Nouvelle bonne pioche du Book club, que dis-je, coup de cœur ! C'est mon #Mardiconseil Merci ma chère Hélène de m'avoir mise sur sa voie.
Tout commence avec ce mail adressé à 3 personnes qui sonne comme un au revoir. L'expéditeur est sur le point de se jeter du balcon du 7e étage de son appartement parisien. Le geste est prémédité, il est organisé depuis des mois, depuis la vente de sa maison. Objectif : mourir quand il en est encore temps. Nous sommes le 4 janvier 2023. Derrière l'histoire de Jean-Louis se cache celle d'Elisabeth, sa mère. Leur point commun, un pied dans le vide !
Ce livre qui transcende les genres (thèse, récit, correspondances, fiction...), je ne pouvais que l'aimer.
Il faut dire que des fées se sont penchées sur son berceau, à commencer par Laurence TARDIEU, l'autrice des romans :
et Adrien BOSC, l'éditeur (peut-être vous souvenez-vous de "Capitaine" duquel j'avais extrait une citation :
Car ce n’est pas ce qu’est l’archive qui importe, mais ce qu’elle désigne : un passé.
Mais ça, je ne le découvrirais que dans les remerciements. C'est la cerise sur le gâteau, la sensibilité qu'il faut pour rendre le livre aussi fascinant que bouleversant. Je sors de cette lecture sous le choc, en pleurs sur l'itinéraire de cette femme, en colère sur les méthodes psychiatriques de la 2e partie du XXe siècle.
Parce que ce livre, c'est tout ça et beaucoup plus encore.
C'est une histoire familiale d'abord, aux origines bourgeoises, dans laquelle les femmes doivent se conformer aux injonctions d'un ordre social, être de bonnes épouses et de bonnes mères. Celles qui comme Élisabeth aspirent à s'en émanciper tomberont sous le joug de la médecine.
C'est là que de l'individuel on passe au collectif. Adèle YON, en enquêtant sur l'itinéraire de cette aïeule, relate les méthodes employées et déconstruit les modèles de la psychiatrie. Elle va notamment se focaliser sur la lobotomie, cette opération chirurgicale qui vise à extraire le lobe frontal du cerveau pour supprimer ce que ces femmes auraient en trop !
Le mot "femme" est prononcé. Ce livre se veut aussi le témoin de ce que les hommes, les pères, les maris, les frères, les médecins, imposaient au "sexe faible". En lisant Adèle YON, vous verrez à quel point cette expression prend tout son sens dans les pratiques d'une époque et explique les violences faites aux femmes, l'incarnation de la domination masculine, patriarcale, à commencer par la maternité.
Ce qui est terrifiant, c'est de voir à quel point la jeune génération est encore imprégnée du passé. Adèle YON révèle qu'elle-même a été élevée avec la crainte d'être fragile comme Elisabeth. C'est parce qu'elle risque de devenir folle qu'elle se lance dans les recherches qui lui permettront d'écrire cette thèse. La filiation, la transmission de génération en génération, est terrifiante. Son livre n'en est que plus puissant.
Je pourrais en écrire des pages, tellement il regorge de détails, il est foisonnant et captivant. Il est déjà lauréat de nombreux prix littéraires : Le Grand Prix des Lectrices Elle, le Prix Régine Deforges, le Prix Littéraire du Nouvel Obs, le Prix Essai France Télévisions...
Lire un livre, c'est planter un décor, poser des images sur des personnages, parfois inspirées du cinéma. Vous comprendrez que le visage de Virginie EFIRA se soit imposé à moi. Dans "En attendant Bojangles" de Régis ROINSARD, elle interprète divinement bien comment pouvait être traitée la maladie mentale dans les années 1960.
Ce livre fait partie de ceux que je n'oublierai jamais. C'est à ça que je reconnais les coups de coeur !
Si Jakuta ALIKAVAZOVIC avait choisi la section des Antiques dans la salle des Cariatides du Louvre et Lola LAFON la Maison d'Anne FRANK, Richard MALKA, lui, a choisi le Panthéon, là où sont accueillies 83 sépultures d'illustres femmes et hommes.
Richard MALKA, vous le savez peut-être, est l'avocat de Charlie Hebdo. Comme Riss, il est menacé de mort depuis les attentats de 2015 et vit sous protection policière.
L'homme est aussi scénariste de romans graphiques et écrivain.
