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2018-05-23T18:21:17+02:00

Grand frère de Mahir GUVEN

Publié par Tlivres
Grand frère de Mahir GUVEN

Philippe Rey Editeur

Lauréat du Prix Goncourt du Premier Roman

Ce roman choral donne alternativement la parole aux deux garçons, Grand frère et Petit frère qui nous livrent chacun leur réalité, leurs sentiments, leur mal-être, leurs aspirations aussi.

Grand frère est un trentenaire, torturé, malheureux comme les pierres depuis le décès il y a 18 ans de sa mère, le deuil est douloureux, son absence le hante. Il a sombré dans la délinquance à l'adolescence, s'en est plutôt bien sorti en passant un contrat, moral, avec un policier. Bon gré mal gré, il réussit, non mène serait plus approprié, sa vie, entre son activité professionnelle, conducteur uberisé, et sa vie personnelle sclérosée par la consommation de drogue, Marie-Jeanne est sa plus fidèle compagne. 

Lui, c'est un irrépressible lien de loyauté qui lui permet de tenir, à l'égard de son père d'une part, lui qui a tout donné, tout sacrifié, pour la réussite de ses fils, et son frère d'autre part. Grand frère se sent responsable des faits de Petit frère. C'est un peu le garant d'un château de cartes qui s'écroule pourtant à mesure que le temps passe. Avec le cham de Petit frère, il sent son avenir lui échapper. De deux choses l'une, soit il meurt en martyr en Syrie, soit il revient et risque de faire sombrer toute la famille pour complicité.

Petit frère, infirmier, croit en un avenir professionnel. Il a un mentor, chirurgien, mais se fait une raison sur l'impossibilité en France d'évoluer sans mener des études. 


Dans ce pays, les gens comme moi ont pas leur place sous le soleil de belles études. On en veut pas. P. 18

Devant un ascenseur social en panne, il va chercher sa voie et la trouver dans l'humanitaire, un domaine qui est dénoncé par Douniar BOUZAR comme l'une des filières djihadistes de recrutement des âmes sensibles. Petit frère est jeune, insouciant, naïf, il se fait recruter par une O.N.G. et disparaît de la circulation. 3 ans durant, ni Grand frère, ni le père, n'auront de ses nouvelles jusqu'au jour où... mais là, je ne vous dirais rien ! 

Ce roman dresse un portrait satirique de notre société française en tirant le fil croustillant, si ce n'était terrifiant, des codes vestimentaires. Mahir GUVEN tricote le personnage de Grand frère qui se travestit chaque matin en se revêtant du traditionnel costume/chemise blanche/cravate pour inspirer confiance, un brin de professionnalisme et de sérieux auprès de sa clientèle. Il y a aussi le personnage de Petit frère qui, lui, endosse la tenue occidentale et se noie allègrement dans la masse. D'aucun aurait misé sur la djellaba et la barbe longue comme des signes identitaires de radicalisation. La société se voit trompée par ses références, nous aurions presque envie d'en rire si ce n'était si grave.

Impossible de passer à côté du sujet de l'immigration bien sûr. Ces deux frères sont issus de la vague des années 1970-1980. Leur père est arrivé de Syrie. Il s'est mariée avec une femme française qui prenait des cours d’arabe à l’institut des langues orientales où il intervenait en tant qu'enseignant. De cette union, naissent les deux frères sur le sol français. Il y a chez Petit frère l'appel du bled, la terre de ses origines familiales dont il ne sait rien. Il faut dire que le secret entre hommes a été bien gardé, privant les enfants de fait de la transmission entre les générations tant utile pour se construire.


Mon père a pas raconté sa moitié de l’histoire, du coup, il manque des épisodes et on imagine le reste. P. 72

Tout au long du roman, j'ai ressenti une furieuse urgence à vivre. Il y a quelque chose de terriblement précaire dans la vie de ces deux frères qui ne semble tenir qu'à un fil, un détonateur peut-être ! La menace est permanente, la pression intense. L'auteur sait entretenir le suspense jusqu'à la dernière page, là, il vous appartiendra d'imaginer la suite... 

Parlons de la plume de l'écrivain. Elle est ponctuée de jolis passages poétiques :


Le doute, c’est un robinet qui fuit. Goutte après goutte, le doute fait son nid dans le sol, creuse son chemin dans la terre. P. 212

Elle est empreinte aussi de la langue des banlieues, celle que l'auteur aime à appeler "le créole du béton". Pour celles et ceux qui la redoutent, un glossaire en fin de roman vous aidera à vous y retrouver mais très sincèrement, une fois l'habitude prise, les mots prennent leur place très naturellement dans le propos et vous finissez pas l'oublier, elle fait partie intégrante du roman. 

Mahir GUVEN est lauréat du Goncourt du Premier Roman 2018. Il succède à Maryam MADJIDI pour son "Marx et la poupée" qui faisait l'objet de la sélection des 68 Premières fois.

J'y vois là, personnellement, la reconnaissance d'un défi très difficile à relever, celui d'écrire une fiction à partir d'un sujet qui inonde les médias et donne lieu à des débats passionnés, celui de la radicalisation et des actes terroristes. Et puisque nous parlons de l'écriture, la narration à la première personne proposée à deux voix est un exercice littéraire audacieux, le pari est réussi.

Je peux bien l'avouer maintenant, je ne serai pas allée naturellement vers ce premier roman, mais c'était sans compter sur le concours organisé par Delphine et la maison d'édition que je remercie infiniment.

Je me suis laissée surprendre, n'est-ce pas ça, aussi, la vocation de la littérature ?

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