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Articles avec #rl2021_janvier catégorie

2022-07-30T06:27:03+02:00

Faire corps de Charlotte PONS

Publié par Tlivres
Faire corps de Charlotte PONS
 
Le bal des 68 Premières fois se poursuit avec un second roman, "Faire corps" de Charlotte PONS.
 
Sandra, la narratrice, a la quarantaine. Depuis le drame de son petit frère, elle a pris la décision de ne jamais être mère. De fait, ses aventures avec les hommes n’ont été que de courte durée, des soirées sans lendemain. Quand son ami d’enfance, Romain, homosexuel, lui fait part de son désir d’un enfant et des nombreuses tentatives de GPA (Gestation Pour Autrui) aux Etats-Unis, sans succès, Sandra se retrouve malgré elle au cœur d’une sombre histoire de prêt de son corps.
 
La narration à la première personne de ce roman vous prend à la gorge dès les premières pages, et ce n’est pas le contexte actuel de retrait du droit à l’avortement de la Constitution américaine qui viendra désamorcer la bombe.
 
Avec ce roman, Charlotte PONS explore les différentes dimensions d’une mère…


Celle qui porte, celle qui met au monde, celle qui garde au monde, celle qui transmet, celle qui aime, celle qui nourrit, celle qui éduque. Qu’est-ce qui fait la mère ? P. 44

et pose la question de l’identité d’une femme à travers le filtre de la maternité.


J’avais dès l’enfance éprouvé ma nature périssable, devenue femme je comprenais que j’avais aussi une date de péremption. P. 121

L’itinéraire de Sandra illustre bien toutes les phases de la grossesse. Sous les projecteurs de la GPA, elle prend une dimension toute particulière, celle des doutes, ce qui rend le roman captivant. Imaginez, neuf mois à porter un enfant, neuf mois à perdre la totale maîtrise de son corps, et pas une seule seconde vous n’auriez de doute sur l’avenir de l’embryon qui deviendra fœtus, et puis un corps de chair et d’os, voué à d'autres que soi.
 
J’ai été profondément troublée par la distance à mettre avec ce bébé alors même que la société évolue et que tout invite à la fusion des corps, « faire corps », et que, voulue ou non, cette grossesse engendrera une microchimère, ce transfert de cellules fœtales vers le corps de la mère, modifiant à jamais son ADN. De cette grossesse, la mère porteuse en gardera l’empreinte jusqu'à la fin de sa vie. Tellement fascinant.
 
Et puis, dans ce roman, il y a des moments d’ivresse, des moments d’une intime beauté que rien d’autre dans la vie ne peut offrir que la maternité.
 
Ce second roman de Charlotte PONS est d’une force incroyable.
 
Ce roman aurait pu être militant, il ne l’est pas, il met toutefois le doigt sur les enjeux éthiques, sociaux, économiques, sanitaires, politiques… que revêt la GPA. L’écrivaine nourrit notre position personnelle sur le sujet. Par le biais d'une fiction, la situation des mères porteuses ukrainiennes au tout début de la guerre, sur lesquelles j'avais beaucoup lu dans les médias, résonne d'une toute nouvelle manière.
 
La plume de Charlotte PONS est directe et les mots puissants. Frappée en plein cœur.

Et parce qu'il ne peut y avoir de bal des 68 Premières fois sans musique, je vous propose "Summertime" de Ella FITZGERALD, la grande Dame du Jazz noir américain. Ce titre faisait partie de la playlist de Charlotte PONS !

http://tlivrestarts.over-blog.com/2022/07/summertime-d-ella-fitzgerald.html

http://tlivrestarts.over-blog.com/2022/07/summertime-d-ella-fitzgerald.html

Retrouvez les autres références de la #selection2022 :

"Les enfants véritables" de Thibault BERARD

"Aux amours" de Loïc DEMEY,

 "Les nuits bleues" de Anne-Fleur MURTON,

"Furies" de Julie RIOCCO,

"Ubasute" d’Isabel GUTIERREZ,

"Les envolés" d'Etienne KERN,

"Blizzard" de Marie VINGTRAS,

"Saint Jacques" de Bénédicte BELPOIS,

 "Les confluents" de Anne-Lise AVRIL,

"Le parfum des cendres" de Marie MANGEZ,

"Jour bleu" de Aurélia RINGARD

"Debout dans l'eau" de Zoé DERLEYN,

"La fille que ma mère imaginait" de Isabelle BOISSARD...

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#bookstagram #selection2022 #secondroman #7anscasefete #onnarretepasles68 #un68sinonrien #touchepasamon68 #jepensedoncje68  #fairecorps #charlottepons

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2022-07-02T06:00:00+02:00

Les enfants véritables de Thibault BERARD

Publié par Tlivres
Les enfants véritables de Thibault BERARD

Le bal des 68 Premières fois se poursuit. 

Après :

"Aux amours" de Loïc DEMEY,

 

 "Les nuits bleues" de Anne-Fleur MURTON,

"Les maisons vides" de Laurine THIZY,

"Furies" de Julie RIOCCO,

"Ubasute" d’Isabel GUTIERREZ,

"Les envolés" d'Etienne KERN,

"Blizzard" de Marie VINGTRAS,

 

"Saint Jacques" de Bénédicte BELPOIS,

 "Les confluents" de Anne-Lise AVRIL,

"Le parfum des cendres" de Marie MANGEZ,

"Jour bleu" de Aurélia RINGARD

"Debout dans l'eau" de Zoé DERLEYN,

"La fille que ma mère imaginait" de Isabelle BOISSARD,

place au second roman de Thibault BERARD, "Les enfants véritables" chez Les éditions de L’Observatoire, un coup de coeur.
Théo élève seul ses enfants, Simon et Camille, de 7 et 4,5 ans, depuis le récent décès de sa compagne Sarah. Cléo fait son entrée, tout en délicatesse, dans ce cocon familial meurtri. Elle est douce, Cléo, elle est gentille, et puis, c'est l'amoureuse de papa, alors chacun lui fait une petite place mais les démons ne cessent de hanter tout ce petit monde. Derrière les sourires se cachent la douleur de l'absence et du manque, la peur de la mort aussi. S'il est difficile d'accepter cette nouvelle présence et le petit pas de côté fait avec les habitudes, ce n'est pas plus simple pour Cléo, qui, elle-même, a connu une famille loin des standards. Elle a été élevée par son père, Paul, dans la vallée de l’Ubaye. Quand elle n'avait que 7 ans, elle a dû faire une place à César dont le père, alcoolique, était décédé. Il habitait juste à côté et Paul avait un grand coeur, alors, il l'avait adopté. Quant à Solène, c'était le fruit d'une relation extraconjugale. Diane Chastain n'a jamais assumé son rôle de mère. Cette « mère-herbe-folle » avait besoin d'air et disparaissait régulièrement. Après 15 mois d'absence, elle est rentrée à la maison. Elle était enceinte. Là aussi, Paul a fait amende honorable. Il aimait trop sa femme pour ne pas accepter ce bébé à naître. Alors pour Cléo, cette entrée en matière, c'est un peu comme un plongeon vers l'inconnu !
Dès les premières pages, je me suis prise à penser que mon hamac allait rapidement devenir une piscine ! A la page 54, les premières larmes coulaient sur mes joues, des larmes de chagrin mais aussi, des larmes de bonheur, le bonheur de lire des mots aussi forts, aussi beaux.

Thibault BERARD explore avec gourmandise et tout en délicatesse l'entrée de Cléo, le personnage principal de cet opus, dans la famille de Théo. Il s'agit d'un lent apprivoisement, de l'un, de l'autre, des uns, de l'autre, parce que oui, il y a une communauté initiale... à trois, et un individu de plus qui va progressivement chercher sa place, un peu comme un corps étranger à greffer dont on attend l'acceptation ou le rejet. Au gré, des opportunités, festives les premières, courantes de la vie pour les suivantes, les choses lentement s'organisent sous l'autorité d'un chef d'orchestre, Théo, le dénominateur commun de tous. Théo c'est le père, Théo c'est l'homme fou amoureux de Cléo, Théo c'est l'amant de Cléo.

Les fondations de cette nouvelle famille reposent sur ses épaules, à lui. C'est un sacré pari pris sur l'harmonie d'un groupe, l'alliance entre ses membres, la solidarité, la fraternité, l'équilibre, tout ce qui a besoin, pour se construire, de beaucoup d'amour, mais aussi, de mots. Avec Thibault BERARD, je suis toujours impressionnée l'exploration des maux. A chaque sujet, l'expression et le partage de sentiments, d'états d'âme, d'émotions que l'auteur sait allégrement transmettre à ses lecteurs.

Thibault BERARD traite ici magnifiquement de la mère, légitime et d'adoption, de son rôle, de sa place. A travers deux personnages qu'il fait se croiser, celui de Diane Chastain, la mère de Cléo, cette actrice qui a préféré se consacrer à sa vie professionnelle, et celui de Cléo qui consacre ses jours et ses nuits à tisser du lien. Ce que j'aime chez Thibault BERARD, c'est qu'il n'y a pas de jugement, chacun mène sa vie comme il croit bon de la mener, faisant des choix, les assumant... ce qui n'empêche pas d'avoir des prises de conscience et de vouloir changer du tout au tout.

L'écrivain restitue magnifiquement les sensations des femmes et leur rôle dans l'approche des enfants, ces trésors de candeur, qu'elles vont accompagner, au fil du temps, dans leur construction d'adulte. Il est question de transmission dans la relation et de confiance pour permettre à chacun de trouver sa voie, s'émanciper et passer à l'expression de soi... Ainsi se construit une constellation avec toutes ces étoiles qui ne demandent qu'à scintiller.

 

Ce roman, une nouvelle fois, est largement inspiré de la vie personnelle de l'auteur, mais pas que. Il y a aussi toute une part de son livre suggérée par son imaginaire. Et ce qui est merveilleux chez Thibault BERARD, c'est le jeu de la narration. Si dans les premières pages, il prête sa plume à Diane Chastain, un personnage féminin, il trouve un équilibre ensuite avec le "je" de Paul, son compagnon. Et puis, un peu comme quand vous montez dans un manège de chevaux de bois, passée l'installation, il y a la mise en mouvement dans un rythme lent, s'accélérant progressivement pour terminer dans un tourbillon enivrant. Là, les voix se multiplient, résonnent entre elles, se lient, se croisent, s'entrecroisent... dans une ivresse totale.

L'écrivain, qui a le souci du détail, pousse la fantaisie jusque dans les titres de chapitres qui, pour certains, prendront la forme d'une ritournelle.

