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Articles avec #rl2019_septembre catégorie

2019-10-15T06:00:00+02:00

Une fille sans histoire de Constance RIVIERE

Publié par Tlivres
Une fille sans histoire de Constance RIVIERE

Parce qu'il y a des romans de cette #RL2019 de septembre qui nous éclairent sur des comportements humains absolument glaçants, inimaginables et pourtant... je vous livre les premières lignes aujourd'hui du premier roman de Constance RIVIERE : "Une fille sans histoire", publié aux éditions Stock et découvert avec les 68 Premières fois :


Il ne faisait pas particulièrement froid pour une nuit de presque hiver, mais ça ne changeait pas grand-chose pour elle, qu'il pleuve ou qu'il vente, chaque soir, Adèle ouvrait grand sa fenêtre. Elle avait peur de l'air vicié qui s'installe si vite dans les petits espaces, de la poussière, des microbes, ennemis invisibles mais puissants, qui contaminent et détruisent l'organisme insidieusement. Enfant déjà, son père lui avait appris à laisser les fenêtres de sa chambre ouvertes toute la journée et, dès qu'il faisait un peu chaud et humide, à mettre ses peluches au frigo pour tuer les acariens. Elle s'était parfois dit que ça aurait pu lui faire des amis, ces animaux minuscules, mais elle obéissait toujours à son père. Puis c'était devenu une habitude.

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2019-10-12T06:00:00+02:00

Ceux que je suis d'Olivier DORCHAMPS

Publié par Tlivres
Ceux que je suis d'Olivier DORCHAMPS

Finitude

Marwan, le narrateur, rentre tout juste de six semaines  de vacances au Portugal. Agrégé d'histoire, il s'apprête à faire sa rentrée des classes quand Capucine, sa compagne, lui annonce qu'elle le quitte. Après quatre années passées à ses côtés, elle en aime un autre que lui. Et comme un malheur n'arrive jamais seul, c'est à ce moment-là que son père décède. Le garagiste de Clichy, installé rue de Paris depuis une trentaine d'années, lui qui n'a jamais cessé de travailler, s'en est allé à l'âge de 54 ans. Marwan découvre les dernières volontés de son père, se faire enterrer dans son pays, le Maroc. C'est aussi lui que son père a désigné pour l'accompagner dans son rapatriement. Il prend l'avion avec Kabic, le meilleur ami de son père. Il ne sait pas encore qu'au cours de ce  voyage, il découvrira une histoire familiale ponctuée de secrets bien gardés sur deux générations. Plus jamais sa vie ne sera comme avant. 

Olivier DORCHAMPS nous livre un roman intimiste. Il nous fait entrer à pas de velours dans la vie d'une famille d'origine marocaine. Le père et la mère sont de là-bas. Le père a gardé sa nationalité alors que son épouse et les trois enfants, trois garçons nés sur le territoire français, ont été naturalisés. C'est tout en pudeur que l'auteur dévoile une existence tiraillée entre la terre d'origine et celle d'adoption, entre deux langues, deux cultures. Le Maroc, les enfants n'y sont allés que lors de vacances. Marwan se souvient des listes de gadgets qu'ils avaient à emmener pour la famille, il se souvient aussi de la difficulté à communiquer avec les cousins avec lesquels ils ne partageaient que les liens du sang. Quand ils étaient considérés là-bas comme de riches français, Marwan voyait ô combien ses parents luttaient chaque jour pour payer les études. Ali est devenu avocat, Foued en est à sa dernière année de faculté.

Les premières pages déroulent le fil de la vie de cette famille, aujourd'hui parisienne, avec tout ce qu'elle traduit de problématiques d'intégration. Olivier DORCHAMPS montre à quel point il est difficile d'être comme les autres quand vous êtes regardé à jamais à travers le filtre de la différence :


Je ne suis jamais ce que je suis, je suis ce que les autres décident que je sois. P. 100

Ce qui m'a beaucoup intéressée, c'est l'effet de rupture avec ce bain, contraint et forcé, dans un pays que Marwan ne connaît pas, à un moment où la famille est fragilisée par la mort, torturée par la douleur, tenaillée par le manque, déjà. Il y a l'atterrissage en terre étrangère et ce premier étonnement devant les rouages d'une société qui vit autrement :


J’avais oublié qu’au Maroc, il y a toujours un métier dont on ignore l’existence en Occident, soit qu’il a été remplacé par une machine, soit qu’on s’est habitué au self-service. P. 130

J'ai beaucoup aimé l'analyse du rapport au temps aussi, révélée avec un trait d'humour mais qui traduit bien la différence de sensibilité exprimée par les mots :


L'expression en français c'est mieux vaut tard que jamais, Mo.
En français oui, parce que les Français sont obsédés par le temps qui passe. Ici on a tout le temps, inch’allah, mais aucune certitude, alors on dit mieux vaut sûr que jamais. P. 136

A travers les yeux de Marwan, Olivier DORCHAMPS dresse le portrait d'un pays, explique ses codes, son mode de vie, son rapport à la religion, la condition des femmes aussi. L'auteur le fait avec beaucoup de bienveillance, sans jugement aucun.  

J'ai adoré le personnage de Kabic, ce vieux sage qui guide les pas du jeune homme contraint, malgré lui, à tenir un rôle dans un costume trop grand pour lui. Marwan n'a plus de père, il peut compter sur cet ami pour tracer sa voie :   


Si tu commençais par accepter d’être l’enfant de deux pays, tu te sentirais mieux, en France et ici. P. 164

Dans une intrigue parfaitement maîtrisée autour de secrets qui vont, au fil des conversations, se dévoiler, Olivier DORCHAMPS décrypte les rouages de la mémoire intergénérationnelle, ces empreintes qui se transmettent inconsciemment avec la filiation :


Car la blessure de Mi Lalla, sa hchouma, est un héritage indélébile, une douleur qu’elle nous a transmis malgré elle et qui perdure inconsciemment en chacun de ses petits-enfants. P. 207

Olivier DORCHAMPS nous livre un premier roman dans une plume délicate, poétique, marquée par une profonde humanité, une réussite.

Mesdames les fées, une nouvelle fois, vous avez encore frappé !

Retrouvez mes chroniques :

A crier dans les ruines d'Alexandra KOSZELYK

L'homme qui n'aimait plus les chats d'Isabelle AUPY

Tous tes enfants dispersés de Beata UMUBYEYI MAIRESSE

L'imprudence de Loo HUI PHANG

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2019-10-08T06:00:00+02:00

Ceux que je suis d'Olivier DORCHAMPS

Publié par Tlivres
Ceux que je suis d'Olivier DORCHAMPS

Parce qu'il y a des romans de cette #RL2019 de septembre qui nous emmènent sur des terres d'origine, celles-là même qui peuvent donner un sens à la vie, je vous livre aujourd'hui les toutes premières lignes du premier roman d'Olivier DORCHAMPS : "Ceux que je suis" aux éditions Finitude, découvert avec les 68 Premières fois :


Il a souvent fait ça ; rentrer tard sans prévenir. Oh, il ne buvait pas et ma mère avait confiance, il travaillait. Il travaillait depuis trente ans, sans vacances et souvent sans dimanches. Au début, c'était pour les raisons habituelles : un toit pour sa famille et du pain sur la table, puis après qu'Ali et moi avions quitté la maison, c'était pour ma mère et lui ; pour qu'ils puissent se les payer enfin, ces vacances ! En embauchant Amine pour les tâches lourdes au garage, il avait souri : non seulement il aidait un petit jeune qu'il connaissait depuis toujours, mais en plus il allait pouvoir emmener ma mère au cinéma, au restaurant, à la mer ; la gâter. Et la vie aurait moins le goût de la fatigue.

Un roman empreint d'humanité, une réussite.

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2019-10-05T06:00:00+02:00

L'imprudence de Loo HUI PHANG

Publié par Tlivres
L'imprudence de Loo HUI PHANG

Actes Sud

Elle a 23 ans, cette Vietnamienne qui vit à Cherbourg. C’est aussi la narratrice du roman « L’imprudence », elle qui consomme les hommes comme son frère le shit depuis qu’il a fait faux bon à une carrière sportive de haut niveau et que son amoureuse l’a quitté. Son premier voyage au Laos, elle l’a fait à l’âge de 17 ans. Elle est contrainte aujourd’hui d’y retourner, en urgence, pour assister avec son frère et sa mère aux funérailles de sa grand-mère Wàipó. C’est dans ce chamboulement émotionnel et sur sa terre d’origine qui ne l’a pas vue grandir qu’elle va partager des moments d’intimité avec son grand-père, des moments de complicité qui vont la mettre sur la voie de la liberté.