Dans ce livre, il s'adresse à François-Marie AROUET, plus connu sous le nom de Voltaire. L'écrivain et philosophe du XVIIIe siècle repose au Panthéon. L'auteur m'a d'ailleurs donné envie de relire des classiques...
Dans un monologue à la 2ème personne du singulier, Richard MALKA revient sur ce qui préoccupait déjà les Lumières. Impossible de passer à côté de la liberté d'expression, vous l'imaginez, et de ses amis, toute l'équipe du journal assassinée le 7 janvier 2015.
Ces personnes tolérantes partageaient sans exception une même qualité : elles étaient drôles et riaient d'elles-mêmes. C'est un marqueur, une protection contre le dogmatisme et le fanatisme. Le droit aux caricatures est non négociable. P. 82
Mais il y est aussi beaucoup question de religion.
La religion opprime, on la combat, elle recule, elle laisse un vide, c'est la panique, elle revient, on n'en sort pas.
C'est un cercle vicieux qui ne sera brisé qu'en trouvant un substitut à la consolante transcendance du divin. P. 49
Comme dans "L'art de l'esprit joyeux" d'Alexandre JOLIEN et Laurent JOUVET, le livre est éclairant sur des subtilités qu'il convient de rappeler :
Tes propos sont un cas d'école illustrant la différence, que je me tue à expliquer, entre la critique des religions, qui est salutaire, et la critique des personnes à raison de leur religion, qui est un délit. P. 106
Je me suis laissée porter par la philosophie de Richard MALKA, un homme inspirant qui appelle au respect.
Il évoque encore l'architecture du bâtiment qui l'accueille le temps d'une nuit, inspirée de celui de Rome, avec une coupole à 90 mètres de haut.
Ce nouvel essai de la collection Ma nuit au musée est presque un incontournable dans les temps troublés que nous traversons. Il est très bien écrit. A conseiller sans modération.
Cette lecture, je l'ai réalisée sur proposition de la maison d'édition que je remercie.
Comme une invitation à poursuivre le chemin, continuer à avancer, le dernier roman de David PARK, "Rappel à la vie", nous propose de faire connaissance avec une galerie de personnages dont l'existence a pour le moins été chahutée, au point parfois d'avoir envie d'abandonner...
Il y a Maurice, cet homme à la retraite, endeuillé par un chauffard ivre. Il l'a privé de son bonheur de vivre avec Mina, son épouse, depuis 3 ans. Il a une fille Rachel et une petite fille Ellie. À la maison c'était Mina qui cuisinait. Depuis 3 ans, il se nourrit de fast food. Il est en surpoids. Il y a Cathy, divorcée depuis 10 ans et dont la fille unique vit au bout du monde, l'Australie, avec un petit garçon de 4 ans. Leurs échanges se font via Skype. Il y Brendan et Angela sous tension avec les préparatifs de leur mariage. Il y a enfin Yana, venue de Syrie avec ses parents qui ont tout laissé là-bas, leur entreprise de boulangerie restauration mais aussi la vie de leur fils, Masud. Yana est déchirée par la souffrance de sa mort.
Tous ces personnages, si différents les uns des autres, se retrouvent pourtant unis dans un objectif commun : "Du canapé aux 5 kilomètres".
J'ai découvert avec ce court roman la plume de David PARK, écrivain irlandais.
Il dresse le portrait d'une société contemporaine en mal de vivre qui va, par la voie d'un projet sportif, se (re)mettre en mouvement.
J'ai beaucoup aimé accompagner chacun dans son parcours du combattant, s'offrir une seconde chance ! Le propos est profondément humain, il est empreint d'espoir.
Aujourd'hui sort en librairie le roman de Rodolphe CASSO, "Sortir du rang" aux éditions des Forges de Vulcain, que je remercie d'ailleurs pour le cadeau.
Alerte, quand vous l'ouvrirez, vous ne pourrez plus le lâcher, au péril de votre nuit.
Almeria est espagnole. Elle travaille à Paris dans une multinationale en tant que directrice de communication. Elle met la main sur un fichier informatique hautement confidentiel. Dès la fuite de données repérée, une chasse à la femme est engagée, à la vie à la mort. Des hommes sont spécialement recrutés pour la tuer.
Je ne connaissais pas la plume de Rodolphe CASSO, elle est haletante. Tout est rebondissement !
