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2022-12-10T07:00:00+01:00

Quand un auteur se livre... Portrait de Roland BOUDAREL

Publié par Tlivres
Quand un auteur se livre... Portrait de Roland BOUDAREL

Roland BOUDAREL, bonjour. Nous ne nous connaissons que depuis quelques mois, tout s’est joué à partir du moment où ma chronique de « Place Médard » a été publiée sur le blog et les réseaux sociaux. De ce premier roman, un coup de cœur, m’est venue l’idée de vous interviewer. 

C’est parti pour une rencontre, à distance, des plus riches et enthousiasmantes.


Tout d’abord, Roland (je me permets), pouvez-vous, en quelques lignes, nous résumer « Place Médard » ?

Avant toute chose Annie, merci de vous être si bien intéressée à « Place Médard » et de m’accueillir pour ce jeu de questions réponses. 

« Place Médard », c’est le nom d’une place de Quimper où au XIXème siècle, les paysannes des environs viennent vendre le lait de leurs vaches. Gwenn est l’une d’entre elles. Sa vie semble toute tracée pour une existence où on naît, vit, meurt dans le même village, jusqu’au jour où elle rencontre un artiste qui peint son portrait. Gwenn devient alors la victime d’un mari
jaloux qui, pour la punir d’avoir accepté, la marque au fer rouge de la flétrissure. Le destin de Gwenn s’en trouve bouleversé et cet acte indélébile, mais secret, se transmettra de génération en génération. A la suite de Gwenn, « Place Médard » nous permettra d’accompagner les existences de toutes ses descendantes, de la Bretagne à la Toscane, en passant par le Montparnasse des années vingt, l’Algérie, les rives du lac d’Annecy. Tour à tour, cet héritage transgénérationnel deviendra porteur d’espoir, de luttes, de révoltes ou de soumission.


« Place Médard », c’est un premier roman. Où en avez-vous puisé l’inspiration ?

Je portais ce roman depuis 2007, date à laquelle mon épouse avait commencé sa lutte contre un cancer du sein. Les points de tatouage précédant les rayons, la perte de cheveux succédant à la chimiothérapie, furent, pour moi, les déclencheurs de l’histoire où, à l’époque, j’imaginais deux femmes, à un siècle d’écart, confrontées aux mêmes stigmates. Mais je ne pouvais rien faire de cette matière-là qui est restée endormie, jusqu’à ce que je participe sur internet aux Master Class d’Eric Emmanuel SCHMITT en 2019. J’y recueillais désormais la méthodologie et les clefs pour ouvrir la porte. Durant les trois mois de préparation de « Place Médard », je me suis laissé guider par l’inspiration, j’ai lu, écouté de la musique, rêvé, réfléchi, pris des notes … et un matin, j’étais prêt à me lancer avec un plan détaillé pour toute mon histoire.


Le dessin est particulièrement présent dans l’histoire de Gwen. Pourquoi ? Pouvez-vous nous dire qui est Marguerite Marie CHABAY à qui vous rendez hommage ? Que représente cette femme pour vous ?

Le dessin est particulièrement présent dans l’histoire de Gwenn car toute ma vie professionnelle je l’ai passée dans le monde du papier pour terminer, durant une quinzaine d’années, dans l’univers prestigieux des beaux-arts, chez un fabricant de papier célèbre pour sa pochette de dessin. La cellulose et le coton coulent autant dans mes veines que mon propre
sang.


Quant à Marguerite CHABAY, c’est une rencontre extraordinaire, mais a posteriori. Jamais je n’avais entendu parler de cette femme ayant vécu à Quimper, profondément handicapée, mais passant ses journées à dessiner et à illustrer des livres pour enfants.

Et puis, un jour où je cherchais des idées pour la couverture de mon manuscrit, je découvre une illustration de Marguerite CHABAY représentant les laitières de la Place Médard, ainsi que d’autres scènes du début du siècle dans les rues de Quimper. Et là, je suis fortement secoué, car ces images-là, je les avais vues dans mon imaginaire lorsque j’écrivais. Je me sens poussé à tirer le fil de la pelote de laine. Je découvre que les fenêtres de l’appartement où vivait Marguerite CHABAY sont celles que je vois face aux miennes lorsque je suis à Quimper. Je découvre qu’elle a illustré le conte de "La petite fille aux allumettes". Cette histoire-là, je l’ai découverte à six ans lors d’une séquence scolaire, avec un autre intitulé "La Révolte des joujous", celui-là même qui m’a ouvert les portes de l’imaginaire pour me donner l’envie d’écrire…. Marguerite CHABAY est une illustratrice dont les dessins sont aussi charmants, désuets, qu’actuels et inspirants. Elle mérite vraiment d’être reconnue à sa juste valeur. Lorsque j’écrivais « Place Médard », j’avais parfois le sentiment de ressentir près de moi une présence bienveillante qui me guidait pour écrire. Aujourd’hui, j’aurais tendance à penser que sans doute c’était Marguerite CHABAY.


