Ce roman, je peux bien l'avouer, je ne voulais pas le lire. La toile de fond des attentats du 13 novembre 2015 au Bataclan m'angoissait terriblement.
Je me souviens encore parfaitement de cette soirée passée à regarder, à la télévision, des images en boucle des événements, que dis-je, des images d'un périmètre de sécurité posé autour d'un équipement et du ballet des véhicules de secours élancés dans une danse macabre, une soirée passée aussi à imaginer l'indicible. On a tous des souvenirs de concerts, de ces moments où la foule en liesse est portée par une transe communicative dans une promiscuité qui pourrait paraître indécente mais qui, justement, là, témoigne d'une même passion, d'une identité culturelle... Projeter sur ces instants de jouissance le filtre d'une scène d'attentat relève juste de l'imaginable et pourtant.
Je me souviens aussi particulièrement de la journée du lendemain passée à pleurer toutes les larmes de mon corps. Personne de ma famille, de mes amis, de mes proches n'y était, je n'étais pas le moins du monde affectée individuellement et pourtant, je vivais profondément les émotions d'un drame collectif. Pour fuir les médias qui, inlassablement, écrivaient notre histoire contemporaine, moi, j'essayais de me concentrer sur ma lecture en cours, le roman de Delphine BERTHOLON : "L'effet larsen", qui ne faisait que donner une résonance encore décuplée à notre triste réalité. Je tiens d'ailleurs à présenter toutes mes excuses auprès de l'équipe de ma plus fidèle Médiathèque, je l'ai rendu totalement gondolé. Ce roman, introduit par la citation de David LYNCH extraite de "Blue Velvet" : "It's a strange world, isn't it ?", était tout à fait d'actualité. Cette question nous taraudait toutes et tous ce jour-là.
Lire un roman sur les événements, c'était quelque chose que je redoutais. Pourtant, de passage chez Marie à Chalonnes-sur-Loire à la Librairie du Renard qui lit, je m'en suis saisie. Il figurait dans la liste des sélectionnés pour le Prix Libr'à nous mais j'était incapable d'aller plus loin. Il m'a fait de l'oeil pendant plus d'un an. Il me narguait du haut de ma PAL mais impossible de l'ouvrir. Et puis, il y a eu ce projet de participer bénévolement aux Journées Nationales du livre et du vin de Saumur. L'auteur serait là, je ne pouvais décemment plus reculer, il fallait me lancer, et quelle surprise !
Ce roman, il a fini par devenir celui que je ne voulais pas terminer, une sensation totalement incroyable. Alors que généralement c'est avec une gourmandise à peine dissimulée que je dévore les dernières pages d'un livre, là, non, je ne voulais pas le laisser filer, je l'avais adopté ! Je me suis, dans un premier temps, promise d'attendre cette rencontre pour parcourir la quinzaine de pages qu'il me restait, j'ai encore différé le moment. Il serait précieux, je le savais. J'ai choisi les premiers instants qui ont suivi mon Tour du Mont Blanc, ceux où vous appréciez sans commune mesure de vous déchausser (comme un clin d'oeil à la première de couverture), de mettre vos orteils en éventail, de les glisser dans l'herbe fraîche et de savourer, tout simplement.
Et puis, un instant, ce roman est devenu celui que je ne voulais pas chroniquer. Comment, moi, modeste blogueuse, allais-je réussir à mettre des mots sur ce que je venais de découvrir, de ressentir ? Comment pourrais-je le synthétiser. J'ai fini par me lancer, je savais, avant même de commencer, que ma prose ne respecterait aucune des formes habituelles, elle sera à l'image de celui qui a signé cet OVNI littéraire !
Dans ce roman, Erwan LAHRER s'interpelle lui-même par le jeu de la narration à la deuxième personne du singulier, un peu comme s'il se regardait dans un miroir et qu'il conversait avec son lui intérieur. Il nous déroule ainsi le fil de sa jeunesse, sa découverte de la musique et sa passion grandissante pour le rock. Habitué des salles de concert, il ne s'est posé aucune question lorsqu'il a acheté sa place pour aller voir Eagles of Death Metal le vendredi 13 novembre 2015 au Bataclan.
Bien sûr, il ne savait pas qu'il y serait blessé, une balle de kalachnikov dans les fesses (lui qui finalisait justement son roman "Marguerite n'aimait pas ses fesses", avouez que ça pouvait être drôle si ce n'était si grave !), qu'il serait peut-être sauvé par cette "mauvaise bière", bue à son arrivée et qui le maintiendrait en dehors de la fosse, à moins que ça ne soit lié au fait qu'il n'avait pas de portable sur lui. Ce tout petit accessoire qui a envahi nos vie était présent en de multiples exemplaires dans la salle de spectacles ce soir-là, tous aussi convulsés par de fulgurantes vibrations et éclairés par des flashs incessants qui, bientôt, deviendraient, après les hommes, les cibles des auteurs des attentas, épris de silence et de nuit qu'ils étaient.
Erwan LAHRER a vécu les événements de l'intérieur, dans sa chair même, il a ressenti d'effroyables douleurs, il s'est battu aussi dans sa rééducation, mais de cela, il ne voulait pas en devenir un héros. Non, les héros, ce soir-là, et les jours suivants, c'était les soignants, ces professionnels et ces bénévoles d'un jour à qui il rend un vibrant hommage.
Non, Erwan LAHRER, s'il n'y avait eu la pression de ses amis, il ne l'aurait jamais écrit ce livre.
Et d'un coup, c'est la construction d'un roman, la réalisation d'un projet d'écriture qui devient le sujet même du livre, un exercice littéraire à 30 mains, les 28 d'amis (ils n'allaient quand même pas s'en tirer à de si bons comptes !), de proches aussi, et les siennes, toutes associées dans un même objectif, celui de faire de ces événements un objet littéraire.
Impossible pour lui de rédiger un témoignage, ni un récit de vie, que serait-il alors ? Un livre tout simplement inoubliable, un livre qui laissera dans votre mémoire une empreinte indélébile comme la cicatrice que l'auteur portera à tout jamais. Ce roman, c'est une leçon de vie, c'est le propos d'un homme profondément humaniste, il aime les gens, alors, lui demander d'en haïr quelques uns sous prétexte qu'ils mènent un projet fou, ne comptez pas sur lui.
Cet homme est un "hyper sensible", ce sont ses amis bienveillants qui le qualifient ainsi !
Erwan LAHRER fait partie de ceux qui ne font qu'un avec les autres, il suffit de le regarder se déplacer sur le salon du livre de Saumur pour s'en rendre compte, son pas est assuré, dynamique, rapide, rien ne peut l'arrêter, pas même de vous analyser dès les premières secondes et de vous livrer une dédicace qui en dit long sur votre personnalité.
Dans une plume joyeuse, généreuse, lumineuse, Erwan LAHRER, qui dépasse d'une bonne tête l'ensemble de nos concitoyens, nous livre une philosophie de vie à sa dimension, EXTRAordinaire !
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