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Recherche pour “une famille normale”

2021-08-10T17:00:00+02:00

Là où nous dansions de Judith PERRIGNON

Publié par Tlivres
Là où nous dansions de Judith PERRIGNON

Rivages

Ce roman, c'est d'abord une rencontre à l'UCO d'Angers à l'initiative des Bouillons, un moment hors du temps à se laisser porter par la douce voix de l'écrivaine, Judith PERRIGNON, que je ne connaissais pas encore mais qui a su me captiver par son propos.

On part pour Détroit, aux Etat Unis.

Le 29 juillet 2013, un jeune homme vient d'être retrouvé mort au pied de tours abandonnées. Il a été assassiné d'une balle dans la tête. Sarah travaille dans les services de Police. Elle est chargée de trouver l'identité de ce corps dont la morgue regorge. Dans un territoire gangrené par la pauvreté (les familles n'ont même plus les moyens d'offrir des funérailles à leurs proches  et préfèrent les laisser là) et la délinquance (des crimes, il en arrive tous les jours), Sarah sait dès les premiers instants que celui-là n'est pas d'ici. Frat Boy, c'est comme ça qu'elle l'appelle, va rapidement devenir une obsession pour elle. Là commence une nouvelle histoire !

Mais que l'on ne s'y méprenne pas, ce roman n'est pas un policier à proprement parler. L'enquête, que va mener Sarah, est en réalité un prétexte pour relater l'Histoire foisonnante d'un territoire sur 7-8 décennies.

Il y a les années 1930 avec l'industrialisation de la région, la production d'automobile dans des entreprises monumentales qui sont la fierté des Etats-Unis, Ford, Chrysler et bien d'autres. C'est aussi à cette époque-là qu'est construit le Brewster projet, une vaste opération de construction de logements modernes pour les plus démunis en remplacement des taudis démolis. Eleanor ROOSEVELT, la première Dame des Etats Unis, en assure la promotion en 1935, avec son frère. Imaginez, dans chaque logement, une salle de bain...  C'est l'euphorie, chacun veut y avoir sa place. Malheureusement, la vie n'y sera pas toujours aussi rose et aboutira à la faillite en 2013 de Détroit, une ville exsangue, à l'agonie, dont la gestion est confiée à un manager parachuté là pour se substituer au Maire de la cité. Les rues ne sont plus éclairées la nuit. Les crimes racistes font l'actualité. Les animaux sauvages se réapproprient lentement les logements vidés de leurs occupants. 


Nous n’avons pas défendu le quartier, il a cédé la place comme un cœur brusquement s’arrête. C’est une attaque cardiaque massive. P. 117

Judith PERRIGNON met le doigt sur une certaine forme de déterminisme, celui des formes urbaines et du niveau de standing des logements. Si nous avons beaucoup parlé ces dernières années du déterminisme territorial, il en est un qui mute avec les années. A Détroit, c'est particulièrement vrai et la vague de gentrification engagée aujourd'hui est là pour nous en convaincre.

Parlons aussi des hommes et des femmes qui vivaient là. Dans les années 1930, il y avait des enfants qui allaient à l'école, des parents qui faisaient leur ravitaillement dans les magasins de Hastings Street, des familles qui se retrouvaient pour faire la fête... La musique y occupait une place privilégiée. C'est d'ailleurs là que naissent Les Supremes... Flo, Mary et Diane sont trois jeunes filles de Détroit. Par la voie de leur médiatisation, c'est tout l'honneur d'une cité qui vibre. Avec la Motown, c'est l'émergence de tout un tas de talents, à l'image de Marvin GAYE...


C’est une petite usine à tubes, cette Motown, pas une fabrique à divas, une entreprise noire-américaine éprise d’argent et de gloire, qui a choisi quelques enfants de la ville, peut-être les plus talentueux, en tout cas les plus chanceux, qui les as confiés aux soins de quelques génies de la mélodie et du rythme, pour son plus grand bénéfice. P. 110

Par la voie de la musique, c'est l'ascension d'une communauté à laquelle on assiste. Les Noirs se retrouvent au-devant de la scène...


On n’était plus des nègres, mais des artistes noirs, et ça changeait tout. P. 151

Et puis, il y a le street art, une expression artistique qui, dès les années 1930, y a trouvé sa place. Judith PERRIGNON évoque la fresque, les Detroit Industry Murals, réalisée par Diego RIVERA, un certain regard porté sur la condition ouvrière de l'époque par l'artiste mexicain, lui, le révolutionnaire, qui répondait à une commande du capitaliste, Henry FORD. Dans les années 1980, c'est la création de Tyree GUYTON, l'enfant du pays, qui est mise en lumière, le Heidelberg Projet. Et puis enfin, l'autrice honore la mémoire de Bilal BERRENI, alias Zoo Project, et contribue, par la voie de la littérature, à célébrer le dessein qu'il poursuivait à travers le monde, donner à voir les invisibles.


Elle pense aux visages lointains qu’il a croqués. Il y a les mêmes par ici, des gueules qui transportent toute l’histoire du monde dans leur regard. P. 314

Si vous avez envie d'aller plus loin, je vous invite à regarder le documentaire qui lui est dédié, réalisé par Antoine PAGE et Lilas CARPENTIER "C'est assez bien d'être fou".

Plus largement, il y a aussi des passages sur l'art qui trouve son berceau au Detroit Institute of Art, l'un des plus beaux musées américains qui réussira à garder la tête haute et renoncera à la vente d'oeuvres pour solder les dettes de la ville.

Dans une narration rythmée par les quatre saisons et à travers des personnages profondément attachants (Sarah, Jeff, Ira...), Judith PERRIGNON réussit le pari d'un roman fascinant. Passionnée par l'urbanisme et le street art, je me suis laissée captiver par sa plume empreinte d'humanité.

J'y ai puisé tout un tas de citations. Nul doute que je reviendrai régulièrement avec des extraits !

Un excellent roman, merci aux Bouillons et à la Librairie Contact de m'avoir mise sur sa voie.

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2019-02-19T12:40:00+01:00

Nous aurons été vivants de Laurence TARDIEU

Publié par Tlivres
Nous aurons été vivants de Laurence TARDIEU

Editions Stock

Sur les conseils d'Antigone, j'avais découvert en 2016 la plume de Laurence TARDIEU avec "A la fin le silence", un roman que j'avais découvert avec beaucoup de plaisir mais qui avait laissé en moi, une empreinte indélébile, je m'en rends compte aujourd'hui !  En ouvrant "Nous aurons été vivants", le tout dernier roman de l'écrivaine, c'est comme une déflagration, une bombe, un coup de coeur.

Il n'aura suffit que d'un flash, une vision fugace, de l'autre côté de la rue, sur le trottoir, avant le passage en décalé de deux bus, pour qu'Hannah soit de nouveau déchirée par l'absence de sa fille, Lorette, partie il y a 7 ans sans laisser la moindre adresse, le moindre petit mot. Cette femme en "imperméable beige, sac vert en bandoulière, bottes noires" était-elle sa fille ? L'a-t-elle réellement vue ? S'agit-il d'une chimère ? Hantée par le fantôme de sa fille, Hannah ploie sous le choc de l'image. Tous les souvenirs resurgissent alors. Le fil de sa vie se déroule lentement. Elle vivait le grand amour avec Philippe, elle était artiste peintre. Hannah a 60 ans maintenant. Tout ceci est à conjuguer au passé, le château de cartes de sa vie s'est écroulé le jour où Lorette a tout quitté. Mettre des mots sur ses souffrances est si difficile, elle qui depuis sa tendre enfance vit dans la peur, de qui ? de quoi ? Mais sur ce banc, là, avec la rencontre d'un jeune homme, musicien, les choses se dénouent. Il n'aura suffit que de quelques paroles pour...
Laurence TARDIEU a cet immense talent de planter un décor, créer une ambiance, dès les premières lignes de ses romans. Je me suis vue, moi, à côté d'Hannah, dans ce petit matin parisien, brumeux, envahi par les bruits de la ville. Mais elle a aussi et surtout, cette capacité à passer du dehors, l'environnement, le cadre de vie, au dedans, l'intimité, le corps, la chair. Parce qu'il s'agit bien de cela, l'absence de Lorette mortifie sa mère, la meurtrit dans ses viscères, ce ventre qui l'a nourri pendant 9 mois, ses entrailles qui se sont ouvertes pour lui donner naissance, ce corps qui a ressenti au plus profond de lui toutes les joies mais aussi les peines de sa fille. Il y a cet indicible lien entre une mère et son enfant, la plénitude, la force de la maternité dans ce qu'elle a de plus physique et naturel. J'avais adoré "Une longue impatience", cette manière qu'avait Gaëlle JOSSE de décrire les soubresauts du corps torturé par l'absence d'un fils, je suis littéralement tombée sous le charme de ce qu'écrit Laurence TARDIEU. Ces deux auteures, des femmes, tiennent un propos prodigieux marqué par la minutie et la justesse des mots. Chacun résonne avec un effet décuplé, c'est une explosion d'émotions.


[...] la disparition de Lorette agit sur nous tel un fantôme qui nous poursuit tous, Lorette absente vit encore parmi nous par les questions sans réponse qu’elle nous a laissées et nous sommes tous, depuis sa fuite dans une forme d’errance à laquelle nous ne pouvons pas mettre un terme. P. 99

Mais le roman ne saurait se contenter d'explorer cette relation mère-fille. Laurence TARDIEU aborde aussi le sujet de l'amitié, des liens qui se nouent avec d'autres qui ne font pas partie de la famille et pourtant ! Hannah a rencontré Lydie lors du vernissage de l'une de ses expositions, la simple présence de la femme à ses côtés sans qu'elle sache qui elle était, ce qu'elle représentait, ce qui la faisait vibrer, a suffit à l'électriser. Il y a quelque chose de presque surnaturel à ressentir l'énergie d'une présence, l'intensité d'un regard, d'un corps, d'une posture. 


Depuis, Lydie et elle avaient partagé d’innombrables moments, et ces moments constituaient une sorte de palette de toutes les nuances du sentiment humain, une variation de tout ce qui peut exister entre la joie et le désespoir. P. 250

Cette relation établie entre les deux femmes est foncièrement bonne et généreuse. Elle donne la capacité à Hannah d'affronter chaque jour, elle qui souffre à en mourir et qui pourtant, trouve la force de (sur)vivre. Dans "Nous aurons été vivants", il y a la richesse, le contentement, la plénitude des sentiments. 

Et puis, il y a la présence de l'art comme un fil conducteur dans toute cette oeuvre. Hannah est peintre, c'est une artiste. Dans son rapport à la création, il y a l'exaltation, l'enivrement, l'étourdissement. Il y a la solitude aussi. Elle se souvient de ce tiraillement qui s'exerçait sur elle, partagée qu'elle était entre l'amour porté à sa fille, enfant, et la nécessité absolue d'assouvir le plaisir de peintre pour être elle-même, affirmer sa propre personnalité, son identité.  