Parlons maintenant des personnages, une lignée de femmes dont vous brossez des portraits EXTRAordinaires, des femmes résistantes. Comment les avez-vous construits ? Est-ce que, dès le début, vous connaissiez leurs parcours ?

Comme chaque chapitre est rédigé par un personnage différent, souvent une femme d’ailleurs, tel un acteur, je me suis immergé dans la vie que je leur inventais. Pour chaque personnage, j’ai construit un dossier où je regroupais une multitude de renseignements physiques, psychologiques, des défauts, des qualités, des habitudes, des peurs, des phobies, des passions. 

J’ai bâti l’arbre généalogique de cette famille, avec des dates qui réapparaissaient à plusieurs reprises durant ces cent trente années. Pour chaque membre, j’ai mis des photographies de portraits afin de donner vie à tous. Comme je l’ai dit précédemment, au moment de commencer l’écriture j’avais un plan très détaillé, ce qui m’a évité toute panne d’inspiration,
mais mes personnages n’en ont fait qu’à leur tête. Certains ont disparu, d’autres ont gagné une consistance qu’ils n’avaient pas du tout. Lucie, qui était par exemple un personnage pour quelques pages, est devenue un personnage de premier plan. Je peux dire que cette histoire, je ne l’ai pas écrite seul, mais avec mes personnages. Et puis, il y a ce secret que l’on transmet
sans le savoir de génération en génération, c’est un personnage à part entière. Je trouve cela passionnant. Je ne suis pas allé plus loin dans l’analyse car je n’ai pas les compétences pour le faire et je préfère rester romancier plutôt que pseudo-expert. En revanche, souvent j’ai moi-même la sensation d’un déjà vu, d’un déjà vécu, d’une répétition. C’est une situation qui me
parle.


Et puis, il y a ce fils d’Ariane entre toutes ces femmes, leurs seins. Pourquoi ? Quel regard portez-vous sur leur poitrine ? 

Le sein, vous l’avez compris par une de mes réponses précédentes était le point de départ, mais la deuxième étape était ma période ‘ d’incubation «  de trois mois où j’ai construit mon roman. Je suis historien de formation et j'ai réalisé plusieurs recherches universitaires, ce qui me permet d’être familier dans cette démarche du retour aux sources. Je me suis toujours servi de livres que j’indique en bibliographie à la fin du roman. Partant du sein, j’ai lu des ouvrages traitant du sujet. Lorsque je découvre Santa Reparata à Florence, porteuse des mêmes stigmates que Gwenn, c’est du pain béni pour mon roman. Ce sont les scientifiques et leurs ouvrages qui m’ont permis de charpenter tout mon roman.


Il faut dire qu'en guise d'incipit, vous avez choisi une citation de Jacques PREVERT : 


"Sanguine, joli fruit,
Soleil de nuit."


Pourquoi ?

Le hasard ou cette bienveillance qui m’a accompagné durant toute cette écriture. Afin de décompresser durant ma phase d’écriture, les soirs je passe en mode lecture. Je découvre ainsi l’ouvrage de Patrick ROTMAN intitulé "Ivo et Jorge" et consacré à l’amitié entre Yves MONTAND et Jorge SEMPRUN. L’auteur fait référence à ce poème de PREVERT qui fut chanté par MONTAND. Immédiatement, les paroles m’inspirent, me parlent. Je pianote sur internet pour trouver le poème devenu chanson et je l’écoute en boucle jusqu’à ce que l’émotion me submerge avant de devenir celle de mes personnages, Marianne et Carole.

Le choisir comme incipit était une évidence, avec ce fruit qui avait le même nom que cette œuvre rapportée de Florence par le père de Gwenn, « et soleil de nuit « qui était le parfait résumé de la destinée de toutes ces femmes.