C’est après une deuxième rencontre, fugace mais intense, incandescente physiquement, que la narratrice doit partir au bout du monde, le temps pour elle d’apprivoiser le manque, elle qui passe d’un homme à un autre, regarde les mâles avec des yeux de concupiscence comme personne, assouvit ses désirs sexuels sans s’interroger une seule seconde sur les dangers qui la guettent. Ce roman commence de façon originale. Alors que nous sommes toutes et tous, chaque jour, happés par les violences faites aux femmes mises au jour dans les médias et sur les réseaux sociaux, on en viendrait presque à oublier que des jeunes filles puissent donner leur consentement à des hommes croisés un jour dans la rue pour des pratiques sexuelles ardentes. Et que des hommes puissent les suivre, en toute impunité, sans courir le risque de se retrouver le lendemain impliqué dans une affaire de viol. Mais là, il s’agit d’un roman, d’une fiction, tout y est permis.

Une fois le pas décalé, vous ne pourrez plus que suivre la narratrice en terres étrangères qui vous réservent bien d’autres surprises.

J’ai beaucoup aimé la façon de Loo HUI PHANG de traiter de l’exil et de nous éclairer avec les deux faisceaux de la fratrie, celui de la narratrice bien sûr qui a quitté le Laos quand elle n'avait qu'un an, et celui du frère arraché à sa terre vietnamienne quand il avait une petite dizaine d’années. Entre eux deux, il n'y a pas qu'une affaire de genre, il y a aussi une enfance marquée à jamais par un territoire, des codes, un mode de vie !

Elle, dès son arrivée au Laos, elle ressent sa différence.


Au premier regard, cela est prononcé. Je ne suis pas d’ici. Tout le monde le voit. Tout le monde le sait. Je sais que l’on sait. Et cette chose est posée là, entre les autres et moi. P. 100

L’écrivaine explore le jeu de la langue et des conséquences sur la construction des hommes. Après Lenka HORNAKOVA CIVADE dans "La Symphonie du Nouveau Monde", Jeanne BENAMEUR dans "Ceux qui partent" et Beata UMUBYEYI MAIRESSE dans "Tous tes enfants dispersés", c'est au tour de Loo HUI PHANG d'en faire le sujet d'un roman de la #RL2019.


Je me figure ma petite mécanique du langage. Le viet imbibe une partie de mon cerveau, comme un liquide amniotique dans lequel flottent des pensées, des souvenirs repliés. P. 45

Enfin, il y a un magnifique portrait dressé de la grand-parentalité, tant à travers le personnage de Wàipó et de ses relations avec son petit-fils que du grand-père avec la narratrice. Il est question de transmission et quand il s’agit de secrets de famille, alors là, commence une toute autre histoire.

La plume de Loo HUI PHANG est éminemment délicate, sensuelle, émouvante. Elle nous livre un premier roman d’une profonde sensibilité.

Merci les fées des 68 Premières fois pour cette nouvelle très belle découverte.

Retrouvez mes chroniques :

A crier dans les ruines d'Alexandra KOSZELYK

L'homme qui n'aimait plus les chats d'Isabelle AUPY

Tous tes enfants dispersés de Beata UMUBYEYI MAIRESSE

 

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2019-09-28T06:00:00+02:00

Tous tes enfants dispersés de Beata UMUBYEYI MAIRESSE

Publié par Tlivres
Tous tes enfants dispersés de Beata UMUBYEYI MAIRESSE

Editions Autrement

Il est des exils contraints et forcés, et l'irrépressible besoin de retourner sur sa terre d'origine. Dans cette sélection des 68 Premières fois, et sur ce thème, j'ai déjà lu "A crier dans les ruines" d'Alexandra KOSZELYK, une énorme coup de coeur de cette #RL2019, mais au bras de Beata UMUBYEYI MAIRESSE, c'est une toute autre histoire qui va se dérouler sous vos yeux.

Blanche est infirmière. Elle est mariée à Samora, un comptable d'orgine martiniquaise. Elle a un enfant, Stokely. Elle vit en France en famille mais sa terre d'origine la tenaille. Elle est originaire du Rwanda et survivante du génocide des Tutsis de 1994. Une vingtaine d'années après, elle foule le sol qui l'a vu naître, le village de Butare. Elle retrouve les siens, enfin, ce qu'il en reste. Elle engage une conversation avec sa mère, Immaculata, qui elle, n'a pas quitté son pays. Elle est restée prostrée 3 mois dans la cave d'une librairie. Plus un mot ne sort de sa bouche. Quant à Bosco, son frère, ce garçon, différent, il a fait la guerre. Soldat, il est rentré à la maison, torturé à jamais par le fantôme des siens. D'un pays ravagé par la violence des coups, mortels, d'une famille martyrisée par ce qu'elle a vu, entendu, ressenti, il ne reste plus rien du passé de Blanche, ou si peu. C'est pourtant ce qu'elle va tenter de conquérir avec ce retour au pays. Là commence une toute nouvelle histoire.

Ce roman, c'est celui d'une terre, colonisée, une terre africaine qui a vu l'homme blanc marquer de son empreinte l'homme noir. Et l'indépendance acquise en 1962 ne permettra pas d'effacer les traces à jamais laissées par des années passées sous le joug d'êtres qui se croyaient supérieurs. Là, ils s'agissaient de Belges, ailleurs, c'était les Français. La grande Histoire du Rwanda est marquée à jamais par cette page. 1894-1994, c'est le temps qu'il aura fallu au ver pour contaminer le fruit, un siècle de guerres intestines pour arriver au génocide que l'on connaît, celui qui a fait entre 800 000 et 1 000 000 de morts. 

Ce roman, c'est aussi celui d'une famille, celle de l'écrivaine. A dimension autobiographique, le propos relate un retour aux sources de la femme contrainte à l'exil. Depuis sa plus tendre enfance, sa mère s'évertuait à lui proposer la voie de la France pour réussir dans la vie. Alors, quand la guerre a commencé, elle n'a plus pu reculer.

Toute sa vie, Blanche, et certainement Beata UMUBYEYI MAIRESSE, a été tiraillée entre deux cultures. Son éducation a été marquée par le souci de sa mère de la libérer de son africanité. Elle devait abandonner le kinyarwanda, sa langue maternelle, et  apprendre le français pour pouvoir épouser un homme blanc. L'écrivaine montre à quel point il est difficile de naviguer entre deux registres :


Posséder complètement deux langues, c’est être hybride, porter en soi deux âmes, chacune drapée dans une étole de mots entrelacés, vêtement à revêtir en fonction du contexte et dont la coupe délimite l’étendue des sentiments à exprimer. P. 151

Et puis, s'il n'y avait que les mots. Sa couleur de peau, elle, ne changeait pas, avec cette impression permanente de ne jamais être à sa place, au bon endroit.

Ce roman, c'est encore l'histoire de femmes. J'ai été profondément touchée par la malédiction de la filiation avec cette incapacité, pour Immaculata et Blanche, mère et fille, de mettre au monde un enfant par les voies naturelles comme si la maternité devait les marquer à vie de leur chemin de croix, l'occasion pour l'écrivaine de remettre en question l'instinct maternel, ce petit quelque chose de supplémentaire et naturel qu'auraient les femmes par rapport aux hommes dans leur relation à l'enfant :


L’instinct maternel, ceux qui l’ont inventé ne savent pas ce qu’ils disent, ils n’ont pas la moindre idée, ne sauraient qu’en faire s’ils s’agissait d’eux. P. 36

Et si l'enfant, un garçon, venait rebattre les cartes d'une famille douloureusement marquée par la grande Histoire ! Avec le personnage de Stokely, Beata UMUBYEYI MAIRESSE nous livre un hymne à la vie, un propos lumineux, plein d'espoir, qui prend appui sur la jeune génération pour surmonter les affres du passé et imaginer le fil d'une existence à venir.

La plume est éminemment poétique, je vous en livre un petit condensé :


J’attendais cette question avec la même anxiété qu’au temps d’avant et dans ma tête mes pensées chiffonnées étaient semblables à un drap blanc fatigué de la longue nuit de mon absence, dans les replis duquel je cherchais une aiguille pour reprendre mon travail de mémoire. Mais n’est-ce pas pour cela que j’étais revenue ici, pour tisser une virgule entre hier et demain et retrouver le fil de ma vie ? P. 28

et le style narratif tout à fait remarquable. L'emploi de la seconde personne du singulier permet à l'écrivaine de s'adresser au lecteur, lui faire une place dans la conversation et l'inviter à partager une certaine intimité, un pari audacieux ici parfaitement réussi.

