Découvrir l'univers littéraire de Mathieu MENEGAUX, c'est l'adopter et en redemander.
A l'image de la plume de Delphine BERTHOLON, celle de Mathieu MENEGAUX fait partie de celles que l'on n'oublie pas. Dans un cas comme dans l'autre, je sors de mes lectures complètement sonnée, tant par l'histoire dont l'intrigue est parfaitement maîtrisée, que par les itinéraires des protagonistes, ponctués de choix, qui, une fois pris, prennent un caractère irréversible dans une spirale devenue infernale. Avec ces deux auteurs, il y a la forme et le fond ! Leurs thrillers psychologiques font subitement irruption dans nos vies et les marquent à jamais.
Pour "Je me suis tue", le 1er roman de Mathieu MENEGAUX, je vais essayer de vous donner l'envie de le lire mais sans trop vous en dire pour préserver le secret qui entoure toute cette histoire.
Claire est incarcérée à la maison d'arrêt des femmes à Fresnes. A l'origine, c'était une femme "sans histoire", une femme qui vivait en couple depuis plusieurs années. Elle avait tout pour être heureuse, un mari avec lequel elle vivait le grand amour, un travail épanouissant comme elle l'avait souhaité, un très bel appartement parisien qui suscitait l'envie de leurs amis... Mais, derrière les apparences se cachait une profonde douleur. Claire et Antoine ne pouvaient avoir d'enfant. Lui souffrait d'une pathologie, l'asthénospermie, ses spermatozoïdes n'étaient pas suffisamment vigoureux pour permettre une éventuelle fécondation. Elle, était rongée par ses 40 ans, elle voyait son horloge biologique s'accélérer et son ventre resté "sec". Un soir, ils sont invités à dîner par une famille avec enfants, comme elles le sont presque toutes dans leurs connaissances. Cette soirée est un passage obligé pour la carrière d'Antoine, elle s'y soumet. Après quelques heures passées autour d'un repas, fatiguée, Claire propose à Antoine de rester, elle va rentrer seule, elle va prendre un taxi. C'est cette soirée-là que sa vie à elle, à lui aussi, va basculer !
Ce roman m'a pris à la gorge dès les premières pages, peut-être à cause de l'enfermement de cette femme dans une cellule qui l'oppresse, peut-être aussi parce qu'il s'agit du 2ème roman de Mathieu MENEGAUX que je lis (vous vous souvenez de "Un fils parfait") et que je reconnais, dès les premières lignes, cette manière à lui, bien singulière, de serrer, serrer, serrer encore l'étau qui se referme sur sa victime.
Très vite, le.a lecteur.rice prend connaissance de la démarche de la narratrice. Emprisonnée, elle décide d'écrire, c'est donc sa prose à elle qui va composer ce roman. Claire va lentement dérouler le fil de son existence
L'écriture est la dernière étape de mon chemin de croix. P. 6
J'écris pour moi, pour m'évader, non pas en paix, ce serait impossible, mais soulagée du poids de mon silence. P. 7
et nous donner sa version à elle des faits. Mais pourquoi cette démarche ? Et bien, parce que là aussi, dès les premières pages, elle nous dit à quel point elle savait qu'elle ne serait pas écoutée :
Tout ce beau monde, face à moi, m'a condamnée dès que je me suis installée dans le box, avant même la lecture de l'acte d'accusation. Je suis entrée dans ce procès sans aucune chance d'en sortir libre. P. 4
Les premières pierres de l'édifice sont posées, il ne reste plus qu'à se laisser porter.
Bien sûr, il s'agit d'une affaire de femme, là, pas de suspense. Elle est incarcérée et parle à la 1ère personne. Mais plus encore, le sujet va tourner autour de la féminité, de la maternité aussi. Elle évoque la pression sociale qui pèse sur les femmes françaises aujourd'hui. Par choix ou par défaut, celles qui n'ont pas d'enfant à 40 ans sont regardées de façon particulière.
Ne pas avoir d'enfant, à quarante ans, c'est contraire à un certain nombre de Commandements tacites ou explicites de notre société moderne. Alors à quarante ans, sans enfant, dans le regard des Autres, on est une sorte de demi-femme, on vit une misérable vie sans accomplissement, sans héritage, sans autre perspective que la triste certitude de retourner en poussière. P. 28
J'ai l'impression de relire l'essai d'Elisabeth BADINTER "Le conflit, la femme et la mère" et de découvrir une illustration parfaite du propos tenu. Est-ce qu'un jour notre société s'émancipera de ses sacro-saints principes ? Si elle ne le fait pas naturellement en prenant en compte l'évolution du féminisme de ces dernières années (petit clin d'oeil à Adeline FLEURY et son "Femme absolument"), qu'elle le fasse en mesurant la gravité immense des conséquences qu'elle induit.
Et puis, tout à coup, un flash ! Alors même que tous les médias sont rivés sur elle, que sa voix résonne sur toutes les radios, que des documentaires envahissent la télévision, que la presse écrite retrace son parcours, Claire nous parle aussi d'elle :
Et je me disais que nous n'avions pas rendu suffisamment hommage à Simone Veil, qui avait porté quasiment seule cette loi. Il lui en avait fallu de la détermination. Dans notre pays, l'avortement a été considéré comme criminel dans la période qui a suivi la Première Guerre mondiale, parce qu'il fallait repeupler la France. Ensuite il a été qualifié de "crime contre l'Etat français" par Vichy, en 1942, et passible de la peine capitale. Peine que le Maréchal n'hésita pas à faire appliquer à Marie-Louise GIRAUD, la plus célèbre "faiseuse d'anges", décapitée en 1943, pour l'exemple. P. 40
Simone VEIL bien sûr ! Je suis toujours surprise par les concours de circonstances, celui-là est de taille et l'effet est encore décuplé.
Comme quoi, le féminisme est un combat qui commence à dater et qui a encore de beaux jours devant lui. Impossible de rester insensible devant l'affaire de Claire et se dire que tout est acquis, que le droit français a déjà fait beaucoup et qu'il ne peut pas encore évoluer. Le combat ne cible pas les mêmes objets mais il tourne toujours autour de ce que la femme a de plus que les hommes, le pouvoir de donner la vie.
Vous l'aurez compris, l'atmosphère est lourde, l'ambiance oppressante, mais c'est sans compter sur le talent de Mathieu MENEGAUX pour offrir quelques ponctuations source de légèreté. Il égrène effectivement tout au long du récit de cette femme des titres et extraits de chansons. Claire s'en souvient, ils lui permettent de pallier la solitude dans laquelle elle est plongée, le.a lecteur.rice s'en souvient aussi, et là, une prise de conscience, Claire est humaine, elle pourrait être moi, ou bien une copine, une voisine, une relation, bref, cette affaire, nous aurions chacune pu la vivre aussi !
Ce roman, un seul conseil, ne passez pas à côté. Il est écrit par un homme qui a tout compris des femmes, voire plus encore...
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