Ce roman d'aventure est parfaitement orchestré pour ne plus vous laisser une minute de répit.
Des sujets de société du XXIe siècle constituent la toile de fond du livre : les intérêts économiques de grands groupes, ceux de santé publique, le statut du lanceur d'alerte, du journaliste d'investigation, le mouvement survivaliste, l'armement des citoyens...
Mais ce roman, c'est aussi une page de la grande Histoire qui sous-tend les relations entre les habitants du petit village de Vinça entre Perpignan et Prades, des événements qui continuent d'irriguer les générations suivantes.
Avec cette lecture, j'ai tout oublié, mon environnement, mes préoccupations du moment. Je me suis fait un film de la vie d'Almeria en fuite, résistante, et croyez moi, c'est à en perdre haleine. Bref, j'ai vécu un moment hors du temps, c'est aussi et surtout ce que l'on cherche en littérature, non ?
Retrouvez les chroniques des livres de cette maison d'édition :
Premier coup de de l'année 2025 : "Les braises de Patagonie" de Delphine GROUÈS.
Que de chaudes larmes ont coulé une fois le roman refermé. Cette lecture m'a transportée, elle m'a profondément émue, elle m'a étreint le coeur.
Tout commence avec une scène cataclysmique, la Patagonie, terre des ancêtres de Valentina, n'a jamais paru aussi hostile à l'être humain. Mais Valentina ne lâchera rien. Elle fait partie de ces femmes qu'une tradition patriarcale ne saurait arrêter. À la vie à la mort ! D'origine Mapuche, Valentina, médecin à Santiago, est en mission pour La Croix Rouge auprès des travailleurs de la Société d'exploitation de la Terre de Feu. Nous sommes en 1950. Elle va de site en site, à cheval. Elle est accompagnée dans son périple de Tcefayek, une Kawésqar, une survivante du peuple indien, désormais cantonné dans une réserve. Et puis, il y a Luis. Le jeune homme de 24 ans vient d'enterrer sa mère, une femme d'une cinquantaine d'années, Il vivait au Havre avec elle, sa seule famille. Avec le règlement de la succession, le notaire lui dévoile que sa mère s'était mariée en 1973 à Talca au Chili. Nous sommes en 1998. Il décide de tout quitter à destination de l'Amérique du Sud en quête de ses origines, sa mère ne lui avait jamais rien révélé de sa vie d'avant. Sous la plume vertigineuse de Delphine GROUÈS, ces destins partageront quelque chose en commun, une histoire familiale des plus rocambolesques avec, en toile de fond, la dictature chilienne.
Vous le savez peut-être, les coups de coeur sont pour moi les plus difficiles à présenter, tellement les émotions sont fortes. Je n'ai qu'une envie, vous voir le lire !
Je vais toutefois essayer de vous en résumer les grandes lignes.
D'abord, ce roman, c'est une ode à la nature, personnage à part entière. Elle peut être aussi apaisante que tempétueuse. Vous allez ressentir le toucher soyeux de la robe d'un poulain, la force du vent aussi. Et puis, il y a la présence de l'eau. Elle est partout, sur la côte, dans les lagunes, les torrents, les cascades. Sous la plume de Delphine GROUÈS, elle fait l'objet de descriptions sublimes.
Le lac chanta avant de se laisser apercevoir. Son clapotis résonnait. Les vagues de cristal les accueillirent. Les galets bruns et dorés étincelaient, ballottés par les courants des fonds. Les ibis à tête noire se laissaient bercer par les houles aériennes. P. 114
Et puis, ce roman, c'est aussi une galerie de femmes puissantes, des portraits tous aussi glorieux les uns que les autrse !
Il y a Valentina bien sûr, cette femme médecin qui affronte le climat comme le genre humain pour soigner les plaies des corps. Il y a Tcefayek aussi, cette femme meurtrie par l'extermination de son peuple indien qui perpétue ses traditions avec des bains dans les eaux tortueuses de la côte chilienne, au contact des animaux marins. Il y a la mère de Luis, aussi, une femme au parcours torturé. Il y a Sara BRAUN, encore, l'une des fondatrices de la Société d'exploitation de la Terre de Feu faisant d'elle l'un des plus grands employeurs du Chili. Elle aussi connaissait l'ignominie des hommes, poussée à l'exil depuis la Russie en raison de ses origines juives. Elle décède à l'âge de 93 ans, en 1955. Il y a encore Gabriela MISTRAL, féministe, poétesse chilienne sacrée par le Prix Nobel de Littérature en 1945, elle qui a vécu enfant dans la pauvreté mais à qui l'école permettra d'accéder à la profession d'enseignante. Elle décède à l'âge de 68 ans en 1957.