Quant à la chute, elle est juste magnifique !

Merci aux fées des 68 Premières fois que de nous l'avoir proposé dans ce très beau défilé des premiers romans de l'automne 2019.

 

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2019-09-26T12:16:01+02:00

Une joie féroce de Sorj CHALANDON

Publié par Tlivres
Une joie féroce de Sorj CHALANDON

Parce que le tout dernier roman de Sorj CHALANDON m'a profondément touchée et qu'il m'a aussi transportée avec un scénario des plus farfelus,

Parce ce que ce livre "Une joie féroce" est un hymne à la vie, c'est le témoignage d'un quotidien souvent douloureux mais que rien ne saurait arrêter, pas même une communauté de quatre femmes prêtes à en découdre avec la maladie,

Parce qu'il est souvent décrié et pas assez, à mon goût, présenté dans ce qu'il a de plus singulier, à commencer par la signature d'un grand homme de la littérature,

Parce ce que nous sommes à quelques jours du lancement des opérations "Octobre rose", j'ai teinté #macitationdujeudi de la couleur fétiche.

Portez-vous bien !

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2019-09-24T06:00:00+02:00

L'Imprudence de Loo HUI PHANG

Publié par Tlivres
Photo de l'écrivaine empruntée à Babelio

Photo de l'écrivaine empruntée à Babelio

Parce qu'il y a des livres qui, dans le bal de la #RL2019 de septembre, vous font regarder la société d'un autre oeil, vous offrent ce regard décalé sur l'actualité, place aujourd'hui à "L'Imprudence" chez Actes Sud de Loo HUI PHANG, un premier roman repéré par les fées des 68 Premières fois.

Il est sorti en librairie le 21 août dernier. 

Aujourd'hui, je vous en propose les premières lignes... juste une mise en bouche !


Il y a cinq heures à peine, dans l'intimité fugace d'un escalier, je faisais l'amour avec Florent. Je ne savais pas son nom alors. Juste l'indécent braquage de sa mise polie par son impérative, hurlante, souveraine envie de moi.

C'est mon #mardiconseil !

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2019-09-18T06:00:00+02:00

Vaincre à Rome de Sylvain COHER

Publié par Tlivres
Vaincre à Rome de Sylvain COHER

Parce qu'il y a des livres qui, dans le bal de la #RL2019 de septembre, nous font vivre des moments haletants, historiques, absolument fantastiques, place aujourd'hui à Sylvain COHER et son tout dernier roman "Vaincre à Rome" publié chez Actes Sud.

Il est sorti en librairie le 21 août. 

Aujourd'hui, je vous en propose les premières lignes... histoire de vous mettre dans les starting-blocks !


Celui qui vient de tirer le coup de revolver garde le bras en l'air puis le descend à regret comme s'il venait de faire une chose irréparable : l'une de ces choses que l'on fait en tenant une arme alors que les autres n'en ont pas. Les oiseaux s'envolent et puisque l'un part devant tous les autres suivent sans demander leur reste. Instantanément la foudre soulève des nuées qui s'étendent bien au-delà des ruines.

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2019-09-17T06:48:48+02:00

Opus 77 d’Alexis RAGOUGNEAU

Publié par Tlivres
Opus 77 d’Alexis RAGOUGNEAU

Viviane Hamy

Alexis RAGOUGNEAU, je ne connaissais pas sa plume, honte sur moi, d'autant que son dernier roman faisait partie de la sélection pour le Prix Goncourt 2017. Bref, je ne connaissais pas, vous peut-être non plus, mais très sincèrement, ne passez plus à côté, réjouissez-vous de la découvrir. Alors, pourquoi pas avec "Opus 77".

Tout commence lors des funérailles de Claessens, bien connu en sa qualité de Chef d'Orchestre de la Suisse romande. Sa fille,  Ariane s'installe au piano. Soliste internationale d'un peu plus de 25 ans, elle s'apprête à jouer la marche funèbre pour honorer son père. Elle surprend l'assistance en faisant résonner, dans la basilique, les premières notes de l'Opus 77, le concerto du compositeur russe, Dimitri CHOSTAKOVITCH. La présence de la famille de Claessens se résume à celle d'Ariane. Son frère, David, de 2 ans son aîné, n'est pas présent. Pourquoi ? C'est là que commence réellement toute l'histoire.  

Il y a une libraire (qui se reconnaîtra) qui dit qu'à chaque rentrée littéraire, elle a besoin de lire un roman des éditions de Minuit. Si je suis d'accord avec elle, j'opte personnellement aussi pour les éditions Vivane Hamy. L'année dernière, j'avais découvert "Hôtel Waldheim" de François VALLEJO. Si je vous en parle, c'est parce que cette année, j'ai sombré dans la même atmosphère, je m'en suis imprégnée et l'ai savourée.

Dès les premières lignes, Alexis RAGOUGNEAU fait du lecteur un spectateur, un voyeur pourrait-on dire. Devant lui, s'étalent les lambeaux d'une vie de famille. Je ne vous en dirai pas beaucoup plus pour ne pas déflorer l'histoire, c'est là tout le suspens du roman ! Simplement vous dire toutefois que le froid qu'inspire la première scène, celle du dernier hommage rendu au père, va vous glacer le sang.

Mais, pour que vous ne redoutiez pas de lire "Opus 77", parce que c'est un roman puissant que je vous conseille absolument, je voudrais vous parler de musique. Alexis RAGOUGNEAU en fait quasiment un personnage du roman. Elle habite la famille qu'elle a inoculé sur deux générations. Le père s'est marié avec une jeune femme d'origine israélienne, Yaël, de 20 ans sa cadette. Elle était soprano. Quand lui a gravi les échelons, elle est descendue aux enfers. Leurs enfants, bercés à longueur de journée par les notes de musique qui rythmaient leur quotidien, se sont orientés, bon gré mal gré, eux aussi vers cet univers. Mais plus que ça, Alexis RAGOUGNEAU nous fait toucher du doigt les exigences de l'élitisme. Le Chef d'orchestre se doit d'être le leader de toute une équipe, ô combien hiérarchisée. L'art dans ce qu'il a de plus grand. L'écrivain explore l'abnégation rendue nécessaire pour atteindre les sommets. Sur cette voie, certains s'y épanouissent, d'autres y dépérissent.


La concurrence est féroce. La somme de travail phénoménale, le don de soi total, obligatoire, sine qua non. P. 22

J'ai été fascinée par la puissance de la musique, le pouvoir d'enivrement, la jouissance et l'abandon de soi qu'elle procure :


Le paradoxe de l’interprétation est que la façon la plus directe de communiquer avec le public est d’oublier son existence. P. 177

Mais outre la musique, ce qui m'a captivée dans ce roman, ce sont les relations établies entre les membres de la famille. Il y a le père et le fils qui se livrent une guerre sans merci. 


Mais David ne participe pas à la même bataille. Il n’est pas là pour gagner une compétition. C’est son existence d’homme, le passage de l’adolescence à l’âge adulte, qui se joue ; et s’il faut lui en trouver un, c’est bien ce monsieur au frac noir, celui qui dirigera l’orchestre dans un instant, qui fait office de rival. P. 206

Il y a le père et la fille aussi. Alors même que le père misait sur le garçon, l'aîné de surcroît, sur qui il exerçait une telle pression, à la vie à la mort, c'est finalement la fille qui excelle dans le registre musical, celle qui a passé son enfance aux pieds de ses parents jouant du piano, celle à qui le père vouait une certaine indifférence sans jamais rien exiger d'elle, celle en qui personne ne croyait et qui s'est forgée une personnalité dans l'ombre de tous. Aujourd'hui, c'est elle qui est dans la lumière, une belle leçon de vie et un merveilleux sujet à méditer que l'éducation de nos chères têtes blondes. Sur le chemin de l'égalité garçon fille, il nous reste encore quelques étapes à franchir !

Le personnage d'Ariane, devenue adulte, est tout à fait fascinant. Il n'y a pas de demi mesure dans tout ce qu'elle entreprend, une vie guidée par la passion que rien ne saurait plus arrêter. Il est effrayant aussi dans ce qu'elle a d'asocial, inaccessible, insensible, que l'homme ne saurait satisfaire dans ce qu'il a de plus humble et modeste. 