J’avais fini la rédaction de « Place Médard » et étais dans la phase de correction, mais il m’a été très facile d’ajouter cette sanguine de PREVERT dans mon histoire, comme la dernière pièce d’un puzzle.


La forme même de votre roman, un roman choral, permet aux différentes voix de résonner ensemble. Est-ce qu'elle s'est imposée à vous ?

Je ne voulais pas me contenter de raconter une histoire sur un siècle. Je souhaitais m’accorder encore plus de plaisir en me lovant dans le corps de tous mes narrateurs. Mon plaisir d’écriture serait ainsi démultiplié par le nombre de personnages pour lesquels je parle.

Ecrire de cette manière-là me paraissait aussi plus enrichissant pour le lecteur car son avis pourrait changer d’un chapitre à l’autre, car tel, ou telle, qu’il avait malaimé, deviendrait différent par la vision d’un autre personnage. La fille attachante pouvait se muer en une mère dérangeante.


Mais ce roman ne serait pas ce qu’il est sans inviter à la table de vos personnes la grande Histoire. Qu’est-ce qu’elle représente pour vous ?

L’Histoire, c’est une passion pour moi. J’ai soutenu un DEA d’Histoire Moderne en 1996 à l’Université de Saint Etienne. Il était consacré à la connaissance de la femme du XIXème siècle à travers l’œuvre des Frères GONCOURT. Sujet récurrent chez moi ! Autant je me laisse porter par mon imagination pour la construction de mon roman, autant je retrouve ma rigueur absolue pour faire en sorte d’être extrêmement précis, sérieux et scientifique dans mes recherches. Max JACOB, par exemple, est en fil rouge dans ce roman. J’ai beaucoup lu à son sujet pour ne pas faire d’erreurs. Lorsque j’ai vu qu’Emile ZOLA était venu à Sainte Marine à l’époque de mon roman, j’ai voulu lui laisser quelques lignes. Et les exemples seraient nombreux.


Parlez-nous de l’écriture. Est-ce que vous vous y exercez depuis votre plus jeune âge ?

J’y pense depuis mon plus jeune âge, incontestablement. Il y a peu, je réfléchissais pour savoir d’où me venait l’envie d’écrire. Comme souvent en effet, cela remonte à l’enfance. En classe, j’étais un petit garçon plutôt discret, secret, qui ne faisait pas parler de lui. Pas vraiment d’amis, ni heureux, ni malheureux. J’étais dans une école de frères maristes et un jour, le directeur nous demanda à chacun d’écrire une histoire, puis de la lire devant la classe. Les plus intéressantes seraient enregistrées pour être lues aux enfants d’une école mariste à Nouméa, en Nouvelle Calédonie. La mienne fut retenue et tous mes camarades de classe m’applaudirent. Pour la première fois, j’étais sur le devant de la scène. Et aujourd’hui, lorsque je reçois des commentaires enthousiastes pour « Place Médard », je retrouve ce bonheur-là. Comme vous le savez, la Nouvelle-Calédonie est présente dans ce roman, et vous, vous saurez que ce n’est pas un hasard.


Avez-vous chez vous une pièce dédiée ou bien faites-vous partie de ces écrivains qui, comme Alexandra KOSZELYK, ont leur carnet en poche pour y noter tout ce qui vous vient par la tête au fil de vos journées ?

« Place Médard », je l’ai cherché, écrit, corrigé à 100 % dans un bureau de ma maison dans la Drôme.


J’ai lu que vous aviez commencé par d'autres écrits, des nouvelles je crois, et des livres type dictionnaires. Pourquoi ?

Mon premier livre est intitulé "Vitoucha". C’est en effet un recueil de nouvelles qui toutes racontent l’histoire d’un objet monogrammé. Mon deuxième livre fut édité aux Editions Sutton. Je me suis servi de mon mémoire de maîtrise consacré à la fête et aux loisirs dans la région stéphanoise au XIXème siècle. C’était un sujet non encore défraîchi par l’université et mon directeur de recherches craignait l’échec. Ce ne fut pas le cas puisqu’il donna lieu à un livre, embelli par de nombreuses illustrations et un texte plus attrayant qu’un travail universitaire. Le dernier livre est un guide sur la région du Valentinois. J’avais carte blanche pour l’écrire et il devait être largement illustré par mes propres photographies, ce qui me permit ainsi d’assouvir une autre de mes passions.