Qu'elles soient de fiction ou bien réelles, faisant l'actualité de tout un pays, Delphine GROUÈS leur rend un vibrant hommage pour leur force, leur courage, leur bravoure et leur audace.
Quelle plus belle illustration que la naissance de Rosa... la scène d'une éblouissante sororité !
Tcefayek aida la jeune femme à s'accroupir contre la charpente tandis que Valentina lui soutenait le dos. Les braises craquaient dans la cheminée et dessinaient des danses affolées sur leurs visages. Tcefayek chantait des notes qui résonnaient comme des cuivres. Juana se tordit en un hurlement, Tcefayek chanta encore plus fort, Valentina pétrit le ventre tiraillé, calma la mère d'encouragements chuchotés, Tcefayek posa sa main sur celle de Valentina, les vibrations la firent frémir, le bébé tapait des pieds in utero tel un nageur englué dans des algues sous-marines, le ventre roula, le chant s'adoucit, Juana gémit, la dernière poussée, la dernière, Valentina reçut le nouveau-né entre ses mains, première respiration, c'était une petite fille, premiers pleurs. P. 39-40
Les femmes donnent la vie !
Face à elles, il y a des hommes, avides de pouvoir et de richesse, dont la sauvagerie et la barbarie sont sans limite.
Ils voulaient engloutir des territoires entiers, les territoires des ancêtres, pour produire de l'énergie, encore de l'énergie, toujours plus d'énergie. Et les terres enlisées, les fleuves détournés, les villageois expulsés, et pour quoi ? P. 159
L'histoire de l'Amérique du Sud, et du Chili en particulier, témoigne de tragédies humaines.
Dans ce roman, l'écrivaine relate de grands événements, de révolution et de rébellion.
Il est aussi question de leur rayonnement sur les générations suivantes, comme un flux toxique empruntant la voie des vaisseaux sanguins.
J'ai bien sûr été captivée par le personnage de Luis, le gringo dont les traits du visage témoignent d'un lien de parenté avec le peuple chilien. J'ai aimé partir à la découverte de la Cordillère, j'ai aimé aussi ces moments de révélation, loin du bruit du monde.
Les secrets les mieux gardés ne sauraient résister à l'irrépressible besoin des descendants de connaître les détails de l'existence meurtrie de leurs ancêtres.
Celui de Tcefayek m'a bouleversée. Delphine GROUÈS aborde ainsi le registre des âmes blessées à travers le regard d'une femme qui a tout vu.
Elle cherchait les souvenirs, les galets foulés avec sa famille, la baie où s'était échouée une baleine, le dernier festin avant que tout ne s'écroule. Une quête vouée au désespoir. Rien sur son visage ne laissait percevoir sa détresse. Uniquement les épaules qui se courbaient vers la poitrine, comme si elles tentaient de protéger le cœur. P. 106
Sa guérison ne saura se contenter des baumes et les onguents. Elle se nourrira des voies spirituelles, aussi insondables que mystérieuses. Certains passages sont foudroyants. Valentina l'a bien compris, elle qui entretient les rites de sa grand-mère, guérisseuse. De là à voir à travers les deux femmes les traits des sorcières, il n'y a qu'un pas ! Je me suis délectée de ces passages.
Ces histoires, qu'elles soient familiales ou de communautés toutes entières, ne seraient rien sans le talent d'écrivaine de Delphine GROUÈS.
Les phrases sont longues. Elles sont ponctuées d'innombrables virgules comme autant d'opportunités de cranter la pression jusqu'à l'apogée et de revenir lentement à l'apaisement.
Cette lecture restera gravée dans mon .
J'ai succombé à la beauté et la puissance des mots, ceux qui disent les liens, depuis les origines en passant par la grand-parentalité, ceux qui nomment, ceux qui honorent aussi.
Je remercie la maison d'édition pour ce très beau cadeau, c'est un trésor.
Impossible, une nouvelle fois de vous quitter sans la voix de Clara LUCCIANI. La chanson "Mon sang", qui a donné le titre à son 3ème album, illustre comme aucune ce roman. Affaire de synchronicité, elle m'a accompagnée tout au long de cette lecture. Inoubliables !