Elle avait besoin de beaucoup de solitude pour peindre, et se disait parfois qu’elle ne parvenait plus à trouver la joie autrement que dans la solitude - les moments passés à peindre, ou à contempler les arbres de sa fenêtre, ou le ciel, ou juste être là, sans rien faire, à se sentir simplement exister. P. 205

Enfin (et je vais m'arrêter là parce que moi aussi je pourrais en faire tout un roman !!!), il y a l'Histoire. Présente dans la famille, une page sombre, tapie dans le silence, un secret qui avec les générations devient de plus en plus lourd à porter. Les hommes sont mortels, je ne vous apprend rien, et avec l'âge le risque de ne jamais savoir prend une toute autre dimension. Il y a un autre volet de la grande Histoire, celle qui a envahi les écrans de télévision en novembre 1989, la chute du mur de Berlin. Avec elle, c'était l'euphorie, le rêve enfin d'une Europe libre. Qu'est-elle devenue aujourd'hui ? Les capitales ne sont-elles par parcourues par ces militaires armés pour assurer la sécurité ? Ne sombrent-elles pas dans la peur des attentats ? Ne sont-elles par envahies par la montée des populismes ? Ce ne sont pas les événements de ces derniers jours à Paris qui viendront malheureusement démontrer le contraire. Laurence TARDIEU embrasse ces trente dernières années d'une Europe qui vieillit, elle aussi !

Ce roman, vous l'aurez compris, il m'a littéralement subjuguée, il a résonné dans ce que j'ai de plus intime. Mais je crois qu'il convient de le partager à l'envi. Vous aussi pourriez bien tomber sous le charme de la plume de Laurence TARDIEU, profondément sensuelle. Quant à la philosophie qu'elle nous livre, je vous laisse la méditer, tout simplement !

Je participe au 

orchestrée de jolie manière par notre amie Joëlle, retrouvez mes lectures

La mer monte de Aude LE CORFF

Les miroirs de Suzanne de Sophie LEMP

Edmonde de Dominique DE SAINT PERN

D'origine italienne de Anne PLANTAGENET

Anatomie d'un scandale de Sarah VAUGHAN

Vigile de Haym ZAYTOUN

Nous aurons été vivants de Laurence TARDIEU

Médée chérie de Yasmine CHAMI

Personne n'a peur des gens qui sourient de Véronique OVALDE

Le rituel des dunes de Jean Marie BLAS DE ROBLES

Celle qui marche la nuit de Delphine BERTHOLON

La nuit se lève d'Elisabeth QUIN

Ce qui nous revient de Corinne ROYER

Les heures solaires de Caroline CAUGANT Coup de coeur

Etat de nature de Jean-Baptiste de FROMENT

Piano ostinato de Ségolène DARGNIES

et plein d'autres encore !

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2016-08-12T12:13:07+02:00

Ahlam de Marc TREVIDIC

Publié par Tlivres
Ahlam de Marc TREVIDIC

Ce roman fait partie de la sélection des 68 premières fois

En route pour la Tunisie ! Fahrat et Nora forment un jeune couple tunisien. Lui est pêcheur, elle est professeure de français. De ce mariage d’amour naissent 2 enfants : Issam un garçon et Ahlam une fille. Paul Arezzo, lui, est un peintre français à succès. Il vit un chagrin d’amour et souffre d’un manque d’inspiration. Il avait séjourné en Tunisie à l’âge de 9 ans, il décide d’y revenir pour retrouver la voie de la création. Il s’installe dans un hôtel de Kerkennah. Après quelques semaines, la lente réappropriation de son art est engagée. Il se met à peindre tous les paysages de la région et décide de varier les approches en regardant la ville à partir de la mer. Il s’oriente vers Fahrat à qui il demande de l’embarquer. Fahrat accepte, une relation d’amitié s’instaure rapidement avec toute la famille qui bientôt va sombrer dans le déchirement avec la mort de Nora suite à une leucémie fulgurante. Paul, qui a accompagné Nora en France pour y recevoir les meilleurs traitements possibles et en l’absence de visas pour mari et enfants, se sent investi d’une toute nouvelle responsabilité à l’égard de la famille de Fahrat. Il décide de s’installer définitivement en Tunisie et de prendre en charge l’éducation artistique des 2 enfants chez qui il repère du talent, chez Issam pour la peinture et chez Ahlam pour la musique. Les enfants grandissent et se retrouvent au coeur de la révolution culturelle tunisienne, pour le meilleur et pour le pire.

Ce roman, je l’ai abordé par la voie artistique. Il faut dire que j’avais été conditionnée par ce que j’avais pu entendre lors d’un Café Littéraire et c’est d’ailleurs ce qui transparaît dans les quelques lignes de présentation que je viens de rédiger.

Marc TREVIDIC, connu pour être un juge anti-terroriste, est un fin connaisseur en matière d’art. J’ai pris beaucoup de plaisir à me laisser porter par son écriture pour accompagner le peintre dans sa reconquête de l’art et les 2 enfants dans leur apprentissage. L’auteur aurait pu choisir de se focaliser sur une discipline mais cela aurait été sans doute trop simple. Il explore donc, et il le fait subtilement, le mariage audacieux des 2 disciplines artistiques, la musique et la peinture. Tout au long du roman, ce duo constitue un fil rouge autour duquel les personnages gravitent, par 2 et en alternance, sans jamais perdre son lecteur.

C’est là sans doute le 1er indice d’un parcours de grand écrivain promis à Marc TREVIDIC. Le 2ème concerne son approche des mots et là, j’avoue m’être laissée séduire par plusieurs passages que j’ai trouvés très beaux :


Les mots avaient leur poésie, leur couleur et leur musique. [...] Des mots magiques, des mots en rythme, des mots colorés, des mots sombres, des blancs, des silences, des temps, des reprises, des souffles, des nuances, des chuchotements. P. 71

Mais, et il y a un mais, ce roman c’est aussi la jeunesse chahutée de 2 tunisiens, garçon et fille, et puis une révolution culturelle de tout un pays avec le printemps arabe.

Nous sommes au coeur de l’histoire contemporaine, retracée depuis les années 2000, avec quelque chose qui ressemble cruellement aux attentats qui frappent la France depuis janvier 2015. Marc TREVIDIC aurait pu glisser quelques éléments de connaissance sur le sujet pour construire son roman, mais en réalité, il s’est comporté, je pense, comme un expert qui relate chronologiquement les événements avec une rigueur telle que j’ai cru parcourir un temps un article journalistique. J’ai dû me faire violence, sans jeu de mot aucun, pour passer ce cap et terminer ma lecture. Sur le fond, je pense que je n’étais pas disposée à lire sur le sujet, notre vie aujourd’hui est malheureusement rythmée par les événements terroristes et les actualités en boucle ne cessent de relate des faits toujours plus macabres. Et sur la forme, ce mélange des genres littéraires me perturbe et me déplaît. En réalité, le sujet est vraiment traité dans le 2ème tiers du livre.

Mais, à bien y réfléchir, ce roman est lauréat du Prix 2016 Maison de la Presse. Je ne dois donc pas être la seule à le penser !

Un mot sur le parcours de ces 2 jeunes qui chacun tente de trouver ses repères. A la lecture de ce roman, on se rend vraiment compte du lien entre les fragilités de chacun, ses émotions, et sa prise de position sur des sujets d’ordre politique. La jeune fille suit la voie de sa maman dans l’émancipation des femmes et les revendications au titre des droits des femmes. Le garçon, à l’image de l’actualité, va suivre le chemin de la radicalisation et se rapprocher des jihadistes pour trouver la sienne. Marc TREVIDIC décrit parfaitement le processus du jeune qui progressivement choisit de rompre avec son environnement familial pour devenir ce qu’il appelle une machine :


La machine qui parlait n’avait pas d’émotions ou les cachait soigneusement. P. 170

Heureusement que je suis allée jusqu’à la dernière ligne avec une chute très bien menée qui me permet de garder un avis plutôt bienveillant à l’égard de ce 1er roman axé sur la fascination :


[…] Issam m’a parlé de l’amour de la peinture que tu lui avais transmis. Il m’a dit exactement la même chose. Il m’a parlé du nom des couleurs et de la fascination que ces mots provoquaient en lui, des images éblouissantes qu’elles faisaient naître. Crois-tu que la religion soit parvenue à le fasciner davantage ? P. 277

Je crois que je vais attendre avec impatience le 2ème de Marc TREVIDIC.

En attendant, et puisque l’opportunité de calendrier m’enest donnée, si vous êtes sur Paris et que l’art en Tunisie vous intéresse, rendez-vous à L’Institut des Cultures d’Islam pour voir l’exposition Effervescence qui se termine le 14 août prochain et qui donne à voir "le contexte de mutation et de maturation que traverse actuellement la Tunisie."

Ahlam de Marc TREVIDIC

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2016-08-05T16:41:33+02:00

Brillante de Stéphanie DUPAYS

Publié par Tlivres
Brillante de Stéphanie DUPAYS

Sans aucune transition avec le roman d’Evains WECHE, « Les brasseurs de la ville », et c’est tout le charme des 68 premières fois !

Alors que la vie en Haïti repose sur la satisfaction de besoins vitaux, en France, dans certains milieux parisiens, le luxe y est roi !

Lisez plutôt :


Excellente soirée, madame, excellente soirée, monsieur !" Claire et Antonin avancent du bon côté de la barrière que le vigile ouvre pour eux. Claire est fière de sentir sur elle les regards des badauds qui ralentissent le pas devant le Centre Pompidou. Tout privilège suscite chez ceux qui en sont exclus l'envie d'y accéder. C'est la base du marketing, créer le désir de faire partie du club. Aujourd'hui, c'est sa soirée, seules les jeunes recrues les plus performantes sont conviées au cocktail concluant l'assemblée générale de Nutribel. P. 9

Claire fait partie de ces heureuses recrues, pour le meilleur et pour le pire.

Tout commence avec le meilleur bien sûr ! Claire surfe sur une vague favorable. Du point de vue professionnel, elle occupe un emploi digne des élèves sortis des grandes écoles dans le domaine du marketing. Elle est en osmose avec sa supérieure hiérarchique qui voit en elle un bon élément. Elle pilote un projet qui lui apporte la reconnaissance de ses collègues, de l’entreprise en général, et bien au-delà. Dans sa vie privée, tout se passe également dans le meilleur des mondes. Elle la partage avec un jeune homme dont la carrière est égalementflorissante, dans le domaine du trading. Leur appartement parisien est digne des magazines de décoration et ils fréquentent les meilleurs restaurants de la capitale. Rien n’est trop beau pour ce couple au sommet de sa gloire. Mais, voilà, les arbres ne montent pas jusqu’au ciel ! Le succès sera-t-pérenne ?

C’est à cette question qu’essaie de répondre Stéphanie DUPAYS.

L’écrivaine brosse le portrait d’une certaine jeunesse française, parisienne, qui brille dans les salons. Ce microcosme respecte des codes, ceux de la perfection et donc de l’apparence.

Quelques principes fondamentaux s’appliquent :

* Rien ne doit être laissé au hasard, dans la vie professionnelle comme dans la vie privée, en commençant par la tenue vestimentaire, en passant par la présence sur les événements pour assurer sa visibilité jusqu’à la qualité irréprochable des diaporamas des réunions de travail. Il faut


Toujours tout contrôler. P. 11

Pour être apprécié(e) de ses pairs, il faut pouvoir être reconnu(e) :


Devant elle, les deux cents plus hauts managers de Nutribel. Ils ont tous un air de famille. Les gens finissent par se ressembler à force de vouloir les mêmes choses, de vivre dans le même environnement, de se conformer au même modèle. P. 19

* Etre en réseau en permanence, il convient d’échanger, de partager, les données mais aussi les coordonnées pour élargir le cercle des « amis »

* Communiquer avec des modalités adaptées pour aller toujours plus vite...