Ce roman est puissant par l'atmosphère qu'il propose et dans laquelle est plongé son lecteur,  condamné, lorsqu'il a commencé la lecture de L'Opus 77, à le lire d'une traite, en apnée totale. Il est absolument remarquable aussi pour la qualité de la plume. Assurément, un très grand roman de cette #RL2019.

Et pour que la boucle soit bouclée, quittons-nous en musique s'il vous plaît avec "Opus 77".

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2019-09-16T06:00:00+02:00

Tous tes enfants dispersés de Beata UMUBYEYI MAIRESSE

Publié par Tlivres
Tous tes enfants dispersés de Beata UMUBYEYI MAIRESSE

Parce qu'il y a des livres qui, dans le bal de la #RL2019 de septembre, nous emmènent en voyage, nous font découvrir des territoires, des hommes aussi, place aujourd'hui à Beata UMUBYEYI MAIRESSE et son premier roman "Tous tes enfants dispersés" publié aux éditions Autrement.

Il est sorti en librairie le 21 août dernier. 

Aujourd'hui, je vous en propose les premières lignes... histoire de vous plonger dans l'atmosphère !


C'est l'heure où la paix se risque dehors. Nos tueurs sont fatigués de leur longue journée de travail, ils rentrent laver leurs pieds et se reposer. Nous laissons nos coeurs s'endormir un instant et attendons la nuit noire pour aller gratter le sol à la recherche d'une racine d'igname ou de quelques patates douces à croquer, d'une flaque d'eau à laper. Entre eux et nous, les chiens, qui ont couru toute la journée, commencent à s'assoupir, le ventre lourd d'une ripaille humaine que leur race n'est pas près d'oublier. Ils deviendront bientôt sauvages, se mettront même à croquer les chairs vivantes, mouvantes, ayant bien compris qu'il n'y a désormais plus de frontières entre les bêtes et leurs maîtres.


Mais pour l'heure, la paix, minuscule, clandestine, sait qu'il n'y a plus sur les sentiers aucune âme qui vive capable de la capturer.

Cette lecture, qui m'a bouleversée je peux le dire, fait partie de la sélection des 68 Premières fois :

Chronique à venir !

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2019-09-15T09:16:00+02:00

A crier dans les ruines d'Alexandra KOSZELYK

Publié par Tlivres
A crier dans les ruines d'Alexandra KOSZELYK

Après le bal de la #RL2019, je déclare ouvert le défilé des 68 premières fois pour sa saison automne 2019. Et puisque Tchernobyl est à la mode du tourisme aujourd’hui, je vous propose d’accueillir « À crier dans les ruines » d’Alexandra Koszelyk, un premier roman tout de couleur vêtu par les éditions Aux forges de Vulcain.

Remarquez le coquelicot en première de couverture, ou l’annonce de ce qui vous sera conté.

Puisque le rouge lui va si bien, coup de ❤️

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2019-09-13T04:32:53+02:00

Ceux qui partent de Jeanne BENAMEUR

Publié par Tlivres
Libertyellisfoundation.org

Libertyellisfoundation.org

Actes Sud

Jeanne BENAMEUR nous revient avec une formidable épopée romanesque comme elle sait si bien les écrire.

Nous sommes en 1910. Les émigrants accostent sur Ellis Island, l'île située aux abords de New-York, la porte d'entrée pour les Etats-Unis. C'est là que les services de l'immigration oeuvrent au quotidien, décidant de l'avenir de celles et ceux qui ont tout quitté pour l'eldorado américain. Parmi les valises et autres ballots, il y a Donato Scarpa, un comédien italien qui brandit Eneide, le texte de Virgile, comme un étendard. Il est accompagné de sa fille, Emilia. Tous deux ont choisi de réaliser les trois semaines de voyage pour vivre libres, loin de ce territoire qui a vu mourir leur femme et mère, Grazia. D'autres n'ont pas eu le choix comme Esther Agakian partie d'Arménie, là où la terreur de la mort sévit. Il y a Gabor, bohémien, et les siens, ces hommes et femmes de la route. La communauté des émigrants vivent ces premiers moments en terre inconnue sous le regard d'Andrew Jonsson, un étudiant en droit qui passe son temps libre à photographier ces êtres en transit. Il immortalise ces instants, rien n'est laissé au hasard, pas même une main passée dans les cheveux, une tête baissée, un regard furtif... il décrypte les émotions de ces hommes et ces femmes qui ont rompu le fil de leurs origines pour vivre une vie meilleure. Certains seront admis à fouler le sol de ce nouveau continent, d'autres pas. Tous attendent d'être jugés, mesurés, auscultés... la file d'attente est longue, beaucoup vont passer cette première nuit en terre étrangère en dortoir, les hommes d'un côté, les femmes de l'autre, à moins que le destin en décide autrement, là commence une toute nouvelle histoire.

Je suis maintenant une fidèle de la plume de Jeanne BENAMEUR. Par le passé, il y a eu Otages intimes, Profanes, Ça t'apprendra à vivre, La boutique jaune, Laver les ombres, Les insurrections singulières, Un jour mes princes sont venus... chaque fois le même coup au cœur, la même chair de poule, le même chamboulement émotionnel, le même résultat : un livre devenu hérisson à force d'accueillir les marque-pages ! Les mots sont d'une sensibilité foudroyante, les phrases d'une puissance époustouflante !

Le site d'Ellis Island, je l'avais abordé avec Gaëlle JOSSE et son roman "Le dernier gardien d'Ellis Island", nous étions alors en 1954 et à 9 jours de la fermeture du centre d'accueil. J'ai eu une nouvelle fois l'opportunité de l'appréhender avec l'œuvre de JR exposée à la Maison Européenne de la Photographie de Paris en janvier cette année, une photographie avait capté mon attention : le regard d'enfants hospitalisés sur l'île, des yeux d'une profonde tristesse, qui en disent long sur le chemin parcouru.

Avec ce roman de Jeanne BENAMEUR, outre les personnages éminemment romanesques, ce qui m'a le plus intéressée, c'est le point de rupture, celui qui fait que l'on quitte un territoire pour un autre, que l'on abandonne une langue pour en adopter une autre, que l'on dit adieu aux siens, morts ou vivants... et qui nous fait devenir quelqu'un d'autre.


Car émigrer, c’est laisser les ancêtres et ceux qu’on a aimés dans une terre où l’on ne retournera pas. P. 23-24

Le point de rupture, c'est celui qui permet de repousser les limites, celui qui fait passer à autre chose. Il y avait une vie avant, il y aura une vie après. C'est l'intervalle que Jeanne BENAMEUR explore avec une délicatesse infinie à travers un panel de personnages qui tous ont un itinéraire distinct, des parcours de vie différents, mais se verront marqués à vie par cette épreuve, y compris d'un point de vue charnel.


Et elle pressent que le changement immense qui traverse les vies qui émigrent passera par elle, elle ne sait pas encore comment mais elle pressent oui, dans cet instant suspendu, que ce qu’on nomme le départ passe et repassera toujours par son corps à elle. P. 19

Jeanne BENAMEUR convoque les arts pour tisser un lien entre les êtres. J'ai adoré côtoyer le temps d'une lecture Emilia, cette jeune italienne, peintre, qui par la voie d'une toile empreinte de rouge va susciter une vive émotion chez Esther. Ce moment d'intimité entre ces deux femmes en transit est d'une très grande sensibilité. Il y a aussi Gabor et son violon, des notes de musique pour mettre du baume sur les plaies béantes de la séparation dont la cicatrisation laissera sur les corps une trace à jamais.


On ne peut pas raconter la puissance de la musique mais on peut la voir éclairer les corps épuisés. P. 66-67

Il y a enfin Andrew et son appareil photo. Le jeune garçon prend des clichés qui assureront la mémoire de ces instants partagés, une jolie manière d'immortaliser ces moments de grande émotion. Il souhaite aussi que ses vues servent de tremplin à des rêveries.


Oui son ambition est que la photographie joue pleinement son rôle d’image, qu’elle déclenche aussi chez ceux qui la contemplent l’imaginaire, comme elle le fait pour lui. P. 90

La photographie, Jeanne BENAMEUR avait déjà longuement exploré cette discipline artistique dans Otages intimes. Etienne était alors reporter de guerre, il voulait à travers ses clichés témoigner de ce qui se passait dans le monde, que l'on n'oublie pas des territoires, comme des hommes, en voie de disparition. Là, l'écrivaine choisit de miser sur une autre quête, celle d'ouvrir le champ des possibles, de faire rêver !

