Overblog
Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

Recherche pour “une famille normale”

2019-06-20T12:28:24+02:00

Les heures solaires de Caroline CAUGANT

Publié par Tlivres
Les heures solaires de Caroline CAUGANT

Il y a des coups de coeur que l'on ne se lasse pas de partager et puisque, depuis le début de la semaine, je vois la vie en bleu, j'extrais ma #citationdujeudi du magnifique roman de Caroline CAUGANT, "Les heures solaires", publié chez Stock dans la collection Arpège.

Outre l'histoire ancrée dans des secrets de famille, des affaires de filiation entre femmes et de mémoire transgénérationnelle, autour d'un personnage, Billie, éminemment romanesque, il y a la beauté de l'écriture, une plume prodigieuse, parfaitement maîtrisée dans une construction ô combien structurée. La narration fait alterner les personnages et les temporalités, sème le doute, entretient le mystère jusqu'à la chute, juste éblouissante. 

"Les heures solaires", c'est un roman initiatique qui dévoile l'immense talent de Caroline CAUGANT.

Voir les commentaires

2022-02-16T21:33:09+01:00

Une jeune fille qui va bien de Sandrine KIBERLAIN

Publié par Tlivres
Une jeune fille qui va bien de Sandrine KIBERLAIN
Après
 
Place à Sandrine KIBERLAIN pour une première expérience derrière la caméra. Elle nous offre un long métrage :
"Une jeune fille qui va bien"
 
Irène, jeune fille juive, vit l'élan de ses 19 ans à Paris, l'été 1942. Sa famille la regarde découvrir le monde, ses amitiés, son nouvel amour, sa passion du théâtre… Irène veut devenir actrice et ses journées s'enchaînent dans l'insouciance de sa jeunesse.
 
Dans ce premier film, Sandrine KIBERLAIN a mis beaucoup d'elle. Il y a d'abord sa passion pour le théâtre
 


En faisant du théâtre, j'ai découvert ma vie qui commençait, j'ai compris qui je voulais être, ce que j'aimais, ce qui m'intéressait. Je me suis trouvée.

Boomerang sur France Inter, interrogée par Augustin TRAPENARD le 14 juin 2021

Le personnage d'Irène est parfaitement incarné par Rebecca MARDER de la Comédie Française, une jeune femme pétillante qui voue sa vie au théâtre. Elle prépare le concours pour le Conservatoire et nous fait toucher du doigt les exigences de l'interprétation.

Et puis, il y a le scénario, largement inspiré de la vie personnelle de la réalisatrice, jeune fille juive d'origine polonaise...


Je suis passée derrière la caméra parce que je ressentais un besoin vital de m'exprimer autrement, de diriger l'affaire. Mais je ne me sentais légitime à le faire qu'en racontant ma propre histoire, celle de ma famille

Boomerang sur France Inter, interrogée par Augustin TRAPENARD le 14 juin 2021

Avec ce premier film, Sandrine KIBERLAIN concourt à la mémoire de la grande Histoire venue détruire des destins personnels. C'est une démarche qu'elle revendique, un acte militant.

J'ai été frappée par la solitude d'Irène. Quand elle est dans l'espace public, elle est seule. En famille, elle dénote, son énergie débordante, sa fougue... font d'elle un être à part. Quand elle est au théâtre, elle est de nouveau seule... avec son étoile jaune cousue sur sa veste.

Mais rien ne saurait la freiner dans son projet. Son insouciance, sa candeur, sa fraîcheur... sont autant de qualités qui l'aident à poursuivre son chemin. Elle lutte, elle RESISTE.

Plus encore, j'ai vu dans la manière de tourner la marque personnelle de Sandrine KIBERLAIN, celle qu'elle incarne régulièrement dans des films réalisés notamment par Stéphane BRIZE, "Mademoiselle Chambon", . Il y a ces gros plans sur le visage. Il y a aussi la place donnée au non verbal, l'expression des yeux, de la bouche... par laquelle transparaissent les émotions, il y a aussi ces silences assourdissants.

C'est un film au sujet grave parfaitement traité, un beau film. Quant à la dernière image... 

Voir les commentaires

2022-06-15T06:00:00+02:00

La ruche de Blerta BASHOLLI

Publié par Tlivres
La ruche de Blerta BASHOLLI

Il y a des premiers romans avec les 68 Premières fois, il y a aussi des premiers films !

Je suis sortie fascinée par le film "La ruche" de Blerta BASHOLLI, cinéaste kosovare, un film sorti en 2021 qui s'inspire d’une histoire vraie, récompensé par les Prix du Public, Prix du Jury, Meilleur réalisateur du Sundance 2021.

Synopsys

Le mari de Fahrije est porté disparu depuis la guerre du Kosovo. Outre ce deuil, sa famille est également confrontée à d'importantes difficultés financières. Pour pouvoir subvenir à leurs besoins, Fahrije a lancé une petite entreprise agricole. Mais, dans le village traditionnel patriarcal où elle habite, son ambition et ses initiatives pour évoluer avec d'autres femmes ne sont pas vues d'un bon oeil. Fahrije lutte non seulement pour faire vivre sa famille mais également contre une communauté hostile, qui cherche à la faire échouer.


Mon avis :

Farhije, personnage de fiction au cœur du film, est incarnée par une actrice fascinante, Yllka GASHI. 

Cette histoire relate celle d'une femme dont le mari est porté disparu, comme 1600 hommes du village Krushe e Madhe dans le sud du Kosovo. Habitant avec ses deux enfants et son beau-père, elle va créer une entreprise de production d'ajvar, un condiment des Balkans, de couleur rouge, comme le sang que fait couler la guerre.
"La ruche", c'est un film militant en faveur de la condition féminine, de leur capacité à lutter, coûte que coûte, pour SURVIVRE, elles et leurs familles. 

A travers ce portrait brossé d'une femme taiseuse, battante, que rien ne saurait arrêter, pas même les ragots, pas même les hommes et leur patriarcat, c'est toute une communauté, animée par la force de la sororité, que Blerta BASHOLLI honore. Pour la petite histoire, l'entreprise compte aujourd'hui 50 salariés. Ce film, c'est une nouvelle preuve que les femmes peuvent s'émanciper par l'économique. Quelle plus belle métaphore que "La ruche" pour montrer la force d'un collectif... de femmes !

Et puis, il y a dans ce film, des beaux moments, de ceux qui illuminent les visages de satisfaction, de fierté et de noblesse. Comme je l'ai aimée, Fahrije, apprendre à conduire et rouler ensuite au volant de sa voiture.

Avec des films comme celui-là, dramatiques on le sait, il y a une leçon de vie.

La façon de filmer de Blerta BASHOLLI avec tous ses gros plans, à l'image de l'affiche, sublime la ténacité de Fahrije. Chapeau, Mesdames !

Voir les commentaires

2019-01-08T07:00:00+01:00

Ce que l'homme a cru voir de Gautier BATTISTELLA

Publié par Tlivres
Ce que l'homme a cru voir de Gautier BATTISTELLA

Grasset
 

Ce roman est sorti en août 2018, j'étais passée à côté, mais c'était sans compter sur l'oeil bienveillant de ma chère Amandine de L'ivresse littéraire.

Tout commence avec une lettre adressée par Simon à Toni. Simon Reijik est le petit-fils d'un immigré polonais qui s'est installé à Verfeil avec sa femme, une italienne, à la fin de la guerre. C'est de ce village que Simon fuit. Le regard des autres lui est devenu insupportable. Il part et s'installe à Paris. Il ne donne plus aucun signe de vie, il ne reviendra plus en ces terres gasconnes sauf, vingt ans plus tard, en réponse à un appel téléphonique qui l'informe du décès imminent de son ami d'enfance. Il repart, seul, laissant sa femme Laura en dehors de tout ça, tout ça quoi ?

Ce roman est d'une profonde sensibilité. Gautier BATTISTELLA décrit le parcours d'un homme qui voulait s'affranchir de son passé, un homme qui ne voulait plus entendre parler de sa famille, de son enfance. Il en a d'ailleurs fait un métier d'effacer toutes les traces laissées dans la mémoire vive du numérique. Mais le cerveau des hommes, lui, répond à d'autres mécanismes. Il s'était rassuré en ce disant :


J’aimais l’idée que mon histoire s’apparente à un puzzle mouvant, jamais achevé, dont les éclats épars délivraient une signification cachée, réservée aux seuls initiés - notre famille. P. 130

mais Simon reste torturé par sa mémoire, la vie d'avant qui ne manque pas de se rappeler à lui, inlassablement. Alors, il lutte, à coup d'anxiolytiques, et sombre dans le silence, un silence devenu invivable pour sa femme.

Avec ce retour dans la maison de famille, les souvenirs resurgissent et puis lentement, c'est toute son histoire qui se met à défiler. Simon est écrasé par le poids des secrets. Il avait imaginé que le départ du Tarn puisse le libérer, c'est peut-être en y revenant qu'il va se ressourcer.

