Après "Un dimanche de révolution" de Wendy GUERRA et "Un funambule sur le sable" de Gilles MARCHAND, je vous propose un nouveau roman de la rentrée littéraire de septembre 2017 : "Le jour d'avant" de Sorj CHALANDON.
De cet auteur, j'avais lu "Le quatrième mur", couronné par le Prix Goncourt des Lycéens en 2013. Je me souviens avoir été profondément touchée par la puissance émotionnelle du livre, et bien, je viens de renouveler l'expérience. Je sors complètement "sonnée" de ce roman, c'est une claque magistrale que nous donne l'auteur sur la base d'un fait historique, méconnu mais ô combien révélateur de la vie de toute une partie de la population française.
Le 27 décembre 1974, 42 mineurs périssent dans la fosse 3 bis de Saint Amé de Liévin. Nous sommes dans le bassin houiller du Nord Pas de Calais. Joseph aurait dû assurer la relève de ses parents à la ferme mais il a été attiré comme les jeunes du village par la mine, cet univers industriel qui donnait du travail aux hommes, jeunes et moins jeunes, au péril de leur vie. Ceux qui ne mouraient pas d'un coup de grisou ne vivraient pas vieux, les poumons altérés par la poussière de charbon qui s'infiltrait partout, dans les tissus des vêtements comme dans les pores de la peau. Joseph était fier de son matricule 1916, de cette reconnaissance que lui offrait la mine. Il avait l'habitude de dire "C'est comme ça la vie", surtout quand il vivait des moments de grande complicité avec son frère, le narrateur, tous deux invincibles sur leur mobylette, le grand confiant le guidon au plus jeune de 16 ans. Ils en ont fait des tours, épris d'insouciance qu'ils étaient, comme la veille de l'accident.
Sorj CHALANDON décrit avec beaucoup de minutie l'univers de la mine et la vie les familles rythmée par l'activité de la fosse, les femmes préparant la gamelle, les hommes saluant les enfants comme s'ils se voyaient pour la dernière fois, le changement de vêtements à l'arrivée sur place, la descente à la mine, la remontée avec la relève des "pendus", les douches communes pour enlever le plus gros du charbon qui restait collé au corps des hommes, et puis l'offrande du pain d'alouette, le quignon de pain qui ayant accompagné le mineur pendant sa journée et remis au bambin resté dans la rue pour signaler aux voisins le retour du père ou du frère, ce soir encore. J'ai été touchée par la description des conditions de vie de ces ouvriers qui ont marqué une page de l'Histoire de la France. Par le passé, les corons avaient été honorés par Pierre BACHELET dans une chanson, ils le sont aujourd'hui par Sorj CHALANDON dans un roman.
Il pensait à un peuple à part. P. 5
Mais l'auteur va beaucoup plus loin, il revient sur un fait historique qui a laissé une empreinte à jamais dans le coeur des familles endeuillées ou meurtries par les blessures des mineurs descendus à la fosse 3 bis ce 27 décembre. C'était la reprise de l'activité de la mine après quelques jours de repos passé en famille à fêter Noël. Sorj CHALANDON tient un discours militant dans ce livre, il rend justice à des hommes victimes de l'absence de précautions suffisantes pour assurer leur sécurité. Cet événement aurait pu être évité et la vie de ces 42 hommes préservée. Il en assure la mémoire.
L'écrivain explore longuement la souffrance des familles, la peine des victimes collatérales de la mine avec le personnage du narrateur, le frère de Joseph, humainement très affecté par le décès de son frère. Toute son existence en sera marquée, il donnera un tournant à sa vie et partira pour la capitale pour devenir mécanicien, hanté par les fantomes des mineurs ayant péri ce 27 décembre. Il essaiera bien de construire sa vie mais sera malheureux en famille, accompagnant sa femme, malade, jusque dans les derniers instants.
J'ai fermé les yeux. Elle a ouvert les siens. J'ai senti sa présence derrière mes paupières. Je les ai ouvertes lentement, pour ne pas l'effrayer. Nous étions là, comme ça. Moi penché sur elle, elle tendue vers moi. P. 30
Sorj CHALANDON cherche la voie de la résilience pour un homme dont la vie est enkystée par le malheur et la présence de la mine.
Mais ce qui m'a bouleversée le plus, c'est cette petite bombe lâchée par l'écrivain et dont la déflagration résonne comme l'explosion produite ce 27 décembre 1974. Il va générer un véritable séisme dont les secousses vont largement impacter la nation toute entière. Sorg CHALANDON a un talent fou, il assure un tour de force d'une puissance extraordinaire, chapeau bas.
Assurément, cette lecture qui s'inscrit dans le challenge 1% rentrée littéraire de Délivrer les livres est une lecture coup de poing, de celles qui envahissent votre mémoire et y laissent leur empreinte à jamais.
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