Impossible de vous quitter sans la playlist de Thibault BERARD, j'y ai choisi "Ready to start" de Arcade Fire. Cette chanson colle à merveille au propos, je vous assure, parce que... je ne vous ai pas tout dit !

https://youtu.be/9oI27uSzxNQ

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2022-06-18T06:00:00+02:00

Aux amours de Loïc DEMEY

Publié par Tlivres
Aux amours de Loïc DEMEY
Le bal des 68 Premières fois se poursuit.
 
Après :

 "Les nuits bleues" de Anne-Fleur MURTON

"Les maisons vides" de Laurine THIZY,

"Furies" de Julie RIOCCO,

"Ubasute" d’Isabel GUTIERREZ,

"Les envolés" d'Etienne KERN,

"Blizzard" de Marie VINGTRAS,

"Saint Jacques" de Bénédicte BELPOIS

 "Les confluents" de Anne-Lise AVRIL

"Le parfum des cendres" de Marie MANGEZ

"Jour bleu" de Aurélia RINGARD

"Debout dans l'eau" de Zoé DERLEYN

place à un roman aux allures de manège poétique, un tourbillon chimérique, une lente divagation...

Loïc DEMEY et les Éditions Buchet Chastel nous proposent un texte hors norme : « Aux Amours », une douce rêverie.
 
Le texte s’étire sur une centaine de pages, en une seule phrase, c’est là toute l’originalité, une tendre et délicate attention portée à une femme que le narrateur attend, espère, convoite, désire, fantasme… jusqu’à son dernier souffle.
 
On aurait pu imaginer que je m'y ennuie. En fait, cette lecture, je l’ai savourée.
 
Comme quoi, c'est bon de se laisser surprendre par la littérature, et dans le genre, les fées des 68 Premières fois savent y faire !
 
La plume est délicieuse, c’est une succulente friandise, un bonbon tendre, une gourmandise exquise.
 
Vous connaissiez peut-être "Je, d'un accident ou d'amour". Je me prends à penser que l'auteur fait de l'amour son sujet de prédilection, non ?
 
Pour l'accompagner, j'ai choisi le titre "Manège" de November Ultra, histoire de poursuivre l'enchantement...
http://tlivrestarts.over-blog.com/ 2022/06/manege-de-november-ultra.html

http://tlivrestarts.over-blog.com/ 2022/06/manege-de-november-ultra.html

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2022-04-23T06:00:00+02:00

Saint Jacques de Bénédicte BELPOIS

Publié par Tlivres
Saint Jacques de Bénédicte BELPOIS
Le bal des 68 Premières fois se poursuit.

Après :

 "Les nuits bleues" de Anne-Fleur MURTON

"Les maisons vides" de Laurine THIZY,

"Furies" de Julie RIOCCO,

"Ubasute" d’Isabel GUTIERREZ,

"Les envolés" d'Etienne KERN,

"Blizzard" de Marie VINGTRAS,

place à "Saint Jacques", le second roman de Bénédicte BELPOIS aux éditions Gallimard.

Tout commence avec cet appel téléphonique. Françoise, la sœur cadette, ne pouvait être que porteuse d’une mauvaise nouvelle. « Maman est morte ». Il y a eu les funérailles et puis le passage chez le notaire. Là, un testament avec les dernières volontés, la répartition des biens. Françoise gardera l’appartement de Sète dans lequel elle vivait avec sa mère, Paloma, elle, aura la maison des Cévennes de Camille où elle pourra lire un cahier laissé à son attention.
 
Quel plaisir de retrouver la plume de Bénédicte BELPOIS découverte avec les 68 Premières fois il y a quelques années.
 
Le roman entretient le mystère tout au long de l’histoire. Cette maison de montagne regorge de secrets si bien gardés. Une nouvelle fois, j’ai été marquée par le souvenir des murs


Je pourrais dire que la maison a pris la parole en premier, qu’elle m’a raconté, ce matin-là, sa solitude insupportable, ses petits maux et ses grandes douleurs. Je l’ai écoutée gémir, subjuguée, interdite. P. 29

Bénédicte BELPOIS nous immerge dans une famille fracassée dès l’adolescence des filles. Il y a cette prédisposition à se voir confrontée aux blessures, à la douleur, à l’absence, un peu comme si la malédiction se transmettait de génération en génération, comme si les mères n’avaient que ce modeste baluchon à offrir à leurs filles. Le propos est foudroyant. Il y est question de sexualité, de maternité, de déni, d’abandon… mais aussi de fraternité, d’amour. Il y est évoqué la condition de femme, sa place aux côtés, avec et pour l’homme, l’être décliné au masculin.


Ce sont les hommes qui nous font femmes Paloma. Nous avons besoin d’amour pour croître, pour nous sentir merveilleuses, pour exister. P. 105

Il y a les interactions entretenues, l’équilibre et l’évolution des règles du jeu dans une société en mutation.
 
Ce roman c’est aussi une ode à la montagne, la beauté de la nature, sa capacité à reconstruire celles et ceux qui ont eu à vivre des tragédies. Il y a des descriptions sublimes du lever du soleil dans les Cévennes.


Ce n’était plus la grande conversation de la nuit, celle qu’elle s’autorise quand les hommes dorment, c’était le murmure sibyllin du matin, fait de mille chuchotements : feuilles qui frémissent, becs qui chantent, herbes qui dansent. P. 127

Il y a bien sûr les rats des villes et les rats des champs. Dans une prose parfaitement orchestrée, le roman présente une alternative à la vie à la mode citadine. Il y est question de la vraie vie, non pas que l’autre soit fausse, mais il s’agit d’une vie empreinte d’authenticité, une vie faite de tous ces petits gestes solidaires et bienveillants, de l'altruisme à l'état pur.


En silence c’était celui des gens de la terre où l’on sent mieux qu’on ne parle. P. 115

La plume est belle, les messages denses et puissants. J’ai aimé la force des sentiments qui porte des personnages à la vie complexe. C’est un beau plaidoyer en faveur de l’acceptation de l’autre, de ses différences comme autant de richesses à découvrir.

Je ne peux décemment pas vous laisser sans quelques notes de musiques, choisies par l'autrice s'il vous plaît...

http://tlivrestarts.over-blog.com/2022/04/cucurrucucu-paloma-de-caetano-veloso.html

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2022-04-19T06:58:08+02:00

Sidérations de Richard POWERS

Publié par Tlivres
Sidérations de Richard POWERS
 
Traduit de l’anglais par Serge CHAUVIN
 
Un roman fascinant, un énorme coup de coeur. Vous avez effectivement bien reconnu "Love" de Botero Pop, l'oeuvre d'art qui accompagne chacun de mes coups de coeur de l'année 2022. 
 
Tout commence avec cette escapade dans Les Appalaches, un séjour dans les Smoky Mountains d’un père, Théodore Byrne, astrobiologiste, avec son fils, Robin de 9 ans, dont on devine une hypersensibilité et des troubles du comportement qui lui valent des exclusions scolaires. Après une nuit à dormir à la belle étoile et s’émerveiller de la beauté de la Voie lactée, ils partent randonner, franchissent un col installent leur campement tout prêt d’un torrent. Ils se baignent et savourent l’extase des bains bouillonnants naturels, cette même expérience que lors du voyage de noces de Théo et Alyssa. Elle est décédée il y a 2 ans et hante leurs vies, jours et nuits. A leur retour, la situation de Robin s’aggrave encore à l’école, l’Etat risque de prendre de sanctionner le père qu’il soupçonne d’incompétence dans l’éducation de son enfant. C’est là qu’une nouvelle expérience commence.
 
Ce roman, c’est 398 pages d’une intensité foudroyante.
 
Il y a la monoparentalité déclinée au masculin, l’immense amour d’un père porté à son fils, l’attention de tous les jours avec cette éternelle question qui traverse l’ensemble du roman. Qu’est-ce qu’être un bon parent ? Il y a mes moments de doute, les prises de décision, et le sentiment de culpabilité devant l’échec.


Elles ont beaucoup en commun, l’astronomie et l’enfance. Toutes deux sont des odyssées à travers des immensités. Toutes deux en quête de faits hors de portée. P. 96

Et puis il y a le deuil, décliné en deux dimensions, celle d’un mari et celle d’un enfant. Tous deux entretiennent le souvenir d’une femme et d’une mère éblouissante, militante, aimée de tous. Ils sont en admiration devant cet être… parti trop tôt.
 
Il y a encore le rapport à la nature, des plus exaltants. Il y a des pages entières de descriptions sublimes.


Dans une clairière en forme de cuvette aux abords du chemin, surgissant du tapis de feuilles mortes, se dressait le champignon le plus ouvragé que j’aie jamais vu. Il se déployait en un hémisphère couleur crème plus gros que mes deux mains réunies. Un ruban cannelé et fongique ondoyait sur lui-même pour former une surface aussi alambiquée qu’une collerette élisabéthaine. P. 33

Mais rien ne saurait être d’actualité sans la mise en danger de l’environnement et de l’humanité condamnée à trouver une autre planète où s’installer. Il en va de sa survie. Mais encore faudrait-il que l’Homme s’assagisse…


Des morceaux de banquise se détachaient de l’Antarctique. Des chefs d’Etat éprouvaient les limites ultimes de la crédulité collective. Des petites guerres éclataient un peu partout. P. 39

Il y a aussi et surtout l’approche de la pathologie de Robin, la quête d’un traitement qui ne soit pas médicamenteux pour lui apporter la sérénité et le bien-être.


[…] il n’y avait pas un « Robin », pas de pèlerin unique dans cette procession de visages pour qu’il reste jamais le même que toute cette farandole kaléidoscopique, qui paradait dans l’espace et le temps, était en elle-même un chantier permanent. P. 159

Comme j’ai aimé l’apprentissage des neurosciences à travers le filtre de la typologie de Plutchik et les 8 émotions de base, un décryptage fascinant de la terreur, le chagrin, l’aversion, l’étonnement, la rage, la vigilance, l’admiration, et l’extase. Il y a encore le prometteur feedback décodé et tout ce qu’il permet d’espérer.
 
Ce roman est servi par une plume profondément émouvante. Richard POWERS nous livre un roman d’une richesse éblouissante sur les objets de « Sidérations ». Je salue la qualité de la traduction de Serge CHAUVIN.
 
Impossible de vous quitter sans cette citation dans laquelle vous vous reconnaîtrez toutes et tous, j’en suis persuadée :


Mon fils adorait la bibliothèque. […] Il adorait la bienveillance des rayonnages, leur cartographie du monde connu. Il adorait le buffet à volonté d’emprunt. Il adorait la chronique des prêts tamponnée sur la page de garde, ce registre des inconnus qui avaient emprunté le même livre avant lui. P. 114

Énorme coup de cœur, une nouvelle référence du Book club (merci Ingrid) dont je vous rappelle quelques lectures précédentes :

"Hamnet" de Maggie O'FARRELL

"Les enfants sont rois" de Delphine DE VIGAN

"Au-delà de la mer" de David LYNCH

"Le messager" de Andrée CHEDID

"L’ami" de Tiffany TAVERNIER

"Il n’est pire aveugle" de John BOYNE,

"Les mouches bleues"» de Jean-Michel RIOU,

"Il fallait que je vous le dise" de Aude MERMILLIOD, une BD,

"Le roi disait que j'étais diable" et "La révolte" de Clara DUPONT-MONOD, 

"Un jour ce sera vide" de Hugo LINDENBERG

"Viendra le temps du feu" de Wendy DELORME,

"Il n'est pire aveugle" de John BOYNE...