Quant aux livres, Jeanne BENAMEUR leur accorde une place de choix...


Dans sa pension, il y aura aussi des livres parce qu’ils vous emportent et vous reposent de tout, parce que parfois ils vous conduisent même là où vous pensiez qu’en vous il n’y avait plus rien. P. 250

Dans les textes de Jeanne BENAMEUR, il est régulièrement question de transmission. Je suis littéralement tombée sous le charme du moment d'intimité partagé entre Andrew et son père venu d'Islande. Il y a quelque chose de profond et fort qui va se jouer entre eux comme l'ouverture d'une nouvelle voie, celle de la liberté. L'écrivaine nous permet de mesurer le poids des secrets de famille et le besoin impérieux de savoir d'où l'on vient pour savoir où l'on va. Juste magnifique.

J'aime profondément la plume de Jeanne BENAMEUR qui pèse avec minutie chaque mot. J'adore sa manière très singulière d'explorer la langue comme un élément du patrimoine de chacun :


Une langue est plus sûre qu’une maison. Rien ne peut la détruire tant qu’un être la parle. P. 166

Les mots sont émouvants, les phrases belles et poétiques. Je me suis surprise à glisser régulièrement, une nouvelle fois, des marque-pages comme autant d'étoiles dans un ciel nocturne. Je sors de cette lecture totalement envoûtée par le charme, l'effet Jeanne BENAMEUR !

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2019-09-01T09:39:05+02:00

Miss Islande d'Audur AVA OLAFSDOTTIR

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Miss Islande d'Audur AVA OLAFSDOTTIR

Parce qu'il y a des livres qui, dans le bal de la #RL2019 de septembre, nous emmènent en voyage, nous font découvrir des territoires, des hommes aussi, place aujourd'hui à Audur AVA OLAFSDOTTIR et son tout dernier roman "Miss Islande" publié chez Zulma.

Il sortira en librairie le 5 septembre. 

Aujourd'hui, je vous en propose les premières lignes... histoire de vous plonger dans l'atmosphère !


Je suis tombée par hasard sur un nid d'aigle quand j'étais enceinte de toi, à cinq mois de grossesse, un creux de deux mètres tapissé de roseaux des sables au bord de la falaise, près de la rivière. Deux aiglons dodus s'y blottissaient, j'étais seule, l'aigle tournoyait au-dessus de moi et de son nid, il battit violemment des aides, dont l'une était déplumée, mais ne m'attaqua pas. Je supposais que c'était une femelle. Elle me suivit tout du long jusqu'à la porte de la maison, une ombre noire au-dessus de ma tête comme un nuage qui passe devant le soleil.

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2019-08-31T10:23:42+02:00

Domovoï de Julie MOULIN

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Domovoï de Julie MOULIN

Parce que lors du bal de la #RL2019, plusieurs danses sont programmées, le 5 septembre prochain sortiront de nouveaux romans en librairie dont « Domovoï » de Julie MOULIN chez Alma Éditeur.

Après « Jupe et pantalon » découvert avec les 68 Premières fois, l’écrivaine nous revient et nous propose un voyage en Russie sur les traces d’une mère disparue mystérieusement.

Histoire de vous mettre en appétit, je vous livre aujourd’hui ses premières lignes :


Acte 1
Le temps du muguet

Il est revenu le temps du muguet
Comme un vieil ami retrouvé
Il est revenu flâner le long des quais
Jusqu’au banc où je t’attendais
Et j’ai vu refleurir
L’eclat de ton sourire
Aujourd’hui plus beau que jamais .

Alors, rendez-vous le 5 septembre ?

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2019-08-29T06:00:00+02:00

La Symphonie du Nouveau Monde de Lenka HORNAKOVA-CIVADE

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La Symphonie du Nouveau Monde de Lenka HORNAKOVA-CIVADE

Alma éditeur

Je suis devenue, au fil du temps, une inconditionnelle de la plume de Lenka HORNAKOVA-CIVADE découverte avec les 68 Premières fois (Mesdames les fées, vous aviez sacrément bien fait de vous pencher sur son berceau), c'était en 2016 déjà ! Elle m'avait alors fascinée avec ses "Giboulées de soleil", et puis il y a eu "Une verrière sous le ciel" et aujourd'hui, son retour avec "La Symphonie du Nouveau Monde", trois romans publiés dans la même maison d'édition. Trois romans, trois coups de cœur, la magie des mots à encore frappé !

Nous sommes en 2002 à Prague, dans le quartier de Karlin. Josefa a 64 ans. Son appartement est menacé par les crues de la Vltava. Un échange avec sa fille, Hana, tourne mal une nouvelle fois. Alors que les eaux commencent à envahir sa cave détruisant à jamais tous les livres qui y sont entreposés, elle mène l'un de ses derniers combats, celui de dicter l'apprentissage du français à sa petite-fille, Arielle. C'est elle déjà qui avait décidé du prénom de la fillette, et si maintenant, elle imposait une nouvelle fois sa vision des choses. Mais d'où lui vient cette obsession pour cette langue ? Cette nuit, elle dormira encore chez elle. Son gendre, Karel, annonce qu'il s'agira de la dernière, demain il faudra déménager. Josefa profite de ce moment de répit et de sa solitude pour sortir de sous son lit une boîte en carton, elle y gardait précieusement une poupée de chiffon. Le couvercle levé, les souvenirs resurgissent, là commence une nouvelle histoire... 


Ouvrir ce livre, c’est déverrouiller une porte bien cadenassée. P. 27

Lenka HORNAKOVA-CIVADE est une formidable conteuse, elle fait partie de ces écrivaines qui savent nous captiver dès les premières lignes avec des histoires romanesques profondément humaines, marquées par des itinéraires EXTRAordinaires. Josefa n'y échappe pas. Elle est née en 1953. C'est aussi cette année-là que Lenka HORNAKOVA-CIVADE décide de commencer à faire résonner la voix de Vladimír VOCHOC, un temps Consul général de la république tchécoslovaque à Marseille. Il s'interroge alors sur l'éventualité d'un tribunal pour juger de ses actes en temps de guerre. Vous l'aurez compris, la grande Histoire fait aussi partie des invités à la table de ce tout nouveau roman.

Passionnée du genre, j'ai adoré découvrir au bras de Lenka HORNAKOVA-CIVADE une nouvelle page de notre passé par le filtre de la République tchèque, son pays d'origine, une façon originale de prendre de la distance avec la France et de revisiter les relations entre nos deux pays. Mais l'écrivaine va beaucoup plus loin avec ce roman, elle restaure la mémoire d'un homme longtemps oublié, depuis quelques années dignement honoré avec le mémorial Yad Vashem israélien édifié à Jérusalem. Parce qu’Italo SVEVO écrivait dans « La conscience de Zeno » 

« Les choses que tout le monde ignore et qui ne  laissent pas de traces n’existent pas »

l’écrivaine mêle très habilement fiction et réalité à travers deux personnages à qui elle va proposer de se côtoyer le temps d'une lecture.

Le peuple juif est un personnage à part entière de ce nouveau roman dans lequel l'écrivaine nous parle de sa migration inlassable, de son déracinement, de la nécessité à chaque fois de s'ancrer à un territoire, avant de...


Partir. Comme toujours. Combien d’entre eux avaient-ils passé leur vie dans un seul et même lieu ? P. 83

L'auteure interroge une nouvelle fois la langue, ce qu'elle représente dans la culture de chacun, un sujet largement exploré dans "Une verrière sous le ciel".

Avouons qu'elle le fait magnifiquement et en français, s'il vous plaît, sa langue d'adoption à elle. Je suis toujours fascinée par la poésie, la beauté, la gravité aussi du propos de Lenka HORNAKOVA-CIVADE. C'est sans compter également sur la qualité de sa narration. Dans "La Symphonie du Nouveau Monde", elle choisit de donner la voix à plusieurs personnages, dont une poupée, un pari audacieux parfaitement réussi. Bravo.

