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2020-04-18T06:00:00+02:00

Quand un auteur se livre... Portrait d'Alexandre SEURAT !

Publié par Tlivres
Signature : Tina MERANDON _ http://tinamerandon.com/

Signature : Tina MERANDON _ http://tinamerandon.com/

Alexandre SEURAT, je l'ai découvert avec la lecture de "La maladroite", son premier roman, une lecture coup de poing. Et puis il y a eu "Un funambule" et plus récemment "Petit frère". 

Il y avait eu une rencontre-dédicace à la Librairie Richer  (j'en profite pour saluer toute l'équipe)

et puis nous avons partagé une soirée à la Bibliothèque Toussaint pour présenter la rentrée littéraire de septembre 2019, j'été frappée par sa bonhomie et sa joie de vivre, j'ai eu envie de les partager avec vous.

Donc, place à l'interview réalisée avant le confinement, l’occasion d’un clin d’œil au bar O P’tit Bonheur Angevin (où nous sommes restés bien au-delà de l’heure de fermeture, qu’il en soit remercié !), mais à laquelle nous avons ajouté quelques questions d'actualité ! 

 

Alexandre, avant que l'on aborde ton tout dernier roman, peux-tu nous parler de ton rapport à l'écriture ? Est-ce que tu as toujours voulu être écrivain ?

C'est une longue histoire en fait. Au collège, j'écrivais des romans de vampires. Plus jeune encore, je faisais de la BD, je dessinais sur des feuilles que je reliais moi-même et que je distribuais à la famille.

Le livre a toujours été très présent chez moi et d'ailleurs, quand je me suis lancé dans des études  de Lettres, c'était aussi avec l'idée d'écrire même si le pari est risqué. Apprendre des maîtres est intimidant ; se lancer soi-même, passer à l'acte, a pris sans doute pour moi plus de temps que pour d'autres. On ne va pas à l'aveuglette, on est lesté de références, du souvenir d'écritures très diverses et très fortes, mais il faut se détacher de son admiration, et des concepts, de la théorie qui encombre l'écriture. 

Quand écris-tu ? Est-ce qu'il y a un moment privilégié dans la journée ? la semaine ?

Généralement, le lundi, parfois le mardi aussi, parce que je ne fais pas cours ces jours-là, et puis le reste du temps, dans les interstices de ma vie professionnelle et familiale. Ce qui est certain, c'est que je ne peux pas écrire dans des lieux publics. C'est donc chez moi que j'écris avec la difficulté de m'affranchir d'internet, une première recherche en appelle une autre... alors que l'écriture, c'est une activité de concentration qui ne repose que sur toi. Il faut se détacher des sollicitations extérieures, même si elles sont aussi parfois à la source de l'envie d'écrire, comme pour "La maladroite".

Quelle est ta méthode pour écrire ?

Mes sujets partent des tripes. Ils exigent donc de prendre une certaine distance qui m'est offerte par la forme de l'écriture, la narration. L'apprentissage de la littérature, en France, est plutôt révérencieux vis-à-vis des "grands auteurs", on commente mais on n'est pas invité à produire, à s'essayer. J'ai donc appris très tard à me "décoincer" ; c'est notamment un atelier d'écriture avec François Bon qui m'a permis de me libérer. Et puis, j'ai aussi beaucoup lu d'auteurs contemporains, des auteurs vivants, qui ont désacralisé le rapport à l'écriture. Les figures canoniques se sont progressivement estompées, la mécanique était enclenchée. Ce n'est pas le chef d'oeuvre qui me motive mais bien de produire quelque chose qui soit de moi et qui génère des émotions. Participer à cet atelier d'écriture m'a permis d'entrer dans la fabrique de l'écriture, d'utiliser les outils pour en faire quelque chose.

Justement, Alexandre, j'ai comme l'impression que le roman noir est devenu ta "marque de fabrique", non ?

Ce registre, c'est en fait le sens que je donne à l'écriture ; porter des affects qui sont très puissants pour moi, assez durs, pour que l'écriture s'impose comme une nécessité. J'aimerais bien faire rire, savoir faire rire, mais ça ne vient pas. J'adore les auteurs qui sont drôles mais, pour moi, c'est dans le registre grave que ça marche.

Tout a donc commencé avec "La maladroite" ?

C'est effectivement le premier roman publié, inspiré d'une histoire vraie.

On va laisser un peu de côté "L'administrateur provisoire" (que je n'ai pas encore lu, j'avoue !). Il y a donc eu "Un funambule" et maintenant "Petit frère". Quel lien y a-t-il entre les deux ?