Tout autour, les doigts crépitent sur les claviers des smartphones. L'homme s'est adapté au produit. Le petit clavier rendant l'écriture inconfortable, les phrases se sont raccourcies, la pensée simplifiée, la ponctuation oubliée, le sens surligné grâce aux smileys. La brièveté est devenue un signe de pouvoir. Plus le temps de développer un raisonnement et de s'encombrer de formules de politesse, on est trop occupés pour ça. P. 26

J’avoue trouver cette citation particulièrement juste et adaptée, non seulement dans le milieu socio-professionnel approché par Stéphanie DUPAYS mais bien par tous, de tous âges, et dans le monde entier ! Il semble bien que les comportements du 21ème siècle évoluent dans le même sens. Il est peut-être temps d’avoir peur !

Et comme dans toute société, il y a des droits et des devoirs !

Il est par exemple proscrit d’avouer une quelconque faiblesse, dans sa vie privée comme dans sa vie professionnelle. Impossible de partager ses peines, ses doutes, ses pertes de confiance. Seuls les résultats, et encore favorables, peuvent et doivent être divulgués.


Demander l'aide d'une amie consisterait à reconnaître qu'il y a un problème. Elle préfère faire semblant. P. 84

Autant la communication est reine quand il s’agit d’épater, de séduire, de briller, autant elle devient un interdit quand le vernis commence à craqueler. Les subtilités de langage deviennent une priorité majeure :


Parler est risqué, parler révèlerait l'écart entre le discours obligé et les mots qu'elle voudrait prononcer. P. 84

Je vous évoquais le meilleur, mais finalement c'est peut-être le pire, chacun jugera...

Ce portrait ne m’a pas séduite. J’avais déjà un a priori avec la photo de couverture : des talons aiguille rouges, entrée très stéréotypée s’il en est une de la réussite professionnelle des femmes. Le titre n’est pas venu me rassurer, un peu trop bling bling pour être vrai ! Quant à la chute, j’ai trouvé qu’elle manquait un peu de caractère, à l’image de cette jeune femme prête à tout pour sauver les apparences. Ce cercle restreint de privilégiés angoissés par la perte de leur notoriété m’a agacée même si je reconnais qu’il puisse exister et qu’il puisse générer des nuits sans sommeil pour celles et ceux qui le vivent. J’ai trouvé globalement ce roman un peu facile et sans aucune originalité.

Par contre, j’ai apprécié les quelques sursauts, très rares et très brefs, trop à mon goût, en faveur de la culture. J’ai aimé cette parenthèse que Claire s’est offerte en tout début de roman avec une déambulation au Musée Pompidou pour apprécier les toiles à sa portée :


Claire s'assoit, ses chaussures lui font moins mal ainsi, elle plonge dans le bleu du tableau. Elle est seule dans la salle. Antonin a raison, ils sont tous en train de réseauter en bas. La contemplation l'apaise et la lave de tout le stress de la journée et des dernières semaines. P. 17

Il y en a eu une autre en faveur de la littérature et de son pouvoir sur les individus mais là, on commence à être déjà loin !


L'écriture hypnotise comme lorsque, enfant, elle s'immergeait dans un roman, sourde aux bruits du monde et insensible à la famille qui s'agitait autour d'elle. P. 145

En dehors de ces 2 passages auxquels j’ai été particulièrement sensible, et malgré une écriture fluide, je n’ai malheureusement pas trouvé dans ce roman quelque chose qui lui assure une petite place dans ma mémoire. Il manque de brillance justement, de cachet, de prestance, de personnalité, de caractère, quoi !

Brillante de Stéphanie DUPAYS

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2017-04-06T22:50:01+02:00

Nous, les passeurs de Marie BARRAUD

Publié par Tlivres

Ce roman fait partie de la sélection des 68 premières fois pour la rentrée littéraire de janvier 2017.


Autant vous le dire tout de suite, j'ai été bouleversée par la lecture de ce magnifique 1er roman.


Dès l'incipit, je suis happée :


Seuls ne meurent vraiment que ceux que l'on oublie.

Nous voilà au Château des Arts à Talence en Gironde. Là, le Docteur Albert Barraud et son épouse élevèrent leurs enfants, deux garçons, Max aujourd'hui kiné et le père de la narratrice, dentiste. Sur fond de 2ème guerre mondiale, une voix résonne au château "Maman, maman, papa a été arrêté !" Dès lors, la vie de la famille Barraud ne sera plus jamais la même. Le Chef de famille deviendra Directeur du Service de Santé de l'Organisation Civile et Militaire (O.C.M.), il sera ensuite déporté en 1944 à Neuengamme et mourra au large de Lübeck à bord d'un navire, le Cap Arcona. L'histoire de cet homme sera cachée jusqu'à ce que la narratrice, Marie, la petite fille d'Albert Barraud, se mette en quête de l'itinéraire de son grand-père.


Ce roman m'a profondément touchée tout d'abord je crois, par l'initiative prise par une petite fille qui veut comprendre ce qui s'est passé, et à travers l'histoire de son grand-père, découvrir qui elle est, d'où elle vient. Elle savait ne pas pouvoir compter sur son propre père qui restait muet sur la génération d'avant, marquée à jamais par l'absence de cet homme, et qu'elle ne savait pouvoir affronter, un peu comme si le respect et l'amour qu'elle vouait à son père l'empêchaient de pouvoir échanger avec lui.  


Il est le seul adulte avec qui je ne sais pas être adulte. Je ne parviens pas à me défaire de cette parole sacrée et remets systématiquement en question mes opinions quand elles lui sont opposées. P. 22

Marie Barraud sait que sa vie dépend de ce passé dont le secret devient trop lourd à porter, elle mesure à quel point sa vie à elle s'inscrit dans les pas des deux hommes, son père et avant lui son grand-père :


Notre vie peut prendre chaque jour la forme de nos folies, mais elle reste finalement, le prolongement des vies de ceux qui nous ont précédés. P. 74

Avec cette quête, Marie Barraud focalise sur les souvenirs et leur fragilité. Elle va rencontrer un survivant du camp de Neuengamme qui va l'aider à découvrir le rôle de son grand-père dans cette grande guerre. Elle va mesurer avec cette rencontre à quel point il est difficile d'assurer ce devoir. Le fardeau de ceux qui ont vécu les événements et en sont revenus pourrait bien être aussi lourd à porter que celui de ne pas s'avoir et de s'évertuer à le découvrir.


Il semblait s'être promie de ne jamais oublier. Rien. Pas le moindre détail. Au nom de tous ceux restés là-bas. P. 87

Mais plus encore, en cherchant à découvrir le passé de son grand-père, Marie Barraud va apprendre, un peu malgré elle, beaucoup de la vie des deux enfants, son père et son frère, les rivalités entretenues entre les 2 garçons pendant leur plus tendre enfance et qui ne manqueront pas de s'accroître avec les années. Elle va ainsi apprendre à cerner ce personnage qu'elle vénère tant aujourd'hui et à qui elle va dédier ce livre qui se trouve à la limite entre un roman et un récit de vie. Elle offre une profonde marque d'amour à ce père et espère pouvoir le libérer d'un poids dont lui-même n'a jamais voulu ou pu s'émanciper, rongé qu'il était par les regrets.


Enfin, grâce à cette initiative, la narratrice va aussi créer des ponts avec son propre frère, Benjamin, qui va lui aussi jouer un rôle aux côtés de Marie, une bien belle manière de donner du sens à ce que peut représenter une fratrie.


Les dernières pages sont d'une très grande émotion. D'ailleurs, en parlant d'émotions, je trouve que la plume de Marie Barraud sait décrire avec les mots justes les sentiments et cette incapacité de l'individu à pouvoir maîtriser leur expression :


Mais la plus belle comme la plus sombre des émotions ne peut être saisie par des mains, même les plus courageuses. P. 124

Ce livre témoigne s'il en était encore nécessaire que le simple fait de pouvoir poser des mots sur ce que l'on ressent peut être un premier pas vers un mieux-être, une meilleure santé psychique.


Parce que cette douleur n'a jamais été soulagée par des mots, elle s'est exprimée par des maux qui, sans ton intervention, auraient hanté encore ta descendance. P. 183

S'agissant d'un livre, nous pourrions bien parler là de bibliothérapie, non ?

 

Quant à évoquer les 68 premières fois, quelle aventure, et quelle qualité !

 

Principe de suspension de Vanessa Bamberger *****

Les parapluies d'Erik Satie de Stéphanie Kalfon ****

Presque ensemble de Marjorie Philibert ***

Ne parle pas aux inconnus de Sandra Reinflet *****

La téméraire de Marine Westphal *****

La sonate oubliée de Christiana Moreau ****

Cette lecture participe au Challenge de

la Rentrée Littéraire MicMelo de janvier 2017 ! 

Pour que rien ne s'efface de Catherine LOCANDRO *****

Principe de suspension de Vanessa BAMBERGER ****

Les parapluies d'Erik Satie de Stéphanie KALFON ****

Coeur-Naufrage de Delphine BERTHOLON ***** Coup de coeur

Presque ensemble de Marjorie PHILIBERT ***

La baleine thébaïde de Pierre RAUFAST ****

L'article 353 du code pénal de Tanguy VIEL ****

Ne parle pas aux inconnus de Sandra REINFLET ****

La téméraire de Marine WESTPHAL *****

Par amour de Valérie TONG CUONG ***** Coup de coeur

La société du mystère de Dominique FERNANDEZ ****

L'abandon des prétentions de Blandine RINKEL ****

La sonate oubliée de Christiana MOREAU ****

 

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2018-02-18T07:00:00+01:00

Bénédict de Cécile LADJALI

Publié par Tlivres

 

Actes Sud


Bénédict est le dernier roman de Cécile LADJALI. C'est avec grand plaisir que je me suis lancée dans sa lecture dans la perspective de sa venue à la Librairie Richer samedi 24 février prochain.

Bénédict est professeur de littérature à l'université à Lausanne en Suisse. Nous sommes le 11 janvier 2016, le jour de la mort de David Bowie. La fac est fermée, des squatteurs syriens ont été découverts dans le réfectoire. Leur évacuation est attendue par les services de police pour une reconduite à la frontière. Les étudiants s'insurgent, Bénédict aussi. Il y rencontre Angélique, la compagne de Nadir dont il est le maître de thèse. Bénédict vit des nuits mouvementés qui sont envahies par un cauchemar récurent, celui d'une crise d'épilepsie, de son évacuation et la piqûre libératrice réalisé par du personnel médical vêtu du hijab sur fond de muezzin. Bénédict est né en Iran. A 11 ans, à cause de sa maladie, et d'un secret, la famille quitte le pays pour s'établir en Suisse, dans un environnement naturel sain.  Le père de Bénédict, pasteur, est décédé. Sa mère vit aujourd'hui à Nichapour. Il lui rend visite une fois dans l'année. Là-bas, Bénédict vit un retour aux sources et un changement d'identité. 
Ce roman, je m'en suis délectée sur un après-midi, impossible pour moi de l'interrompre alors que le suspens reste entier. 


