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2020-05-30T13:15:16+02:00

Là où chantent les écrevisses de Delia OWENS

Publié par Tlivres
Là où chantent les écrevisses de Delia OWENS

Seuil éditions

Aujourd'hui, je vous propose de partir en voyage, en Caroline du Nord.

Nous sommes le 30 octobre 1969, un homme est retrouvé mort, dans le marais, au pied de la tour de guet. C'est le corps de Chase Andrews, le fils unique d'un couple connu à Barkley Cove pour sa réussite avec le garage, la Western Auto. Marié, beau garçon, Chase avait le monde à ses pieds. Le marais, c'était son terrain de jeu. Il y bravait les courants avec son hors-bord. Dans sa jeunesse, il avait passé beaucoup de temps avec Kya, une fille de son âge, abandonnée de tous dès sa plus tendre enfance. La première à quitter le foyer avait été sa mère. En 1952, n'en pouvant plus de recevoir les coups de son alcoolique de mari, Ma avait pris sa valise et, sous les yeux  de l'enfant, s'en était allée, sans se retourner. Et puis, ce fut le tour de la fratrie, même Jodie, le frère, n'avait pas résisté à l'attrait d'un ailleurs. Et encore, le père. Si, au début, il passait quelques nuits par semaine à la cabane, un jour, il n'était plus revenu. Enfin, Tate. Le garçon l'avait guidée un soir qu'elle s'était perdue. Leur amitié n'avait pas résisté aux études universitaires du jeune homme. Kya, qui n'avait que 7 ou 8 ans, avait d'abord vécu des vivres qu'il restait à la maison, et puis, elle avait dû prendre la barque du père, se rendre au village, échanger les moules, qu'elles ramassait à l'aube, avec quelques denrées de première nécessité. C'est là qu'elle avait fait connaissance avec Jumping et sa femme, Mabel. Lui, vendait du carburant pour les bateaux, elle, avait pris la petite de pitié, c'était la seule à voir dans la Fille du marais, un être humain, une enfant, celle que le village tout entier méprisait. Loin de tous, Kya avait voué un amour fou à la nature. Elle s'était gorgée des baignades en eaux douces, enivrée de la beauté des paysages et comblée de sa relation aux oiseaux. De là à penser que ça soit Kya qui ait tué Chase, il n'y a qu'un pas, à moins que...

Si j'ai l'habitude de lire des premiers romans, notamment avec les 68 Premières fois que je salue, il est moins fréquent qu'ils soient étrangers. Celui que je vous présente est l'oeuvre d'un formidable duo, Delia OWENS, une dame d'un âge respectable dirons-nous, une américaine, zoologue, qui a consacré sa carrière à la nature et aux animaux, aux Etats-Unis, en Afrique pendant une vingtaine d'années, et Marc AMFREVILLE, pour la traduction en français. Le résultat est grandiose.

Ce livre, d'abord, c'est une première de couverture somptueuse. Un grand échassier, un poisson dans son bec, se tenant droit, l'oeil fixe, occupe le premier plan. La feuille d'un arbrisseau, sortant de l'eau, s'y fait une place, aussi, avec des couleurs chatoyantes. Et puis, venue de nul part, cette main posée sur le cou de l'oiseau, une image surnaturelle !  

Ce roman, c'est aussi un titre qui nous met sur la voie...


Ça veut dire aussi loin que tu peux dans la nature, là où les animaux sont encore sauvages, où ils se comportent comme de vrais animaux. P. 151

J'ai été émerveillée, je dois le dire, par les descriptions de la  faune et de la flore des marais. Je vous en livre les premières lignes :

"Un marais n'est pas un marécage. Le marais, c'est un espace de lumière, où l'herbe pousse dans l'eau, et l'eau se déverse dans le ciel. Des ruisseaux paresseux charrient le disque du soleil jusqu'à la mer, et des échassiers s'en envolent avec une grâce inattendue - comme s'ils n'étaient pas faits pour rejoindre les airs - dans le vacarme d'un millier d'oies des neiges. Puis, à l'intérieur du marais, çà et là, de vrais marécages se forment dans les tourbières peu profondes, enfouis dans la chaleur moite des forêts. Parce qu'elle a absorbé toute la lumière dans sa gorge fangeuse, l'eau des marécages est sombre et stagnante. Même l'activité des vers de terre paraît moins nocturne dans ces lieux reculés. On entend quelques bruits, bien sûr, mais comparé au marais, le marécage est silencieux parce que c'est au coeur des cellules que se produit le travail de désagrégation. La vie se décompose, elle se putréfie, et elle redevient humus : une saisissante tourbière de mort qui engendre la vie." 