Dans ce roman, il est question d'enfance, de fratrie, de deuil. Simon avait cru pouvoir tourner la page de son histoire, il se rend compte que le livre de sa vie ne fait que continuer à s'écrire parce que les sentiments sont à l'image des hommes, ils évoluent.


Rien n’est définitif. Pas même l’amour que les parents sont censés porter à leurs enfants. P. 171

J'ai été touchée par la sensibilité du texte, la justesse des mots. La plume est délicate, elle est descriptive et donne à voir ce lien indéfectible au territoire qui nous a vu naître, un lien charnel, plus fort que tout.

Voir les commentaires

2021-12-11T14:01:35+01:00

Maikan de Michel JEAN

Publié par Tlivres
Maikan de Michel JEAN

Pour #MonAventLitteraire2021 lancé par deux passionnées de littérature, Nicole et Delphine,

J11

"Le livre le plus engagé"

J'ai choisi "Maikan" de Michel JEAN aux Éditions Dépaysage, lecture largement recommandée par la team de « Varions Les Éditions en Live » (Vleel). 

Audrey Duval, Avocate, se voue chaque année à une cause solidaire. Loin des milieux huppés qu’elle fréquente habituellement, elle se retrouve en quête d’une vieille femme, Marie Nepton, dont elle souhaite percer le jour. Elle a disparu de tous les radars alors que le gouvernement lui doit une indemnité pour se faire « pardonner » de ce que le régime, de concert avec le clergé, a causé à son peuple, les Innus de Mashteuiatsh, des Amérindiens. Nous sommes en 1936 quand les politiques décident d’assimiler des « sauvages », les éduquer, mais là commence une autre histoire.

Alors que le Canada est aujourd’hui largement plébiscité pour les modalités de participation de ses citoyens,  j’étais loin d’imaginer qu’il était, dans une histoire récente, l’auteur d’un génocide culturel. La révélation qu’en fait Michel JEAN dans "Maikan" m’a touchée en plein coeur, c'est un CRI qu'il hurle lui-même, il dédie effectivement son roman à "plusieurs membres de sa famille qui ont fréquenté le pensionnat de Fort George".

Quelle beauté des premières pages ! Des descriptions tout à fait fascinantes de la nature, mais aussi des us et coutumes des Innus, peuple nomade, qui, au fil des saisons, migrait pour chasser et ainsi se nourrir, se vêtir… J'ai été fascinée par la transmission de savoirs entre générations. Chez lui, nul besoin de mettre des mots sur les gestes... 

Et puis, a résonné mon CRI d'indignation quand j'ai vu les enfants des Innus arrachés à leurs familles, sous peine de représailles, pour les civiliser. Ils avaient entre 6 et 16 ans. Mais de quel droit ? Et quand j'ai découvert à quel point ils étaient humiliés, maltraités, violés... 

Des pensionnats comme Fort George, il y en a eu 139 au Canada, 4 000 enfants y sont morts. Avec ce roman, "Maikan" qui veut dire les loups, Michel JEAN assure la mémoire des Amérindiens sacrifiés au titre d'une politique ignoble. Il donne de l'écho aux procédures juridiques toujours en cours contre l'Etat pour les indemnisations des familles. La narration qui fait se croiser fiction et réalité avec des personnages de femmes remarquables, Audrey et Marie, permet aussi de créer du lien entre deux périodes, les années 1930 d'une part, les années 2010 d'autre part. Le procédé est ingénieux et parfaitement réussi.

La plume est d'une très grande sensibilité, elle est soignée comme la qualité des première et quatrième de couverture, bravo. 

Ce roman, c'est un CRI du coeur pour ce qu'il dévoile de la grande Histoire.

Voir les commentaires

2022-03-18T21:54:15+01:00

L’art de perdre de Alice ZENITER

Publié par Tlivres
L’art de perdre de Alice ZENITER

Aujourd’hui, nous sommes le 18 mars 2022. Il y a 60 ans, les accords d’Evian mettaient fin à la guerre d’indépendance en Algérie. 

Après 132 années de colonisation et plus de 7 ans de conflit armé, l’Algérie, dans un processus d’autodétermination, choisissait de retrouver la maîtrise de son territoire.

60 ans, c’est aussi l’échelle de temps que choisit Alice ZENITER pour relater une page de la grande Histoire dans « L’art de perdre » aux éditions Flammarion, désormais disponible chez J’ai lu.

Naïma est une jeune femme, elle travaille dans une galerie d'art parisienne. Ses origines, elle ne les connaît pas plus que ça. Femme libérée, elle boit, elle fume, elle est la maîtresse de son patron. Mais régulièrement, dans son quotidien, l'histoire de sa famille lui est rappelée par de menus indices sans jamais être explorée de fond en comble. Le fantôme de l'Algérie hante ses journées, ses nuits aussi, jusqu'à devenir un incontournable de son itinéraire personnel. La perspective d'une exposition dédiée à Lalla, un peintre kabyle, met Naïma sur la voie. Là commence une toute nouvelle histoire. 
 

En un peu plus de 500 pages, l’écrivaine brosse un portrait complet d'un territoire largement impacté par des stratégies politiques. Elle reconstitue méticuleusement la chronologie des événements. Que son travail de recherche et de restitution soit ici largement salué.

 
Mais ce roman, c'est aussi une formidable épopée romanesque, un livre qui vous immerge au sein d'une famille française, mettant des noms sur des êtres, avant tout, humains. C'est ainsi que l'on découvre Ali, un jeune garçon qui va faire fortune grâce à un don du ciel. Alors qu'il se baignait dans un torrent et risquait sa vie avec ses copains, un pressoir transporté par les eaux lui est offert. Il n'en faudra pas plus pour qu'Ali lance une vaste entreprise de production d'olives. Marié à l'âge de 19 ans à une cousine, il aura deux filles qui ne sauraient le satisfaire. Il renie sa première épouse et en choisit une deuxième, Yema n'a que 14 ans quand elle vient vivre à ses côtés. Hamid naîtra en 1953, l'honneur de la famille est sauf. Parallèlement, Ali voit sa trajectoire affectée par le destin de son pays. en 1940, il s'engage dans l'armée française et combat avec les alliés, c'est la première pierre posée à l'édifice, Ali fera partie des harkis, ces hommes qui prirent le parti de la France au moment de la guerre d'indépendance.
 
J’ai été captivée de bout en bout par ce roman servi par une plume que je ne connaissais pas. Elle est agréable à lire, fluide, précise aussi, percutante, et profondément humaine, un excellent livre lauréat du Prix Goncourt des Lycéens 2017.

Voir les commentaires

2015-03-12T07:54:00+01:00

Le ravissement des innocents de Taiye SELASI

Publié par

Traduit de l'anglais par Sylvie SCHNEITER


1er roman


Tout commence ainsi :


"Kweku meurt pieds nus un dimanche matin avant le lever du jour, ses pantoufles tels des chiens devant la porte de la chambre. Alors qu'il se tient sur le seuil entre la véranda fermée et le jardin, il envisage de retourner les chercher. Non. Ama, sa seconde épouse, dort dans cette chambre, les lèvres entrouvertes, le front un peu plissé, sa joue chaude en quête d'un coin frais sur l'oreiller, il ne veut pas la réveiller. Quand bien même il le tenterait, il n'y parviendrait pas."


Kweku est d'origine ghanéenne. Parti étudier aux Etats-Unis, il sera diplômé en médecine. Il y rencontrera sa 1ère épouse, Fola, d'origine nigériane. Un premier enfant, Olu, un garçon, naîtra à Baltimore. Suivront à Boston des jumeaux, un garçon, Kehinde, et une fille, Taiwo. La petite dernière, née prématurée de 10 semaines, Sadie, s'acrrochera à la vie comme personne. Alors que tout semblait réussir à Kweku, une intervention chirurgicale qu'il jugeait injustifiée le fera plonger. Une nouvelle vie pour toute sa famille commence alors...


Ce premier roman de Taiye SELASI nous transporte entre les continents africain et américain en passant par l'européen. C'est un véritable jubilé interculturel autour de la vie, de la mort aussi. Je vous laisse méditer cette citation...

Au cas où un malheureux nourrisson ne survivrait pas le week end, on décourageait ses parents de choisir un prénom et on gribouillait "Bébé" devant le patronyme sur l'étiquette de la couveuse. P. 24 25

C'est le parcours de toute une famille dont chaque membre affronte l'existence avec ses forces et ses faiblesses.


C'est notamment un très beau portrait de femme, le combat d'une mère de famille en terre étrangère pour donner le meilleur à ses enfants, leur donner de quoi manger, les éduquer, les aider à se construire. Dupée, elle a parfois fait de mauvais choix dont ses enfants portent les empreintes, mais, n'est ce pas la vie ?


Je me suis littéralement laissée porter par cette femme qui, pour certains paraitrait ordinaire, mais qui, pour moi, revêt des dimensions hors du commun, une très belle personne !


C'est enfin le retour aux origines, l'appel irrésistible de la terre natale.


Un beau 1er roman à découvrir.