Elle n'oublie pas non plus de faire référence à l'art, une discipline dans laquelle elle aime s'aventurer. Là, c'est la musique qu'elle convie en empruntant le titre de son roman au compositeur tchèque, Antonín Leopold DVORAk et son « Nouveau Monde ». Alors, pour que la boucle soit bouclée, quittons-nous en musique
 

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2019-08-27T06:00:00+02:00

Jour de courage de Brigitte GIRAUD

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Jour de courage de Brigitte GIRAUD

Flammarion

Tout commence avec l'exposé de Livio, un élève de terminale, en cours d'histoire. Le sujet : les autodafés. Le jeune homme choisit d'explorer l'itinéraire de Magnus HIRSCHFELD à l'initiative de la création de l'Institut de sexologie en 1919 à Berlin en Allemagne, un homme avant-gardiste mais comme le dit le proverbe : "Nul n'est prophète en son pays". Magnus HIRSCHFELD s'attirera les foudres du parti nazi avec sa bibliothèque, ses consultations et autres conférences à l'attention notamment des homosexuels. Livio, lui, a quelque chose de très personnel à dévoiler à sa petite amie, élève de la classe, aux autres lycéens, et puis, à la terre entière.  

Brigitte GIRAUD dresse un portrait croisé de deux hommes qui, à un siècle d'écart, tiennent un propos en faveur de l'homosexualité. 

Ce roman honore aussi la mémoire d'un homme, Magnus HIRSCHFELD, méconnu de tous ou presque. Il y a plusieurs manières d'aborder l'Histoire, personnellement, j'opte pour la littérature qui peut inlassablement réécrire les événements. Alors qu'il a peut-être évoqué dans mes cours de lycée, qui datent un peu c'est vrai, là, je suis persuadée qu'il va rester encré dans ma mémoire à jamais. Certains diront qu'il s'agit d'un roman, certes, et alors ? Même si quelques éléments relèvent de l'imaginaire de l'écrivaine, elle s'est inspirée de faits réels, très documentés, qui donnent à voir l'oeuvre de Magnus HIRSCHFELD


Mais cette justice-là qu'évoquait Magnus HIRSCHFELD était tout autre, cette "justice grâce à la connaissance" n'avait qu'un but : faire admettre ce qu'il essayait de démontrer scientifiquement avec les membres de son comité, à savoir le caractère inné de l'homosexualité, et par là même espérer faire disparaître l'hostilité à son égard. P. 42

et l'ignominie du régime nazi à l'égard des minorités.

Avec "Jour de courage", Brigitte GIRAUD tient un propos militant à l'égard du pouvoir des livres et le risque grand de les voir instrumentalisés par les régimes dictatoriaux. Ils sont la première arme de guerre contre le despotisme, à nous de nous en saisir  ! Les livres qui sont une fenêtre sur le monde nécessitent aussi d'être protégés becs et ongles contre toute forme de pouvoir arbitraire on ne le répétera jamais assez. 


Là où l'on brûle les livres, on finit par brûler les hommes, citation tirée de la tragédie Almansor de Heinrich HEINE.

Confrontée aux faits historiques, il y a aussi une affaire personnelle. Par le biais de l'exposé scolaire, procédé ingénieux, Livio fait son coming-out devant une classe médusée. Il interroge, provoque, invite à la méditation. C'est avec ce type de roman que l'on fait évoluer le regard de notre société sur l'homosexualité, la littérature sert aussi à se construire soi-même, à grandir tout simplement.

La plume de Brigitte GIRAUD est percutante, ciselée et tranchante. Elle nous livre un roman à mettre dans toutes les mains pour assurer la mémoire de Magnus HIRSCHFELD et à travers lui, éclairer une page de notre Histoire qui malgré son centenaire n'a malheureusement pas pris une ride. 

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2019-08-25T06:00:00+02:00

Un monde sans rivage d'Hélène GAUDY

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Un monde sans rivage d'Hélène GAUDY

Actes Sud

Avec ce roman, Hélène GAUDY nous emmène en voyage, à travers le temps, les continents aussi.

Le 5 août 1930, des chasseurs de morses accostent sur l’île Blanche, Kvitøya, cette terre vierge habituellement inaccessible à cause de la glace qui l’entoure. Là, leur regard est attiré par un éclair brillant, un morceau de métal qui réfléchit les rayons du soleil. Avec la fonte des glaces, deux corps sont découverts, le troisième nécessitera des recherches archéologiques. Depuis 1897, partis en ballon à la découverte du pôle Nord, Nils STRINDBERG, Knut FRAENKEL et Salomon August ANDREE étaient portés disparus. Accompagnés d'une équipée d'hommes, des techniciens, des scientifiques, des mécaniciens, des journalistes, des notables, ils étaient seuls à s'envoler pour le continent blanc, objet de fantasmes de tous les explorateurs du XIXème siècle.  

Parce que les sciences ont ce pouvoir de révéler indéfiniment l'Histoire et la littérature de la réécrire, je me suis glissée avec un plaisir non dissimulé dans les pas d'Hélène GAUDY qui, outre l'expédition Andrée, nous raconte aussi les dernières avancées sur le sujet et rend hommage aux recherches réalisées par Bea UUSMA, Suédoise, qui a consacré la moitié de sa vie d'adulte à apporter une réponse à cette question qui la taraude :  De quoi sont-ils morts ?

Si voler est le plus vieux rêve  de l'homme, j'ai adoré monter à bord du ballon à hydrogène piloté par Salomon August ANDREE et me retrouver, en 1897, à vivre le périple de grands aventuriers. Bien sûr, on sait dès le début que l'épopée fut tragique mais quelle prouesse littéraire que de faire revivre l'itinéraire de ces hommes que rien au monde n'aurait pu retenir. 


Il aurait voulu tout anticiper mais bien sûr, c’est impossible, leur voyage ne ressemble à rien de connu, il était absurde d’en tracer l’esquisse. P. 65

Hélène GAUDY grâce à un travail méticuleux et l'étude de nombreuses archives, nous propose une version romancée de ce vol dans les airs, l'atterrissage forcé, la vie qui a suivi, à leurs risques et périls. 


Il n’y a plus de mots pour ce qui va suivre. Aucun récit ne témoigne de la façon dont ils ont rejoint l’île. Il a fallu l’inventer. P. 266

Ce roman est aussi un hymne à la photographie, registre auquel s'adonne Nils STRINDBERG. C'est grâce à lui et à ses nombreux clichés développés avec une infinie précision, au risque de réduire à néant les seules archives des événements,  en 1930 par Hertzberg de l’Institut royal de technologie de Stockholm, que nous connaissons une partie de ce que fut l'expédition Andrée. La photographie de la première de couverture en fait partie, elle témoigne du ballon écrasé sur la banquise.


Il s’y livre à des essais photographiques. Il étudie, développe, fabrique. Il apprend, déjà, à transformer leur vie en preuve, en souvenir. P. 79

Hélène GAUDY profite de l'opportunité qui lui est donnée pour restaurer la mémoire d'une femme, Léonie d’AUNET, à qui l'on doit la première cartographie en 1839 du Spitzberg, l’île principale de l’archipel de Svalbard. Si le grand public se souvient de son mari, le peintre Auguste BIARD, et son adultère avec Victor HUGO qui lui vaudra d'être emprisonnée et internée dans un couvent, loin de ses deux enfants, peu ont en mémoire l'apport de son travail. Si "Un monde sans rivage" met en lumière trois explorateurs, des hommes, le roman permet de rééquilibrer l'ordre du monde, qu'on se le dise ! 

Je n'avais pas lu de roman d'aventure depuis bien longtemps, celui-là est exceptionnel. Nul doute que vous aussi tomberez sous le charme de la plume d'Hélène GAUDY, fluide, rythmée, haletante. Bon vol !
 

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2019-08-24T06:00:00+02:00

Les veilleurs de Sangomar de Fatou DIOME

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Les veilleurs de Sangomar de Fatou DIOME

Albin Michel

Le 26 septembre 2002, au large de Dakar sombre le ferry Joola avec ses 2 000 passagers. Seuls 64 survivent au naufrage. Parmi les disparus, il y a Bouba, le mari de Coumba, tous deux parents de la petite Fakidiine âgée de 5 mois. De confession musulmane, la veuve est recluse pendant quatre mois et dix jours. Dans la chambre au sein de la maison de sa belle-famille, Coumba fait part des voix qu'elle entend la nuit, celles de Sangomar, l'île sacrée où sont accueillis les défunts et djinns. Les mauvaises langues du village ne tardent pas à laisser croire que Coumba perd la raison. Incomprise, la jeune femme décide alors de se vouer au silence. Entre réalité et songe, la veuve profite des nuits pour libérer son coeur dans l'écriture et se laisser guider par les Immortels, les aimés.

