A celles et ceux qui cherchent toujours à savoir si un roman est inspiré d’une histoire vraie, là, pas de mystère. Tout est dit, ou presque !
Frédérique DEGHELT, une autrice dont j’admire la plume, se met, le temps d’un livre, à la disposition d’une femme, Sophia L (nom d’emprunt pour assurer son anonymat), que l’on devine actrice, pour relater un moment de sa vie… son autre vie serait sans doute plus adapté.
Sophia L traverse une période difficile de son existence. Elle a récemment divorcé et subit de sa mère, malade d’Alzheimer depuis deux années, son agressivité grandissante, un symptôme bien connu de la pathologie. Perdue dans ses pensées, elle confie à sa propre fille qu’elle appelle « Mademoiselle », ses tourments. Elle se souvient de sa fille évoquant dans sa plus tendre enfance son autre maman, "une belle et grande femme aux yeux verts", vivant dans un pays exotique. Ses dessins étaient inspirés de décors insulaires un brin tropicaux, tout en couleurs. Si les propos de l’enfant avaient à l’époque le don de la mettre en colère, remettant chaque jour en question sa filiation maternelle, il semble que cette histoire lui devienne aujourd’hui insupportable. Il faut dire que cette femme avait choisi d’abandonner sa famille bourgeoise et une carrière promise aux plus riches pour vivre une histoire d’amour avec un modeste fils d’immigré italien, une histoire aussi improbable que rocambolesque. La maternité lui avait longtemps résisté au point d’imaginer recourir à l’adoption. Et puis, il y avait eu deux naissances, à un an d’intervalle, une fille d’abord, l’ingrate, un garçon ensuite, le préféré des deux, vivant désormais en Australie et se contentant de subvenir financièrement aux besoins de sa mère. Alors que Sophia L prend de plus en plus en charge sa mère, elle ressent un besoin irrépressible d’en découdre avec son passé, l’histoire de sa vie, à moins que ça ne soit de celle d’avant…
Une nouvelle fois, Frédérique DEGHELT m’a captivée de bout en bout avec ce roman aux portes de la religion et du mysticisme.
Comme dans "Sankhara", l’avant-dernier roman publié que vous pouvez trouver en version poche dans la collection Babel, il y a dans le parcours de Sophia L la croisée des chemins, la nécessité de sauver sa vie et trouver une forme d’équilibre…
Les temps s’annonçaient donc plus durs. Malgré tout, se faire du bien quand la vie vous fait du mal est une balance nécessaire qui calfeutre l’écrin du quotidien. P. 14
Comme j’ai aimé suivre au bras de Sophia L cette (en)quête d’identité à travers les continents. Frédérique DEGHELT invite au voyage, à la découverte des traditions, à vivre les émotions en levant le voile de ce qui nous construit en terme de culture. J'ai une appétence toute particulière pour les questions d'origines, inutile de vous dire que là, j'ai été gâtée !
A travers l’image du kintsugi, l’art japonais de réparer les céramiques cassées avec laque et poudre d’or, Frédérique DEGHELT explore les failles de l’intime comme autant de richesses humaines…
J’ai compris qu’au-delà des résiliences qu’engendrent nos faux pas, l’or de notre vie et son apparence si peu fluide disent encore autre chose. Nos manques, nos désirs évanouis ne sont pas seulement des forces vives qui alimentent notre expérience ; ils engendrent aussi notre acceptation de l’imperfection. P. 99
Cet art est purement et simplement sublimé par les gestes de Seiji, affairé à réparer une urne funéraire. J'ai succombé devant le charme de la scène et les descriptions qui en sont faites de l'écrivaine, mais aussi la sensibilité qui s'en dégage. Un pur bonheur littéraire.
Le roman prend la dimension d’un thriller psychologique au fil des évocations aux lisières de la magie et du spiritisme. Confrontée à la réalité de certaines images longtemps apparues sans explication dans son esprit, Sophia L éprouve la sensation oppressante de toucher du doigt sa vie d’avant. Et Frédérique DEGHELT de poser incessamment la question : « Qu’est-ce qu’un être humain ? ». De tout temps, l’Homme s’est interrogé sur une vie après la mort. Dans ce roman, il est question d’incarnation et de réincarnation.
Je suis sortie de ma lecture une nouvelle fois subjuguée par la beauté de la prose de l’autrice et envoûtée par le sens des mots. Combien de fois me suis-je interrogée moi-même sur l’existence du destin ? Ce roman a fait résonner ma profonde sensibilité.
Impossible de vous quitter sans un petit mot sur la première de couverture d’un raffinement extraordinaire. Les livres des éditions de L’Observatoire sont assurément de beaux objets. C’est ici la création de Harshad MARATHE, illustrateur. Frédérique DEGHELT le dit elle-même : "Cette image, c’est exactement mon livre". Je confirme en tous points !
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