 

Voir les commentaires

2017-08-25T20:08:13+02:00

Le Jour d'avant de Sorj CHALANDON

Publié par Tlivres
Le Jour d'avant de Sorj CHALANDON

Editions GRASSET


Après "Un dimanche de révolution" de Wendy GUERRA et "Un funambule sur le sable" de Gilles MARCHAND, je vous propose un nouveau roman de la rentrée littéraire de septembre 2017 : "Le jour d'avant" de Sorj CHALANDON.


De cet auteur, j'avais lu "Le quatrième mur", couronné par le Prix Goncourt des Lycéens en 2013. Je me souviens avoir été profondément touchée par la puissance émotionnelle du livre, et bien, je viens de renouveler l'expérience. Je sors complètement  "sonnée" de ce roman, c'est une claque magistrale que nous donne l'auteur sur la base d'un fait historique, méconnu mais ô combien révélateur de la vie de toute une partie de la population française.


Le 27 décembre 1974, 42 mineurs périssent dans la fosse 3 bis de Saint Amé de Liévin. Nous sommes dans le bassin houiller du Nord Pas de Calais. Joseph aurait dû assurer la relève de ses parents à la ferme mais il a été attiré comme les jeunes du village par la mine, cet univers industriel qui donnait du travail aux hommes, jeunes et moins jeunes, au péril de leur vie. Ceux qui ne mouraient pas d'un coup de grisou ne vivraient pas vieux, les poumons altérés par la poussière de charbon qui s'infiltrait partout, dans les tissus des vêtements comme dans les pores de la peau. Joseph était fier de son matricule 1916, de cette reconnaissance que lui offrait la mine. Il avait l'habitude de dire "C'est comme ça la vie", surtout quand il vivait des moments de grande complicité avec son frère, le narrateur, tous deux invincibles sur leur mobylette, le grand confiant le guidon au plus jeune de 16 ans. Ils en ont fait des tours, épris d'insouciance qu'ils étaient, comme la veille de l'accident.


Sorj CHALANDON décrit avec beaucoup de minutie l'univers de la mine et la vie les familles rythmée par l'activité de la fosse, les femmes préparant la gamelle, les hommes saluant les enfants comme s'ils se voyaient pour la dernière fois, le changement de vêtements à l'arrivée sur place, la descente à la mine, la remontée avec la relève des "pendus", les douches communes pour enlever le plus gros du charbon qui restait collé au corps des hommes, et puis l'offrande du pain d'alouette, le quignon de pain qui ayant accompagné le mineur pendant sa journée et remis  au bambin resté dans la rue pour signaler aux voisins le retour du père ou du frère, ce soir encore. J'ai été touchée par la description des conditions de vie de ces ouvriers qui ont marqué une page de l'Histoire de la France. Par le passé, les corons avaient été honorés par Pierre BACHELET dans une chanson, ils le sont aujourd'hui par Sorj CHALANDON dans un roman. 
 


Il pensait à un peuple à part. P. 5

Mais l'auteur va beaucoup plus loin, il revient sur un fait historique qui a laissé une empreinte à jamais dans le coeur des familles endeuillées ou meurtries par les blessures des mineurs descendus à la fosse 3 bis ce 27 décembre. C'était la reprise de l'activité de la mine après quelques jours de repos passé en famille à fêter Noël. Sorj CHALANDON tient un discours militant dans ce livre, il rend justice à des hommes victimes de l'absence de précautions suffisantes pour assurer leur sécurité. Cet événement aurait pu être évité et la vie de ces 42 hommes préservée. Il en assure la mémoire.


L'écrivain explore longuement la souffrance des familles, la peine des victimes collatérales de la mine avec le personnage du narrateur, le frère de Joseph, humainement très affecté par le décès de son frère. Toute son existence en sera marquée, il donnera un tournant à sa vie et partira pour la capitale pour devenir mécanicien, hanté par les fantomes des mineurs ayant péri ce 27 décembre. Il essaiera bien de construire sa vie mais sera malheureux en famille, accompagnant sa femme, malade, jusque dans les derniers instants.
 


J'ai fermé les yeux. Elle a ouvert les siens. J'ai senti sa présence derrière mes paupières. Je les ai ouvertes lentement, pour ne pas l'effrayer. Nous étions là, comme ça. Moi penché sur elle, elle tendue vers moi. P. 30

Sorj CHALANDON cherche la voie de la résilience pour un homme dont la vie est enkystée par le malheur et la présence de la mine. 


Mais ce qui m'a bouleversée le plus, c'est cette petite bombe lâchée par l'écrivain et dont la déflagration résonne comme l'explosion produite ce 27 décembre 1974. Il va générer un véritable séisme dont les secousses vont largement impacter la nation toute entière. Sorg CHALANDON a un talent fou, il assure un tour de force d'une puissance extraordinaire, chapeau bas.


Assurément, cette lecture qui s'inscrit dans le challenge 1% rentrée littéraire de Délivrer les livres est une lecture coup de poing, de celles qui envahissent votre mémoire et y laissent leur empreinte à jamais.
 

 

Voir les commentaires

2017-02-06T19:05:36+01:00

Par amour de Valérie TONG CUONG

Publié par Tlivres

 

Editions Lattes

Je vais me livrer à un exercice difficile : chroniquer un coup de coeur. Je ne sais pas si vous ressentez la même chose, mais moi, lorsqu'il s'agit d'un coup de coeur, je crains toujours de ne pas être à la hauteur de la qualité de la prose de l'auteure et là, avouez qu'il s'agit d'une plume remarquable.


Valérie TONG CUONG, ce n'est pas une découverte pour moi, j'ai déjà lu de cette écrivaine : "L'ardoise magique", "Pardonnable impardonnable". Ces deux romans ont laissé en moi une empreinte indélébile je crois. Je me souviens des histoires comme si je les avais lues hier, c'est un signe. "Par amour" m'a envoûtée tout autant. D'ailleurs, j'étais prévenue, et vous aussi le serez, avec cette citation qui apparaît dans les toutes premières pages de Julien GUILLEMARD : "C'est à nous d'entrer en lice, avec notre plume la plus acérée au service d'une encre indélébile. Contre les guerres."

 

Tiens, tiens, indélébile, un mot qui prend tout son sens avec ce roman. Je vous explique.


Nous sommes le 10 juin 1940, le décor est planté avec la toute première phrase, une phrase choc :


Dès que maman a poussé la porte, j'ai compris que cette journée serait différente des autres.

Cette manière d'entrer en matière est la signature de Valérie TONG CUONG, cette écrivaine a le talent, en quelques mots, de vous prendre à la gorge et de ne plus vous lâcher !


Lucie est une petite fille, elle a un frère, Jean. Les deux enfants sont élevés par leur mère, Emélie, depuis le départ au front, il y a 9 mois, de leur père. Il n'est rentré qu'une fois. Les enfants côtoient leurs cousins, Joseph et Martine. Leur mère, Muguette, est la soeur d'Emélie. Son mari, Joffre, est également parti au front. Les 2 familles vivent au Havre, ville soumise à un tout récent ordre d'évacuation. Les femmes n'ont pas le choix, elles doivent assurer "l'exode" de leurs familles. Elles vont ainsi prendre la route de Lisieux, puis celle d'Alençon. Elles n'iront jamais jusqu'à destination en raison de l'armistice signé par le Maréchal Pétain avec l'occupant. De retour à la maison, elles reprennent leur vie quotidienne mais rapidement, tout va changer avec la réquisition de l'école du village par les Allemands, celle-là même où sont domiciliés Emélie et Joffre, lui y était employé comme Chef cuisinier.


Valérie TONG CUONG nous plonge dans l'intimité de cette famille depuis les premiers jours de la 2de guerre mondiale jusqu'en août 1945. Elle a choisi le roman chorale, cette forme littéraire ô combien délicate mais tellement réussie. C'est avec les yeux de Lucie, puis de Muguette, d'Emélie et les autres que nous allons vivre cette aventure. Tantôt enfant, tantôt mère de famille devenue cheffe de famille le temps des événements, nous allons aborder les faits par le filtre de différents regards, de quoi nourrir ses réflexions personnelles à bien des égards.


Il suffit de lire le passage dédié à l'embarquement des familles :

 


Le jour s'est levé et, enfin, notre tour est venu. Nous sommes montés sur le bac en silence, craignant à chaque pas qu'un incident ne survienne et n'annule notre traversée tant attendue, à la fois euphoriques à l'idée d'échapper au pire et déchirés de culpabilité, puisqu'il fallait bien laisser derrière nous, acculés à la berge, une marée d'autres malheureux, vieillards, harrassés, mères isolées et chargées de nouveau nés, familles trop nombreuses qui refusaient d'être séparées. P. 45/46

pour imaginer les sentiments partagés de tous ces migrants qui quittent aujourd'hui leur pays en guerre pour un univers qu'ils pensent meilleur, au péril de leur vie bien souvent et aux dépens d'autres populations restées à terre.


J'ai été profondément touchée par les mouvements d'évacuation des enfants. Quand on est mère, impossible de ne pas se projeter dans ce  type de situation !