A travers le personnage de Bénédict, Cécile LADJALI évoque la double culture et cette gymnastique incessante entre les codes vestimentaires, sociaux, religieux, politiques... Elle aborde le déterminisme territorial et les inégalités qui y sont liées. Tous les hommes ne naissent pas égaux, à commencer par les terres sur lesquels ils naissent :
 


Et il est des territoires où il vaut mieux vivre que d’autres, comme il est des corps qu’il semble préférable d’habiter. P. 87

Chaque pays a son histoire, ses traditions, ses coutumes, son éducation, sa langue. Alors, quand il s'agit de l'Occident et du Moyen-Orient, les différences sont décuplées. Si en France la condition féminine fait débat et l'aspiration à une plus grande égalité est revendiquée, en Iran, les femmes sont littéralement les sujets des hommes, condamnées très tôt aux tâches domestiques et destinées à satisfaire le moindre désir du genre masculin. 
 


Ici, quand on naît homme, on est libre de sortir, libre de se retrouver dans des lieux publics, libre de fumer, libre de jouer, libre de rire. [...] Les épouses et les mères sont restées à la maison pour border les enfants, ramasser les miettes du repas, faire la vaisselle. L’appartement doit être impeccable et les draps frais quand les hommes rentreront de coucher, exigeant alors leur lot de caresses. P. 173/174

A travers les générations de la famille de Bénédict, Cécile LADJALI relate l'histoire de ce pays et l'évolution des femmes. Avant la révolution, elles étaient libres. Depuis 1979, leurs droits sont bannis. C'est un portrait sociétal contemporain qui me révolte. Quel être humain mérite ce traitement ? Je suis toujours effrayée de constater qu'au XXIème siècle une telle maltraitance subsiste encore.


Mais Bénédict a un autre combat à mener, il est intérieur celui-là, il est en rapport avec son corps, celui d'une femme. Bénédict, selon les territoires, l'heure du jour et de la nuit, devient Bénédicte. Si ces parents l'ont accepté dès son plus jeune âge, il n'en demeure pas moins que la lutte est quotidienne. Son corps est emprisonné par le regard des autres et les conditionne à des comportements stéréotypés.
 


C’est le regard des autres qui la définit et les yeux de la douanière viennent de lui conférer un sexe. Celui dont elle ne veut pas. Celui dont elle s’arrange tant bien que mal en Suisse, mais qu’elle subit en Iran. Dans les yeux des autres, elle est diffractée. P. 103

Outre la double culture que Bénédict doit assumer comme l'héritage douloureux d'une folle histoire d'amour entre son père et sa mère, il a aussi à surmonter cette condition qui fait de lui quelqu'un de différent, prisonnier qu'il est de la société.
 


La prison de sa chair a été construite par les autres. Ce sont les autres qui ont bâti sa geôle intime pour l’y enfermer à triple tour. P. 106

La langue, elle-même, devient une composante de la prison dans laquelle sont condamnés les individus. Si le farsi comporte de nombreux mots neutres, le français, lui, n'en est pas encore là. Cécile LADJALI met le doigt là où ça fait mal. L'approche genrée du vocabulaire français fait débat et quand il s'agit d'êtres travestis, les effets sont hautement traumatisants. La situation nous interpelle. Personnellement, j'ai adoré tous ces passages sur les mots et notamment celui qui évoque leur musicalité :  
 


Pourquoi chacun de vos mots résonne-t-ils comme une prière ? Comme un chant ?
Sans doute parce que vous savez écouter et vous abandonner à la musique. P. 84

Cette quête d'identité, et à travers elle, ce combat pour la liberté, m'ont profondément touchée. Il faut avouer qu'ils sont servis par une plume remarquable et singulière. Le fait qu'elle convoque de nombreuses disciplines artistiques tout au long du livre n'a fait que renforcer la puissance du propos. Je pense par exemple à ce tableau de Rossetti : "Perséphone" 

 

ou bien encore au Poème nocturne opus 61 de Scriabin, de quoi graver ma mémoire à jamais.

Je n'avais encore jamais eu la chance de lire un roman de Cécile LADJALI. Ce n'est pourtant pas faute d'être régulièrement séduite par ses interventions à la radio mais l'occasion ne m'avait pas encore été donnée. C'est aujourd'hui chose faite et samedi prochain, je pourrais enfin la rencontrer. La boucle sera ainsi bouclée.
 

 

Ce roman concourt au Challenge de la Rentrée Littéraire organisé par le blog "Aux bouquins garnis" :

comme :

- Les guerres de mon père de Colombe SCHNECK

- Une vie minuscule de Philippe KRHAJAC

- Une longue impatience de Gaëlle JOSSE Coup de coeur

- Tristan de Clarence BOULAY

- Un funambule d'Alexandre SEURAT

- Juste une orangeade de Caroline PASCAL

- Les déraisons d'Odile d'OULTREMONT

- Pays provisoire de Fanny TONNELIER

- Une verrière sous le ciel de Lenka HORNAKOVA CIVADE

- Le cas singulier de Benjamin T. de Catherine ROLLAND

- L'Attrape-souci. de Catherine FAYE

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2018-03-20T07:00:00+01:00

Eparse de Lisa BALAVOINE

Publié par Tlivres

 

Editions Lattès
 

Il est souvent difficile de rebondir après une lecture qui n’a pas été à la hauteur de vos attentes. Il est encore plus difficile de renouer avec la rédaction d'une chronique quand la suivante a fait vibrer votre cœur de façon totalement désordonnée. J'en connais une qui dirait "Boum boum".


Avec "Éparse" de Lisa BALAVOINE, vous embarquez tout simplement pour un ascenseur émotionnel hors du commun. 


La narratrice, l'écrivaine elle-même, aborde la quarantaine. Elle est divorcée et mère de 3 enfants. Elle déroule le fil de son existence au gré de beaux et de terribles souvenirs. Elle convoque simultanément 3 générations. Il y a d'abord les relations avec ses parents, son père, sa mère. Là, le terrain est miné, la filiation est douloureuse, largement teintée d'amertume. Et puis, il y a sa génération à elle, celle construite autour d'un mariage pour le meilleur et pour le pire. Il y a eu de l'amour, beaucoup  d'amour, et puis avec le temps, ce qui relevait de l'exceptionnel s'est progressivement banalisé, chacun s'est désintéressé de l'autre au point de rendre les liens insupportables. La rupture était devenue inéluctable. Elle s'est mise en quête de nouveaux repères, au gré de rencontres, d'aventures aussi, sans lendemain. Et puis, il y a la génération des enfants. A son tour à elle d'être mère, un rôle particulièrement ingrat à tenir, d'autant que les enfants peuvent être parfois bien cruels. Mais la vie est ainsi faite et mérite largement d'être vécue quand elle offre la voie de la liberté et du bonheur !  


Ce roman, je l'ai découvert avec les 68 Premières fois, encore une bien jolie révélation. Nos fées ont décidément une aptitude toute particulière à débusquer le talent là où il est.
La narratrice explique sa quête dès les premières pages, en poésie s'il vous plaît :


Je voudrais pouvoir décoller les différentes couches de papier peint de ma vie pour retrouver le lé d’origine. P.10

Ce roman m'a beaucoup émue d'abord dans les liens qui unissaient la narratrice à ses grands-parents. Elle cultive la mémoire de beaux moments de bonheur glanés alors qu'elle n'était encore qu'une enfant. Ses parents étaient divorcés, eux aussi, elle trouvait son équilibre dans cette maison où la tendresse semblait être l'invitée de chaque jour. Nul doute que nous aimerions tous en vivre de cette profondeur.


"Eparse" fait de la relation à l'autre son sujet de prédilection. Il l'explore, la dissèque, la scrute... Il y a des passages d'une très grande sensualité quand la narratrice parle d'amour et du cycle de la passion avec ses moments de fulgurance, ses côtés volcaniques et sulfureux, et puis, sa dimension plus apaisée, amoindrie, voire éteinte, absente. 


Il y a les sentiments bien sûr, mais il y a aussi la dimension charnelle, le rapport au corps, depuis les frémissements jusqu'au prodigieux plaisir, de celui qui est généralement indéfinissable mais qui, sous la plume de Lisa BALAVOINE, trouve sa plus belle expression.


Et puis, il y a aussi des moments de profonde solitude, ce sentiment d'abandon qui déchire l'âme, vous percute, vous fait sombrer dans le chagrin et violemment souffrir. Chaque fois, la narratrice rebondit, elle fait du temps un baume pour panser ses plaies :
 


La douleur peut bien nous clouer au sol et nous mettre à genoux, le temps fait son travail. C’est un bon petit soldat. Il parfait l’érosion des peines, il encense les vertus de l’attente. P. 240

Ce roman familial, intime, donne à voir une réalité sociétale avec des familles divorcées, les gardes alternées des enfants et les conséquences de ces ruptures sur les êtres. Il aurait pu être triste et larmoyant. Il est au contraire profondément lumineux. Il évoque la vie d'une femme qui va jusqu'au bout de ses convictions et qui, avec beaucoup de ténacité, va trouver la voie rêvée. 


Après le rapport aux autres, Lisa BALAVOINE va effectivement serpenter sur le chemin de la découverte de soi, un long chemin qui permet après une quarantaine d'années d'être en phase avec soi même, d'atteindre une certaine mâturité, de pouvoir faire ses propres choix et de les assumer, bref, d'accéder à la plénitude.


L'auteure ponctue son roman d'extraits de sa playslist, impossible de ne pas avoir avec elle une chanson en commun, voire plus ! Les notes de musique résonnent profondément. 
J'ai découvert avec "Eparse" la plume de Lisa BALAVOINE, je ne suis pas prête de l'oublier. D'abord, parce qu'elle est aussi fragmentée que la vie de la narratrice, tantôt étalée sur 2 ou 3 pages, tantôt concentrée en quelques mots. Les paragraphes se suivent et ne se ressemblent pas. Il y a un rythme haletant imposé par une narration alternée, mouvementée, cadencée. Le récit se prête tout à fait à l'image de la vie des familles d'aujourd'hui, bercées par des moments d'intense amour, bousculées par des "accidents" aussi ! Et l'écrivaine a une bien jolie manière de nous interpeller.

 

Un premier roman percutant, assurément !
 

Ce roman fait partie de la sélection des 68 Premières fois pour la rentrée littéraire de janvier/février 2018 avec :


L'Attrape-souci de Catherine FAYE


Les déraisons d'Odile d'OULTREMONT


Pays provisoire de Fanny TONNELIER


L'homme de Grand Soleil de Jacques GAUBIL


Les rêveurs d'Isabelle CARRE

 

Ce roman concourt au Challenge de la Rentrée Littéraire organisé par le blog "Aux bouquins garnis" :

comme :

- Les guerres de mon père de Colombe SCHNECK

- Une vie minuscule de Philippe KRHAJAC

- Une longue impatience de Gaëlle JOSSE Coup de coeur

- Tristan de Clarence BOULAY

- Un funambule d'Alexandre SEURAT

- Juste une orangeade de Caroline PASCAL

- Les déraisons d'Odile d'OULTREMONT

- Pays provisoire de Fanny TONNELIER

- Une verrière sous le ciel de Lenka HORNAKOVA CIVADE

- Le cas singulier de Benjamin T. de Catherine ROLLAND

- L'Attrape-souci. de Catherine FAYE

- Bénédict.de Cécile LADJALI

- L'atelier des souvenirs.d'Anne IDOUX-THIVET

- La nuit je vole de Michèle ASTRUD

- La meilleure façon de marcher est celle du flamant rose de Diane DUCRET

- L'homme de Grand Soleil de Jacques GAUBIL

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2024-01-04T07:00:00+01:00

Une femme debout de Catherine BARDON

Publié par Tlivres
Une femme debout de Catherine BARDON

Et de 2... coups de ❤️ dans cette rentrée littéraire de janvier 2024. Aux côtés de la création de Cristina SAMPAIO, place au nouveau roman de Catherine BARDON, "Une femme debout", il est publié aux éditions Les Escales. Il sort aujourd'hui en librairie.

