête de nouveaux repères, d'un nouvel ancrage. Outre cette rencontre fabuleuse avec Tanya qui va panser ses plaies, lui donner du baume au coeur, c'est dans l'art aussi qu'elle imagine pouvoir lui donner une nouvelle vie, lui offrir la voie de la résilience.
Les premières pages relatent une scène fracassante, le moment fugace où le château de cartes s'écroule. L'écrivaine va dédier son roman, "Médée chérie", à la (re)construction, lente, apathique, d'une femme. Dans une plume charnelle, médicale, presque chirurgicale, elle nous offre un condensé de sensibilité, de délicatesse et de générosité, elle nous livre un propos profondément humain, éclatant, plein d'espoir.
Ce roman, c'est un hymne à la vie, la consécration du pouvoir des femmes aussi. A la lâcheté d'un homme, elle oppose l'ardeur, l'énergie, la volonté, le ressort... des femmes. Sublime !
Je participe au

orchestrée de jolie manière par notre amie Joëlle, retrouvez mes lectures
La mer monte de Aude LE CORFF
Les miroirs de Suzanne de Sophie LEMP
Edmonde de Dominique DE SAINT PERN
D'origine italienne de Anne PLANTAGENET
Anatomie d'un scandale de Sarah VAUGHAN
Vigile de Haym ZAYTOUN
Nous aurons été vivants de Laurence TARDIEU
Médée chérie de Yasmine CHAMI
Personne n'a peur des gens qui sourient de Véronique OVALDE
Le rituel des dunes de Jean Marie BLAS DE ROBLES
Celle qui marche la nuit de Delphine BERTHOLON
La nuit se lève d'Elisabeth QUIN
Ce qui nous revient de Corinne ROYER
Les heures solaires de Caroline CAUGANT Coup de coeur
Etat de nature de Jean-Baptiste de FROMENT
Piano ostinato de Ségolène DARGNIES
et plein d'autres encore !
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