Traduit de l'anglais par Diniz GALHOS
Les éditions de L'Observatoire me fascinent. Depuis leur création, je m'émerveille de leur éclectisme mais aussi de leur justesse dans les mots, des mots qui me transportent, me font vibrer, qu'il s'agisse d'anticiper l'avenir ou de revenir sur le passé.
Cette rentrée littéraire de janvier en est une belle illustration avec "Le regard d'Aurea" et "Mauvais œil". Tiens tiens, s'il s'agissait effectivement d'un certain regard porté sur la société, une certaine philosophie... comme un point commun entre tous les livres. Merci aux éditions de nous émerveiller, merci de ces jolis cadeaux.
Là, nous partons en Caroline du Nord aux Etats-Unis. Yara et Fadi sont mariés depuis 9 ans. Ils ont deux filles, Mira et Jude. Elle travaille à l'université, elle en gère le site internet et les réseaux sociaux, elle les nourrit de ses photographies.. Elle aspire à un temps plein. Lui a monté son entreprise avec un ami. Dans cette famille que Yara s'évertue à magnifier dans ses publications personnelles sur Instagram, quelque chose semble clocher, quelque chose que Yara explique hâtivement par son histoire familiale, une malédiction portée par les femmes, transmise de génération en génération, comme le traumatisme de la Nakba depuis 1948 affectant le peuple palestinien. Et si Yara changeait de focale...
"
Mauvais œil", c'est d'abord une première de couverture", une oeuvre d'art de
Raphaëlle FAGUER pour illustrer ce roman d'Etaf RUM, la représentation d'une hamsa, cette amulette portée par les femmes, une tradition en Afrique du Nord et au Moyen-Orient. Cette main est censée les protéger des malédictions.
L'air de rien, mais grâce à la beauté de l'art, avec cette première description du livre, je viens de vous en dévoiler le fil d'Ariane.
Il y a d'abord l'espace familial, celui de l'intimité, marqué par les traditions entretenues par une famille issue de l'immigration. Vous allez saliver dans ce livre à la lecture de tous ces passages décrivant la préparation des repas. Bien que née à Brooklyn, Yara se fait un devoir de perpétuer les recettes de cuisine apprises de sa grand-mère en Palestine, c'est une certaine manière d'assurer sa mémoire. Elle oeuvre aussi, avouons-le, sous le couperet d'une belle-mère tyrannique. Yara et Fadi sont le fruit d'un mariage arrangé, la condition pour Yara de quitter le berceau familial. Sa mère l'avait elle aussi subi.
Mais dans cette famille se joue aussi la vie moderne américaine, celle d'aujourd'hui. Celle qui fait que les individus sont happés par les écrans comme autant de source de distractions à peine le travail quitté. Ce livre, c'est un roman social, un portrait brossé d'une génération tiraillée entre mille et une obligations.
Il y a aussi la grande Histoire, celle de 1948. Elle a condamné des populations à l'exil, des populations déracinées, déchirées par les souffrances de la séparation. Elle continue toujours aujourd'hui, sur le territoire, à faire couler le sang des Palestiniens. Ce roman c'est aussi le moyen de revenir sur l'origine du conflit israélo palestinien, de mieux en comprendre les enjeux.
Mais ce roman, plus que tout, c'est un personnage, celui de Yara, une femme blessée, une femme victime de croyances, une femme moderne, une femme puissante aussi. Ce roman, c'est un parcours initiatique, porté par une formidable amitié, c'est le parcours d'un personnage de fiction, à moins que ça ne soit celui de l'écrivaine elle-même. Etaf RUM, dont je découvre la beauté de la plume, semble s'être largement inspirée de son itinéraire pour tracer la voie de Yara, une voie qui souffle comme un vent d'espoir en faveur d'un épanouissement personnel, largement empreint du pouvoir des arts.
Je sors de cette lecture subjuguée une nouvelle fois par les mots, ceux qui assurent la mémoire, ceux qui traduisent les états d'âme, ceux qui portent vers un avenir nouveau. Sous la traduction de Diniz GALHOS, ils prennent une juste dimension. Virtuose !
Impossible de vous quitter sans lier cette lecture à la chanson de Clara LUCIANI, "
Ma mère", je l'écoute en boucle. Quand les arts résonnent entre eux...