Tout commence à Marigot en Haïti. Nous sommes en 1950. Maria Carmen et André vivent dans la misère, chacun dans sa famille, alors même qu’ils ont un enfant ensemble, Petit Louis. Quand un homme étranger fait résonner sa voix dans un haut-parleur pour annoncer au village le recrutement d’hommes et de femmes pour la saison de la canne à sucre en République Dominicaine, Maria Carmen n’hésite pas longtemps. Il faut qu’ils saisissent leur chance d’une vie meilleure. Le baluchon est rapidement fait, un dernier baiser donné au bébé ensommeillé, il restera chez sa grand-mère maternelle le temps de la saison. Les contrôles passés, Maria Carmen et André montent à bord d’un camion bâché. Le couple, promis au paradis, découvrira avec horreur les baraquements destinés aux ouvriers agricoles. Leur nouvelle vie ne fait que commencer !

Catherine BARDON est une formidable conteuse. Je me souviens très bien de ce roman « Les déracinés », un livre qui m’avait transportée.

Là, nous sommes dans la même veine. L’écrivaine a ce talent de brosser des personnages de gens ordinaires. Elle leur donne vie. Le propos est émouvant et lumineux. Dans chacun d’entre eux, elle s’attache à raviver la flamme qui somnole pour en faire un grand feu. Elle met la focale sur ce qu’ils ont de plus fort et audacieux, ce qui leur permet d’affronter les événements, bref de RESISTER.

Ces parcours de vie, elle les façonne pour s’inscrire dans la grande Histoire, là celle de la République Dominicaine qu’elle connaît bien. Catherine BARDON sait allègrement mêler fiction et réalité. Elle relate ainsi les conditions dans lesquelles des haïtiens ont été leurrés par des propriétaires terriens qui les ont exploités par le travail dans les champs, un travail dur qui meurtrit les corps, puis asservis à vie en les endettant à la basse saison. Les familles se sont retrouvées emprisonnées dans un système économique reposant exclusivement sur la cannerie. C’est elle qui offre le lit et le couvert ! Nous sommes à la moitié du XXème siècle.

Vous pourriez vous dire que tout ça est terminé. Et bien non ! Cet esclavage des temps modernes n’a pas affecté une seule génération mais gangréné toutes les suivantes. Là, le propos devient militant. Catherine BARDON dénonce la situation des descendants des haïtiens rendus apatrides depuis 2013 par une décision de la cour constitutionnelle dominicaine touchant 250 000 dominicains.

Vous vous souvenez peut-être de Caroline LAURENT qui, avec « Rivage de la colère », avait révélé au monde entier le sort des habitants des îles Chagos, rendez-vous était alors donné devant la Cour de Justice Internationale de La Haye.

Avec ce roman, l’écrivaine s'inscrit dans le même objectif : mettre sa plume au service des plus faibles. Elle devient le porte voix d’une communauté dont les droits et la dignité sont bafoués. Qu'elle en soit remerciée.

Mais ce livre ne serait rien sans la biographie de Sonia PIERRE, une enfant née dans ce campement de misère, de Maria Carmen et André. Avec l’arrivée d’un missionnaire et l’apprentissage de l’espagnol, la fillette s’émancipe. Le Père Anselme l’aide à accéder au collège. A l’âge de 13 ans, elle lance une manifestation avec les ouvriers de la raffinerie.


L’injustice de leur existence, qui frôlait l’inhumanité, lui apparaissait, évidente. Elle ne voulait pas de ce monde-là. Cultivant son indignation, elle construisait brique par brique le mur de sa révolte. P. 76

A la suite des événements, elle passe une nuit en prison, mais rien ne l’arrêtera. Elle suivra des études universitaires à Cuba. Son mari la soutiendra dans sa volonté acharnée de changer le monde. On lui doit la création en 1983 du MUHDA, le mouvement des femmes dominicaines issues de l’immigration des haïtiens.


Journalistes, avocates, religieuses, elles composaient une vitrine du militantisme féminin à travers le monde. Elles étaient les multiples facettes d’un même combat, celui des opprimées, celui de celles dont la voix peinait à se faire entendre. Chacune à sa façon, dans son coin du monde, s’était dressée pour leur donner un écho. P. 238

Avec ce mouvement, Sonia PIERRE porta le cas d’enfants devant la cour interaméricaine des droits de l’homme. L’arrêt du 8 septembre 2005 rendit justice à l’acquisition de la nationalité. Mais pour combien de temps !

Catherine BARDON s’inscrit dans les pas de cette « Fanm vanyan » (en haïtien, ce terme qualifie une femme combattante, libre...), grande femme, noire, militante promise au Prix Nobel de la Paix. Décédée trop tôt, l’écrivaine lui offre aujourd'hui la voie de la postérité.

« Une femme debout » est un roman fabuleux pour un destin qui ne l’est pas moins.

Le jeu de l’écriture permet le croisement de deux époques, le passé et le présent, qui, dans les toutes dernières pages ne feront plus qu’un. C’est audacieux, c’est parfaitement orchestré.

C’est un coup de ❤️ !

Publicité. Livre offert par la maison d'édition.

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2023-03-16T08:20:58+01:00

La carte postale de Anne BEREST

Publié par Tlivres
La carte postale de Anne BEREST

Je poursuis la déclinaison de #marsaufeminin avec ma #citationdujeudi extraite d'un roman coup de coeur, un roman dont je me souviens comme à la première heure, je parle de "La carte postale" d'Anne BEREST chez Grasset et désormais disponible en poche chez Le livre de poche.

Anne BEREST est une écrivaine brillante.

Je vous dis quelques mots de ce roman.

Tout commence au petit matin. La neige a tombé dans la nuit. La mère de Anne BEREST, Lélia, va, en chaussons, cigarette à la bouche, faire le relevé du courrier. L'année 2003 commence tout juste. Au pied de la boîte aux lettres toute disloquée, parmi les cartes de voeux, gît une carte postale avec, au recto, une photographie de l'Opéra Garnier, au verso, quatre prénoms : 
Ephraïm
Emma
Noémie
Jacques
Aussi obscure et impénétrable soit-elle avec ces seuls prénoms comme repères, ceux des grands-parents, oncle et tante de Lélia, "La carte postale" a été rangée au fond d'un tiroir après avoir suscité quelques brefs échanges lors du repas familial. Une bonne dizaine d'années plus tard, alors que Anne BEREST est enceinte et doit se reposer pour sa fin de grossesse, elle prend le chemin de la maison familiale et demande à Lélia de lui raconter la vie de ses ancêtres. Là commence toute l'histoire... ou presque. Si Lélia a fait beaucoup de recherches pour remonter le fil de l'existence des Rabinovitch, "La carte postale", elle, reste une énigme. Quelques années plus tard, elle deviendra une obsession. 
 
"La carte postale", c'est une enquête menée par Anne BEREST, elle-même, écrivaine, réalisatrice. De bout en bout, j’ai été captivée par la recomposition du puzzle familial. Ce roman est empreint d’un mystère jamais résolu.
 
Ce que j'aime avec la citation choisie, c'est la référence au personnage de Myriam. La femme est éprise de liberté et fascinée par l'art, le chemin tout tracé vers l'homme qu'elle épousera le 15 novembre 1941. Il s'agit de Vicente PICABIA, le fils de Francis PICABIA, l'artiste de l'avant-garde.
 
Et puis, le choix des mots dans la langue anglaise donne une dimension éminemment poétique. Il met aussi le doigt sur ce qui relève du vivant et traduit à lui, seul, l'élan d'espoir qui souffle sur une famille exposée aux pires tragédies. 
 
"La carte postale" d'Anne BEREST navigue entre deux registres littéraires, celui du récit de vie et celui du roman. L'écrivaine nous offre un grand moment de littérature, une lecture empreinte d'humanité servie par une plume absolument fascinante. J’ai vibré, j’ai frissonné, j'ai encaissé, j’ai chuté aussi, mais j'ai aimé, passionnément !

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2015-01-14T13:36:56+01:00

Charlotte de David FOENKINOS

Publié par Tlivres
Charlotte de David FOENKINOS

Prix Renaudot 2014

Prix Goncourt des Lycéens 2014

Quel plaisir de démarrer l'année et la rubrique "Mes lectures" avec un Coup de coeur !

Je vous explique...


"Charlotte", c'est le dernier roman de David FOENKINOS. Il est inspiré de la vie de Charlotte SALOMON, une jeune peintre, allemande, assassinée à l'âge de 26 ans. Menacée, elle s'est attachée à léguer, avant son grand départ, une oeuvre autobiographique : "Vie ? ou Théâtre ?".
David FOENKINOS remonte le fil de l'existence de cette artiste méconnue, marquée dès son plus jeune âge par le suicide de toute une lignée de femmes de sa famille. Dans un contexte psychologique déjà difficile, elle subit de plein fouet la montée du nazisme et le repli de la communauté juive dont elle fait partie. Comme pour s'accrocher à la vie, elle se passionne pour la peinture, en particulier pour celle de la Renaissance. Un voyage en Italie avec ses grands parents la conforte dans cet attrait. Elle entre à l'Académie des Beaux Arts de Berlin où elle va nourrir son art. Malheureusement, les événements de l'époque la rattrapent, son avenir est remis en question.


Je ne vous en dis pas plus.


Il s'agit d'un très beau roman, très émouvant, dont la citation introductive de KAFKA du 19 octobre 1921 illustre parfaitement l'itinéraire de Charlotte SALOMON :

Celui qui, vivant, ne vient pas à bout de la vie, a besoin d'une main pour écarter un peu le désespoir que lui cause son destin.

Charlotte de David FOENKINOS

Vous l'aurez compris, ce roman revêt 2 dimensions. L'une intime avec cette répétition de suicides au sein d'un microcosme familial, un peu comme s'il n'y avait pas d'autre alternative possible, des femmes formatées pour s'auto-détruire, c'est terrifiant. Une autre, beaucoup plus large, qui correspond à la traque et à la déportation de la communauté juive.


Ce dernier sujet est assez communément traité mais David FOENKINOS, par son talent, en fait quelque chose d'exceptionnel. Il a choisi une forme littéraire toute particulière. Les phrases sont courtes, les retours à la ligne sont systématiques, le rythme de la lecture est précipité comme les événements de la vie de Charlotte SALOMON qui s'enchaînent à vitesse accélérée.

Parallèlement, cette forme permet à l'auteur de faire entrer son livre dans la catégorie des beaux objets avec des pages d'écriture qui prennent l'apparence de poèmes. C'est assez rare pour être souligné. Alors, quand l'auteur dédicace son oeuvre avec quelques traits de crayon pour représenter un visage, son livre devient assurément un très beau cadeau !

