Sur les conseils d'Antigone, j'avais découvert en 2016 la plume de Laurence TARDIEU avec "A la fin le silence", un roman que j'avais découvert avec beaucoup de plaisir mais qui avait laissé en moi, une empreinte indélébile, je m'en rends compte aujourd'hui ! En ouvrant "Nous aurons été vivants", le tout dernier roman de l'écrivaine, c'est comme une déflagration, une bombe, un coup de coeur.
Il n'aura suffit que d'un flash, une vision fugace, de l'autre côté de la rue, sur le trottoir, avant le passage en décalé de deux bus, pour qu'Hannah soit de nouveau déchirée par l'absence de sa fille, Lorette, partie il y a 7 ans sans laisser la moindre adresse, le moindre petit mot. Cette femme en "imperméable beige, sac vert en bandoulière, bottes noires" était-elle sa fille ? L'a-t-elle réellement vue ? S'agit-il d'une chimère ? Hantée par le fantôme de sa fille, Hannah ploie sous le choc de l'image. Tous les souvenirs resurgissent alors. Le fil de sa vie se déroule lentement. Elle vivait le grand amour avec Philippe, elle était artiste peintre. Hannah a 60 ans maintenant. Tout ceci est à conjuguer au passé, le château de cartes de sa vie s'est écroulé le jour où Lorette a tout quitté. Mettre des mots sur ses souffrances est si difficile, elle qui depuis sa tendre enfance vit dans la peur, de qui ? de quoi ? Mais sur ce banc, là, avec la rencontre d'un jeune homme, musicien, les choses se dénouent. Il n'aura suffit que de quelques paroles pour...
Laurence TARDIEU a cet immense talent de planter un décor, créer une ambiance, dès les premières lignes de ses romans. Je me suis vue, moi, à côté d'Hannah, dans ce petit matin parisien, brumeux, envahi par les bruits de la ville. Mais elle a aussi et surtout, cette capacité à passer du dehors, l'environnement, le cadre de vie, au dedans, l'intimité, le corps, la chair. Parce qu'il s'agit bien de cela, l'absence de Lorette mortifie sa mère, la meurtrit dans ses viscères, ce ventre qui l'a nourri pendant 9 mois, ses entrailles qui se sont ouvertes pour lui donner naissance, ce corps qui a ressenti au plus profond de lui toutes les joies mais aussi les peines de sa fille. Il y a cet indicible lien entre une mère et son enfant, la plénitude, la force de la maternité dans ce qu'elle a de plus physique et naturel. J'avais adoré "Une longue impatience", cette manière qu'avait Gaëlle JOSSE de décrire les soubresauts du corps torturé par l'absence d'un fils, je suis littéralement tombée sous le charme de ce qu'écrit Laurence TARDIEU. Ces deux auteures, des femmes, tiennent un propos prodigieux marqué par la minutie et la justesse des mots. Chacun résonne avec un effet décuplé, c'est une explosion d'émotions.
[...] la disparition de Lorette agit sur nous tel un fantôme qui nous poursuit tous, Lorette absente vit encore parmi nous par les questions sans réponse qu’elle nous a laissées et nous sommes tous, depuis sa fuite dans une forme d’errance à laquelle nous ne pouvons pas mettre un terme. P. 99
Mais le roman ne saurait se contenter d'explorer cette relation mère-fille. Laurence TARDIEU aborde aussi le sujet de l'amitié, des liens qui se nouent avec d'autres qui ne font pas partie de la famille et pourtant ! Hannah a rencontré Lydie lors du vernissage de l'une de ses expositions, la simple présence de la femme à ses côtés sans qu'elle sache qui elle était, ce qu'elle représentait, ce qui la faisait vibrer, a suffit à l'électriser. Il y a quelque chose de presque surnaturel à ressentir l'énergie d'une présence, l'intensité d'un regard, d'un corps, d'une posture.
Depuis, Lydie et elle avaient partagé d’innombrables moments, et ces moments constituaient une sorte de palette de toutes les nuances du sentiment humain, une variation de tout ce qui peut exister entre la joie et le désespoir. P. 250
Cette relation établie entre les deux femmes est foncièrement bonne et généreuse. Elle donne la capacité à Hannah d'affronter chaque jour, elle qui souffre à en mourir et qui pourtant, trouve la force de (sur)vivre. Dans "Nous aurons été vivants", il y a la richesse, le contentement, la plénitude des sentiments.
Et puis, il y a la présence de l'art comme un fil conducteur dans toute cette oeuvre. Hannah est peintre, c'est une artiste. Dans son rapport à la création, il y a l'exaltation, l'enivrement, l'étourdissement. Il y a la solitude aussi. Elle se souvient de ce tiraillement qui s'exerçait sur elle, partagée qu'elle était entre l'amour porté à sa fille, enfant, et la nécessité absolue d'assouvir le plaisir de peintre pour être elle-même, affirmer sa propre personnalité, son identité.
Elle avait besoin de beaucoup de solitude pour peindre, et se disait parfois qu’elle ne parvenait plus à trouver la joie autrement que dans la solitude - les moments passés à peindre, ou à contempler les arbres de sa fenêtre, ou le ciel, ou juste être là, sans rien faire, à se sentir simplement exister. P. 205
Enfin (et je vais m'arrêter là parce que moi aussi je pourrais en faire tout un roman !!!), il y a l'Histoire. Présente dans la famille, une page sombre, tapie dans le silence, un secret qui avec les générations devient de plus en plus lourd à porter. Les hommes sont mortels, je ne vous apprend rien, et avec l'âge le risque de ne jamais savoir prend une toute autre dimension. Il y a un autre volet de la grande Histoire, celle qui a envahi les écrans de télévision en novembre 1989, la chute du mur de Berlin. Avec elle, c'était l'euphorie, le rêve enfin d'une Europe libre. Qu'est-elle devenue aujourd'hui ? Les capitales ne sont-elles par parcourues par ces militaires armés pour assurer la sécurité ? Ne sombrent-elles pas dans la peur des attentats ? Ne sont-elles par envahies par la montée des populismes ? Ce ne sont pas les événements de ces derniers jours à Paris qui viendront malheureusement démontrer le contraire. Laurence TARDIEU embrasse ces trente dernières années d'une Europe qui vieillit, elle aussi !
Ce roman, vous l'aurez compris, il m'a littéralement subjuguée, il a résonné dans ce que j'ai de plus intime. Mais je crois qu'il convient de le partager à l'envi. Vous aussi pourriez bien tomber sous le charme de la plume de Laurence TARDIEU, profondément sensuelle. Quant à la philosophie qu'elle nous livre, je vous laisse la méditer, tout simplement !
Je participe au
orchestrée de jolie manière par notre amie Joëlle, retrouvez mes lectures
La mer monte de Aude LE CORFF
Les miroirs de Suzanne de Sophie LEMP
Edmonde de Dominique DE SAINT PERN
D'origine italienne de Anne PLANTAGENET
Anatomie d'un scandale de Sarah VAUGHAN
Vigile de Haym ZAYTOUN
Nous aurons été vivants de Laurence TARDIEU
Médée chérie de Yasmine CHAMI
Personne n'a peur des gens qui sourient de Véronique OVALDE
Le rituel des dunes de Jean Marie BLAS DE ROBLES
Celle qui marche la nuit de Delphine BERTHOLON
La nuit se lève d'Elisabeth QUIN
Ce qui nous revient de Corinne ROYER
Les heures solaires de Caroline CAUGANT Coup de coeur
Etat de nature de Jean-Baptiste de FROMENT
Piano ostinato de Ségolène DARGNIES
et plein d'autres encore !
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