Les éditions de L'Observatoire me fascinent. Depuis leur création, je m'émerveille de leur éclectisme mais aussi de leur justesse dans les mots, des mots qui me transportent, me font vibrer, qu'il s'agisse d'anticiper l'avenir ou de revenir sur le passé.
Cette rentrée littéraire de janvier en est une belle illustration avec "Le regard d'Aurea" et "Mauvais œil". Tiens tiens, s'il s'agissait effectivement d'un certain regard porté sur la société, une certaine philosophie... comme un point commun entre tous les livres. Merci aux éditions de nous émerveiller, merci de ces jolis cadeaux.
Là, nous partons en Caroline du Nord aux Etats-Unis. Yara et Fadi sont mariés depuis 9 ans. Ils ont deux filles, Mira et Jude. Elle travaille à l'université, elle en gère le site internet et les réseaux sociaux, elle les nourrit de ses photographies.. Elle aspire à un temps plein. Lui a monté son entreprise avec un ami. Dans cette famille que Yara s'évertue à magnifier dans ses publications personnelles sur Instagram, quelque chose semble clocher, quelque chose que Yara explique hâtivement par son histoire familiale, une malédiction portée par les femmes, transmise de génération en génération, comme le traumatisme de la Nakba depuis 1948 affectant le peuple palestinien. Et si Yara changeait de focale...
"Mauvais œil", c'est d'abord une première de couverture", une oeuvre d'art de Raphaëlle FAGUER pour illustrer ce roman d'Etaf RUM, la représentation d'une hamsa, cette amulette portée par les femmes, une tradition en Afrique du Nord et au Moyen-Orient. Cette main est censée les protéger des malédictions.
L'air de rien, mais grâce à la beauté de l'art, avec cette première description du livre, je viens de vous en dévoiler le fil d'Ariane.
Il y a d'abord l'espace familial, celui de l'intimité, marqué par les traditions entretenues par une famille issue de l'immigration. Vous allez saliver dans ce livre à la lecture de tous ces passages décrivant la préparation des repas. Bien que née à Brooklyn, Yara se fait un devoir de perpétuer les recettes de cuisine apprises de sa grand-mère en Palestine, c'est une certaine manière d'assurer sa mémoire. Elle oeuvre aussi, avouons-le, sous le couperet d'une belle-mère tyrannique. Yara et Fadi sont le fruit d'un mariage arrangé, la condition pour Yara de quitter le berceau familial. Sa mère l'avait elle aussi subi.
Mais dans cette famille se joue aussi la vie moderne américaine, celle d'aujourd'hui. Celle qui fait que les individus sont happés par les écrans comme autant de source de distractions à peine le travail quitté. Ce livre, c'est un roman social, un portrait brossé d'une génération tiraillée entre mille et une obligations.
Il y a aussi la grande Histoire, celle de 1948. Elle a condamné des populations à l'exil, des populations déracinées, déchirées par les souffrances de la séparation. Elle continue toujours aujourd'hui, sur le territoire, à faire couler le sang des Palestiniens. Ce roman c'est aussi le moyen de revenir sur l'origine du conflit israélo palestinien, de mieux en comprendre les enjeux.
Mais notre histoire coule dans nos veines. Cela au moins, ils n'arriveront jamais à nous en déposséder. Tant que nous continuerons à nous raconter nos vies, notre histoire vivra dans les mémoires. P. 253
Mais ce roman, plus que tout, c'est un personnage, celui de Yara, une femme blessée, une femme victime de croyances, une femme moderne, une femme puissante aussi. Ce roman, c'est un parcours initiatique, porté par une formidable amitié, c'est le parcours d'un personnage de fiction, à moins que ça ne soit celui de l'écrivaine elle-même. Etaf RUM, dont je découvre la beauté de la plume, semble s'être largement inspirée de son itinéraire pour tracer la voie de Yara, une voie qui souffle comme un vent d'espoir en faveur d'un épanouissement personnel, largement empreint du pouvoir des arts.