Je ne soupçonnais absolument pas cette page de notre Histoire avec le départ de nombreux enfants pour les terres algériennes notamment, l'occasion pour l'écrivaine d'évoquer la guerre en terres méditerranéennes, ce n'est pas si fréquent. Cette parenthèse lui a donné également l'occasion d'évoquer les conditions de vie des juifs. Là-bas, ils n'étaient pas mieux traités, une simple abrogation du Décret Crémieux conféra à 110 000 d'entre eux le statut d'indigènes ! 


C'est l'Histoire aussi d'une ville tout entière qui est abordée : Le Havre, dont on découvre les origines familiales de Valérie TONG CUONG. Je me souviens très bien de ce roman de Anthony DOERR "Toute la lumière que nous ne pouvons voir" qui relatait l'Histoire de Saint-Malo à la même période. Nul doute que je me souviendrais très longtemps des images du Havre qui me hantent déjà !


Ce roman revêt, vous l'aurez compris, une dimension historique. Il suffit de consulter les nombreuses références citées dans la bibliographie pour s'en convaincre. A souligner d'ailleurs le travail monumental réalisé par Valérie TONG CUONG pour collecter toutes ces données et les capitaliser au service d'une épopée familiale tenue de bout en bout par une main de maître.


Nous le savons bien, chaque page de notre Histoire ne serait rien sans toutes ces histoires individuelles, familiales, de personnes ordinaires qui, un jour, ont dû choisir leur camp. Valérie TONG CUONG dresse un magnifique portrait de femmes sur qui reposait la survie de leur progéniture. J'ai particulièrement aimé ce passage : 

 


Au dernier instant de mon existence sur cette terre, quand défileront les événements qui auront soulevé la peine ou la joie dans mon coeur de mère et dans mon coeur de femme, le bonheur éprouvé plus tard devant mes enfants mordant dans du pain chaud dansera par-dessus tous les autres, j'en suis sûre. P. 54

Quand malheureusement, elles tombaient malades, c'était un tout autre combat qu'elles avaient à livrer !


J'ai pensé aux bombardements, ces bombes dont j'avais presque oublié l'existence parce que ici, au sanatorium, nous menions notre propre guerre avec nos propres armes, parce que l'envahisseur n'avait ni nationalité ni uniforme, mais qu'il était partout, si petit qu'il fallait un microscope pour le débusquer et si retors qu'il nous occupait à plein temps. P. 243/244

Une question me taraude toujours dans ces circonstances : comment chacun faisait-il pour continuer à se battre, lutter contre les ennemis et affronter les événements ? Valérie TONG CUONG nous propose quelques éléments de réponse :


[...] il fallait apprendre à aimer vivre, et vivre pour aimer. P. 348

Quant au titre du roman : "Par amour", il ne pouvait être plus adapté à ce flot de sentiments qui surgit tel un raz-de-marée, à la vie, à la mort.

 

Un incontournable de cette rentrée littéraire de janvier 2017, assurément !

Cette lecture participe au Challenge de

la Rentrée Littéraire MicMelo de janvier 2017 ! 

Voir les commentaires

2023-04-08T07:26:25+02:00

Les enfants véritables de Thibault BERARD

Publié par Tlivres
Les enfants véritables de Thibault BERARD

C'est le printemps, les fleurs aux couleurs chatoyantes font leur apparition dans les jardins, les livres aussi en librairie ! "Les enfants véritables", 2d roman de Thibault BERARD, initialement publié chez Les éditions de L’Observatoire, est désormais disponible en version poche, chez J'ai lu. Regardez sa couleur éclatante !

Théo élève seul ses enfants, Simon et Camille, de 7 et 4,5 ans, depuis le récent décès de sa compagne Sarah. Cléo fait son entrée, tout en délicatesse, dans ce cocon familial meurtri. Elle est douce, Cléo, elle est gentille, et puis, c'est l'amoureuse de papa, alors chacun lui fait une petite place mais les démons ne cessent de hanter tout ce petit monde. Derrière les sourires se cachent la douleur de l'absence et du manque, la peur de la mort aussi. S'il est difficile d'accepter cette nouvelle présence et le petit pas de côté fait avec les habitudes, ce n'est pas plus simple pour Cléo, qui, elle-même, a connu une famille loin des standards. Elle a été élevée par son père, Paul, dans la vallée de l’Ubaye. Quand elle n'avait que 7 ans, elle a dû faire une place à César dont le père, alcoolique, était décédé. Il habitait juste à côté et Paul avait un grand coeur, alors, il l'avait adopté. Quant à Solène, c'était le fruit d'une relation extraconjugale. Diane Chastain n'a jamais assumé son rôle de mère. Cette « mère-herbe-folle » avait besoin d'air et disparaissait régulièrement. Après 15 mois d'absence, elle est rentrée à la maison. Elle était enceinte. Là aussi, Paul a fait amende honorable. Il aimait trop sa femme pour ne pas accepter ce bébé à naître. Alors pour Cléo, cette entrée en matière, c'est un peu comme un plongeon vers l'inconnu !

Thibault BERARD explore avec gourmandise et tout en délicatesse l'entrée de Cléo, le personnage principal de cet opus, dans la famille de Théo. Il s'agit d'un lent apprivoisement, de l'un, de l'autre, des uns, de l'autre, parce que oui, il y a une communauté initiale... à trois, et un individu de plus qui va progressivement chercher sa place, un peu comme un corps étranger à greffer dont on attend l'acceptation ou le rejet. Au gré, des opportunités, festives les premières, courantes de la vie pour les suivantes, les choses lentement s'organisent sous l'autorité d'un chef d'orchestre, Théo, le dénominateur commun de tous. Théo c'est le père, Théo c'est l'homme fou amoureux de Cléo, Théo c'est l'amant de Cléo.

Les fondations de cette nouvelle famille reposent sur ses épaules, à lui. C'est un sacré pari pris sur l'harmonie d'un groupe, l'alliance entre ses membres, la solidarité, la fraternité, l'équilibre, tout ce qui a besoin, pour se construire, de beaucoup d'amour, mais aussi, de mots. 

Ce roman, une nouvelle fois, est largement inspiré de la vie personnelle de l'auteur, mais pas que. Il y a aussi toute une part de son livre suggérée par son imaginaire. Et ce qui est merveilleux chez Thibault BERARD, c'est le jeu de la narration.

Ce roman, c'est un coup de coeur, comme "Il est juste que les forts soient frappés", à moins que vous ne souhaitiez vous plonger dans les premières lignes du tout dernier roman de Thibault BERARD "Le Grand Saut"...

Voir les commentaires

2023-01-24T07:00:00+01:00

Les Enfants endormis d’Anthony PASSERON

Publié par Tlivres
Les Enfants endormis d’Anthony PASSERON

Editions Globe

 

Nouvelle découverte de mes cadeaux de Noël conseillés par l’équipe de la librairie Richer, merci ! Le premier roman d’Anthony PASSERON, « Les Enfants endormis » aux éditions Globe est absolument fascinant.

 

Il y a cette famille d’artisans bouchers, de pères en fils, des gens connus de tout le village, des gens qui se tuent au travail. Alors, quand le fils aîné, Désiré, se destine à des études, un nouvel élan souffle sur la lignée. C’est le fils cadet qui, lui, sera soumis à la relève, lui n’aura pas le choix de son avenir professionnel. Mais avec les études, Désiré découvre la vie en ville. Il côtoie des jeunes qui n’ont que faire du modèle ancestral. Ce qu’ils veulent, eux, c’est vivre. Dès lors, ils repoussent les limites, bravent tous les dangers. Désiré lâche l’école. Direction Amsterdam. Quand il en reviendra, plus rien ne sera pareil. La drogue fait partie de sa vie, la drogue dure, l’héroïne. Il se pique, lui et ses amis de l’époque. Ils partagent les mêmes seringues, celles-là mêmes qui véhiculent le VIH. Mais le virus est à cette époque loin d’être maîtrisé. Ce ne sont que les balbutiements de la recherche médicale dans le domaine, le début d’un des plus grands combats scientifiques du XXème siècle. 

 

Ce roman, c’est d’abord un roman social, celui d’une époque, les années 1980 à 2000. Il y a la vie du village rythmée par celle des commerces dont le modèle économique se perpétue depuis la nuit des temps, le modèle familial agit, lui, comme un déterminisme sur tous.


C’était souvent le cas dans les fratries de la vallée, le premier des garçons était plus choyé que les autres, il bénéficiait d’un statut à part, comme si l’attention exclusive qu’on lui avait portée avant l’arrivée de ses frères et soeurs ne s’était jamais dissipée. Emile reproduisait simplement le modèle de ses parents. P. 45

La révolte de 68 a pourtant commencé à l’égratigner. Avec les années 1980, le baccalauréat se veut porteur d’espoir, celui d’une nouvelle ascension sociale. Les parents en rêvent mais leurs adolescents peinent à franchir la frontière entre les classes sociales.