Avec ce roman, David FOENKINOS fait un acte fort, il assure la mémoire d'une artiste, hier méconnue, qui aujourd'hui se voit honorée dignement. J'ai recherché quelques toiles de Charlotte SALOMON, personnellement attirée par les couleurs lumineuses qui semblent les caractériser. Malheureusement, les librairies ont été dévalisées, le peu qui existait a été vendu. Toutefois, j'ai glané une petite information qui pourrait bien vous séduire. Les Editions Gallimard envisagent de publier, cette année, un beau livre réunissant le roman de David FOENKINOS et la copie d'un panel d'oeuvres de Charlotte SALOMON. Alors, ayez l'oeil !

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Dora Bruder de Patrick MODIANO

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2016-03-18T07:12:52+01:00

Grâce de Delphine BERTHOLON

Publié par Tlivres
Grâce de Delphine BERTHOLON

Delphine BERTHOLON, j'ai découvert son écriture avec "L'effet Larsen" en novembre dernier et ce roman est gravé à jamais dans ma mémoire pour m'avoir accompagnée les jours suivant les terribles attentats de Paris, il résonne encore aujourd'hui !


J'étais particulièrement tentée de poursuivre la découverte des oeuvres de cette écrivaine et "Grâce" m'a tendu les bras...

Tout commence avec une lettre dactylographiée, dont on ne comprend pas bien son contexte, qui est son destinataire, et ce qu'elle pourra bien induire dans ce roman, mais ce que l'on mesure dans les premières lignes, c'est le manque incommensurable liée à l'absence d'un être cher.


Et puis, il y a aussi un chapitre qui commence ainsi : "Dès que je passai le seuil de la maison, je sus que quelque chose n'allait pas. "


Et enfin, il y a ce que l'on peut appréhender comme un journal intime signé de Grâce Marie Bataille, 7 mars 1981... : "Ce matin, j'ai eu trente quatre ans. Trente quatre ans, et deux gosses."


Vous l'aurez compris, le talent de Delphine BERTHOLON est de tracer l'itinéraire de 3 personnages et de faire en sorte que leurs parcours se croisent très naturellement. Depuis la fille au pair venue de Roumanie, en passant par Nathan, père de 2 jeunes enfants, des faux jumeaux dont la mère est décédée lors de leur naissance, jusqu'à Grâce, la mère de Nathan, cette vieille femme dont les fragilités s'accroissent. Aujourd'hui, nous sommes le 24 décembre, il neige, et les festivités vont bientôt commencer !


Mais ce n'est pas tout, elle va le faire en vous prenant à la gorge dès les premières pages sans jamais pouvoir vous lâcher d'ici la page 356. Thriller psychologique, ce roman se lit en apnée totale. Si vous avez envie de quitter un temps votre environnement familial, professionnel... évasion cérébrale assurée ! Avec du recul, je me dis que la couverture est en totale adéquation avec l'histoire, c'est suffisamment rare pour le signaler. Toute noire, une maison en perspective vue à travers le pare brise d'une voiture... Je vous livre ces quelques détails comme autant d'énigmes à résoudre !


Delphine BERTHOLON a cette capacité à se fondre dans l'intimité de personnages meurtris, des hommes et des femmes anti-héros oppressés par des souffrances terrifiantes, des souffrances liées à des secrets de famille, des non-dits... à des décisions prises à un instant T mais avec des effets dévastateurs susceptibles de se transmettre de génération en génération :


La vie est une suite de choix plus ou moins réfléchis, de hasards heureux ou malheureux, rencontres, bifurcations, prendre à droite, prendre à gauche, mille destins différents à chaque carrefour, et puis des évidences. P. 170

Elle conclut ce très beau roman avec cette dernière ligne


[...] je réintègre, enfin, l'humanité. P. 356


Tout est dit dans la démarche d'écriture de Delphine BERTHOLON !

Lire un roman de cette auteure, c'est être sûr.e d'en garder l'empreinte !

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2023-02-03T07:00:00+01:00

Regarde le vent de Marie-Virginie DRU

Publié par Tlivres
Regarde le vent de Marie-Virginie DRU

Après la lecture #coupdepoing du roman de Frédéric COUDERC aux éditions Les Escales, "Hors d'atteinte", difficile de rebondir bien sûr.

J'ai pourtant réussi à trouver quelque chose d'intéressant...

Ma #Vendredilecture, c'est le second roman de Marie-Virginie DRU, "Regarde le vent" aux éditions Albin Michel que je remercie pour ce cadeau de rentrée littéraire.

Camille a la quarantaine. Elle est mariée avec Raphaël avec qui elle a eu deux filles, Jeanne et Louise de 12 et 14 ans. Elle est guide conférencière à Paris. Sa grand-mère, Annette, est décédée il y a trois mois. Elle a une irrépressible envie de se mettre à écrire. Comme une adolescente, elle commence à rédiger en cachette. Raphaël est un être torturé et violent. Il met la main sur ce qui apparaît comme le journal intime de sa femme, elle qui s'évertue à remonter le fil des générations passées, des histoires de femmes. Dès lors, tout peut arriver.

Ce roman, je l'ai lu avec une épée de Damoclès au-dessus de la tête. Dès les premières pages, Marie-Virginie DRU réussit à instaurer un climat de tension à l'image d'une présence perverse qui s'insinuerait dans la vie de cette famille, telle un prédateur. Elle réussit un tour de force qui va aller en se décuplant. Je dois vous le dire, je n'en ai fait qu'une bouchée. Impossible de lâcher ce page-turner bien après minuit tellement le suspens était à son comble !

Et puis, il y a la thématique. Je suis toujours fascinée par la mémoire intergénérationnelle, ce que nous transmettent inconsciemment nos ancêtres. A la lecture de la citation de Delphine HORVILLEUR en introduction, 


"La buée des existences passées ne s'évapore pas :

elle souffle dans nos vies et nous mène là où nous ne pensions jamais aller."


j'ai plongé !

Marie-Virginie DRU brosse aussi des portraits de femmes fortes, des résistantes, des femmes marquées par des histoires douloureuses, voire dramatiques, de maternité, un peu comme une malédiction qui se transmettrait de mère en fille. 


Sa maman lui a toujours dit qu’une fois mère, on n’était plus jamais tranquille. P. 164 Camille

Enfin, il y a l'objet de toutes les convoitises, le livre familial. Associé aux articles 311 et 312 du Code Pénal qui dit :

"Il y a abus de confiance quand une personne s'approprie un bien que lui a confié sa victime. [...]

Aucune poursuite légale ne pourra être engagée pour l'abus de confiance entre époux."

vous comprendrez que l'enjeu est de taille !

Cerise sur le gâteau : le propos de Marie-Virginie DRU est ponctué de mille et une références culturelles, un petit bijou. Il y a des chansons, des poèmes, des sculptures, etc. Autant de merveilles qui résonnent entre elles. 

Dernier point, la plume, une découverte pour moi. Elle est foisonnante. Les personnages sont de fiction mais Marie-Virginie DRU réussit formidablement bien à leur donner corps. Les descriptions et les vies trépidantes de celles qu'elle décrit sont autant d'invitations à s'identifier à elles. Pari réussi du second roman !

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2023-01-31T07:49:25+01:00

Les Mangeurs de nuit de Marie CHARREL

Publié par Tlivres
Les Mangeurs de nuit de Marie CHARREL

Quand l’équipe de Vleel propose un Challenge d’hiver et que je ne suis pas à une folie près, j’accepte bien sûr.

Le défi : publier 9 chroniques de livres lus entre le 27 décembre 2022 et le 27 mars 2023.

Si au ski, vous avez différentes couleurs de pistes, là, des catégories 

Un livre à lire tout schuss : d’une traite sans s’arrêter
Un titre de livre qui évoque le froid dans sa globalité
Un livre pour se réchauffer pendant l’hiver 
Un auteur reçu par Vleel depuis ses débuts en 2020
Un livre d’une maison d’édition reçue par Vleel depuis ses débuts également
Un livre d’un auteur québécois 
Un roman graphique ou BD 
Un titre de nature writing 
Un livre ho! ho! ho!

Pour une mise en jambe, je démarre aujourd’hui avec 

Un livre d’un éditeur reçu par Vleel 

j’ai choisi les éditions de l’Observatoire que j’aime tant avec mon premier coup de coeur de l’année, « Les Mangeurs de nuit » de Marie CHARREL. C'est mon #mardiconseil.

Nous partons pour le Canada revisiter son Histoire à travers des personnages aussi attachants que mystérieux. Il y a Hannah, une femme qui vit recluse depuis une dizaine d'année dans une maison en haute montagne. Elle porte en elle les traces de sa famille meurtrie par un courant migratoire croyant en l'eldorado mais qui, en posant le pied en terre américaine, révéla à Aika Tamura la grossière erreur de croire en un mariage arrangé. Elle fit partie en 1926 de ces "picture bride", des japonaises qui, en l'absence d'avenir dans leur pays, consentirent à une union sur photographies avec un étranger. Aika n'avait que 17 ans, lui, Kuma, 45. Et puis, il y a Jack, un creekwalker, l'un des 150 hommes recrutés pour veiller sur les cours d'eau et compter les saumons de la Colombie-Britannique. Il passe sa vie avec ses deux chiens. Hannah et Jack ont tous deux été bercés par des contes pour enfants. La réalité s'est chargée de leur faire vivre un tout autre destin. 

Cette maison d’édition était au micro de Vleel en août 2020, Dana BURLAC, Directrice, répondait aux questions d’Anthony et les internautes réunis pour l’évènement.

Sur le blog, retrouvez mes lectures (très souvent des coups de ❤️) depuis leur création.

"Les Mangeurs de nuit" de Marie CHARREL

"Celle qui fut moi" de Frédérique DEGHELT

"Au café de la ville perdue" de Anaïs LLOBET

"Les nuits bleues" de Anne-Fleur BURTON

"Il est juste que les forts soient frappés" et "Les enfants véritables"  de Thibault BERARD

"Simone" de Léa CHAUVEL-LEVY

"Les danseurs de l'aube" de Marie CHARREL

"Le poids de la neige" de Christian GUAY-POLIQUIN

"Juste une orangeade" de Caroline PASCAL

"Les déraisons" d'Odile D'OULTREMONT

"L'âge de la lumière" de Whitney SHARER

"Ces rêves qu'on piétine" de Sébastien SPITZER

Si vous aussi voulez participer (plus on est de fous, plus on rit), les règles (toutes simples) sont ici

#bingovleel #challengedelhivervleel #vleel #varionsleseditionsenlive 

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2015-03-18T21:51:02+01:00

Trois jours à Oran d'Anne PLANTAGENET

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Trois jours à Oran d'Anne PLANTAGENET

En route pour un nouveau voyage !


Cette fois, j'ai accompagné Anne PLANTAGENET et son père sur la route de leurs souvenirs qui m'a menée jusqu'en Algérie, leur terre dont ils ont été dépossédés !


Anne PLANTAGENET nous livre le récit de sa vie, de ses parents, enseignants à Troyes, de sa grand mère paternelle née à Misserghin, près d'Oran. Alors que son couple vit un moment difficile, que son père atteint l'âge de la retraite, elle prend la décision de partir à la conquête de ses origines. Seul son père accepte l'invitation.