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2021-12-21T07:00:00+01:00

Les enfants sont rois de Delphine DE VIGAN

Publié par Tlivres
Les enfants sont rois de Delphine DE VIGAN

Ma #Mardiconseil est le tout dernier roman de Delphine DE VIGAN : "Les enfants sont rois", publié chez Gallimard.

Nouvelle référence du Book club.

 

Tout commence avec l’annonce de la disparition d’une enfant, Kimmy Dioré, 6 ans, par la Brigade Criminelle. C’est une star sur les réseaux sociaux. La dernière story publiée par sa mère concernait le choix d’une nouvelle paire de chaussures. Les followers étaient appelés à voter. Nous sommes en 2019. L’enquête policière va remonter le fil de la vie de la famille, et mettre en lumière une évolution de la société depuis les années 2000. Souvenez-vous, c’était l’époque de Loft story. 11 millions de téléspectateurs avaient les yeux rivés sur leur écran, scotchés par des images de la vie quotidienne, le nouveau tremplin de la célébrité, pour le meilleur comme pour le pire.

 

Dans ce roman policier, l’enquête est au coeur du livre et le structure avec la rencontre improbable et pourtant, de deux femmes. Il y a Mélanie Claux, la mère de Kimmy, 17 ans en 2001, fascinée par la télé-réalité et qui va faire de ce nouveau genre le ciment de sa vie.


La sensation de vide qu’elle éprouvait sans pouvoir la décrire, une forme d’inquiétude peut-être, ou la crainte que sa vie lui échappe, une sensation qui creusait parfois à l’intérieur de son ventre comme un puits étroit mais sans fond, ne s’apaisait que lorsqu’elle s’installait face au petit écran. P. 17

C’est sur une plateforme qu’elle va rencontrer son mari, puis orienter sa vie professionnelle jugée banale et peu rémunérée.

Il y a aussi Clara Roussel, élevée par un couple d’enseignants, des activistes mobilisés contre la vidéosurveillance. L’enfant a été de toutes les manifestations. Elle a surpris ses parents quand elle leur a annoncé qu’elle entrerait à l’école de police. Reconnue pour ses compétences et son professionnalisme, elle accède à un poste de procédurière qui fait toute sa vie.


Devenir flic - puis le rester - s’était accompagné d’une modification progressive de sa manière de penser. P. 78

Ces deux femmes n’avaient a priori rien à faire ensemble mais par le jeu de la fiction, Delphine DE VIGAN va faire se croiser deux itinéraires comme les révélateurs d’une prédisposition aux pour et contre les réseaux sociaux.

 

Si je suis étonnée de voir, parfois, des clichés d’enfants lors de mes navigations sur le web, et m’interroge sur leur protection, j’ai totalement découvert leur exploitation commerciale avec la création de chaînes Youtube dédiées et le business qui s’y cache. Les entreprises de jouets et autres accessoires pour enfants rémunèrent les parents sur la base du nombre de vues réalisées, un nouveau genre de la publicité que Delphine DE VIGAN va explorer avec minutie.

 

Avec les époques, les rouages économiques évoluent. Nous sommes loin des petites annonces du début du XIXème siècle décrites par Hélène BONAFOUS-MURAT dans « Le jeune homme au bras fantôme ».

 

Le roman de Delphine DE VIGAN devient social avec ce qu’il révèle de notre monde d’aujourd’hui et la trace qu’il en laisse.


La question n’était pas de savoir qui était Mélanie Claux. La question était de savoir ce que l’époque tolérait, encourageait, et même portait aux nues. P. 227/228

Mais plus que ça, c’est aussi un roman militant, engagé, qui dénonce la société de consommation dans ce qu’elle a de plus abject : l’achat de biens qui ne répondent plus à aucun besoin, la mal bouffe… 

 

J’ai retrouvé dans ce roman la puissance de l’écriture de Delphine DE VIGAN, la force du propos. Rien n’est laissé au hasard. L’intrigue est aussi parfaitement maîtrisée. Chapeau !

De Delphine DE VIGAN, vous aimerez peut-être aussi :

« Un soir de décembre »

« No et moi »

« Les heures souterraines »

Retrouvez toutes les références du book club :

« Le roi disait que j'étais diable » de Clara DUPONT-MONOD

« Au-delà de la mer » de Paul LYNCH

« Le messager » de Andrée CHEDID

« L’ami » de Tiffany TAVERNIER

« Il n’est pire aveugle » de John BOYNE,

« Les mouches bleues » de Jean-Michel RIOU,

« Il fallait que je vous le dise » de Aude MERMILLIOD, une BD.

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2021-09-03T06:00:00+02:00

Maikan de Michel JEAN

Publié par Tlivres
Maikan de Michel JEAN

Éditions Dépaysage

Nouvelle lecture largement recommandée par la team de « Varions Les Éditions en Live » (Vleel). Vous vous souvenez peut-être de

"Tu parles comme la nuit" de Vaitiere ROJAS MANRIQUE aux éditions Rivages

ou bien "Un jour ce sera vide" de Hugo LINDENBERG aux éditions Christian BOURGOIS,

ou encore "Viendra le temps du feu" de Wendy DELORME aux Editions Cambourakis

et bien, une nouvelle fois, je me suis laissée porter par ses références, et j'ai sacrément bien fait.

"Maikan" de Michel JEAN est une lecture coup de poing, un CRI !

Audrey Duval, Avocate, se voue chaque année à une cause solidaire. Loin des milieux huppés qu’elle fréquente habituellement, elle se retrouve en quête d’une vieille femme, Marie Nepton, dont elle souhaite percer le jour. Elle a disparu de tous les radars alors que le gouvernement lui doit une indemnité pour se faire « pardonner » de ce que le régime, de concert avec le clergé, a causé à son peuple, les Innus de Mashteuiatsh, des Amérindiens. Nous sommes en 1936 quand les politiques décident d’assimiler des « sauvages », les éduquer, mais là commence une autre histoire.

Alors que le Canada est aujourd’hui largement plébiscité pour les modalités de participation de ses citoyens,  j’étais loin d’imaginer qu’il était, dans une histoire récente, l’auteur d’un génocide culturel. La révélation qu’en fait Michel JEAN dans "Maikan" m’a touchée en plein coeur, c'est un CRI qu'il hurle lui-même, il dédie effectivement son roman à "plusieurs membres de sa famille qui ont fréquenté le pensionnat de Fort George".

J’ai été subjuguée, je dois bien le dire, par la beauté des premières pages, des descriptions tout à fait fascinantes de la nature, mais aussi des us et coutumes des Innus, peuple nomade, qui, au fil des saisons, migrait pour chasser et ainsi se nourrir, se vêtir… J'ai été fascinée par la transmission de savoirs entre générations. Chez lui, nul besoin de mettre des mots sur les gestes... 


Pour la première fois, Charles allait diriger sa propre embarcation, sans sa mère pour le guider. Mais il savait déjà comment le manier, même dans les eaux tumultueuses de la crue printanière. Il n’avait qu’à imiter les gestes qu’il l’avait vue répéter au fil du temps. Des gestes qui, sans qu’il s’en rende compte, faisait partie de lui désormais. P. 92

Mon CRI d'indignation a été d'autant plus grand quand j'ai vu les enfants des Innus arrachés à leurs familles, sous peine de représailles, pour les civiliser. Ils avaient entre 6 et 16 ans. Mais de quel droit ? Et quand j'ai découvert à quel point ils étaient humiliés, maltraités, violés... par les religieux, de l'indignation, je suis passée à la colère. S'il ne suffisait pas de leur faire oublier tout ce qui constituait leurs origines culturelles, il fallait encore qu'ils les violentent à outrance. Qui étaient les sauvages ?


Même une longue vie comme la sienne ne suffit pas à apaiser la colère qui brûle le cœur de l’Innue quand elle évoque le jour du départ pour Fort George. P. 175

Des pensionnats comme Fort George, il y en a eu 139 au Canada, 4 000 enfants y sont morts. Avec ce roman, "Maikan" qui veut dire les loups, Michel JEAN assure la mémoire des Amérindiens sacrifiés au titre d'une politique ignoble. Il donne de l'écho aux procédures juridiques toujours en cours contre l'Etat pour les indemnisations des familles. La narration qui fait se croiser fiction et réalité avec des personnages de femmes remarquables, Audrey et Marie, permet aussi de créer du lien entre deux périodes, les années 1930 d'une part, les années 2010 d'autre part. Le procédé est ingénieux et parfaitement réussi.

La plume est d'une très grande sensibilité, elle est soignée comme la qualité des première et quatrième de couverture, bravo. 

Ce roman, c'est un CRI du coeur pour ce qu'il dévoile de la grande Histoire, qu'on se le dise. Plus jamais ça (si seulement on pouvait encore l'espérer...) !
 

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2021-08-20T06:00:00+02:00

Viendra le temps du feu de Wendy DELORME

Publié par Tlivres
Viendra le temps du feu de Wendy DELORME

Editions Cambourakis

Ce roman m’a mis la tête à l’envers, il m’a déchiré le coeur, il m’a désarçonnée comme j’aime que la littérature le fasse. Quelle sacrée référence Sandra, chapeau bas !

Qui n'a pas rêvé ces dernières semaines, ces derniers mois, de mettre les voiles, lever le camp et partir se ressourcer en pleine nature, loin des autres ? Il suffit, s'il en était nécessaire, de s'intéresser à l'initiative de Abraham POINCHEVAL pour se convaincre de la nécessité pour chacun de trouver un refuge.

Dans ce roman, c'est un peu le sujet !

Il y a la montagne, de l'autre côté du fleuve. Là vit une communauté de femmes qui font l'expérience d’un monde différent, un mode de vie alternatif à la dictature qui sévit. Parce que, de ce côté du fleuve, dans la plaine, les livres et les films sont interdits, l'affichage l'est tout autant, le simple fait de lire est répréhensible, un couvre-feu est imposé, un Pacte national organise la vie d’une société largement composée de seniors. Et pour cause, les jeunes, totalement désabusés devant l'avenir qui leur était proposé, ont choisi la méthode radicale. Ils se sont immolés ou bien ont cessé de s'alimenter. Ce sont les derniers actes de résistance d'une génération bafouée. Côté climat, les températures caniculaires grillent tout sur leur passage. L'instant de rupture n'est pas loin. D'ailleurs, les premières lignes de ce résumé sont désormais à conjuguer au passé. La communauté n'existe plus. Les femmes non plus. Seule Eve, qui y a vécu une dizaine d'années, qui y a eu une histoire d’amour avec Louve et qui a finalement décidé, un jour, avec sa petite fille, de déserter pour retrouver le monde d’avant, est aujourd'hui la seule survivante de la communauté. Elle seule peut témoigner de ce qui se passait là-bas !