J'ai adoré côtoyer le temps d'une lecture le jeune aigle d'Amérique, le phaéton, le cygne siffleur, le héron de nuit... Je ne me souviendrai pas de tous ces noms d'oiseaux bien sûr, mais je garderai longtemps, en mémoire, les images qu'a instillé dans mon esprit l'écrivaine avec ses séduisantes descriptions. Sous la plume de Delia OWENS, un vol de mouettes et goélands devient inoubliable. Avec subtilité et talent, Delia OWENS nous initie à l'ornithologie, un registre de la zoologie qu'elle connaît bien. Si les oiseaux peuvent être admirés par des amateurs dans le cadre de leurs loisirs, ils sont aussi appréhendés par des scientifiques, peu nombreux dans le monde, qui s'attachent à découvrir les animaux dans leur état naturel. Comme l'on dit, tout ce qui est rare est précieux, c'est aussi comme ça que j'ai lu le livre de Delia OWENS, une professionnelle qui a su, dans un roman, pour la première fois, transmettre tout un champ de son savoir.

J'ai profondément aimé, aussi, accompagner Kya dans son parcours initiatique. "Là où chantent les écrevisses" est un roman d'apprentissage, c'est celui d'une enfant qui s'est construite dans la solitude. Kya, on la découvre à l'âge de 6 ans. Très vite, elle doit satisfaire ses propres besoins, à commencer par celui de manger. Et puis, elle va faire des rencontres. Il est beaucoup question d'apprivoisement dans ce roman, avec les oiseaux mais aussi avec les hommes. 


Continua de regarder dans la direction du bateau comme un cerf examine les traces qu’a laissées une panthère dans les broussailles qu’elle vient de quitter. P. 207

ll y a eu Tate, ce jeune pêcheur qui, après un service rendu, s'est progressivement approché de la Fille des marais. Il y a eu le jeu des échanges de plumes et puis, l'apprentissage de la lecture. 


Grâce à la gentillesse de ce garçon, l’amour qu’elle éprouvait pour le marais allait devenir son œuvre, la source même de sa vie. Chaque plume, chaque coquillage, chaque insecte qu’elle ramasserait ferait désormais l’objet d’un partage avec les autres [...]. P. 284/285

Pour celles et ceux qui aiment les livres avec ce qu'ils véhiculent de savoir et les portes ouvertes sur le monde, vous allez fondre, j'en suis certaine.  

Enfin, je suis tombée sous le charme de la narration de ce roman. Il y a une alternance des temporalités, un pari audacieux, parfaitement réussi. Le temps défile, d'une part, à partir de 1952, date du départ de Ma, et d'autre part, 1969, date du décès constaté de Chase. Il y a une alternance du rythme aussi. Quand les journées paraissent une éternité à observer l'univers des marais, elles s'accélèrent avec l'enquête menée autour du meurtre présumé où là, chaque heure devient déterminante. 

Ce roman, c'est un page-turner, savamment ponctué par de la poésie. Et oui, Delia OWENS offre au fil des pages quelques vers comme autant de parenthèses d'une beauté remarquable. En guise d'amuse-bouche : 

"Mouette blessée à Brandon Beach
Tu dansais dans le ciel, âme aux ailes d'argent, 
Et tu éveillais l'aube de tes cris perçants.
Tu suivais les bateaux, affrontais l'océan
Avant de capturer et de m'offrir le vent."

Les poèmes sont d'Amanda HAMILTON, auteure ou personnage de fiction, je ne sais pas, mais les textes sont très beaux et viennent encore donner du poids à un roman qui a tout d'un coup de coeur. Et oui, j'ai craqué !

Ce roman, c'est un cadeau. Que la personne qui a eu la délicate attention de me l'offrir en soit chaleureusement remerciée. Quelle belle idée !

Je vous propose de terminer en musique. Delia OWENS fait référence à Miliza KORJUS, qui a assurément existé, elle. C'est une  chanteuse d'opéra, une actrice polonaise et estonnienne. 
 

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commentaires

K
Je ne sais pas quoi penser à propos de ce roman... je l'ai reçu, mais je lis tellement d,avis divers et variés que je ne sais plus. À croire qu'il va falloir que je me fasse ma propre opinion.
Répondre
T
Karine, je crois qu’effectivement il convient de s’en faire sa propre idée. Personnellement je me suis laissée porter et j’ai adoré le rapport à la nature et plus particulièrement le monde des oiseaux. Alors, on en reparle ?
A
Il a l'air effectivement très beau... et comment résister à cette couverture ? ;) Merci pour ce coup de coeur.
Répondre
T
Il est sublime Antigone !

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