Notre démarche, nos manières, notre vocabulaire et nos expressions, tout finissait par nous trahir. P. 118

Derrière le rêve, la réalité, le drame humain de cette époque, les années sida. Anthony PASSERON brosse avec sensibilité le portrait de sa famille meurtrie, à jamais hantée par « Les enfants endormis ».

 

Jeune encore, je me souviendrai toujours de ces visages émaciés sur l’écran de télé, de corps décharnés rongés par le virus. 

 

Anthony PASSERON relate l’histoire contemporaine de la recherche médicale, la concurrence entre les chercheurs, les pays aussi. Il dénonce l’inégalité financière entre les laboratoires. L’auteur rend hommage à Willy ROZENBAUM, infectiologue, qui a fait preuve d’une incroyable ténacité pour sortir de l’approche réductrice des 4 « H », les « héroïnomanes, homosexuels, hémophiles, Haïtiens ». 

 

J’ai été frappée par le parallélisme établi entre cette famille et la recherche, toutes deux confrontées à l’omerta, le regard de la société porté sur les victimes de l’épidémie, des parias. 

 

Que la démarche d’Anthony PASSERON soit louée.


Ce livre est l’ultime tentative que quelque chose subsiste. P. 11

Ce premier roman est on ne peut plus prometteur, la plume est brillante, la construction ingénieuse, le propos puissant. 

Voir les commentaires

2022-07-29T21:12:25+02:00

Maikan de Michel JEAN

Publié par Tlivres
Maikan de Michel JEAN

Cette semaine, dans les actualités, peut-être avez-vous entendu parler du Pape François présentant les excuses de l'Eglise pour les pensionnats de la honte. 

Il y a quelques mois encore, je ne connaissais pas la sombre histoire de ces établissements dans lesquels des religieux, catholiques, procédaient à une assimilation à tout prix des autochtones canadiens. C'est Michel JEAN qui m'a mise sur la voie sur le sujet avec son roman, "Maikan", publié aux Éditions Dépaysageune lecture coup de poing, un CRI, ma #VendrediLecture.

Audrey Duval, Avocate, se voue chaque année à une cause solidaire. Loin des milieux huppés qu’elle fréquente habituellement, elle se retrouve en quête d’une vieille femme, Marie Nepton, dont elle souhaite percer le jour. Elle a disparu de tous les radars alors que le gouvernement lui doit une indemnité pour se faire « pardonner » de ce que le régime, de concert avec le clergé, a causé à son peuple, les Innus de Mashteuiatsh, des Amérindiens. Nous sommes en 1936 quand les politiques décident d’assimiler des « sauvages », les éduquer, mais là commence une autre histoire.

De quoi parle-t-on ? D'un génocide culturel, ni plus, ni moins !

Parce qu'il ne suffisait pas de faire oublier aux jeunes Innus de 6 à 16 ans arrachés à leurs familles tout ce qui constituait leurs origines (langue maternelle, us et coutumes...) pour soi-disant les civiliser, encore fallait-il les violenter. Mais qui étaient les sauvages en réalité ?

La révélation qu’en fait Michel JEAN dans "Maikan" m’a touchée en plein coeur.

Des pensionnats comme Fort George, qui a accueilli plusieurs membres de la famille de l'auteur, il y en a eu 139 au Canada, 4 000 enfants y sont morts. Avec ce roman, "Maikan" qui veut dire les loups, Michel JEAN assure la mémoire des Amérindiens sacrifiés au titre d'une politique ignoble. Il donne de l'écho aux procédures juridiques toujours en cours contre l'Etat pour les indemnisations des familles.

La narration qui fait se croiser fiction et réalité avec des personnages de femmes remarquables, Audrey et Marie, permet aussi de créer du lien entre deux périodes, les années 1930 d'une part, les années 2010 d'autre part. Le procédé est ingénieux et parfaitement réussi.

La plume est d'une très grande sensibilité, elle est soignée comme la qualité des première et quatrième de couverture, bravo. 

Ce roman, c'est un CRI du coeur pour ce qu'il dévoile de la grande Histoire, qu'on se le dise. J'aime quand la littérature s'approprie des faits historiques et prend la relève des manuels scolaires pour éclairer nos consciences. 

Impossible de ne pas citer la team de « Varions Les Éditions en Live » (Vleel) qui a d'ailleurs organisé une rencontre littéraire avec Michel JEAN en juin 2021. Pour donner encore plus de résonnance à cette chronique, je ne peux que vous inviter à visionner la vidéo.

Voir les commentaires

2021-11-16T07:00:00+01:00

S'adapter de Clara DUPONT-MONOD

Publié par Tlivres
S'adapter de Clara DUPONT-MONOD

Stock éditions

La plume de Clara DUPONT-MONOD, je l'ai découverte très récemment avec un roman historique, "Le roi disait que j'étais diable" qui relate une partie de la vie d'Aliénor d'Aquitaine.

Là, changement de registre, son tout dernier roman couronné des Prix Landerneau et Fémina 2021, est autobiographique.

Il était une fois... c'est avec cette formule que commencent habituellement les contes de fées. Si la phrase n'est jamais prononcée dans le roman de Clara DUPONT-MONOD, c'est pourtant bien dans ce registre littéraire que l'autrice va nous plonger le temps d'une lecture.

Prêtant sa voix à des pierres cévenoles, l'occasion de personnifier Dame Nature qui occupe là une très grande place, Clara DUPONT-MONOD nous livre l'histoire d'une famille qui, après l'aîné et la cadette, voit naître un enfant différent, un enfant condamné à rester allongé et dont l'espérance de vie est comptée. Dans un cocon familial protégé, sous le regard attendri d'un grand frère attentionné et à distance d'une grande soeur révoltée, il se laisse porter. 

Cette fratrie, elle se bat avec ses armes. Dans une narration en trois parties, chacune dédiée à l'un des autres enfants de la famille, il y a cette manière d'aborder le handicap, de le vivre au quotidien, de "S'adapter" toujours, tous les jours. Clara DUPONT-MONOD nous offre un regard croisé.

J'ai beaucoup aimé ce roman pour l'éveil des sens. Il y a de magnifiques passages sur la fusion de l'aîné avec son frère handicapé, tout accaparé à le faire vibrer...


« Il ouvrait doucement les petites mains toujours fermées pour les poser sur une matière. Du collège, il rapporta de la feutrine. De la montagne, des petites branches de chêne vert. » P. 33

Tout est en réalité affaire de communication. Il y a celle des hommes avec la nature, la fusion avec les éléments, tout particulièrement en montagne. Il y a celle établie entre les enfants, il y a celle des religieuses de la structure qui accueillent l’enfant différent…


Des années plus tard, il comprendrait que ces femmes, elles aussi, étaient arrivées à un niveau inouï d’infralangage, capables d’échanger sans mots ni gestes. P. 51

Mais là où la littérature fait son oeuvre, c'est quand elle magnifie la relation du petit dernier avec un être, un brin fantomatique. Je ne vous en dis pas plus, juste que cette partie est écrite tout en beauté et montre le talent de l'écrivaine.

Au fil de ma lecture, je me suis interrogée sur l'usage de noms communs pour désigner les personnages du livre. Il y a l'aîné, la cadette, le dernier. Cette question me taraude d'autant plus que je sors de la lecture du roman de Jean-Baptiste DEL AMO "Le fils de l'homme", salué par le Prix Fnac 2021, qui lui aussi emprunte ce vocabulaire pour désigner les membres de la famille, un peu comme si leur statut les enfermait dans un rôle singulier.

Pour ce roman qui relève d'une promesse faite par Clara DUPONT-MONOD, je me prends à penser qu'il s'agit là d'un moyen offert par le jeu de l'écriture pour se détacher d'une certaine forme de réalité trop lourde à porter, l'opportunité d'un pas de côté pour mieux... se « réparer ». Engagement tenu, qu'elle en soit félicitée.

Voir les commentaires

2023-09-12T17:00:00+02:00

Le royaume désuni de Jonathan COE

Publié par Tlivres
Le royaume désuni de Jonathan COE

Traduit de l’anglais par Marguerite CAPELLE

Gallimard

 

Quel plaisir de retrouver la plume de Jonathan COE, un formidable conteur. En introduction, un arbre généalogique pour tracer la descendance familiale, c'est dire si la plongée dans l'intime va être foisonnante.

Tout commence à Bournville, un petit village près de Birmingham, connu pour son usine de production de chocolat Cadbury. Elle date de l’époque où l’industrie constitue la locomotive du développement urbain. Avec sa construction et sa croissance, se déploient des logements pour les familles des salariés, des équipements publics pour répondre aux besoins des nouveaux arrivants sur le territoire. Mary Clarke rencontre Geoffrey Lamb. Ils se marièrent et eurent beaucoup d’enfants...

Loin du conte de fée en réalité, ils n’eurent que 3 enfants, 3 garçons. Mais c'est largement suffisant pour un écrivain comme Jonathan COE à l'imagination débordante pour construire un récit rocambolesque à l’envi. Les personnages sont profondément attachants, les émotions à fleur de peau.