Cette communauté avait été créée il y a une trentaine d'années par des femmes, un peu à l'image des Guérillères de Monique WITTIG de 1969. A la base, c'était des militantes, des combattantes, qui imaginaient pouvoir vivre autrement et elles l'ont fait !

Un temps, j'ai crû à un roman d'anticipation, mais, ne vous y trompez pas, il s'agit bien d'une dystopie. Par la voie de femmes dont les portraits sont saisissants, l'autrice offre une narration polyphonique dont la mélodie monte crescendo. Le propos est d'une puissance rare, servi par une plume très poétique qui permet de retrouver, parfois, sa respiration.


Ce sont elles qui ont pris une insulte et l’ont polie et retapée, l’ont fait briller comme un joyau taillé dans les pierres blanches de la montagne, pour s’en faire un blason. P. 26

Dans toute société, le renouvellement des générations repose sur la natalité. De ce côté du fleuve, les pauvres sont stérilisés, les riches condamnés à se reproduire, à chacun sa contribution au régime totalitaire ! A travers le personnage d'Eve, cette mère, l'autrice explore le sujet de la maternité comme la première étape d'une longue série, ainsi vont les apprentissages, la transmission des savoirs, et des peurs aussi. Comment résister au monde qui l'assaille ? Comment protéger sa fille des autres ? Comment lui donner cet équilibre dont l'enfant a besoin pour grandir, se construire ? On mesure par sa voix toute la fragilité de l'édifice...


Élever des enfants est sans doute la tâche la plus difficile qu’on puisse imaginer, et celle qui demande le plus d’humilité. P. 56

Ce roman, vous l'avez compris, c'est une petite bombe.

Derrière un propos militant et féministe, n'oublions pas qu'il est édité dans la collection "Les sorcières", il y a de la sensibilité et de la tendresse, l'approche du corps est très sensuelle, ce qui en fait, aussi, un roman très émouvant, à l'image de la première de couverture que je trouve particulièrement belle et inspirante. Elle est illustrée par Karine ROUGIER, "Dancing to restore an eclipse moon", une danse d'ivresse des soeurs de la communauté aux portes d'un jardin de cocagne.

Je crois que je n'ai pas trouvé mieux que cette citation pour le qualifier :


J’ai lu. Les mots, incandescents, habitent ma rétine. P. 131

Les mots de Wendy DELORME sont autant d'étincelles au service d'un discours vif et passionné, à moins que ça ne soit la situation d'aujourd'hui qui ne soit tout simplement inflammable.

Ce roman, c'est une nouvelle référence de mon book club, je vais de surprise en surprise avec des livres tout à fait... inoubliables, comme :

« L’ami » de Tiffany TAVERNIER

« Il n’est pire aveugle » de John BOYNE,

« Les mouches bleues » de Jean-Michel RIOU,

« Il fallait que je vous le dise » de Aude MERMILLIOD, une BD,

« Le message » de Andrée CHEDID

Mesdames, j'ai tellement hâte de vous retrouver, j'en veux encore !

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2021-08-13T19:25:48+02:00

Les enfants véritables de Thibault BERARD

Publié par Tlivres
Les enfants véritables de Thibault BERARD

Les éditions de L’Observatoire

Coup de coeur une nouvelle fois pour la plume de cet auteur. Touchée en plein coeur par le trop plein de tendresse et d'amour. Vous vous souvenez peut-être de son premier roman "Il est juste que les forts soient frappés" sélectionné par les fées des 68 Premières fois... et bien il nous revient avec la suite de sa saga familiale.

Théo élève seul ses enfants, Simon et Camille, de 7 et 4,5 ans, depuis le récent décès de sa compagne Sarah. Cléo fait son entrée, tout en délicatesse, dans ce cocon familial meurtri. Elle est douce, Cléo, elle est gentille, et puis, c'est l'amoureuse de papa, alors chacun lui fait une petite place mais les démons ne cessent de hanter tout ce petit monde. Derrière les sourires se cachent la douleur de l'absence et du manque, la peur de la mort aussi. S'il est difficile d'accepter cette nouvelle présence et le petit pas de côté fait avec les habitudes, ce n'est pas plus simple pour Cléo, qui, elle-même, a connu une famille loin des standards. Elle a été élevée par son père, Paul, dans la vallée de l’Ubaye. Quand elle n'avait que 7 ans, elle a dû faire une place à César dont le père, alcoolique, était décédé. Il habitait juste à côté et Paul avait un grand coeur, alors, il l'avait adopté. Quant à Solène, c'était le fruit d'une relation extraconjugale. Diane Chastain n'a jamais assumé son rôle de mère. Cette « mère-herbe-folle » avait besoin d'air et disparaissait régulièrement. Après 15 mois d'absence, elle est rentrée à la maison. Elle était enceinte. Là aussi, Paul a fait amende honorable. Il aimait trop sa femme pour ne pas accepter ce bébé à naître. Alors pour Cléo, cette entrée en matière, c'est un peu comme un plongeon vers l'inconnu !

Dès les premières pages, je me suis prise à penser que mon hamac allait rapidement devenir une piscine ! A la page 54, les premières larmes coulaient sur mes joues, des larmes de chagrin mais aussi, des larmes de bonheur, le bonheur de lire des mots aussi forts, aussi beaux.

Thibault BERARD explore avec gourmandise et tout en délicatesse l'entrée de Cléo, le personnage principal de cet opus, dans la famille de Théo. Il s'agit d'un lent apprivoisement, de l'un, de l'autre, des uns, de l'autre, parce que oui, il y a une communauté initiale... à trois, et un individu de plus qui va progressivement chercher sa place, un peu comme un corps étranger à greffer dont on attend l'acceptation ou le rejet. Au gré, des opportunités, festives les premières, courantes de la vie pour les suivantes, les choses lentement s'organisent sous l'autorité d'un chef d'orchestre, Théo, le dénominateur commun de tous. Théo c'est le père, Théo c'est l'homme fou amoureux de Cléo, Théo c'est l'amant de Cléo.

Les fondations de cette nouvelle famille reposent sur ses épaules, à lui. C'est un sacré pari pris sur l'harmonie d'un groupe, l'alliance entre ses membres, la solidarité, la fraternité, l'équilibre, tout ce qui a besoin, pour se construire, de beaucoup d'amour, mais aussi, de mots. Avec Thibault BERARD, je suis toujours impressionnée l'exploration des maux. A chaque sujet, l'expression et le partage de sentiments, d'états d'âme, d'émotions que l'auteur sait allégrement transmettre à ses lecteurs.

Thibault BERARD traite ici magnifiquement de la mère, légitime et d'adoption, de son rôle, de sa place. A travers deux personnages qu'il fait se croiser, celui de Diane Chastain, la mère de Cléo, cette actrice qui a préféré se consacrer à sa vie professionnelle, et celui de Cléo qui consacre ses jours et ses nuits à tisser du lien. Ce que j'aime chez Thibault BERARD, c'est qu'il n'y a pas de jugement, chacun mène sa vie comme il croit bon de la mener, faisant des choix, les assumant... ce qui n'empêche pas d'avoir des prises de conscience et de vouloir changer du tout au tout.


Ils me manquaient pas comme après une longue absence ; ils ne me manquaient pas non plus comme un être aimé à qui l’on a un peu oublié de penser se rappelle brusquement à vous… Non : ils me manquaient à la façon dont un édifice s’avère soudain manquer de fondations. P. 98

L'écrivain restitue magnifiquement les sensations des femmes et leur rôle dans l'approche des enfants, ces trésors de candeur, qu'elles vont accompagner, au fil du temps, dans leur construction d'adulte. Il est question de transmission dans la relation et de confiance pour permettre à chacun de trouver sa voie, s'émanciper et passer à l'expression de soi... Ainsi se construit une constellation avec toutes ces étoiles qui ne demandent qu'à scintiller.


C’était impressionnant et, pour tout dire, vaguement dérangeant, de voir ce visage d’ordinaire si inexpressif se parer du masque de la concentration extrême, tandis que ses mains s’agitaient sous lui, expertes, agiles comme des serpents. P. 42-43

Ce roman, une nouvelle fois, est largement inspiré de la vie personnelle de l'auteur, mais pas que. Il y a aussi toute une part de son livre suggérée par son imaginaire. Et ce qui est merveilleux chez Thibault BERARD, c'est le jeu de la narration. Si dans les premières pages, il prête sa plume à Diane Chastain, un personnage féminin, il trouve un équilibre ensuite avec le "je" de Paul, son compagnon. Et puis, un peu comme quand vous montez dans un manège de chevaux de bois, passée l'installation, il y a la mise en mouvement dans un rythme lent, s'accélérant progressivement pour terminer dans un tourbillon enivrant. Là, les voix se multiplient, résonnent entre elles, se lient, se croisent, s'entrecroisent... dans une ivresse totale.

L'écrivain, qui a le souci du détail, pousse la fantaisie jusque dans les titres de chapitres qui, pour certains, prendront la forme d'une ritournelle.

La personne qui m'a offert ce roman (et qui se reconnaîtra) m'a fait un magnifique cadeau, de ceux que l'on n'oublie pas. Jamais le "Coeur gros" de Marie MONRIBOT n'a été aussi à propos.

Impossible de vous quitter sans la playlist de Thibault BERARD, j'y ai choisi "Ready to start" de Arcade Fire. Cette chanson colle à merveille au propos, je vous assure, parce que... je ne vous ai pas tout dit !

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2021-08-10T17:00:00+02:00

Là où nous dansions de Judith PERRIGNON

Publié par Tlivres
Là où nous dansions de Judith PERRIGNON

Rivages

Ce roman, c'est d'abord une rencontre à l'UCO d'Angers à l'initiative des Bouillons, un moment hors du temps à se laisser porter par la douce voix de l'écrivaine, Judith PERRIGNON, que je ne connaissais pas encore mais qui a su me captiver par son propos.

On part pour Détroit, aux Etat Unis.