Mais d'autres jours, son ancienne douleur bouillonnait à la surface pour des raisons qui n'étaient pas toujours très claires. À ces moments, elle s'asseyait, seule, et se réfugiait en elle-même. Puis elle s'en sortait par l'écriture, se servant des mots pour se recoudre, point après point. Son carnet était l'ancre qui l'empêchait de dériver quand la tempête se levait. P. 402
Je sors de cette lecture subjuguée une nouvelle fois par les mots, ceux qui assurent la mémoire, ceux qui traduisent les états d'âme, ceux qui portent vers un avenir nouveau. Sous la traduction de Diniz GALHOS, ils prennent une juste dimension. Virtuose !
Impossible de vous quitter sans lier cette lecture à la chanson de Clara LUCIANI, "Ma mère", je l'écoute en boucle. Quand les arts résonnent entre eux...
Commencer l'année 2025 avec la lecture des deux romans des éditions de l'Observatoire, avouons que c'est une très belle opportunité de se faire plaisir. Je remercie la maison d'édition des très jolis cadeaux.
Place tout d'abord au roman de scicence-fiction d'Izaac AZANCOT : "Le Regard d'Aurea", une merveille.
Giulia Ferretti est médecin sur Paris. Elle est cheffe de clinique à Georges-Pompidou. D'origine italienne par son père, elle aime se reposer en Toscane et jouer au golf. C'est la qu'en 2034 elle va rencontrer Élie, également médecin, grand spécialiste de l'intelligence artificielle (IA). Lui voit dans cette discipline sportive et les études en informatique quantique deux moyens d'échapper à sa condition. Il vit en fauteuil roulant. À cette époque, l'IA permet, grâce à la pose d'implants pucés de vivre en bonne santé plus longtemps. Les progrès technologiques sont tels que l'humanité surfe sur des évolutions jamais encore imaginées. De là à proposer des êtres hybrides, des humains fusionnés avec des êtres virtuels, il n'y a qu'un pas.
Ce roman est absolument fascinant. Nous sommes aujourd'hui en 2025, aux prémices de ce que l'IA générative peut proposer en matière de vie quotidienne. En 2022 à été lancé ChatGPT, marquant dans l'histoire de l'humanité un cap encore jamais franchi dans la génération de textes. D'autres applications permettent de produire des images, des sons, déstabilisant de fait les êtres humains dont les capacités intellectuelles risquent d'être dépassées par celles des machines, sans commune mesure avec ce que la robotisation et l'automatisation avaient pu engendrer de conséquences en matière de production industrielle, réduisant au chômage des ouvriers spécialisés dont la main d'œuvre était subitement devenue inutile. Cette transition a laissé des traces dans l'esprit des gens, terrorisés par les capacités de l'IA.
Isaac AZANCOT nous propose de nous projeter à l'échelle de 10 ans, seulement. Vous allez voir, les potentialités de l'IA sont vertigineuses.
Pour autant, Giulia et Élie continuent de ressembler à des êtres humains, comme nous, rendant l'identification parfaitement possible. Ils travaillent et profitent de loisirs. Ils sont amoureux, même si la relation qu'ils entretiennent, présente quelques impacts d'une vie clandestine, donnant à ce roman tout le mystère nécessaire à alimenter un irrésistible suspense. Il devient un véritable page-turner. Une fois engagé.e dans sa lecture, vous ne pourrez plus vous arrêter. Prévoyez quelques heures devant vous pour le savourer !
Et puis, il y a cette évolution technologique de l'informatique quantique, aussi captivante qu'effrayante. Non experte dans le domaine, je me suis laissée porter par les explications pédagogiques d'Isaac AZANCOT. Imaginez une boule de billard qui pourrait entrer dans deux trous en même temps. Si l'évolution nous paraît compliquée à aborder pour le citoyen lambda, pour le médecin hospitalier qu'est Isaac AZANCOT, professeur au Collège de médecine des hôpitaux de Paris, spécialiste de l'informatique médicale, les applications dans le champ de la santé paraissent la voie royale pour vivre plus vieux et s'affranchir des maladies. N'est-ce pas là le rêve de tout mortel ? La projection à très court terme suffit à nous fasciner, les qualités de la plume à nous captiver.
Si ce genre littéraire ne fait pas partie de mon espace de sécurité, il n'en demeure pas moins que chaque fois que j'en ai lu j'ai succombé. Il n'y a pas d'exception avec "Le Regard d'Aurea", ce roman d'anticipation parfaitement orchestré par une main de maître.
Je vous le conseille absolument. Cette rentrée littéraire de janvier promet bien des merveilles !