Ce conte est un livre sur le deuil bien sûr. Avec le personnage de Coumba, Fatou DIOME déroule jour après jour le fil de l'existence de cette femme qui, après avoir été une jeune mariée, se retrouve tout de blanc vêtue pour célébrer le décès de son défunt mari. Le huis clos de la chambre dans laquelle Coumba se retrouve seule avec sa fille est une formidable opportunité pour la jeune femme d'imaginer son avenir et donc, de trouver la voie de sa propre résilience. Il y a une autre dimension au deuil apportée par l'écrivaine avec l'intervention des parents de Pauline, cette jeune infirmière partie en mission humanitaire en Afrique, également naufragée du Joola. Là pas de mot de vocabulaire pour traduire leur nouveau statut mais que de souffrances.


Quand la mélancolie est privée de mots, elle pêche des algues rouges au fond des yeux. P. 40

Mais ce roman est aussi une formidable preuve d'amour faite par une jeune femme à son mari. Coumba et Bouba venaient de célébrer un mariage d'amour que le destin est venu fracasser. Pour autant, Coumba reste fascinée par le personnage de son mari au point de laisser envoûter par sa voix, celle d'un Immortel, l'aimé ! J'ai beaucoup aimé cette narration de l'imaginaire qui offre des parenthèses dans un roman rythmé par les jours, mais aussi et surtout, les nuits. C'est quand la petite Fadikiine dort et que les visites s'interrompent que Coumba peut enfin communiquer avec les défunts de l'île de Sangomar. C'est dans ces dialogues que Coumba va puiser la force de se reconstruire, celle de se rebeller aussi devant les intentions de mère et belle-mère de la voir très vite remariée. 


De l'acquiescement à l'exécution d'un ordre, il y a la souveraineté d'une volonté. P. 165

Fatou DIOME dresse avec Coumba un magnifique portrait de femme, résistante, libre. C'est aussi le très beau tableau d'une mère. Au fil des jours et malgré l'exiguïté des lieux, Coumba va tisser avec sa fille une relation indéfectible, de celles qui trouvent leur source dans la maternité, l'union des corps, la chair, un lien viscéral plus fort que tout.


Etre mère, c'est vivre au service d'un être en devenir, même quand on ne veut plus du tout exister pour soi-même. P. 170

Et puis, ce roman c'est un hymne à l'écriture. Incomprise de son environnement familial, Coumba décide d'exprimer ses sentiments avec des mots qu'elle couche sur le papier. Très vite, le lecteur prend connaissance du dessein de cette mère, transmettre à sa fille ce qu'était son père, offrir à Fakidiine la possibilité de découvrir les réponses aux questions qu'elle ne manquera pas, plus grande, de poser à propos de Bouba. 


L'écriture n'arrête aucune honte, mais elle apprend à s'y tracer un sillage à coups de rames, n'importe quelle rive étant préférable à la noyade. P. 9

Ce livre, je l'ai lu aussi comme un acte militant, contre les Métamorphosés d'abord, ceux qui au nom de la religion revendiquent telle ou telle obligatoire alors même qu'ils ne connaissent pas les textes sacrés, contre les Européens aussi qui lors du naufrage du Joola, parce qu'il s'agit d'un fait réel, ne se sont pas indignés de la mort de près de 2 000 personnes. Fatou DIOME assure la mémoire d'un événement qui n'aurait jamais dû avoir lieu si le ferry sénégalais n'avait accueilli quatre fois le nombre de passagers autorisé. Que l'on ne s'y trompe pas, le naufrage du Joola n'est pas l'affaire de Dieu !

Avec "Les veilleurs de Sangomar", j'ai découvert la plume de Fatou DIOME, éminemment romanesque, délicate, tout en pudeur, qui par la voie du conte trouve un très beau terrain de jeu philosophique. 

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2019-08-23T06:00:00+02:00

A crier dans les ruines d'Alexandra KOSZELYK

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A crier dans les ruines d'Alexandra KOSZELYK

Aux Forges de Vulcain


Il y a des romans qui vous inspirent une sensation de bien-être, de plénitude, de sérénité... et d'autres qui résonnent comme des  bombes, vous laissant littéralement sur le carreau, exsangue. Assurément, le premier roman d’Alexandra KOSZELYK fait partie de ceux-là. Enoooorme coup de coeur de cette rentrée littéraire.

Lena vivait en Ukraine, près de Kiev, à Pripiat très précisément, cette ville construite de toutes pièces pour loger les employés de la centrale nucléaire. Ses parents, Dimitri et Natalia, faisaient partie du cercle des éminents scientifiques russes, lui y travaillait. Depuis sa plus tendre enfance, Lena nourrissait une relation d'amitié avec Ivan, un garçon de son âge. Ensemble, ils découvraient la nature, les choses de la vie. Avec les années, les jeux ont évolué, les sentiments aussi jusqu'au 26 avril 1986, date de l'accident à la centrale de Tchnernobyl. Dimitri a découvert très vite l'ampleur de la catastrophe et organisé, en toute urgence, l'exil de sa famille. Pas le temps de dire au revoir, pas de valises à emporter non plus. A leur arrivée en France, les parents ont imposé à leur fille d'oublier la vie passée, de se construire un avenir dans ce nouveau pays. Pour mettre fin au souvenir d'Ivan, son père lui a fait croîre à sa mort. Léna a bien essayé de s'intégrer en France, d'apprendre une nouvelle langue, de se faire des nouveaux amis, elle n'a malheureusement jamais réussi à combler le vide abyssal laissé par ses origines et son tendre amour pour Ivan. Une bonne vingtaine d'années après l'événement, avec des touristes, elle participe à une visite guidée du site pollué !

Si je me souviens très bien de cette année-là, des images télévisées des enfants rongés par le cancer de la thyroïde sur des lits d'hôpitaux austères et spartiates conformes à l'idée que l'on se faisait de l'U.R.S.S., je n'avais plus jamais repensé à ce territoire, ces populations, honte sur moi. Il aura fallu l'audace d'une toute nouvelle écrivaine pour me rappeler cette catastrophe environnementale et mesurer l'ampleur du cataclysme psychologique de celles et ceux qui ont pu fuir à l'étranger, et les autres, condamnés à vivre dans leur pays, dans une cité sans âme construite à la va vite pour répondre aux besoins des familles, voire retournés dans le champ de ruines laissé par l'explosion nucléaire. Alexandra KOSZELYK, que je suis de longue date dans le cadre de son blog Bricabook et avec qui j'ai eu l'honneur et l'avantage de vivre le jury 2018 France Bleu_Page des Libraires, fait partie de ces gens que rien n'arrête, pas même l'idée d'être en tête d'un peloton d'écrivains qui se consacreront dans les décennies à venir à l'histoire de Tchernobyl. Hardie, elle l'est ! Si souvent la littérature donne lieu à une profusion d'ouvrages quand la génération ayant vécu les traumatismes s'éteint, à l'image de la seconde guerre mondiale traitée massivement 70 ans plus tard, on se dit qu'elle a au moins 40 ans d'avance, chapeau.

Si aujourd'hui, de nombreux touristes se rendent sur les lieux, destination à la mode s'il en est, Lena, elle, cherche quelque chose de plus dans cette "excursion". On le sent dès les premières lignes, cette femme a quelque chose à voir avec ce territoire dont elle est meurtrie. J'ai ressenti très vite le poids angoissant d'une Histoire trop lourde à porter.

Dans ce roman, il est question de la terre nourricière. Là où l'écrivaine m'a littéralement bluffée, c'est en invitant la nature à la table des personnages de son roman. Alors que mon cerveau avait mémorisé les images d'une région en cendres, d'un champ de ruines, d'une ville fantôme... Alexandra KOSZELYK, dans un style éminemment descriptif, y substitue celles d'une végétation envahissante, d'être vivants en fort développement, assoiffés de terres irradiées. Là où je voyais du gris, elle met du vert. Là où je présumais l'immobilisme, elle propage le mouvement. Là où je flairais la mort, elle insuffle la vie, tout simplement, et pourtant ! Au fil des pages, l'écrivaine donne à voir une autre réalité de la zone contaminée, elle laisse lentement s'imprégner dans les pores de la peau la sève d'un renouveau pour, progressivement, réintroduire dans le décor des vies humaines. 