Le 29 juillet 2013, un jeune homme vient d'être retrouvé mort au pied de tours abandonnées. Il a été assassiné d'une balle dans la tête. Sarah travaille dans les services de Police. Elle est chargée de trouver l'identité de ce corps dont la morgue regorge. Dans un territoire gangrené par la pauvreté (les familles n'ont même plus les moyens d'offrir des funérailles à leurs proches  et préfèrent les laisser là) et la délinquance (des crimes, il en arrive tous les jours), Sarah sait dès les premiers instants que celui-là n'est pas d'ici. Frat Boy, c'est comme ça qu'elle l'appelle, va rapidement devenir une obsession pour elle. Là commence une nouvelle histoire !

Mais que l'on ne s'y méprenne pas, ce roman n'est pas un policier à proprement parler. L'enquête, que va mener Sarah, est en réalité un prétexte pour relater l'Histoire foisonnante d'un territoire sur 7-8 décennies.

Il y a les années 1930 avec l'industrialisation de la région, la production d'automobile dans des entreprises monumentales qui sont la fierté des Etats-Unis, Ford, Chrysler et bien d'autres. C'est aussi à cette époque-là qu'est construit le Brewster projet, une vaste opération de construction de logements modernes pour les plus démunis en remplacement des taudis démolis. Eleanor ROOSEVELT, la première Dame des Etats Unis, en assure la promotion en 1935, avec son frère. Imaginez, dans chaque logement, une salle de bain...  C'est l'euphorie, chacun veut y avoir sa place. Malheureusement, la vie n'y sera pas toujours aussi rose et aboutira à la faillite en 2013 de Détroit, une ville exsangue, à l'agonie, dont la gestion est confiée à un manager parachuté là pour se substituer au Maire de la cité. Les rues ne sont plus éclairées la nuit. Les crimes racistes font l'actualité. Les animaux sauvages se réapproprient lentement les logements vidés de leurs occupants. 


Nous n’avons pas défendu le quartier, il a cédé la place comme un cœur brusquement s’arrête. C’est une attaque cardiaque massive. P. 117

Judith PERRIGNON met le doigt sur une certaine forme de déterminisme, celui des formes urbaines et du niveau de standing des logements. Si nous avons beaucoup parlé ces dernières années du déterminisme territorial, il en est un qui mute avec les années. A Détroit, c'est particulièrement vrai et la vague de gentrification engagée aujourd'hui est là pour nous en convaincre.

Parlons aussi des hommes et des femmes qui vivaient là. Dans les années 1930, il y avait des enfants qui allaient à l'école, des parents qui faisaient leur ravitaillement dans les magasins de Hastings Street, des familles qui se retrouvaient pour faire la fête... La musique y occupait une place privilégiée. C'est d'ailleurs là que naissent Les Supremes... Flo, Mary et Diane sont trois jeunes filles de Détroit. Par la voie de leur médiatisation, c'est tout l'honneur d'une cité qui vibre. Avec la Motown, c'est l'émergence de tout un tas de talents, à l'image de Marvin GAYE...


C’est une petite usine à tubes, cette Motown, pas une fabrique à divas, une entreprise noire-américaine éprise d’argent et de gloire, qui a choisi quelques enfants de la ville, peut-être les plus talentueux, en tout cas les plus chanceux, qui les as confiés aux soins de quelques génies de la mélodie et du rythme, pour son plus grand bénéfice. P. 110

Par la voie de la musique, c'est l'ascension d'une communauté à laquelle on assiste. Les Noirs se retrouvent au-devant de la scène...


On n’était plus des nègres, mais des artistes noirs, et ça changeait tout. P. 151

Et puis, il y a le street art, une expression artistique qui, dès les années 1930, y a trouvé sa place. Judith PERRIGNON évoque la fresque, les Detroit Industry Murals, réalisée par Diego RIVERA, un certain regard porté sur la condition ouvrière de l'époque par l'artiste mexicain, lui, le révolutionnaire, qui répondait à une commande du capitaliste, Henry FORD. Dans les années 1980, c'est la création de Tyree GUYTON, l'enfant du pays, qui est mise en lumière, le Heidelberg Projet. Et puis enfin, l'autrice honore la mémoire de Bilal BERRENI, alias Zoo Project, et contribue, par la voie de la littérature, à célébrer le dessein qu'il poursuivait à travers le monde, donner à voir les invisibles.


Elle pense aux visages lointains qu’il a croqués. Il y a les mêmes par ici, des gueules qui transportent toute l’histoire du monde dans leur regard. P. 314

Si vous avez envie d'aller plus loin, je vous invite à regarder le documentaire qui lui est dédié, réalisé par Antoine PAGE et Lilas CARPENTIER "C'est assez bien d'être fou".

Plus largement, il y a aussi des passages sur l'art qui trouve son berceau au Detroit Institute of Art, l'un des plus beaux musées américains qui réussira à garder la tête haute et renoncera à la vente d'oeuvres pour solder les dettes de la ville.

Dans une narration rythmée par les quatre saisons et à travers des personnages profondément attachants (Sarah, Jeff, Ira...), Judith PERRIGNON réussit le pari d'un roman fascinant. Passionnée par l'urbanisme et le street art, je me suis laissée captiver par sa plume empreinte d'humanité.

J'y ai puisé tout un tas de citations. Nul doute que je reviendrai régulièrement avec des extraits !

Un excellent roman, merci aux Bouillons et à la Librairie Contact de m'avoir mise sur sa voie.

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2021-08-06T06:00:00+02:00

Les danseurs de l'aube de Marie CHARREL

Publié par Tlivres
Les danseurs de l'aube de Marie CHARREL

Coup de cœur pour le dernier roman de Marie CHARREL qui fait une entrée fracassante chez les éditions de L’Observatoire avec « Les danseurs de l’aube », l'occasion de mettre une nouvelle fois sous les projecteurs la sculpture de Marie MONRIBOT.

Tout commence dans le chaos. Le quartier de Schanzenviertel de Hambourg en Allemagne connaît une nouvelle vague de rébellion, cette fois orientée contre le G20. Le théâtre Rote Flora est squatté, fief d'une communauté anarchiste de longue date. Chaos toujours, les événements se passent en Hongrie. Les Roms sont expulsés, ils doivent libérer les logements qu’ils habitent pour les laisser à d’autres. Iva fait partie de ces populations mises de force sur les route. Elle arrive à Hambourg, tout comme trois amis, trois garçons, trois berlinois, tout juste bacheliers. Lukus, Nazir et Carl vont commencer des études universitaires d’informatique. Ils s’offrent une escapade estivale à Hambourg. Pendant que Nazir et Carl fréquentent les clubs de strip-tease, Lukus, lui, le jeune homme efféminé, part sur les traces d’un danseur de flamenco, juif et travesti, Sylvin RUBINSTEIN qui est décédé en 2011. Cet artiste, c’est sa professeure de danse classique qui l’a mis sur la voie. Il n’avait alors que 12 ans. Il deviendra son icône. C’est dans cette ville allemande, en juillet 2017, que Iva et Lukus vont se croiser. Leur photographie d’un couple sorti mystérieusement des brumes de la ville incendiée sera diffusée à travers le monde entier. Elle marque le début d’une épopée éminemment romanesque.

Ce roman, c'est un jubilé de sujets qui me passionnent.

D'abord, il y a l'art à travers le flamenco, cette danse incandescente à laquelle Lukus a choisi de se consacrer. Au prix de multiples efforts et d'une longue pratique, les corps apprivoisent le rythme des cymbales, tantôt en douceur, tantôt avec violence, en quête du duende, cette ivresse que Federico GARCIA LORCA décrivait tout en beauté dans "Jeu et théorie du Duende" : "Pour chercher le duende, il n’existe ni carte, ni ascèse. On sait seulement qu’il brûle le sang comme une pommade d’éclats de verre, qu’il épuise, qu’il rejette toute la douce géométrie apprise, qu’il brise les styles, qu’il s’appuie sur la douleur humaine qui n’a pas de consolation."

Mais plus encore, c'est à travers les jumeaux RUBINSTEIN que vous allez mesurer la puissance de l'enivrement. Nous voilà en 1913, quasiment un siècle plus tôt. Rachel et Pietr Dodorov Nikolaï tombent amoureux l’un de l’autre. Elle est juive, danseuse à l’opéra de Moscou. Lui est duc, aristocrate, officiel du Tsar Nicolas II. De leur union naissent Sylvin et Maria. A la Révolution, elle doit fuir avec ses enfants. Elle ne reverra jamais son mari, fusillé. Les enfants sont bercés par les chants de la soprano Ewa BANDROWSKA-TURSKA. Ils sont formés par Madame Litvinova dans une école de danse de Lettonie. Inspirés par le flamenco découvert dans un camp gitan, ils quittent l’école pour la Pologne. À Varsovie ils sont recrutés par Moszkowicz, directeur du théâtre l’Adria. C’est lui qui leur donne leur nom de scène : "Imperio et Dolores", un nom aux sonorités espagnoles pour leur permettre d'entrer dans le cercle très fermé des danseurs du genre et cacher leurs origines juives.

Il y a, dans ce roman, des descriptions tout à fait fabuleuses des moments de spectacle, d'exaltation, des jumeaux reconnus dans le monde entier pour leur talent. Nous sommes dans les années 1930, les années folles, cette période éblouissante marquée par l'élan d'euphorie qui souffle sur les disciplines artistiques.

Ce que j'ai beaucoup aimé, c'est aussi la singularité du travesti. Sylvin RUBINSTEIN se produisait en tenue de femme. Tout a commencé avec Maria qui, lors d'un , s'est habillée avec le costume d'un homme. Il n'en fallait pas plus pour que son frère, lui, au corps si fin, ne se glisse dans une robe de flamenco. Au fil du temps, resté seul, il perpétuera le souvenir de sa soeur en s'annonçant comme Dolores.

Mais il ira beaucoup plus loin. Alors que la seconde guerre mondiale frappe, c'est en habit de femme qu'il mènera des actes de résistance. Là, le roman de Marie CHARREL devient historique et honore sa mémoire. L'écrivaine dresse le portrait d'un homme puissant.

La lecture est jubilatoire. Dans une plume haute en couleurs et en intensité, "Les danseurs de l'aube" deviennent des personnages héroïques. Entre passé et présent, réalité et fiction, mon coeur s'est laissé porter par la fougue d'êtres hors du commun, des hommes et des femmes, indignés, qui, de gré ou de force, choisissent la voie de la liberté, à la vie, à la mort. Marie CHARREL restitue tout en beauté d'innombrables recherches réalisées pour être au plus près de l'actualité comme de l'Histoire. Elle nous livre un roman d'une richesse éblouissante.

A bien y regarder, j'ai l'impression que je cumule les coups de coeur ces dernières années avec les éditions de L’Observatoire. lls vous séduiront peut-être aussi...