Commence alors un périple aux multiples émotions.


C'est un magnifique récit sur les souvenirs, les images qui vont inconsciemment se ranger dans la mémoire, ou pas, qui vont effacer les précédentes, ou pas...


Il y a ces petites choses qui tout à coup, ont le pouvoir de faire ressurgir le passé avec des émotions fortes. Ah, la cage à oiseaux !


Il y a l'Eglise aussi, ce lieu incontournable, témoin de tous les événements familiaux, pour le meilleur et pour le pire !


L'église blanche et majestueuse de la photo, s'élevant dans la campagne sèche au milieu des arbres et de rares toits aux vieilles tuiles. Où ont été baptisés les dix sept membres de ma famille, dont mon père, qui sont nés à la ferme. Où les frères de ma grand mère ont été enfants de choeur, sa nièce organiste, et où ont été célébrées les communions, la plupart des noces et aussi les messes d'enterrement de tous les Montoya morts à Misserghin avant 1962. P. 136

Il y a les hommes enfin. J'ai adoré ce passage où les occupants de la ferme toisent ces inconnus, se jaugent, et puis... se détendent, se confient... jusqu'à s'adopter. Un moment très émouvant. Le jeu des personnages, l'émotion du père, le ressenti de la narratrice sont autant de petites perles !

 


Mon père est totalement désorienté. Il regarde l'édifice d'un blanc sale, dont les vitraux ont été brisés et murés, comme on s'en aperçoit en en faisant le tour avec Amin. Il contemple toutes des maisons nouvelles surgies dans le champ où il jouait au foot enfant, ces poteaux électriques inexistants à l'époque, ces antennes paraboliques. Il n'a plus aucune référence. Seul un grand arbre, peut être, à droite de l'église n'a pas changé. P. 140

A partir d'une histoire singulière, ce récit de vie a le mérite de retracer une page de notre Histoire, celle des pieds noirs, que je connaissais peu et dont je mesure toute la souffrance aujourd'hui. Mais ce récit donne à voir également les motivations d'un tel retour sur la terre natale. Pourquoi réaliser cet itinéraire ? Anne PLANTAGENET essaie de répondre à cette question, à sa façon...


Très beau récit.

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2015-02-07T08:40:26+01:00

Le complexe d'Eden Bellwether de Benjamin WOOD

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Le complexe d'Eden Bellwether de Benjamin WOOD

1er roman

Traduit de l'anglais par Renaud MORIN

Prix du roman FNAC 2014

Oscar LOWE est aide-soignant à la Maison de retraite Cedarbrook. Il vient de finir sa journée de travail. Sur le chemin du retour, à travers le parc de King's College, il est attiré par les tonalités d'un orgue dans la chapelle. Il entre et s'y installe. L'office terminé, il croise le regard d'une jeune fille, Iris, qui fume à l'extérieur et attend dans l'ombre. C'est la soeur de l'Organiste Assistant qui vient de livrer cette prouesse musicale. Eden ne tarde pas à arriver avec son vélo sur lequel il propose à sa soeur de monter pour rentrer à la maison. Juste avant son départ, Iris aura le temps de donner rendez-vous à Oscar le dimanche suivant pour un concert. Elle y jouera du violoncelle.


Commence alors une histoire d'amour entre 2 jeunes de catégories sociales diamétralement opposées : Oscar a été élevé dans une famille modeste ; à 18 ans, son seul objectif était de la quitter. Pour cela, il fallait acquérir son indépendance financière, il a donc recherché très vite un travail. Iris, elle, vit dans un univers où l'argent n'a jamais été un problème. Son père est chirurgien, il assure à tous une vie de luxure. Pas de résidence universitaire pour Iris mais plutôt une immense propriété bourgeoise avec une chapelle et un orgue pour permettre à son frère, Eden, de parfaire son talent.


Très vite, Iris dévoile à Oscar ses craintes sur l'état de santé de son frère. Entre génie et folie, le doute s'immisce.

Le complexe d'Eden Bellwether de Benjamin WOOD

C'est un véritable coup de coeur pour ce 1er roman de Benjamin WOOD. Son écriture est fluide et vous transporte dans un monde où la musicothérapie prend toute sa dimension. Entre hypnose et réalité, les jeunes amis ne vont cesser de naviguer. Jusqu'où la personnalité narcissique d'Eden pourra-t-elle les mener ?

Mais je comprends maintenant, après les combats personnels que j'ai livrés dernièrement, que lorsque mon père parlait de cette façon, il n'était pas vraiment mon père. Pareil à un drogué, il était sous l'emprise de quelque chose de bien trop puissant pour être contrôlé de manière rationnelle. Une illusion s'était emparée de son esprit. P. 486

Impossible de vous en dire plus, il faut absolument le lire. Laissez-vous porter par l'épopée romanesque de cette jeune tribu !


Et quand Oscar échange avec le Docteur Paulsen, un retraité dont il prend soin à Cedarbrook, passionné de littérature, alors là, je craque !


Ce roman est un pur délice.


Je  tiens à saluer le Prix littéraire CEZAM 2015,

sans lequel je n'aurais sans doute pas

découvert cette petite merveille.

 

Il prend la 2ème place du classement.

L'oubli d'Emma HEALEY est en 4ème place !

 

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2015-12-22T19:51:47+01:00

Les heures silencieuses de Gaëlle JOSSE

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Les heures silencieuses de Gaëlle JOSSE

Le prochain roman de Gaëlle JOSSE, "L'ombre de nos nuits", sortira le 7 janvier prochain. Alors, en attendant, je me délecte de la découverte des romans publiés ces dernières années. Après "Nos vies désaccordées", voici venues "Les heures silencieuses" !


Nous sommes le 12 novembre 1667. Une femme de Delft, Magdalena Van Beyeren, est une vieille femme. Elle se souvient de sa vie. Le XVIIème siècle est marqué par la conquête de nouveaux territoires. Les voies navigables permettent une économie florissante. Inspirés d'autres contrées, les arts s'en donnent à coeur joie et laissent libre cours à la créativité. Ses écrits cessent le 16 décembre !


Jamais 2 sans 3... Voici le 3ème roman lu en l'espace de 3 semaines traitant du sujet des secrets de famille et du besoin irrépressible de s'en libérer quand la fin de vie approche.


A l'heure où mes jours se ternissent comme un miroir perd son tain, le besoin de m'alléger de ce qui m'encombre devient plus fort que tout. Je garde l'espoir, naïf peut-être, qu'un tel aveu sera comme l'amputation d'un membre inguérissable qui, pour douloureuse qu'elle soit, permet de sauver le reste du corps. P. 27

Après "L'importun" de Aude LE CORFF et "La mémoire des embruns" de Karen VIGGERS, c'est au roman de Gaëlle JOSSE de l'aborder. La singularité repose alors dans la forme et là, Gaëlle JOSSE fait preuve d'originalité. Ce roman épouse le format d'un journal intime écrit sur une petite vingtaine de jours étalée sur un mois. En réalité, cette forme, accompagnée du présent comme temps de conjugaison, est particulièrement bienvenue car elle vient renforcer l'universalité des thèmes qui sont égrénés au cours de ce livre. En 4 siècles, aucun n'a pris une ride : qu'il s'agisse des migrations comme des inégalités sociales, tous transcendent les générations. Dans une dimension plus individuelle, c'est aussi la condition de femme qui est appréhendée, avec ses joies, ses peines, la place et les sentiments d'une mère.


Comme tous les romans de Gaëlle JOSSE, "Les heures silencieuses" composent un roman court. Pas plus de 135 pages mais d'une écriture concise, dense, qui lui donnent une très grande force. Chaque mot est juste. L'écrivaine connaît trop bien leur pouvoir...


Souvent les mots vont plus loin que la pensée, et il est trop tard pour les arrêter. Leur flèche a blessé, et la blessure met du temps à se refermer. P. 77

Une nouvelle fois, Gaëlle JOSSE convoque la musique comme un art capable de panser les plaies. Comme Ian McEWAN dans son tout dernier roman, elle fait référence à la symphonie de Schubert : "An die Musik", elle-même faisant l'éloge de la musique et de ses vertus. Tout est dit !


Enfin, je souhaiterais valoriser ce roman pour les valeurs interculturelles qu'il véhicule. Le rapport à l'Autre est disséqué avec chaque fois, la volonté de semer les graines de la tolérance. N'est-ce-pas le plus beau message qu'un livre puisse transmettre aujourd'hui ?

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2023-04-13T06:01:55+02:00

Les Bourgeois de Calais de Michel BERNARD

Publié par Tlivres
Les Bourgeois de Calais de Michel BERNARD

Editions de La Table Ronde, Collection La Petite Vermillon

Coup de ❤️ pour ce roman qui sort aujourd’hui en librairie en version poche. 

À l’âge de 13 ans, Auguste RODIN se souvient de la découverte en famille de la statue du Maréchal Ney, la création du père RUDE inaugurée en 1853. L’homme qu’il est devenu travaille la glaise et fabrique des plâtres que le bronze immortalisera. « L’Âge d’Airain », réalisé il y a une dizaine d’année quand il habitait encore Bruxelles, sera prochainement installé dans le Jardin du Luxembourg. Rodin a 44 ans quand Omer DEWAVRIN, Maire de Calais, pousse la porte de l’atelier parisien de la rue de l’Université. RODIN en bénéficie depuis 4 ans pour réaliser « La Porte de l’Enfer » destinée au Musée national des arts décoratifs. L’élu lui passe une commande au nom de la municipalité, celle de réaliser une oeuvre pour honorer la mémoire d’Eustache DE SAINT-PIERRE, l’un des six Bourgeois de Calais portés volontaires pour remettre, pieds nus, cheveux découverts et la corde au cou, la clé de la cité vaincue au roi d’Angleterre, Edouard III. 
Le roman de Michel BERNARD, c’est l’histoire d’une oeuvre, une sculpture qu’Auguste RODIN mettra 10 ans à réaliser.

C’est d’abord, l’histoire d’une création artistique en lien avec les évènements locaux. Auguste RODIN se mettra en quête d’archives témoignant du contexte de la guerre des Cent Ans et de ce sacrifice. Il se rendra aussi régulièrement à Calais pour s’imprégner des lieux.


La lumière n’était pas la même qu’à Paris. La clarté du jour sur les choses, l’éclairage du lieu, cela comptait beaucoup. P. 106

Michel BERNARD en profite pour magnifier la ville de Calais et son bord de mer, le Cap Blanc-Nez et ses falaises de craie. L’écrivain délivre l’histoire des fabriques de dentelle et de tulle de Saint-Pierre.
A travers cette médiation artistique, Michel BERNARD célèbre le travail de l’artiste, sa part de création dans le parti pris d’une interprétation. 

C’est aussi le lien entre l’artiste et son oeuvre, à l’image d’un enfantement et de la coupe du cordon à sa livraison au commanditaire.

C’est plus encore un hommage au pas de côté qu’aimait réalisé Auguste RODIN par rapport aux canons de la sculpture, les modèles académiques du XIXème siècle. Auguste RODIN faisait partie de ces hommes qui n’avaient que faire du regard des autres sur ses oeuvres, lui les assumait tout en prenant le risque de déplaire. 

A travers l’histoire d’une oeuvre, Michel BERNARD nous livre une biographie fascinante d’Auguste RODIN, le tout servi par une plume éminemment romanesque.