Geoffrey pleure comme un bébé. Les larmes jaillissent de son corps : les larmes qu’il n’a jamais versées pour son père, ni pour sa mère ; les larmes que rien d’autre, rien de tout ce qui a pu leur arriver, à lui, à Mary ou à ses enfants, n’a jamais réussi à lui tirer en soixante-dix ans. P. 399

  

Et puis, à travers eux, cette famille qui pourrait être vos amis, vos voisins, Jonathan COE brosse le portrait de l’Angleterre sur plusieurs décennies pour terminer en 2020 avec l’épidémie du coronavirus.

Il y a notamment ce savoureux passage sur l'avènement de la télévision dans les foyers, une petite révolution. Nous étions à l'époque où le petit écran favorisait les liens sociaux ! Incroyable, non ? 

Et puis, il y a cette fameuse histoire du chocolat Cadbury, la marque ancestrale de ces gourmandises que l'on a tous savouré à un moment ou un autre de notre vie. Mais le couperet tombe, la Communauté Européenne retoque le trésor culinaire anglais en raison des matières grasses végétales ajoutées. L'Europe est formelle, un authentique chocolat repose sur l'exclusivité du cacao comme composant, de quoi semer le trouble entre les différents pays, les rigoristes et les laxistes. Le sujet défraye la chronique. C'est l'occasion de découvrir notamment le rôle des lobbyistes présents à Bruxelles.

Mais les Anglais ne seraient rien sans la famille royale. Souvenez-vous, il y a eu le couronnement de la reine et puis, le décès accidentel de Lady Diana, véritable tragédie pour un peuple fidèle à sa monarchie.

Le tout est bien sûr servi par une plume pleine de fantaisie, teintée d’humour quand il ne s'agit pas d’ironie, cette signature so british. Les anecdotes sont croustillantes, le propos succulent. Il y a des passages d'extase totale.

  


Les quatre musiciens sourient et se regardent, repus d’émotion, légèrement incrédules à l’idée d’être arrivés à la fin de l’oeuvre, comme si le voyage avait duré des mois et des années plutôt que les cinquante-cinq minutes qui viennent en réalité de s’écouler. P. 393

Avec ce roman dont le personnage de Mary est largement inspiré par sa propre mère, l’auteur concourt à la mémoire de notre société moderne. Il assure la postérité des années 1945 à nos jours. Les protocoles sanitaires liés au Covid, c’était hier, on les oublierait presque. Ce roman, c’est une trace laissée par plusieurs générations pour ne pas tomber dans les oubliettes.

Ce roman se savoure avec du très bon chocolat, un incontournable of course !

Voir les commentaires

2023-10-03T05:00:00+02:00

Avant la forêt de Julia COLIN

Publié par Tlivres
Avant la forêt de Julia COLIN

Dans cette rentrée littéraire, place à un conte des temps modernes, « Avant la forêt » de Julia COLIN.

 

Tout commence dans un contexte de fin du monde. Le réchauffement climatique n’est plus une perspective mais une réalité, les cultures grillent sur pied sous l’effet des 50 degrés, la pénurie d’essence oblige les véhicules automobiles à s’arrêter sur le bord des routes, le manque de médicaments condamne les populations aux épidémies. Elie et ses parents, comme la famille de Calme, décident de quitter Paris en quête d’un lieu plus supportable. A Lyon, un terrible accident laisse Calme orpheline, elle est prise en charge par la famille d’Elie qui poursuit son exil. Elle refuse le joug de la mafia marseillaise et s’installe finalement dans la vallée de Marat où les parents de Calme étaient propriétaires d’un lopin de terre. Là, les hommes et les femmes font communauté, ils s’entraident, ils troquent leurs ressources pour subsister. Sous l’autorité d’un maire et d’une milice, « exister » a-t-il encore un sens ?

 

Notre monde prêt à basculer dans quelque chose d’apocalyptique inspire la littérature. A travers des personnages de fiction qui ressemblent à des gens ordinaires, Julia COLIN nous offre sa vision, une dystopie. 

 

L’Homme serait-il un loup pour l’homme ? Julia COLIN revisite la comédie Asinaria de Plaute quelques 2000 ans après sa création. L’écrivaine projette le regard de celui qui a sur les inconnus qui arrivent en quête d’un monde meilleur. C’est le sort qui sera réservé demain aux réfugiés climatiques. Comment nous comporterons-nous ? Allons-nous ériger des murs pour s’en protéger et installer des congénères, armés, pour les faire respecter ? Ce roman est bien plus philosophique qu’il n’y paraît. Aucun doute, il est bien publié Aux Forges de Vulcain dont le dessein est de « changer la figure du monde ». 

 

En attendant l’invasion, il faut bien répondre à ses besoins vitaux, manger, dormir, s’abriter, se protéger du froid. La vie quotidienne ne saurait puiser dans ses seules ressources  pour s’assurer un avenir. C’est là que l’administration et la politique prennent le pouvoir pour le meilleur, comme pour le pire. A travers Enric, le maire, et Saule, la cheffe de la milice qui n’est autre que sa fille, Julia COLIN met le doigt sur ce qui fait mal, une autorité dans les mains d’une seule  famille qui joue de ses capacités à choisir de ce qui est bon pour tous. Elle révèle les limites de l’exercice ! 


Dans les dictatures aussi, ça arrive que les gens se portent bien. Ça ne veut pas dire qu’ils sont heureux. À Marseille, on vivait sous le contrôle de la Mafia, on était en sécurité, on mangeait à notre faim. Ça ne les a pas empêchés de me tabasser parce que je refusais leurs interdictions. P. 199-200

Dans un contexte d’écoanxiété, l’autrice nous ouvre une voie… mystérieuse et puise dans les légendes pour donner à la nature des pouvoirs fantastiques mais là, je ne vous en dirais pas plus.


Au début, il ne perçut que les sons habituels : le grincement des branches, le chant d’un oiseau, les bourrasques du vent. Mais, en se concentrant davantage, il crut percevoir, timide mais joyeuse, une nouvelle voix inconnue qui chantait sa joie d’être au monde. P. 206

Ce premier roman est parfaitement réussi. Il est servi par une très belle plume avec des personnages attachants, le tout dans un rythme captivant. C’est une expérience littéraire aussi, à la croisée de différents  chemins. Il fallait oser le sujet, il fallait oser la forme aussi. Pari réussi.

 

Publicité. Livre offert par la maison d’édition. 

Voir les commentaires

2016-11-03T07:43:53+01:00

Fils du feu de Guy BOLEY

Publié par Tlivres

Ce  roman fait partie de la sélection des 68 premières fois

 

Dans la famille, il y a Papa, ferronnier d'art, Maman, lavandière, et 2 garçons, l'un est devenu peintre, c'est le narrateur. Il se remémore le travail de ses parents, les conditions difficiles dans lesquelles chacun menait sa tâche à bien, mais aussi la vie de famille, riche, chaleureuse. Et puis, il y a eu ce drame, le décès de son frère. Avec le deuil, c'est toute la famille qui va exploser et chacun va devoir trouver une nouvelle voie...

 

Guy BOLEY a cette plume remarquable qui donne une dimension hautement romanesque à des scènes de vie quotidienne. Moi qui appréhendais d'entrer dans une forge, j'ai pris plaisir à la découvrir. Quant au travail des lavandières, alors là, il excelle...

 

 


Je l'aimais bien, ce monde féminin de linge et de lingerie, ce monde clos de buée, ces grosses cuves à eau où l'on bouillait, brassait, touillait les draps, ces baquets de lavage où se mêlaient cendre et suif, ces maelströms de lin, de couleurs ou d'écru, ces cotons qui cloquaient, ces bulles de savon, l'odeur des lessives, la torsion des mains, la sueur des femmes, ce linge que l'on battait comme on fesse un vaurien, que l'on secouait dans de grands claquements, et la beauté sans nom de leurs drapés flamands quand on les laissait choir. P. 47/48


Mais Guy BOLEY, c'est un nostalgique, autant il aime à décrire avec moult détails l'artisanat, autant il donne de sérieux coups de griffes à notre monde moderne régit par la consommation :


Les petits riens aux petits riens s'additionnent, faisant mourir les mondes, périr les civilisations : on tourne en rond avec l'automobile comme tournent les moines sur le pavé des cloîtres, on pilonne les livres en massacrant les mots derrière le noir et blanc d'un écran de télé qui a cependant l'élégance de se nommer encore Radiotéléviseur, histoire de faire croire que la parole est reine, alors qu'elle est déjà condamnée, mise en joue par ces réclames naïves, aux tons pastels, qui deviendront de la pub et régiront le monde. P. 90


Et puis, progressivement, il va se concentrer sur son narrateur, faire abstraction de l'environnement pour se focaliser sur ses peines, la profondeur de ce personnage affecté par le décès de son frère au point de s'en rendre malade et de devoir réapprendre à aimer la vie. C'est la peinture qui va le sauver, l'art-thérapie va faire son œuvre et lui permettre de toucher du doigt toute la sensibilité d'une toile :

 


Peindre cet enfant si joliment chantant que toute sa vie il demeura, afin qu'une fois la toile achevée, on puisse non seulement lire tout cela sur son visage, mais aussi entendre les craquements de son coeur tourmenté et de son corps d'écorché, sinon il n'y a aucune raison de le portraiturer, autant contempler une photographie. P. 142

 

Voir les commentaires

2024-01-02T07:00:00+01:00

L'enfant dans le taxi de Sylvain PRUDHOMME

Publié par Tlivres
L'enfant dans le taxi de Sylvain PRUDHOMME

Les éditions de Minuit

 

Sylvain PRUDHOMME, je l’avais découvert avec « Par les routes », Prix Femina 2019, un roman intimiste qui m’avait troublée. 