Ces rêves qu'on piétine de Sébastien SPITZER

Il est juste que les forts soient frappés de Thibault BERARD

Les déraisons de Odile D'OULTREMONT

sans oublier, l'excellent roman 

L'Âge de la lumière de Withney SHARER

et puis

Juste une orangeade de Caroline PASCAL

Le poids de la neige de Christian GUAY-PLOQUIN

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2021-08-03T06:00:00+02:00

Les somnambules de Gilda PIERSANTI

Publié par Tlivres
Les somnambules de Gilda PIERSANTI
Ces derniers mois, j’ai découvert la maison d’édition Le Passage et en redemande.
 
Après "La belle lumière" de Angélique VILLENEUVE, "Ce qu'il faut d'air pour voler" de Sandrine ROUDEIX, mais aussi "Le poison du doute" de Julien MESSEMACKERS, je replonge dans la collection Polar avec "Les somnambules" de Gilda PIERSANTI. C'est mon #mardiconseil.
 
Trois hommes qui se sont plus ou moins perdus de vue se retrouvent confrontés, 25 ans après, à un passé qu’ils s’étaient efforcés d’oublier. Massimo Caccia, qui habite une villa de Castel Gondolfo, est à la tête d’une entreprise florissante. Alors qu’il est en voiture arrêté à un feu rouge, il se fait percuter par une Range Rover. Lui reçoit le premier avertissement. Dario Damiani, Ministre de l’Intérieur, recevra le second, un pigeon ensanglanté atterrit sur la table d’honneur lors de sa soirée d’anniversaire. Quant à Gabriele, médecin de Dario, il sera touché en plein coeur avec l’enlèvement de sa fille Floria. Les ravisseurs ne tardent pas à formuler leur demande, des aveux publiés dans la presse et envoyés au Procureur de la République. C’est là que les châteaux de cartes construits sur des fondations fragiles vont vaciller, à la vie à la mort.
 
Bien sûr, je n’irai pas plus loin. Je peux juste vous dire que Gilda PIERSANTI a beaucoup de talent. L’intrigue est parfaitement menée avec un suspense haletant.
 
Ce n’est pas un roman policier mais bien un polar, de ceux dans lesquels certains croient pouvoir faire leur justice eux-mêmes, doubler les professionnels de l’enquête pour découvrir qui se cache derrière l’enlèvement de la jeune adolescente.
 
Gilda PIERSANTI met les relations d’amitié d’adolescents à rude épreuve. Au fil des pages, des vies professionnelles et de familles qui se sont structurées, les enjeux deviennent plus forts encore qu’à 18 ans, l’âge où tout vous paraît possible, même le plus ignoble.
 
Sur fond de politique et d’instrumentalisation, l’âme humaine se retrouve menacée par les intérêts de chacun,


Le pouvoir est une passion : si l’on fait quelque bien en l’exerçant, ce n’est la plupart du temps qu’un effet collatéral du plaisir qu’on éprouve à le détenir. P. 13

de quoi vous faire passer quelques heures difficiles et vivre des sueurs froides.
 
Ce qui est terriblement frustrant avec les chroniques de polars, c'est bien de devoir se restreindre pour ne pas en dire trop (je me fais violence, vous pouvez l'imaginer !), mais n'oublions pas que c'est pour votre plus grand plaisir !
 
Ce que je peux vous dire toutefois, c'est que ce roman est très réussi.
 
Dans une plume fluide et palpitante, Gilda PIERSANTI va vous en faire voir de toutes les couleurs !

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2021-07-30T11:40:00+02:00

Tu parles comme la nuit de Vaitiere ROJAS MANRIQUE

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Tu parles comme la nuit de Vaitiere ROJAS MANRIQUE

Rivages

Traduit de l’espagnol par Alexandra CARRASCO

Voilà un premier roman bouleversant, découvert non pas avec les 68 Premières fois (et pour cause il est étranger) mais avec la team de Vleel

Devant le chaos et la ruine de mon pays, le Venezuela, j’ai pris la fuite pour sauver ma vie et celle de ma famille, mon compagnon Alberto et ma petite fille de 2 ans, Alejandra. Nous sommes seuls au monde. Nous n’avons plus rien. Nous cherchons une terre d’asile alors même que la pauvreté et la misère nous entourent. Je sombre. Je suis fatiguée. Je pers pieds. Les médecins, les psychiatres colombiens sauront-ils me sauver ?

Sur la base de mes paraphrases, vous l’aurez compris, ce premier roman de Vaitiere ROJAS MANRIQUE est écrit à la première personne du singulier.

Vous allez plonger dans l’introspection d’une jeune femme, d’une épouse, d’une mère, d'une Vénézuélienne, qui, en plein exil, déchirure, déracinement et quête de sérénité, nous confie ses émotions, ses sentiments, ses troubles, sa solitude aussi, largement amorcée avec l’incipit, une citation de Marguerite YOURCENAR extraite de « L’invention d’une vie » : « Solitude… Je ne crois pas comme ils croient, je ne vis pas comme ils vivent, je n’aime pas comme ils aiment… Je mourrai comme ils meurent. »

L’autrice choisit la forme épistolaire pour ces confessions, une correspondance adressée à un certain Franz (dont je ne vous confierai pas l’identité, ne comptez pas sur moi pour spolier l’effet de surprise), un pari audacieux et très réussi.

A travers l’écrit, le personnage principal nous livre son intimité marquée par l’effondrement à deux dimensions, celui d’un pays, Le Venezuela dont la ruine pousse plus d’un million de citoyens à le fuir en 2018, et celui de son identité propre, à elle, la narratrice mais aussi l’écrivaine. Vaitiere ROJAS MANRIQUE fait partie des victimes de la crise de ce territoire sud-américain et sait mieux que quiconque ce que les migrants peuvent vivre en quittant leur terre


Je me souviens encore du dernier jour que j’ai passé dans mon pays, avant le voyage. J’ai dit au revoir à ma ville, à ma région, et j’ai senti tout le poids de l’indifférence et de la ruine. P. 25

et en devenant des étrangers d’un ailleurs.

Ce récit est autobiographique. L'autrice s'est inspirée de son parcours personnel pour nous livrer ce premier roman. C’est un cri du coeur et du corps déchirant. C’est aussi une ode à l’écriture et son pouvoir d’exorciser les blessures et panser les plaies.

Merci Sandra de ce prêt.

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2021-07-27T17:48:18+02:00

L'Amour au temps des éléphants de Ariane BOIS

Publié par Tlivres
L'Amour au temps des éléphants de Ariane BOIS

Belfond

Mon #Mardiconseil est une lecture étourdissante. Il s'agit du tout dernier roman de Ariane BOIS. Je vous dis quelques mots de l'histoire.

Arabella Cox, rebelle, insoumise depuis sa plus tendre enfance, bercée par les histoires de sa grand-mère inspirées de sa propre expérience de missionnaire adventiste en Afrique australe, est fascinée par le cirque. Elle assiste, indignée, à l’effroyable spectacle, la mort d’un éléphant par pendaison. Nous sommes dans le Tennessee en 1916. Tous les journalistes sont là pour couvrir l’événement. Lors de la parade du cirque, la veille, dans les rues de Kingsport, l’éléphante Mary a tué son dresseur devant une foule apeurée. Arabella a profondément été affectée par l’assassinat du pachyderme. Elle poursuit sa vie d’adolescente sous le regard exigeant de son père, adventiste du 7ème jour. Et puis, il y aura une histoire de jeunesse, dénoncée par son frère. C’est la goutte d’eau qui fait déborder le vase, Arabella est renvoyée de la famille par son père. Elle part pour New-York où elle suit une formation d’infirmière, mais là ne sera qu’une première étape de son itinéraire à travers le monde.

Arabella est un personnage haut en couleurs, un très beau portrait de femme, c’est sans conteste l’héroïne du livre. Petite, elle ne faisait rien comme les autres enfants de son âge. Elle aura repoussé les limites jusqu’au point de rupture avec son père mais c’est sans doute là le plus beau cadeau qu’il ait pu lui faire, lui offrir la voie de la liberté. Et puis, Arabella est éminemment romanesque. Elle va vivre une histoire d’amour fougueuse...


Grâce de l’amour : chaque geste, comme le ressac d’un cœur libéré, est une offrande. P. 173

et une histoire d’amitié absolument magnifique, les deux intimement liées par une même allégresse.

« L’amour au temps des éléphants » est un brillant roman d’aventure. Avec Kid, elle va vivre l’émancipation d’un homme qui, comme elle, a fui les États-Unis. Lui a été lynché pour avoir bousculé une femme blanche alors qu’il se précipitait pour aller chercher du maïs pour sa famille. Son père a été tué, renversé par un automobiliste blanc. Il est menacé. Il doit partir, quitter ceux qu'il aime, c’est une question de vie ou de mort. Il arrive à New-York où il découvre la musique. Il part pour Paris avec James REESE EUROPE, celui qui avec son orchestre a été le premier à interpréter du jazz en Europe. Avec Kid, c’est l’euphorie des sous-sols parisiens dans lesquels les Noirs prennent le pouvoir, celui de faire danser les hommes et les femmes qui fréquentent les lieux branchés du moment.


Les Français semblaient colorblind, indifférents à la couleur de peau. D’ailleurs, des Noirs, il y en avait plein les rues, des Martiniquais, des Guadeloupéens, des Africains. On se saluait d’un coup d’oeil, les rires fusaient, les accents se mélangeaient, les corps aussi dans les dancings surpeuplés. P. 126

Plus que la seule musique, Ariane BOIS embrasse la culture toute entière des années folles. Elle fait se côtoyer dans son roman des personnages légendaires comme Kiki de Montparnasse, Gertrude STEIN, Ernest HEMINGWAY, Joséphine BAKER, Charles BAUDELAIRE…

Et puis, « L’Amour au temps des éléphants » est un foisonnant roman historique. Tout commence avec ce fait réel de la pendaison d’un pachyderme. Et puis, avec James REESE EUROPE, Ariane BOIS saisit l’occasion de mettre en lumière les Harlem Hellfighters, dont la bravoure du corps d’armée était particulièrement redoutée par les Allemands pendant la première guerre mondiale. Effectivement, avant d’être rendu célèbre pour sa musique, James REESE EUROPE était un lieutenant. L’autrice relate son assassinat, poignardé par un membre de son orchestre. Je ne savais pas qu’il fut le premier citoyen africain américain à bénéficier de funérailles publiques.

J’ai adoré accompagner Arabella dans sa vie de femme impétueuse et passionnée. Ce roman de Ariane BOIS est palpitant, les événements se succèdent à un rythme endiablé, nous transportant à travers les continents et les époques.

Avec « L’Amour au temps des éléphants », j’ai découvert la plume ardente de Ariane BOIS, une révélation.

Impossible de conclure sans quelques notes de musique suggérées par l'écrivaine : Mississipi Rag de William KRELL, vous voilà dans l'ambiance !