Avant de conclure, je voudrais saluer la première de couverture dessinée par Aline ZALKO, quelle plus belle illustration !

J’ai adoré tout simplement. Je remercie très sincèrement Les éditions de La Table Ronde pour ce joli cadeau.

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2023-04-22T12:54:36+02:00

La nuit des béguines d’Aline KINER

Publié par Tlivres
Sur l'image, un vase bleu, trois coquelicots et ces premières lignes : Leonor, sa grand-mère, l'avait affirmé. Regardant les masures des villages environnants se vider, les jeunes aux braies déchirées et au ventre creux quitter leur famille et leur paroisse pour la ville, elle avait dit à Ysabel : "Un jour viendra où les contours de notre monde se seront transformés au point que les gens de mon âge ne sauront plus le reconnaître. Moi je disparaîtrai bientôt, mais toi, garde les yeux ouverts !". Ce matin de janvier 1310, Ysabel s'est levée alors que les premières lueurs filtraient à travers la fenêtre de sa chambre. Elle s'est vêtue chaudement et, comme elle le fait chaque jour, s'est rendue dans son jardin. La voici accroupie près d'une plate-bande enclose de branches de noisetiers..."

Sur l'image, un vase bleu, trois coquelicots et ces premières lignes : Leonor, sa grand-mère, l'avait affirmé. Regardant les masures des villages environnants se vider, les jeunes aux braies déchirées et au ventre creux quitter leur famille et leur paroisse pour la ville, elle avait dit à Ysabel : "Un jour viendra où les contours de notre monde se seront transformés au point que les gens de mon âge ne sauront plus le reconnaître. Moi je disparaîtrai bientôt, mais toi, garde les yeux ouverts !". Ce matin de janvier 1310, Ysabel s'est levée alors que les premières lueurs filtraient à travers la fenêtre de sa chambre. Elle s'est vêtue chaudement et, comme elle le fait chaque jour, s'est rendue dans son jardin. La voici accroupie près d'une plate-bande enclose de branches de noisetiers..."

Cette lecture, c'est un nouveau conseil de ma fille, là encore, mon coeur a fait boum !

Et comme vous savez que je ne lis plus les 4èmes de couverture, je vous en propose aujourd'hui les premières lignes.

Nous sommes en 1310. Philippe LE BEL est au pouvoir. Ysabel fait partie de cette communauté de femmes du « Grand béguinage de Paris ». Partie de sa Bourgogne natale, elle y est entrée après le décès de son second mari. Là, elle oeuvre à l’hôpital, elle soigne le corps et l’esprit de personnes accueillies dans de terribles conditions, parfois de la rue, comme cette jeune femme rousse, Maheut, dont la chevelure suffirait à la condamner. Ysabel tient le savoir des vertus des plantes de sa grand-mère Leonor. La communauté est alors tenue par Perrenelle la Chanevacière, une femme riche qui a pourtant fait le choix de la modestie et l’humilité. Respectée de toutes les femmes, elle gère cette maison de main de maître et assure la pérennité de l’institution mais jusqu’à quand ? L’inquisition gronde hors des murs, des êtres sont condamnés et conduits au bûcher Place de la Grève pour hérésie. Dès lors, vouloir sauver l’humanité relève d’un grand dessein…

Ce roman d’Aline KINER relève d’une formidable épopée.

Il y a d’abord cette communauté de femmes, libres, oeuvrant à l’intérieur comme à l’extérieur des murs de l’institution. Elles peuvent être cheffes d’entreprises, faire du commerce, gérer leurs biens sans qu’aucun homme n’ait à y redire. Nous sommes au 14ème siècle, le modèle est avant-gardiste. 

« Le Miroir des simples âmes et anéanties » est prohibé par le clergé, il vaudra la vie à son autrice, Marguerite PORETE. Dès lors, s'ouvre le chemin de la clandestinité.

Ce roman historique est haletant. Aline KINER réussit parfaitement à égrener les évènements de cinq années dans un suspense fascinant sur 310 pages. La plume est éminemment descriptive à l’image de celle de Jessie BURTON, souvenez-vous de « Miniaturiste ».

Le récit est rocambolesque, les personnages profondément attachants.


Retrouvez toutes les autres pépites qu'elle m'a conseillées :

Qui sait de Pauline DELABROY-ALLARD

Miniaturiste de Jessie BURTON

Lorsque le dernier arbre de Mickael CHRISTIE

"Les cerfs-volants" de Romain GARY

"Mon ghetto intérieur" de Santiago H. AMIGORENA,

"Colette et les siennes" de Dominique BONA, 

"La cause des femmes" de Gisèle HALIMI,

"Les grandes oubliées" de Titiou LECOQ...

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2015-02-04T20:25:57+01:00

La Maison-Guerre de Marie SIZUN

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La Maison-Guerre est le 8ème roman de Marie SIZUN qui nous plonge au coeur de la 2ème guerre mondiale, dans une maison de famille où des personnes âgées s'occupent d'une petite fille. Sa mère est comédienne, elle travaille dans un théâtre et ne peut prendre soin de sa fille dans la Capitale occupée. Son père, lui, est prisonnier en Allemagne. La petite fille ne le connaît pas. Elle se construit seule au gré de ses histoires d'enfants et de ses découvertes dans une nature prolifique, elle vit au rythme des saisons... Elle cohabite aussi avec des adultes attentionnés mais qui se referment comme des huitres dès qu'elle les interpelle sur le retour de sa mère. Au fur et à mesure que l'étau de l'occupant se resserre, les conversations chuchotées se multiplient, les écoutes des émisions de radio se font plus régulières... jusqu'au jour où un avion survole la propriété d'un souffle léger, s'immobilise et déploie de nombreuses papillotes contenant des chewing-gum. Là, commence alors pour l'enfant une nouvelle vie...


Encore une fois, Marie SIZUN nous livre un très beau roman. Le traitement du sujet de la 2ème guerre mondiale devient aujourd'hui presque banal, tellement nombreux sont les romans qui l'abordent, mais celui-là est original, je vous l'assure.


Dans la forme tout d'abord ; Marie SIZUN structure ce roman en 2 parties : l'une dédiée à l'enfance de cette petite, pendant la guerre, et l'autre, à sa nouvelle vie qui commence au jour de la libération. A chacune de ces parties, une narration particulière, c'est ingénieux !


Dans le contenu ensuite ; Les non-dits y sont prédominants, les secrets omniprésents, bref, tout reste à découvrir... le suspens est assuré jusqu'aux dernières pages. Excellent !


C'est aussi un roman qui explore la mémoire, le poids et la beauté des souvenirs, et le pouvoir que revêtent les parfums pour les faire ressurgir :

 

J'avais à peine passé le seuil que m'assaillit l'odeur des roses jaunes, l'extravagante odeur des roses jaunes, gorgées de soleil, qui, montant de la fenêtre, envahissait la pièce : dans un déferlement de sensations et de sentiments, le passé m'est revenu entier et le souvenir violent de ma mère. C'était comme si les années avaient passé pour rien. Voilà que, miraculeusement, j'étais l'exacte petite fille d'autrefois. La même devant la fenêtre lumineuse, la même dans l'insolent parfum des fleurs. P. 247

Enfin, c'est un très beau roman sur le pouvoir des mots :

 

Il va pourtant bien falloir qu'ils te la disent cette vérité que tu connais déjà mais que tu as peur d'entendre, comme si les choses ne prenaient existence que par la parole, comme si le pire n'arrivait qu'avec les mots pour le dire. P. 180

Ce roman est à lire, assurément !

De la même écrivaine, vous aimerez peut-être aussi...

Plage

Jeux croisés

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2022-03-15T20:56:04+01:00

Comme un ciel en nous de Jakuta ALIKAVAZOVIC

Publié par Tlivres
Comme un ciel en nous de Jakuta ALIKAVAZOVIC

Il y a des livres qui sont d'abord des rencontres.

L'Association Bouillon de Cube nous avait concocté une très belle soirée le 24 février dernier, au Musée des Beaux Arts d'Angers s'il vous plaît.

En première partie, immersion dans une salle de l'édifice pour se confronter à l'exercice de l'écriture, la description d'une oeuvre choisie. Petite mise en bouche de ce qui nous attendait un peu plus tard.

En deuxième partie était invitée Jakuta ALIKAVAZOVIC pour son essai aux éditions Stock, "Comme un ciel en nous", Prix Médicis 2021. 

Vous connaissez peut-être cette collection : « Ma nuit au musée », de petits livres noirs. C’est dans ce cadre que Jakuta ALIKAVAZOVIC nous relate sa nuit passée au Louvre, juste avant le confinement de 2020, en mars, dans la section des Antiques, dans la salle des Cariatides.

Quelques pas de danse et puis, la nuit venue, l’installation du matelas au pied de la Vénus de Milo, un petit clin d’œil à sa mère.

Mais cet essai est en réalité une formidable preuve d’amour d’une fille qui à son père, cet immigré arrivé du Monténégro en France à l’âge de 20 ans. Ses études d’économie ont très vite été abandonnées pour laisser place à celles de l’histoire de l’art. Il s’enivrait de la beauté. Homme de fantaisie, il posait régulièrement cette question à sa fille :


Et toi, comment t’y prendrais-tu, pour voler la Joconde ?

Il n’est pas très étonnant que Jakuta ALIKAVAZOVIC ait entretenu un rapport particulier avec ce musée et qu’elle veuille y passer une nuit pour retrouver son père, honorer l’immense amour qu’elle lui voue…


L’amour de mon père était un ciel en moi, sa réalité aussi évidente que celle du ciel au-dessus de ma tête, que je le voie ou pas. P. 83

De l’histoire de son père, son arrivée en France, l’apprentissage des codes… elle n’en a rien su. Quand il y faisait référence, tout n’était qu’un conte, mais elle sait aujourd’hui qu’il mentait.


Lorsqu’on quitte tout, lorsqu’on trouve la force en soi de se lever et de partir, de quitter son pays, sa langue, sa famille, comme l’a fait mon père, pour se réinventer […], lorsqu’on quitte tout, l’histoire qu’on se raconte et qu’on raconte à ses enfants est celle d’une table rase. Mais cette renaissance aussi est un mensonge. P. 138

La question de la transmission des traumatismes aux générations suivantes me captive. Comment ne pas mettre cet essai aujourd’hui en relation avec ce que vivent les réfugiés ukrainiens qui fuient leur pays, menacés de mort par Vladimir POUTINE ? Comment vont-ils se construire après ces événements ?

J’ai été profondément émue par cette dimension de l’essai.

Et puis, il y a eu aussi le rapport à l’art, l’appréciation des détails grâce à un regard initié porté aux œuvres. Fascinant !

Enfin, et c’est là le sel de ce livre, c’est le sujet de la transgression, le fait de pourvoir repousser les limites et accéder à un interdit. Impossible de ne pas penser à cette sculpture de Philippe RAMETTE exposée à Nantes, installée Cours Cambronne. L’autrice est un peu cette petite fille portée par l’élan de la liberté.

Je ne connaissais pas encore Jakuta ALIKAVAZOVIC, pourtant lauréate du Prix Goncourt du premier roman pour « Corps volatils » en 2008. J’ai découvert une plume aux multiples couleurs, j’ai découvert une voix profondément attentionnée. 

Quelle soirée !

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