Quand je suis allée aux Journées nationales du livre et du vin de Saumur le 13 mars dernier, j'avais un objectif bien précis : faire la rencontre de Mathieu MENEGAUX. J'avais tellement lu de chroniques exaltées par la qualité et la puissance de son écriture, il m'était devenu impossible de le laisser passer à quelques dizaines de kilomètres de chez moi.
Il y a eu un premier passage devant sa table, personne, puis un deuxième, toujours personne. Je me suis dit qu'il arriverait plus tard et me suis laissée porter par le flux des visiteurs au Dome. Le pas un brin lymphatique (oui, ça peut m'arriver !), les yeux survolant les tables l'espace, le regard fixe quand même sur les couvertures des livres, leurs titres et les noms des auteurs (je ne suis quand même pas tout à fait déconnectée !), je me laisse interpeller par une femme qui me vante succinctement la prose de l'auteur d'un premier roman, Oscar LALO. Depuis que vous me suivez, vous savez certainement que les premiers romans me fascinent, n'est-ce pas les 68 premières fois ? Elle m'évoque un itinéraire douloureux et la voie de la résilience. Là, ça y est, je suis prise au piège, je le sens. Je suis consentante et me laisse séduire !
"Les contes défaits", c'est le titre du roman.
Le narrateur et son frère prennent le train. La séparation avec les parents est traumatisante. Le coeur serré, ils s'en vont vers le home d'enfants. Pendant tout l'été, ils vont y passer leurs vacances. Les parents leur vantent le mérite qu'ils ont, eux, de pouvoir faire leurs valises et s'offrir de nouveaux horizons. Mais les enfants, eux, savent ce qu'ils vont y vivre. Tous les ans, ils s'y retrouvent, et tous les ans, ce sont les mêmes actes terribles qu'ils y subissent. Bienvenue au camp des menaces et "baisers trompettes".
Oscar LALO, pour un premier roman, n'a pas choisi un sujet simple, c'est certain. Mais il a su mettre les mots sur des actes ignobles qui marqueront à jamais la vie de jeunes garçons.
Il décrit la vie quotidienne au home d'enfants qui aurait pu être un petit coin de paradis mais se révèle, en réalité, être un lieu d'enfermement où les prédateurs ont leurs proies à leur merci. Sous couvert de payer cher ces vacances, Madame la Directrice et son mari mettent en place une stratégie machiavélique et aveuglent les familles.
Le home nous apprit très tôt que si l'argent ne fait pas le bonheur, il étouffe le malheur. P. 47
Oscar LALO use de phrases courtes mais ô combien percutantes. Elles sont cinglantes comme le fouet et permettent en quelques mots de prendre conscience de la gravité des faits.
Oscar LALO, c'est un magicien des mots, il arrive à décrire des silences, exprimer un profond sentiment de solitude et traduire des moments d'errements aussi. Il instille une tension extrême avec la description minutieuses des instants qui précèdent le passage à l'acte, l'installation de l'homme sur le lit et son étalement progressif pour maîtriser parfaitement sa victime.
Mais plus que tout encore, c'est cette description de l'état suivant de l'enfant de déconnexion totale avec son environnement extérieur qui m'a bouleversée.
Quand un enfant avait les yeux dans le vide, c'est que l'homme était passé par lui. P. 82
Le poids des mots aurait pu devenir insoutenable et rendre la lecture totalement inabordable mais là encore, c'est sans compter le talent de l'auteur. Oscar LALO use d'une plume poétique à l'envi pour évoquer l'indicible. Il donne quelques respirations pour rythmer le roman :
Ils ressemblaient tous à des nuages. Mais des nuages d'un genre particulier. De ceux qui ne pleuvent jamais. P. 83
Comment surmonter de tels sévices ? Comment imaginer un avenir serein à des enfants maltraités à ce point ?
Et bien le narrateur, lui, se ressourcera dans la voie de l'écriture. C'est en écrivant que les vannes s'ouvriront et que le flot d'amerture, de haine, de rancoeur s'évacuera. Là aussi, avec les mots de Oscar LALO, il est aisé de mesurer à quel point elle va permettre au narrateur de se libérer :
Réflexe oblige, ma première pensée fut d'effeuiller ce bloc et d'en faire des avions. Puis mon regard arrêté sur la plume comprit qu'elle seule m'aiderait à prendre mon envol. Et c'est ainsi qu'en calligraphiant la laideur, j'ai tracé des lignes de vie que je ne connaissais pas. P. 190
De nombreux romans parlent de la résilience, de cette capacité de l'individu à surmonter un terrible traumatisme, tracer une voie pour continuer son chemin. Mais Oscar LALO a sa manière à lui, toute singulière :
[...] je réalise que réparer mon monde, ce n'est ni plus ni moins qu'apprendre à vivre. P. 198
Avec ce roman, l'auteur nous offre une magnifique leçon de vie, il met un peu de lumière dans ce qui n'est qu'horreur, souffrance et douleur. Sa plume est remarquable et la voie des contes pour enfants, pris pour cible, est une idée ingénieuse pour montrer à quel point une enfance peut être bafouée.
Juste sublime !
Quelle belle idée Mathieu MENEGAUX a eu d'arriver plus tard à son stand de dédicace !
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