 

Et puis, il y a eu cette rencontre dédicace organisée par l’association Les Bouillons dans les Bibliothèques Municipales d’Angers. Je suis tombée sous le charme de son nouveau roman, "L'enfant dans le taxi". C'est mon #mardiconseil.

 

Tout commence avec une rencontre en terrain hostile. Une femme, une Allemande, un homme, un Français. Nous sommes en 1944. C’est la fin de la guerre. Lui, Malusci est un soldat d’occupation. Il est hébergé dans la ferme de ses parents à elle, près du Lac de Constance. A la sépulture de Malusci, Franz, son gendre, évoque avec Simon, son petit-fils, le secret de famille autour d’un enfant né de cette union, M.. Il aurait plus de 70 ans aujourd’hui. Il n’en faudra pas plus pour que Simon, en pleine séparation avec A. après 20 ans de vie commune, ne reprenne ses recherches. Il est encore loin d’imaginer où tout ça va le mener !

 

Ce roman est d’une profonde sensibilité. Comme j’ai aimé retrouver cette plume dans laquelle chaque mot est savamment pesé.


C’est un roman familial qui explore les relations, les jeux de rôles entre les uns et les autres, les choses révélées et celles cachées.


Puisque depuis toujours dans l’ordre des familles le crime c’est de parler, jamais de se taire. P. 20

Il y a des coups de théâtre aussi. Que dire de la grand-mère qui interdit à son petit-fils de mener l'enquête ? Elle ressemble à la sienne d'ailleurs. Cette histoire, c'est un peu celle de l'auteur...

 

Ce roman touche du doigt la quête et le poids des origines. M., Comme 400 000 enfants, est né d’une relation entre une Allemande et un Français. De l’autre côté du Rhin, les êtres n’étaient pas plus tolérants à l’égard de celles qui se donnaient à l’ennemi, pas sous le joug des armes, non, mais par amour.

 

Les personnages sont très romanesques. Ils sont tellement attachants.

 

Et puis, des pages de la grande Histoire de France s’invitent dans celle d’une famille largement inspirée de celle de l’écrivain. Il n'y a pas que la fin de la seconde guerre mondiale, non. Il y a aussi la guerre d'Algérie.

 

Chez Sylvain PRUDHOMME, il y a encore cette manière, à l’oral comme à l’écrit, d’effleurer les événements et de générer, comme les ronds dans l’eau, des effets collatéraux d’une puissance rare. A bien le regarder lors de cette soirée, à bien l'écouter aussi, l'homme a un je ne sais quoi de Patrick MODIANO. Toutes les interprétations que vous pouvez lui suggérez résonnent comme autant de possibles.


Que je voulais que ma vie soit toujours faite de ça : de moments ouverts, remplis d’interrogation, de vertige. P. 176

Le tout est rythmé par une plume singulière avec une ponctuation réduite à sa portion congrue, une écriture dans laquelle le souffle de la lecture prend tout son sens. A charge de celle et celui qui découvrent le récit de lui donner la lenteur ou l’élan qu’ils souhaitent. Les mots sont tendres et émouvants, empreints de poésie. L’auteur est empathique. 

 

C'est un nouveau roman très réussi aux éditions de Minuit, une première pour lui, pas la dernière c’est certain !

 

#lenfantdansletaxi #sylvainprudhomme #roman #histoire #origines #guerre

Voir les commentaires

2016-06-08T22:13:06+02:00

La maladroite d'Alexandre SEURAT

Publié par Tlivres
La maladroite d'Alexandre SEURAT

Ce livre, je l'ai lu parce qu'il fait partie de la sélection du Prix littéraire Cezam. J'en avais entendu parler mais j'avoue qu'il me rebutait.


Diana a 8 ans, c'est à cet âge qu'arrive l'irréparable. Arthur, son frère d'un an plus âgé, a été conçu dans la perspective d'un mariage qui n'aura jamais lieu, elle vivra le même sort. Sous le coup de 2 ruptures successives, la mère décide de retrouver le foyer d'antan et de vivre sa grossesse chez sa mère, la grand-mère donc. Le moral n'est pas bon et puis un jour, elle décide qu'elle accouchera sous X. Aucune négociation possible. Ainsi, à la naissance de la petite Diana, sa mère la déclare mort-née à son entourage. Prise de remords, au bout d'un mois, elle se rend à l'orphelinat pour récupérer son enfant. Elle renoue une relation avec le père biologique de Diana, elle quitte la maison avec lui et les 2 enfants. Le destin de l'enfant est scellé !


Alexandre SEURAT porte un regard croisé sur la vie de cet enfant et sur la spirale infernale qui s'est mise en place. Au tout début, il fait la part belle à l'environnement familial. Tour à tour, la grand mère, la tante, les cousins... relatent des événements, des anecdotes, des petits riens qui pourtant suscitent l'émotion, alertent. Et puis, avec l'école, les professionnels commencent à entrer dans ce jeu de rôles. L'institutrice, la directrice, le médecin scolaire... gravitent autour de l'enfant, se posent des questions, échangent, recoupent des éléments qui là aussi, mis bout à bout, commencent à faire beaucoup. Avec l'évolution de la situation et la gravité que prennent les faits, ce sont les services de police et de justice qui s'emparent de la situation mais... il sera trop tard.


Ce roman, c'est la chronique d'une mort annoncée. Il n'y a malheureusement pas d'illusion sur la destinée de cet enfant.


Pour tout dire, j'ai été mal à l'aise à la lecture de ce texte. Autant, adolescente, je lisais beaucoup de romans sur l'enfance maltraitée, autant, aujourd'hui, je fuis ce sujet en littérature. La forme de l'écrit n'a fait, je crois, qu'amplifier ce sentiment. J'ai lu ce roman comme un documentaire, un rapport qui aurait pu être rédigé dans la perspective d'un procès. Je n'ai malheureusement pas réussi à prendre le recul nécessaire pour lui préserver sa qualité de roman. Il faut dire que des faits tels que relatés peuvent être lus dans la presse dans une écriture journalistique pas si éloignée de la plume d'Alexandre SEURAT.


Ce roman, c'est aussi un regard porté sur notre société, sur des réalités de misère sociale qui se transmettent de génération en génération, sur des familles malmenées par la vie :


Une famille bricolée, oui, une famille rapiécée, une famille où rien ne se dit, mais où les drames se passent au vu de tous, et en silence, sans que personne ne s'interpose. P. 19

C'est encore un roman qui parle d'individus repliés sur soi, éloignés les uns des autres, sur la défensive. Il y a un terme récurrent dans le propos d'Alexandre SEURAT, le mot "distance", il figure même 2 fois dans une même phrase :


Le médecin scolaire m'a demandé avec beaucoup de correction et de distance, professionnelle, Que puis-je pour vous ?, et d'emblée ce regard qui signifie la distance entre nous [...]. P. 62

La maladroite d'Alexandre SEURAT

Ce roman, c'est enfin le portrait de nos institutions d'aujourd'hui, de la lenteur des dispositifs administratifs, de l'impuissance de ceux qui voient, de la nécessité d'apporter des preuves alors que dans ce type de situations il n'y a que présomption, d'innocence bien sûr, c'est la loi qui le garantit.


A la fin de la lecture, une chape de plomb s'est abattue sur moi. D'un naturel optimiste, je me suis retrouvée aculée devant autant de circonstances aggravantes. Le défi ne serait-il pas impossible à relever, du point de vue du collectif comme de l'individuel ? Pour continuer d'avancer, il faut vraiment beaucoup croire en l'humanité et espérer que ça soit encore possible même si, assurément, tous les êtres ne naissent pas égaux.


Il s'agit du 3ème roman de la sélection, voici mon classement :


La dernière page de Gazmend KAPLLANI reste en 1ère place,


Kokoro de Delphine ROUX prend la 2ème,


Pour La maladroite, ça sera la 3ème !

Voir les commentaires

2016-01-13T07:21:39+01:00

Avec cette tête-là de François FOLL

Publié par Tlivres
Avec cette tête-là de François FOLL

Gérard COLLARD a encore frappé ! C'est absolument incroyable... quand il présente un coup de coeur avec son amie Valérie EXPERT, à chaque fois j'adhère !!!


Nous sommes à la toute fin du XIXème siècle, c'est en 1899 que naît Joseph GUILLEMIN à Nantes. Son père est boulanger, sa mère vend le pain, et cet enfant naît avec un bec-de-lièvre. Son destin est tout tracé : il sera boulanger, comme son père et son grand-père "Avec cette tête-là" !