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2021-06-29T06:00:00+02:00

Baisers de collection de Annabelle COMBES

Publié par Tlivres
Baisers de collection de Annabelle COMBES

Les éditions Editions Héloïse d’Ormesson me fascinent, elles me font vibrer et j'adore ça !

Jean, le narrateur, est auteur de polars. Après 11 romans, il vit la panne d’inspiration. Sullivan, son éditeur, le sollicite mais il est stérile, un peu à l’image de sa femme, Tosca, dans un autre registre. Tosca vient de le quitter après 10 ans de mariage. Artiste aussi, elle est photographe. Depuis plusieurs années, les tentatives d’avoir un enfant se sont soldées par une fausse couche. Jade, Philémon et Cassandre s’en sont allés. Tosca n’en peut plus de ce couple. Elle a besoin de prendre le large. Elle s’envole pour Catane, elle voulait le sud, il restait des places. C’est dans l’avion qu’elle rencontre Ferdinand, un vieux monsieur qui lui propose une destination improbable, Modica Bassa en Sicile. Jean, lui, aussi fait ses valises. Il a une idée. Il pourrait écrire sur les baisers, les collectionner. Pour se mettre en condition, il repart à Saint-Lunaire, là où il a embrassé la première fille de sa vie. Il avait 17 ans. Il était serveur aux Deux Sardines. Elle s’appelait Livia. Nul sait où ces destinations mèneront Jean et Tosca. Peut-être y trouveront ils la voie d’une re-naissance…

Dans les romans, j’aime vivre un instant de rupture, le moment où le champ des possibles s’ouvre. Avec Annabelle COMBES, vous n’attendrez pas très longtemps pour découvrir la séparation de deux êtres qui s’aiment mais qui semblent au bout de quelque chose. Ils ont besoin d’un nouveau départ, d’un rebond. Chacun va trouver, non pas un mentor mais plutôt un guide, Tosca dans la personne de Ferdinand et Jean dans celle d’Ezéchias. Il y a quelque chose de très beau dans les relations nourries, de la tendresse, de la délicatesse, de l’attention.

Et puis, il y a pour tous les deux l’art comme un tremplin vers des émotions. Annabelle COMBES écrit des pages sublimes sur la puissance de l’art sur les êtres, cette capacité à permettre à chacun d’aller toujours plus loin, toujours plus haut...


Et en chacun, il y avait ce besoin identique de cohérence, de structuration dans l’acte créatif : s’appuyer sur l’art pour évacuer des peurs, ses failles, les utiliser, les articuler, les faire disparaître, les retrouver à nouveau à don corps défendant, les extirper par la traque d’une démesure : tenir sa ligne d’exploration, n’offrir que ce qui était abouti et transcendant. P. 179

Pour Jean c’est l’écriture et ce projet, un roman inspiré des baisers. 


On pourrait discourir sur tous les types de baisers. En vain. Le baiser est un art à lui tout seul. Savoir le donner, savoir le recevoir, savoir l’oublier, l’imposer, savoir l’inventer, le détester, l’amplifier, le graver, le détruire. P. 347

Annabelle COMBES va ponctuer les réflexions de Jean par l'insertion d'oeuvres d'artistes inspirées du baiser :

Idylle de PICABIA 1927
Le baiser de Néfertiti à sa fille
Le Baiser - Un homme et son enfant dd Honoré DAUMIER
Psyché ranimée par le baiser de l’Amour de Antonio CANOVA
La tempête (ou La Fiancée du vent) de Oskar KOKOSCHKA
L’Anniversaire de CHAGALL

Il y a différents disciplines artistiques, des toiles et une sculpture, différentes époques, l’une date de 3000 ans quand d’autres s’égrènent au fil des 300 dernières années, différentes nationalités aussi, française, italienne, russe, autrichienne… il souffle comme un brin d’universalité sur le sujet !

Pour Tosca, c'est la photographie. Avec elle, Annabelle COMBES nous invite à naviguer entre ombre et lumière. Le travail artistique de Tosca est largement inspiré des créations de Lucien CLERGUE.

Avec les deux personnages, Jean et Tosca, l'écrivaine décrit la puissance de l'enfantement créatif, sans oublier la beauté des sentiments. Si chacun vit dans la bulle de sa discipline, il n'en demeure pas moins que les personnages sont empreints d'humanité et de sensibilité. J'en frissonne rien que de les évoquer.


Je dis seulement qu’un des remèdes pour alléger la désolation dans une existence où les paillettes se débinent, c’est d’aller les chercher là où elles sont, tout en haut ! P. 172-173

Ce livre est original à plus d'un titre.
 
Annabelle COMBES, à l’image de Jean, son personnage de fiction, fait un pas de côté pour s’affranchir du cadre habituel. De là à dire que Héloïse d’Ormesson pourrait être Sullivan, il n’y a qu’un pas que je ne m’autoriserai pas à franchir… quoique !!!
 
Les mots sont orchestrés dans une partition plurielle, tantôt dans des paragraphes encadrés de marges régulières, un texte « justifié » pour la trame du roman, tantôt dans des phrases courtes composant des courbes comme autant de mouvements de l’âmes, là sont les poèmes, sublimant la prose, en version longue ou bien en haïkus. J’aurais pu en citer beaucoup, je choisis de partager celui-là :
 
"Sur le chevalet,
La lune en éteignoir
éclaire mes derniers mots."
 
Le tout est ponctué de respirations facilement repérables avec leur police de caractères singulière pour citer les œuvres d’art comme autant de preuves de ce qu’inspire un baiser. 
 
Ce roman, c’est un jubilé d’infinis servi par une plume d'une grâce prodigieuse. Je ne connaissais pas encore le talent d'Annabelle COMBES, merci aux Editions Héloïse d’Ormesson de m'avoir mise sur sa voie !
 
A bien y regarder, « T Livres ? T Arts ? » aussi collectionne les baisers, l’occasion d’un petit clin d’oeil à des artistes contemporains qui s’en sont inspirés :
 
 
Et le tout dernier découvert il y a un mois, offert à mon amoureux...
 
 
Mais la boucle ne serait pas bouclée sans quelques notes de musique, Alain SOUCHON aussi chante « Le baiser ». C’est tellement bon !

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2021-06-01T21:08:18+02:00

Les mouches bleues de Jean-Michel RIOU

Publié par Tlivres
Les mouches bleues de Jean-Michel RIOU

Plon éditions 

 

Définitivement, je crois que mon nouveau book club va être le lieu de profondes émotions. Après « L’ami » de Tiffany TAVERNIER, « Il n’est de pire aveugle » de John BOYNE, place maintenant à un roman historique : « Les mouches bleues » de Jean-Michel RIOU. 

 

Tout commence dans un train. Aleksander KULISIEWICZ, musicien, opposant politique, militant à l’Union de la jeunesse démocratique polonaise, fait partie du convoi à destination du camp d’Oranienbourg-Sachsenhausen géré par le SS Oberführer Hans Loritz. Dès son arrivée, il est confronté à l’ignominie. Mais, de ce lieu maléfique, Aleksander KULISIEWICZ va décider d’en faire un lieu subversif. Quoi de mieux que la musique pour résister ?

 

 

Bien sûr, vous vous dites qu’il s’agit d’un énième roman sur un sujet qui vous répugne. Mais celui-là est différent !

 

Tout le propos de Jean-Michel RIOU tend à honorer la personne d’Aleksander KULISIEWICZ, un être exceptionnel, un homme qui a vécu de 1918 à 1982, qui a réellement été transféré sur le camp de Sachsenhausen et qui, par la chanson, a offert aux autres déportés des parenthèses heureuses. L’oeuvre de Jean-Michel RIOU sublime la musique, le 4ème art, capable de faire oublier, le temps de la pratique, la misère humaine.


La musique peut-elle nous sauver ? Avec Rosebery d’Arguto, je n’en doute plus. Elle est bien un combat. P. 146

Et puis, comme le disait Germaine TILLION : « Au terme de mon parcours, je me rends compte combien l’homme est fragile et malléable. Rien n’est jamais acquis. Notre devoir de vigilance doit être absolu. Le mal peut revenir à tout moment, il couve partout et nous devons agir au moment où il est encore temps d’empêcher le pire. »


L’ogre ordinaire. Voilà le danger. P. 166

Ce roman, c’est aussi l’assurance de concourir à la mémoire de toutes celles et tous ceux qui ont été torturés et tués au profit d’une idéologie. Parce qu’un seul homme peut prendre le pouvoir et mener tout un peuple à la guerre, Jean-Michel RIOU revient sur cette page de l’Histoire qu’il ne faudra pour rien au monde oublier.

Et si vous vous interrogez encore sur le titre du roman, sur la métaphore des mouches bleues, l'auteur nous éclaire sur le sujet...


[...] peu d’espèces partagent la boulimie des fanatiques hitlériens pour la mort. C’est en cela qu’ils ressemblent aux mouches bleues. Les deux espèces cèdent à la même frénésie pour le sang et la chair fétide. P. 185

La narration à plusieurs voix est parfaitement réussie. Le « je » d’Aleksander KULISIEWICZ est ponctué par la prise de paroles de compagnons de route, ceux avec qui des liens indéfectibles se créent, Piotr, Nowak, le Cardinal, et puis, celle du camp d’Hitler, Baumkötter... Le jeu de l’écriture est tout à fait exceptionnel. Cerise sur le gâteau : les textes des chansons écrites par Aleksander KULISIEWICZ.

 

Les mots sont d’une éprouvante tendresse, la plume est délicate, empreinte de poésie, une certaine manière de RÉSISTER devant le tyran.

 

Ce roman est d’une profonde beauté. Merci Gwen de m'avoir mise sur sa voie !

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2021-05-18T18:45:38+02:00

Il n’est pire aveugle de John BOYNE

Publié par Tlivres
Il n’est pire aveugle de John BOYNE
 
Traduit par Sophie ASLANIDES
 
Avec ce nouveau book club, quelque chose me dit que je ne suis pas au bout de mes surprises. Il y a eu « L’ami » de Tiffany TAVERNIER et puis maintenant, « Il n’y a pas pire aveugle » de John BOYNE, un auteur irlandais que je ne connaissais pas encore, la révélation d’une très grande plume.
 
Odran Yates, le narrateur, est Irlandais. Dans sa plus tendre enfance, sa famille, catholique, est victime d’une tragédie. Sa mère, jeune veuve, décide que son dernier fils fera le séminaire à Clonliffe College. Il a la vocation se dit elle. Il y obtiendra sa licence de philosophie. Ordonné prêtre et après avoir passé quelques années à Rome, il est de retour à Dublin en 1978. Il est affecté à Terenure comme professeur d’anglais et d’histoire. Il y reste pendant 27 ans. Parallèlement, il essaie d’être le plus présent possible auprès de sa soeur, dont le mari, Kristian, décède jeune, lui aussi, et de ses neveux, Aidan et Jonas.
 