Pourquoi maintenant la fiction ? Qu’est-ce qu’elle vous apporte de plus, de différent ?

J’aime beaucoup créer, laisser libre cours à mon imagination, donc la fiction est un genre où je me sens à l’aise. C’est une totale liberté, mais j’aime aussi qu’elle puisse trouver certaines aspérités sur la réalité, d’où ce choix parfois de lier mon écriture avec la vérité historique. Je suis très tenté aussi par la rédaction d’une biographie, c’est un genre auquel j’aimerai
m’essayer.


Parlez-nous de votre maison d'édition. Comment ça s'est passé avec Librinova ?

Je ne suis pas déçu par Librinova car pour la conception et l’accompagnement au lancement de « Place Médard », ils ont été chaque fois au rendez- vous. Librinova a toutefois la particularité de proposer « Place Médard » en impression à la demande. C’est un concept vertueux et responsable car on ne produit que ce qu’on vend, ce qui évite le gaspillage. Avec Librinova, le
livre est commandable sur tous les sites, chez tous les libraires, dans toutes les chaînes de magasins. Il faut compter entre trois et sept jours pour l’avoir entre les mains. En revanche, aucune mise d’office en librairie, et comme il n’y a pas de retour possible, les libraires sont frileux et globalement ne jouent pas le jeu. C’est le gros écueil et la plus grosse difficulté pour
« Place Médard ». Cette désillusion est compensée par l’enthousiasme de gens comme vous qui sans me connaître avez lu ce roman, l’avez aimé, l’avez dit, l’avez expliqué. Tous les jours, je reçois des messages enthousiastes de lecteurs qui ont apprécié cette histoire. Le bouche à oreilles a toujours été porteur de réussite. Donc, merci aux internautes, aux organisateurs de salons où les dédicaces sont un moment d’échanges inoubliables, aux médiathèques, aux associations qui ont organisé des rencontres pour parler de « Place Médard ».


Dans votre roman, vous évoquez une formidable bibliothèque, celle de l'Amiral. Dans la vôtre, pourriez-vous nous présenter un ou deux titres qui vous sont chers ?

Je lis beaucoup, mais lentement … donc je pourrais lire plus, mais j’aime écouter les phrases que j’ai lues, noter des citations, aller chercher sur internet un complément… Je flâne. J’ai une bibliothèque bien fournie, car n’ayant pas eu de livres étant enfant, je suis devenu un acheteur compulsif, mais raisonné, car mes achats s’effectuent après de nombreuses recherches.

J’ai des lectures très variées, même si des genres comme la science-fiction ou les policiers ne m’attirent qu’épisodiquement. En 2021, mon livre préféré a été "La carte Postale" de Anne BEREST. J’ai été captivé par cette recherche familiale. En 2022, j’ai beaucoup aimé le livre de souvenirs de l’historien Michel WINOCK, "Jours anciens". L’autobiographie ou la biographie sont des genres que j’apprécie, car ce sont des partages de vies et d’expériences qui m’apportent beaucoup, notamment dans ces instants particuliers où le choix ou l’absence de choix décident de la suite.

Un ouvrage que je mets au-dessous de mes dernières lectures est celui de Joseph KESSEL, "Les mains du miracle", un ouvrage captivant qui témoignage de premières main au cœur du réacteur nazi.


A l'heure de vous quitter, impossible de ne pas vous questionner sur un éventuel second roman . Est-il au travail? Pouvez-vous susciter les convoitises de nos « followers » 

Dois-je vous avouer que « Place Médard » regorge d’indices masqués qui donnent déjà la construction de sa suite ? Dans mon imaginaire, quatre cents pages sont prêtes à être écrites. La seule question est quand ? Maintenant ou intercaler un roman contemporain que je situerai à Gallipoli, dans cette Italie qui m’inspire tant ?

Merci infiniment d’avoir consacré de votre temps précieux à répondre à mes questions. Je vous souhaite le plus beau des succès en littérature. Bravo !

Merci encore un fois à vous, car vous l’avez compris, votre énergie et votre conviction pour faire connaître « Place Médard » sont autant de sources de motivation pour que je continue à le défendre par tous les chemins de traverse.

 

Au plaisir de vous croiser en librairie ou lors d'un salon du livre !

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