"Un funambule" est sans doute assez éclairé en fait par "Petit frère". Il faut dire que "Petit frère", c'est une dizaine d'années d'écriture. C'est celui qui aurait pu être publié le premier, et puis, la vie a fait que tout ne s'est pas passé comme prévu. Avec 'Petit frère', je commence à être un peu cerné par mon lecteur !

Il y a une question qui me taraude. 'Petit frère' relèverait-il d'un univers plus personnel ?

Oui, c'est vrai. Si j'ai refusé que ça soit présenté comme un récit personnel par l'éditeur, c'est parce que je n'avais pas envie d'imposer un discours, mais, ça ne me pose pas de problème de le reconnaître quand on me pose la question. 
La réalité, c'est que je n'ai pas envie de parler de mon vécu individuel. Ce n'est pas un témoignage mais bien un roman que j'ai écrit. Le contrat avec le lecteur n'est pas le même. L'écriture livre une version d'une vérité multiple. Quand la machine est lancée, l'histoire est déjà passée au filtre de la fiction. 
 

Personnellement, j'ai trouvé le ton très juste. Ce livre s'inscrit-il dans une démarche
thérapeutique ?

C'était nécessaire, pour moi, de l'écrire. Quant à le rendre public, c'était autre chose ; c'est tellement compliqué pour moi d'assumer publiquement un texte, de l'endosser ; l'écriture, elle, répond à une nécessité personnelle ; peut-être parce qu'elle permet de rappeler la mémoire de quelqu'un qui est mort, parce qu'elle tente de redonner corps au disparu. Donner une voix à quelqu'un qui ne l'a pas eue, c'est quelque chose qui est très fort pour moi. Mais l'écriture thérapie, je n'y crois pas du tout. C'est un piège. Tu rajoutes du discours sur quelque chose de compliqué, tu prolonges des émotions, parfois très sombres, et puis l'écriture et plus encore la publication génèrent des sentiments comme la honte, l'impression de trahir, la culpabilité... qui t'emberlificotent. 

Dans ce livre, il y a une forme, plutôt, de réhabilitation. J'ai eu envie de faire de cette vie chaotique un objet esthétique, quelque chose de beau, mais aussi de fidèle à la personne qu'évoque le texte.

C'est récurrent dans mes romans de partir d'un sujet qui excède la "littérature". Dans "La maladroite", c'était le sujet de la maltraitance, dans "L'administrateur provisoire", c'était la Shoah, et la spoliation des juifs. Face à ce type de sujet, l'objet livre ne fait pas le poids. Du coup, je suis obligé d'être dans un rapport éthique à l'écriture, de me demander tout le temps si le ton est juste. Je cherche à faire entrer le lecteur dans cet enjeu ; c'est aussi ça mon rapport à l'écriture. 

Mais le traitement a changé. Depuis "La maladroite", au style presque journalistique, aujourd'hui, tu nous livres un roman totalement différent, non ?

C'est vrai. Si on regarde mes quatre romans, en fait, j'ai changé de point de vue. Dans "Un funambule", le lecteur se retrouve dans la peau de celui qui est fracassé, on devine qu'il va tomber. Dans "Petit frère", on voit ce qui va se passer du point de vue du grand frère, l'angle d'attaque est différent. Mon objectif reste toujours le caractère direct des émotions, je ne cherche pas la splendeur de la phrase mais sa densité. Dans ce livre, on voit le frère qui a une vitalité débordante, qui ne trouve pas sa place mais qui est vivant. Et puis, il y a celui qui cherche à l'aider, mais qui veut sans cesse couper l'élan, qui veut le ramener dans la norme, le raisonnable, le rationnel. Le roman pousse les personnes rationnelles dans leurs propres retranchements. 

Tu nous parles de l'environnement familial ?

Le père, ce patriarche, inaccessible, représente sans doute une certaine forme de famille, bourgeoise, là où tout est convenu. Mais c'est aussi une famille atypique, enfin je l'espère, engluée dans une non-communication. 

Il y a la mère qui souffre. C'est peut-être le personnage le plus violent.

J'ai voulu dresser un portrait clinique de cette famille en s'arrêtant au seuil de l'analyse des responsabilités. Ce frère subit l'environnement et d'un autre côté, il est difficile de désigner un responsable. En aucun cas, il ne s'agit là d'un livre d'accusation.