Ce livre, de plus de 400 pages, est éminemment romanesque.
 
D’abord, il y a le narrateur dont la vie constitue le prétexte d’une fresque d’une cinquantaine d’années, le temps nécessaire pour faire de ce personnage un compagnon de route. Odran Yates est confronté à un drame mystérieux dès son plus jeune âge. J’ai ressenti une profonde empathie pour le jeune garçon et les épreuves de sa vie d’adulte ne vont que conforter ce sentiment. Il va côtoyer des hommes et des femmes marqués par le destin et l’éprouver dans ce que la vie peut offrir de plus noir.
 
Il y a des pages d’une profonde sensibilité autour de la maladie de sa soeur par exemple, des moments d’une saisissante réalité.


Je me dis que c’était là l’aspect le plus cruel. Le degré de lucidité lorsque la maladie faisait une pause. C’était comme si rien n’allait mal. Mais cela changerait bien sûr. En un instant. En un battement de cils. P. 270

Mais Odran tient le cap. Il suit sa voie et s’attache à cultiver le Bien quand d’autres détruisent à jamais tout ce qu’ils touchent. Chaque mot est savamment posé sur le scandale de l’Eglise, celui de la pédophilie parfaitement incarné par le copain de chambre de Odran.
 
Après le personnage principal construit avec beaucoup de minutie, vous l’avez compris, il y a un sujet de société parfaitement traité par John BOYNE. Si l’Eglise est dénoncée dans ce qu’elle représente de plus abject en cachant des faits immondes, totalement inacceptables, si justice est rendue aux victimes des pédophiles, il est un angle beaucoup plus singulier, celui des prêtres, intègres, lynchés par la société civile pour ce qu’ils représentent.


Je supporterais les critiques acerbes. Je souffrirais les indignités. Je serais moi-même. P. 182

L’écrivain surprend en explorant ce camp-là des victimes et à travers Odran Yates, il offre une certaine forme de réparation pour les victimes d’une double peine, celle de ne pas avoir vu, soupçonné et dénoncé. Je trouve cette approche du sujet originale et brillante. A méditer sans modération.
 
Enfin, il y a la plume, je dirais plus, les plumes. Si dans le texte original, John BOYNE est reconnu pour son talent, il n’en demeure pas moins que Sophie ASLANIDES assure une parfaite maitrise de la langue. On ne salue pas assez la qualité du travail réalisé par ces professionnels du livre attachés à parfaire la traduction d’un texte. J’ai été profondément touchée par le choix des mots, la beauté de l'écriture, le jeu de la narration. J’ai littéralement savouré ces 400 pages. Merci Hélène !

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2021-05-11T19:43:26+02:00

L’ami de Tiffany TAVERNIER

Publié par Tlivres
L’ami de Tiffany TAVERNIER

Sabine WESPIESER

Hasard du calendrier, ou pas, c’est le jour de la médiatisation de la mort de Michel FOURNIRET que je publie ma chronique de « L’ami » de Tiffany TAVERNIER, un roman largement inspiré de l’histoire du violeur et tueur en série mais sous un angle tout à fait singulier.

Thierry vit avec sa femme, Elisabeth, dans une maison qu’il a totalement rénovée. Elle n’était pas très motivée pour habiter là, au fin fond de la campagne, en bordure de forêt, mais Thierry avait su la séduire en lui proposant un chien. Elle avait cédé. Depuis, elle s’était habituée. Et puis, il y a le travail, lui dans une usine occupé à la maintenance de machines, elle, infirmière. Depuis 4 ans, leur vie a changé avec l’arrivée de voisins. Guy et Chantal se sont installés dans la maison juste à côté de la leur, la seule maison, en fait. Ensemble, ils prennent du bon temps, ils mangent, ils jouent, ils s’entraident, les hommes font des travaux, creusent des trous, réparent des vitres quand ils ne se laissent pas absorber par le monde des insectes, une passion commune. Entre les femmes, la relations est plus distante, Chantal est sous médicament. Et puis, il y a ce réveil, en fanfare, des voitures de police entourant la maison des voisins, des policiers du GIGN partout. Que s’est-il passé ?

Ce roman, merci Laëtitia de m’avoir mise sur sa voie, quelle claque !

Tiffany TAVERNIER, j’en avais entendu parler avec « Roissy », son premier livre que je n’ai pas encore lu, j’avoue.

Cette plume, c’est de la grande littérature.

D’abord, il y a l’histoire, la découverte macabre qui va faire que la vie de Thierry et Elisabeth va basculer. En apparence, tout se passait bien jusqu'au coup de tonnerre, un tsunami dans la vie du couple déjà fragilisé, qui va pousser Thierry, le narrateur, à s’interroger.

Ensuite, il y a la psychologie du personnage. Tiffany TAVERNIER l’explore à la perfection. Quand certains ont une double personnalité et en joue allègrement, d’autres peinent à décrypter la leur. C’est le cas de Thierry qui, poussé par tous, va mener son introspection.


Puis, je démarre. Léger tout à coup. Enfin, je quitte le territoire hostile. Je peux redevenir celui que j’ai toujours été, allumer la radio, rêver au dessin incroyable des cheveux d’Elisabeth sur l’oreiller, contempler à perte de vue la beauté du ciel. P. 76

Si, dans les premières pages, l’écrivaine empreinte la voie royale du psychiatre pour effleurer les failles, elle va aller beaucoup plus loin avec le jeu de l’écriture. Le récit est foisonnant, orchestré à merveille avec des personnages qui ressurgissent du passé, des souvenirs qui envahissent l’esprit, des fantômes qui hantent les nuits. Quant aux émotions, cachées, mises sous silence depuis la nuit des temps, elles vont progressivement se faire une place dans un scénario impressionnant. Entre l’hébétude, la tristesse, la culpabilité, la haine, la rage, la violence, tout y passe avec des moments d’une profonde beauté et d’autres d’une grande cruauté.

Il y a aussi un rythme. Tout commence assez lentement avec des descriptions d’une vie « ordinaire » et puis, avec l’intervention de la police, le rythme s’emballe pour ne plus retrouver un apaisement que dans les toutes dernières pages. Thriller psychologique, ce roman est un véritable page-turner. 

Enfin, il y a la plume d’une qualité tout à fait remarquable avec des descriptions de Dame Nature enivrantes.


Plus je m’enfonce, plus la forêt se densifie. La lumière, de plus en plus étroite, gicle, obstinée, formant, là, sur les troncs, là, sur l’humus et les fougères, d’innombrables éclats qui me font penser à la beauté d’un paysage de songe. P. 199

La lecture évolue au gré de l’enquête policière, de la pression sociale, des épreuves auxquelles l’écrivaine va confronter le narrateur. Les mots sont forts, les phrases puissantes, le roman foudroyant, la chute bouleversante.

Ce roman, c'est un véritable uppercut. J'en suis sortie KO.

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2021-05-07T18:00:45+02:00

Cendres blanches de Olivier SEBBAN

Publié par Tlivres
Cendres blanches de Olivier SEBBAN

Un western, ça vous dit ? J'ai quelque chose pour vous !

Dès le plus jeune âge, Ametza évolue dans le milieu de la mafia . Adulte, elle participe avec son frère, Franck, à des actions de contrebande. Si la première expédition permet de livrer les mules en nombre et à bon port, la seconde sera perturbée par l’intervention d’une bande rivale. Franck est gravement blessé. Elle, fait une fausse couche. Elle décide de prendre de la distance avec son environnement et s’exile aux Etats Unis. Passé le cap d’Ellis Island, elle devient gouvernante chez les Heidelberg, une famille honorable où elle s’occupe des deux jeunes garçons, William et James de 7 et 9 ans, mais son destin ne saurait la laisser en paix. Elle apprend à connaître la ville de New-York et son "underground", là où se côtoient les bandits de grand chemin. Une nouvelle vie commence... à moins que ça ne soit la précédente qui se poursuive !

Je remercie très sincèrement lecteurs.com et les éditions Rivages pour ce roman que je n’aurais sans doute pas lu s’il n’y avait eu ce concours.

A la lecture du roman « Cendres blanches », je me suis replongée dans l’univers des westerns que je regardais à la télévision quand j’étais enfant. Il n’y a, je crois, que les indiens qui ne soient pas représentés parce que, pour le reste, il y a tout, enfin je crois, à commencer par les gangsters, les malfaiteurs, les bandits, des hommes qui n’acceptent les femmes que pour les violer ou les utiliser dans leurs complots. Les mots sans âpres et sanglants. Il n’y a, à l’époque et dans cet univers, pas de place pour les lamentations. Si les affaires ne se passent pas comme prévu, on tue. Quant à la conservation des corps, bagatelle. Tous n’ont pas droit à leurs funérailles, loin s’en faut.

Olivier SEBBAN nous livre un véritable roman d’aventures. Le parcours d’Ametza, devenue Emma, est semé d’embûches, morbides et sanglantes certes, mais l’auteur réussit à nous captiver avec un itinéraire palpitant. Et puis, entre nous, c’est le personnage le plus droit, le plus loyal, le plus courageux, évoluant pourtant toujours en milieu hostile, qu’il s’agisse du climat, de la société... L’écrivain fait de cette femme l’héroïne du roman.

Et puis, l’écrivain restitue une fresque historique foisonnante sur une vingtaine d’années. Par le jeu de la fiction et d’un personnage, Ametza devenue Emman, Olivier SEBBAN réussit à créer un lien entre les deux rives de l’Atlantique, entre le vieux continent et le nouveau monde, depuis les rivalités franco-espagnoles dans le Pays Basque jusqu’à la seconde guerre mondiale, en passant par le krach boursier de 1929 et la guerre civile espagnole. Si le roman ne se déroule que sur une vingtaine d’années, il n’en demeure pas moins qu’il s’agit d’une période riche en événements, tristement célèbres.

Enfin, ce livre, c’est un roman d’atmosphère. Olivier SEBBAN réalise des descriptions d’orfèvre. Qu’il s’agisse de la nature, de décors... il écrit dans une langue quasi cinématographique.


Un ruisseau sec sinuait entre des plaques de roche sédimentaire quand ils quittèrent les sous-bois dans le dernier soleil dont l’éclat embrasait d’ocre un alpage et pénétrait à l’avant-garde d’une bouleraie. P. 121

Toutes les scènes ont défilé sous mes yeux dans leurs moindres détails. Je ne connaissais pas encore cette plume, je crois qu’elle mérite que l’on s’y attarde.  

Olivier SEBBAN est en lice pour le Prix Orange du Livre, avec notamment :

Charles ROUX pour "Les monstres"

Carine JOAQUIM pour "