Mais c'est sans compter sur une scolarité agitée. Bouc émissaire de l'ensemble des élèves, il se fait maltraiter à l'insu de tous les adultes et dans des conditions odieuses. Entre boucs émissaires, des liens se créent ! David ARAN vient d'arriver. Son physique est singulier :


Petit et plutôt chétif, le nouveau venu avait le cheveu très noir, la peau mate et de grands yeux de myope qui, à travers des lunettes à monture métallique, lui donnaient un air de batracien étonné. P. 51

Au physique s'ajoute un nom de famille difficile à porter : Aran. Les métaphores ne tardent pas à tomber :


Tu pues le poisson, Aran. Dégage ! C'est ma place ! P. 55

Il n'en fallait pas plus pour que ces deux-là unissent leurs forces, à l'école et en dehors. Alors même que l'activité familiale occupe une grande partie des loisirs de Joseph, ses parents l'autorisent à inviter David à la maison, conscients de la solitude vécue par leur fils unique. Commencent alors des allées et venues entre les 2 familles : Joseph découvre un niveau de vie plus aisé, un univers culturel axé autour de la musique, l'expression de sentiments comme jamais il ne s'y était autorisé, excepté avec sa grand-mère aujourd'hui disparue.


Excellents élèves, leur scolarité va être menée en duo jusqu'au lycée. C'est à ce moment-là que la Guerre éclate et que leurs chemins vont se séparer.


Ce roman relate le magnifique parcours initiatique d'un garçon sur lequel s'abattent les déterminismes. Le 1er repose sur la catégorie sociale et l'activité professionnelle à laquelle sa famille ne peut imaginer qu'il échappe. Le 2d correspond au physique, objet de discrimination, y compris au sein de son propre environnement familial.


Avant même cette rencontre avec son ami David, la personne qui va être la plus importante dans l'ambition et l'espérance d'être autre chose qu'un boulanger pour Joseph, c'est sa grand-mère, une femme instruite et cultivée.


[...] s'intéressant à tout et soucieuse de transmettre à son petit-fils non seulement ce qu'elle savait, mais aussi l'appétit de ce qu'elle ne savait pas. P. 12

Ce passage très beau et très juste montre la richesse des apports des grands-parents dans la construction d'un enfant.


Le rapport aux livres qu'entretenait cette femme résonne totalement avec vos réalités quotidiennes, j'en mettrais ma main à couper ! Je pense aussi que je me serai bien entendue avec cette femme !


Les romans étaient le pain quotidien d'Yvonne Guillemin. Elle lisait lentement, prenait des notes, s'instruisait et complétait ainsi, pièce par pièce, un patchwork de connaissances lui permettant non pas de briller dans la conversation, mais parfois de surprendre. P. 49

Avec cette tête-là de François FOLL

Outre les apports de la littérature, François FOLL emmène également son.sa lecteur.rice sur le champ de la musique, des difficultés de son apprentissage mais aussi de la qualité des résultats à force d'entraînement. Le piano est parfaitement en harmonie avec le milieu juif dans lequel évolue David. Et pourquoi pas chez un boulanger ?


Ce roman présente aussi la qualité d'être historique. La 1ère partie reflète les conditions de vie d'une famille d'artisans du début du XXème siècle, la 2de relate tout un pan de notre Histoire, la condition de soldat des tranchées pendant la 1ère guerre mondiale. Ce roman est d'ailleurs dédié au grand-père de l'auteur, vraiment dénommé Joseph et lui aussi rescapé du Chemin des Dames.


Tous ces ingrédients portés par une écriture fluide, romancée, émouvante, donnent une puissance à ce roman exceptionnel. Cerise sur le gâteau, il fait 388 pages, de quoi le savourer à l'envi ! C'est un coup de coeur, assurément !


Merci Gérard !


Je ne résiste pas à partager cette très belle citation... qui donne un sens à la vie !


Les nouveaux ne savaient pas encore ce qu'était pour les rescapés des tranchées le simple fait d'être en vie, de sentir un rayon de soleil sur sa peau, de faire longuement tourner en bouche le liquide sombre d'un mauvais pinard, de déguster un plat chaud de haricots et de patates à la sauce bricolée. Bref, faute d'avoir cotoyé la mort, ils ignoraient le plaisir qu'il y avait à se sentir simplement vivant. P. 253

Voir les commentaires

2022-07-12T06:00:00+02:00

Une princesse modèle de David BRUNAT

Publié par Tlivres
Une princesse modèle de David BRUNAT

Les Éditions Héloïse d’ORMESSON, je les aime pour leur ton, leur sensibilité, je les aime passionnément pour leur approche de l’art. Il y a eu "Baisers de collection" de Annabelle COMBES, "Ma double vie avec Chagall" de Caroline GRIMM, je découvre maintenant avec admiration la vie d’Hélène GALITZINE, modèle du peintre Henri MATISSE, sous la plume de David BRUNAT : « Une princesse modèle », un premier roman.

Si Hélène GALITZINE a du sang princier dans les veines, elle vivra surtout l’effondrement de tout un empire. A 8 ans, son père décède du typhus dans les geôles de l’armée rouge, laissant sa veuve seule pour élever une fratrie de quatre enfants. La famille s’exile en Allemagne puis en Italie. Elle s’installe à Arco près du Lac de Garde, là où sa mère s’emploiera à tenir une pension de famille. Hélène est une enfant qui aime la vie, éprise de liberté dont l’éducation sera confiée à des religieuses. Sa mère décédée, un nouveau départ est envisagé avec sa tante. Cette fois, c’est Nice qui devient le lieu de vie de la famille, c’est là qu’elle va se marier, avoir deux filles, travailler dans la haute couture et rencontrer le peintre, le maître du fauvisme avec qui elle va vivre des moments d’une intense complicité, une nouvelle vie s’offre désormais à Hélène GALITZINE.

Dès les premières lignes du roman, David BRUNAT nous fait part de sa démarche et des espaces de liberté qu’il s'est accordés pour évoquer l’itinéraire d’une femme dont la postérité est aujourd’hui assurée par la voie des toiles peintes de Henri MATISSE.


Mais après tout, un romancier peut affabuler à sa guise et n’a pas de comptes à rendre à la vérité. Ce n’est pas un historien, mais un faiseur d’histoires. Pas un mémorialiste, mais un machiniste des sentiments. Pas un moraliste, mais un conteur et un marionnettiste. P. 26

L'auteur s'approprie la voix d'Hélène GALITZINE  elle-même pour retracer un itinéraire aussi chahuté que rocambolesque. Il brosse le portrait d'une femme "modèle", une femme qui a su s'adapter aux circonstances de la vie, à moins que son existence relève d'une autre puissance. David BRUNAT nous fait ainsi toucher du doigt les contours du destin, un sujet universel et intemporel. De tous temps, l’homme s’est intéressé à la force suprême ou au hasard des coïncidences pour justifier le fil de son existence.

A partir de l'histoire singulière d'une famille d'immigrés, russes, David BRUNAT évoque un large mouvement migratoire ayant donné lieu à une implantation massive dans le sud de la France, notamment sur Nice. Il s'en saisit aussi pour retracer une fresque historique sur une quarantaine d'années, donnant à voir une page de la grande Histoire.

Enfin, et là c'est un autre sens du mot "modèle" que va explorer David BRUNAT pour nous faire entrer dans l'atelier du peintre Henri MATISSE. Hélène GALIT fut l'une des muses du grand maître du fauvisme. C'est à travers les confidences d’Hélène GALITZINE que l’on découvre les centres d’intérêt du peintre, ses sources d’inspiration. Elle rencontrera Lydia DELECTORSKAYA, modèle également, qui, à la mort de l’artiste, vouera sa vie à une juste reconnaissance de la grandeur de son art.

Si la question de l'immortalité transcende le roman, l'art peut assurément devenir le canal de la postérité, c'est le fil que va tisser David BRUNAT. Que le peintre du bonheur, comme ses modèles, en soient assurés, plus jamais je ne regarderais une toile de l'artiste comme avant.

Plus confidentielle et pourtant, la maternité peut elle aussi offrir une certaine forme de postérité. Je ne l'avais jamais abordée de cette manière...


Mais l’expérience de la maternité constitua, à sa façon, une révélation spinoziste. […] Une descendance est une forme d’immortalité ou du moins d’existence continuée. P. 77-78

C'est aussi pour ça que j'aime la littérature, porter un nouveau regard sur les choses de la vie. 

Dans un exercice narratif à deux voix, David BRUNAT pose des questions existentialistes et philosophiques, la cerise sur le gâteau d'un roman historique et artistique. Un premier roman prometteur sachant que l'homme a déjà fait ses preuves en matière d'écriture, il est homme de lettres et a déjà écrit des récits de vie sur Steve JOBS, Giovanni FALCONE, et puis un livre sur l'histoire du Titanic.

Voir les commentaires

Girl Gift Template by Ipietoon Blogger Template | Gift Idea - Hébergé par Overblog