J'ai voulu écrire sur l'impossibilité de s'aimer dans une famille, l'incapacité à se dire que l'on s'aime. Ce qui m'intéresse dans les relations familiales, c'est d'explorer comment tout ça se construit en réseau, comment la position de chacun se construit par rapport à celles des autres. Le grand frère est contraint par tout ce qu'il a autour de lui, il ne voit pas quelle issue il pourrait trouver. Parallèlement, il y a le désir de bien faire, d'être un allié pour l'autre, mais il s'apercevra qu'il n' en était pas vraiment un.

Ce roman, c'est dix ans d'écriture entre la première version et la dernière. Si la trame générale, je l'avais, ce qui restait à trouver, c'était le chemin par lequel j'allais emmener le lecteur. 

Dans l'écriture, je cherche la révélation, peut-être une catharsis. Avec le temps, j'ai opté pour une construction en deux parties, la première dédiée aux derniers moments de la vie et la deuxième plutôt au retour sur l'enfance, une remontée aux origines, à la source du malaise, peut-être, mais sans jamais réduire à une explication simple. L'exercice est difficile, d'autant que pour moi, l'écriture n'est pas différente de la vie.

Peut-être que l'objectif de l'écriture est d'immerger le lecteur dans une scène pour que le lecteur puisse la vivre avec les personnages. Le premier lecteur c'est soi. En réalité, quand tu es lecteur, parfois, une phrase te fait te déconnecter, c'est ce qui me contraint quand j'écris à reprendre, retravailler les scènes, pour atteindre l'émotion, sans en faire dévier le lecteur. 

Ecrire, ce n'est pas un voyage imaginaire, en tout cas, ce n'est pas ce genre d'émotion que je recherche, et donc, à défaut de me soigner, l'écriture me transforme.

Tu es fidèle à la Maison d'édition du Rouergue. Qu'est ce qui fait que cette relation dure dans le temps ?

Cette maison, c'est un peu comme un cocon, il y a aussi une culture graphique, de l'image, des textes assez proches du réel avec un style percutant. 

Pour certains auteurs, les séances de relecture sont douloureuses. Et toi ?

Non, en réalité, je travaille avec mon éditeur plutôt en fin d'écriture quand la matière est là. J'aime bien que les choses soient finies, je souhaite que le livre publié ressemble à ce que j'ai écrit. Et puis, les relectures avec l'éditeur sont souvent rapides, je n'en garde donc pas de mauvais souvenirs.

Le cinquième roman est en cours ?

Oui.

Avec "Petit frère", j'arrivais au bout d'un cycle, il était donc important pour moi de me renouveler. Si le sujet reste sensiblement le même, je travaille la forme différemment. Là, l'outil sera la photographie. L'idée d'un texte hybride avec des images m'est venue l'été dernier, c'est donc tout frais. Au début, j'ai choisi certains clichés que j'ai fini par abandonner. Je m'aperçois que les photos illustratives de ce qui est écrit ne sont pas celles qui sont les plus importantes, je leur préfère des photos suggestives, qui font décoller le texte, l'emmènent ailleurs. J'adore, par exemple, les photos de sculptures, elles peuvent être très impassibles et en dire beaucoup. Il y a ce décalage entre
l'émotion dite dans le texte et ce que la sculpture transmet par le corps. J'utilise la fragmentation du texte pour renforcer la mise à distance.

Quel sera le sujet de ce roman ?

La séparation.

Je sais que tu aimes beaucoup lire aussi. De qui lis-tu en ce moment ?

Dylan Thomas, un poète gallois, dont la lecture peut faire penser à Rimbaud ou Mallarmé. Un peu obscur... (rire).

J'aime beaucoup aussi Jacques Josse, un poète breton qui écrit sur des personnages cabossés !

Pour aborder des sujets graves, j'ai besoin de passer par la poésie.

Et ton dernier coup de coeur ?

"Intervalle de Loire" de Michel Julien, c'est un récit. Il est parti avec deux amis faire la descente de La Loire mais ça n'a rien à voir avec un roman d'aventure. Ce livre, c'est plutôt une expérience sensorielle. Par exemple, il nous parle de ramer à l'envers et de ce que ça produit. Il nous apprend à regarder les paysages de cette manière. Michel Julien décrit les bruits aussi. Alors que l'on pourrait s'imaginer un endroit paisible, silencieux, il n'en est rien. Il y a les épouvantails sonores, l'usine qu'il longe, les chiens... c'est très étonnant en réalité.

Alexandre, entre le moment où nous nous sommes rencontrés et la publication de l'interview, c'est un peu comme si le ciel nous était tombé sur la tête. Comment vas-tu ? toi et ta famille ?

J'ai vécu les premiers jours dans la stupéfaction, comme beaucoup j'imagine ; je n'avais pas vu venir la fermeture des écoles, puis le confinement généralisé. J'étais effaré (et je dois avouer, un peu terrifié à l'idée d'une cohabitation continue avec mes deux gars de 6 et 8 ans, bien dynamiques, à qui il allait falloir faire "l'école à la maison". Nous avons pris le rythme. Les enfants souffrent un peu de l'enfermement et nous le font sentir, mais sur le plan de la santé, tout va bien. Nous applaudissons souvent le soir à 20h... Et souvent, nous vivons en famille des moments vraiment privilégiés ; c'est paradoxal à dire, parce qu'à côté de ça, je suis terrifié de lire la situation dans certains Ehpad, ce qu'ont vécu les hôpitaux en Italie. Je traverse les émotions que vivent beaucoup de gens, je pense.

Comment tes journées de confinement se passent-elles ?

Nous tâchons de nous partager les demi-journées auprès des enfants, ma femme et moi ; elle est responsable du service médico-social d'un ESAT, donc beaucoup d'urgences à traiter plus ou moins à distance, on n'imagine pas le chaos que c'est, cet isolement, pour des personnes handicapées dont l'insertion passe par le travail. Je dois faire mes cours en visio-conférence, avec cette frustration de perdre ce qui fait l'essentiel de mon métier, le rapport aux étudiants, la relation vécue. Sinon, quel boulot "l'école à la maison" ! Je suis très admiratif des instits de mes fils, qui nous alimentent en supports, et qui réussissent en temps normal à surmonter l'impatience qui souvent me submerge. Je tente d'écrire un peu sur le temps qui reste.

Est-ce que cette période perturbe l'écriture de ton roman en cours ?

Oui, tout est perturbé! Je suis très poreux à tout ce qui s'écrit dans les journaux. En même temps, c'est très étrange, ce repli autarcique sur la cellule familiale ; il fait beau dehors, on est coupé du monde, et quand on va sur internet, c'est une avalanche d'informations anxiogènes.

Quand un auteur se livre... Portrait d'Alexandre SEURAT !

Je dois dire que j'ai été assez heurté par les invitations qu'on a pu entendre au début un peu partout (dans le 2e discours présidentiel, et à la radio, ailleurs): "lisez, retrouvez le sens des choses, profitez-en pour méditer, apprendre [au choix] la cuisine, les langues, réinventer [au choix] votre sexualité, votre rapport à la consommation, etc." Toujours cette injonction au bonheur venant de privilégiés, alors même que c"est un cataclysme pour les plus fragiles. Quel avenir pour beaucoup de librairies à l'équilibre précaire ? J'ai des amis qui venaient d'ouvrir un bar en s’endettant, comment vont-ils s'en sortir ? Je pense aux intermittents dont les engagements sont tombés, de semaine en semaine... Je rêve moi aussi que le monde qui sortira de cette crise soit plus respectueux de l'environnement, entièrement neuf, mais en attendant, quel chaos.

Est-ce qu'elle t'inspire ? 

Je suis le nez dans le guidon, je ne sais pas encore, je copie-colle les articles qui me fascinent dans un fichier. L'épidémie est un sujet qui me taraude depuis longtemps, elle correspond bien à mon sens des choses, sur le mode tragique. J'avais même écrit un texte sur la Peste noire il y a quinze ans, repris récemment, mais resté inabouti. Je m'aperçois que la réalité dépasse de loin toute mes capacités à me projeter ; je ferais un très mauvais auteur de science-fiction. Mais qu'écrire d'original et de très personnel sur ce que nous traversons tous ? Certains éditeurs affichent d'emblée la couleur, "les manuscrits corona-centrés ne passeront pas par moi", ai-je lu. Mais d'un autre côté, pourquoi censurer d'emblée ce qui peut naître de ce bouleversement radical ?

Merci infiniment Alexandre, et pour les réponses aux questions posées, et pour ton sourire, ton rire aussi. J'ai'passé un très agréable moment avec toi. 

Avant de se quitter, je souhaiterais que l'on évoque cette confidence. Tu m'as dit être passé sur l'opération les #Artsaucouvent et avoir adoré les travaux d'Adie BERNIER. On en profite pour lui faire un petit d'oeil. Quand je dis qu'il n'y a pas de hasard dans la vie !!!

Merci à toi Annie ! Superbe interview, et très jolis moments passés autour d'un thé, dans
cette écoute bienveillante, et à reprendre mes réponses pour les affiner. A très bientôt !

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