Là, des arbres poussent et repoussent les anciennes infrastructures des hommes. Les bâtiments carrés des années 1970 se teintent d'Art nouveau avec cet enchevêtrement de feuilles. Leurs branches perforent les fenêtres et les bâtiments. Ils entourent les colonnes de béton et forment des guirlandes enchanteresses. P. 17

Alexandra KOSZELYK traite du sujet de la terre d'adoption. Avec le portrait de Lena, et de sa grand-mère, Zenka, elle aborde l'exil, la migration, le déracinement... autant de plaies dont la cicatrisation laisse une trace indélébile dans la chair des êtres, dans leur esprit aussi. Malgré ses efforts d'intégration, Lena demeure torturée par l'absence de son pays, ses origines, sa langue, toutes ses fondations, tout ce qui lui permettait de se maintenir en équilibre. A la lecture du roman, j'ai ressenti jusque dans mes tripes les états d'âme de Lena, l'ampleur des sacrifices, l'impossibilité à se REconstruire ailleurs que dans son pays, celui qui l'a vu naître.


Elle revint avec un cœur funambule : l’absence piétinait la peine et l’espoir réunis. P 88

"A crier dans les ruines" montre, s'il en était besoin, à quel point les liens établis à la terre d'origine sont d'une force irrépressible. A travers ses études, ses voyages, d'autres ruines, Lena a bien essayé de substituer à son pays la vie d'autres. A force de lectures, d'imaginaire, de contes et légendes, elle s'est donné aussi une chance de vivre par procuration d'autres vies que la sienne


Ce livre devint sa famille d’adoption, de celle qui console de l’incommensurable abandon. P.83

mais rien n'y a fait. Son appartement, son parc, son arbre qu'elle partageait avec son amoureux, l'ont irrémédiablement amenée à quelque chose d'inéluctable, son retour au pays ! J'ai adoré explorer au bras d'Alexandra KOSZELYK l'intimité de cette femme, ses sentiments, sa force de VIVRE. 


Un à un, Léna retissa les anciens liens, les étira sur toute leur longueur, les polit pour leur redonner leur couleur d’autrefois. P. 214

Ce roman, il a pour moi la résonance d'un propos militant. Si d’aventure on pensait encore que l’homme n’y est pour rien dans les fortes chaleurs que l’on vit cet été, il est des catastrophes environnementales dont il est bien le seul responsable, à commencer par l’accident de Tchernobyl avec des conséquences sur l’économique et le social, les trois piliers du développement durable ! Parce que les concepts ne suffisent plus à nous faire prendre conscience de nos erreurs à l’égard de notre planète. Alexandra KOSZELYK avec son premier roman donne une dimension humaine aux événements. Lena et Ivan incarnent ce que sont déjà et seront en nombre effroyable d'ici peu les réfugiés climatiques. C’est par l’itinéraire de gens ordinaires - Lena et Ivan pourraient être nos amis - que l’écrivaine rend explosif le propos, un procédé ingénieux, audacieux et réussi. 

La plume est d'une sensibilité dramatique et bouleversante, l'histoire captivante, le rythme haletant. Bref, cette lecture est un CRI du coeur.

Le premier roman d'Alexandra KOSZELYK fait partie de la sélection des 68 Premières fois

 

A crier dans les ruines d'Alexandra KOSZELYK

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2019-08-22T06:00:00+02:00

Rien n'est noir de Claire BEREST

Publié par Tlivres
Rien n'est noir de Claire BEREST

Stock

 

Claire BEREST, avec son tout nouveau roman, nous emmène à la rencontre de Frida KAHLO, un portrait tout à fait saisissant d’une grande Dame de la peinture.

 

Nous sommes en 1928. Alors que l’artiste Diego RIVERA réalise une fresque murale monumentale pour le Ministère de l'Education, Frida, l’effrontée de 20 ans sa cadette, l’interpelle et lui demande de descendre de son échafaudage pour lui montrer quelque chose. Elle a, avec elle, deux tableaux. Elle veut son avis. Il lui donne rendez-vous le dimanche suivant avec une nouvelle toile. C’est ainsi qu’une relation passionnelle va s’engager entre deux personnages hauts en couleur : Diego RIVERA dont la qualité du travail artistique va grandissante, Frida KAHLO promise dès son plus jeune âge à un parcours atypique (à 15 ans, elle fait partie des premières filles à entrer à la Prépa) et ambitieux (passionnée d’anatomie et de biologie, elle veut être médecin). C’est à 18 ans que Frida KAHLO a un terrible accident de bus avec de multiples blessures qui la clouent à un lit d’hôpital pendant 3 mois et l’obligent à une nouvelle intervention chirurgicale l’année suivante. C’est alors que Frida demande à son père, allemand d’origine, photographe de formation, passionné de piano, de lui apporter un chevalet, des pinceaux et de la peinture. Grâce à l’installation judicieuse d’un miroir au sommet de son lit à baldaquin, Frida commence à peindre, bien qu’alitée. Une nouvelle page de sa vie s’ouvre alors...

 

Claire BEREST, c’est avant tout une rencontre. J’ai eu l’immense chance de participer le samedi 29 juin dernier à Paris à la présentation de la rentrée littéraire des éditions Stock et d’assister à un exposé de fougueux, passionné et passionnant, de l’écrivaine. A travers sa manière, très personnelle, de révéler Frida KAHLO, je me suis retrouvée dans un tourbillon de couleurs, de sentiments, à partager l’intimité d’une artiste mexicaine EXTRAordinaire. Au final, je ne sais plus très bien qui est la plus enflammée des deux, Claire BEREST ou Frida KAHLO, les deux certainement !

 

Quant au roman, il s’inscrit dans la droite ligne de ce moment tellement enthousiasmant.

 

D’abord, il traite de la vie de deux artistes peintres nés à la fin du XIXème et au début du XXème siècle, au moment même où, au Mexique, un mouvement historique de vulgarisation de l’art est lancé par le Ministre de l’Education, Vasconcelos, qui veut rendre la culture accessible à tous.


La peinture est devenue monumentale, accessible et édifiante, elle donne aux analphabètes le droit de lire leur histoire nationale, aux pauvres, le droit de vibrer gratis, à tous, leurs racines indiennes sublimées. P. 31

C’est à cette période que les murs se parent de fresques monumentales, Diego RIVERA est au rendez-vous, il intervient notamment sur l’amphithéâtre Bolívar de Mexico. De nouvelles opportunités s’ouvrent à lui, à l’international. Rockfeller en personne lui commande une oeuvre pour le RCA Building de New-York. Quand on sait que Diego RIVERA était communiste...  

 

Avec « Rien n’est noir », vous plongez au coeur de l’Histoire du Mexique et du streetart qui se distingue encore aujourd’hui. Vous visitez aussi le monde et côtoyez les hommes, capitalistes, en quête de montrer ô combien leur pouvoir est grand.

 

C’est aussi une histoire d’amour, ardente, bouillonnante, impétueuse, entre deux artistes, mais aussi deux personnalités totalement débridées. Rien ne saurait les arrêter ! Diego RIVERA ose faire un pied de nez au commanditaire de l’oeuvre du RCA Building en y ajoutant effrontément une figure de Lénine comme la touche finale d’une création artistique devenue militante. Le ton est donné. Vous imaginez bien que la vie de ces deux-là ne va pas être un long fleuve tranquille. Ils vont s’aimer passionnément, se haïr aussi ! A leur séparation, Frida KAHLO s’offre tous les hommes qu’elle peut, ils subliment tous Diego RIVERA dans ce qu’ils ont de faible, fragile, et elle en jouit.

 

J’ai adoré découvrir Frida KAHLO seule aussi. Elle est flamboyante et multiplie les symboles qui me ravissent. Rien n’est laissé au hasard. Elle s’habille avec des robes très colorées venues de l’isthme de Tehuantepec, une région du Mexique où les femmes sont les chefs de famille. A travers cette culture matriarcale qu’elle honore, elle contribue à véhiculer un message d’anticipation des femmes. Et des femmes, prodigieuses, elle va en rencontrer, à commencer par Lucienne Bloch, assistante de Diego RIVERA, fille du chef d’orchestre Ernest BLOCH, avec laquelle va s’instaurer une grande complicité en lien avec leurs deux pères photographes. Elle va aussi se délecter des plaisirs qu’offre Paris au bras de Jacqueline BRETON, l’épouse de l’écrivain. Elle va rencontrer Dora Maar, la compagne de PICASSO, elle-même peintre, photographe, poète. Frida KAHLO poursuit un rythme frénétique de création artistique, elle peint comme elle respire. Loin d’elle l’idée d’analyser son propre travail, elle s’en étonne quand des critiques s’y attellent. 


Peindre est une facette d’elle-même parmi d’autres, un trait de sa personnalité, comme de jurer constamment, de collectionner les poupées ou de se méfier des gens qui se prennent au sérieux. P. 209

« Rien n’est noir » est une très belle opportunité de prendre connaissance des toiles peintes par Frida KAHLO, personnellement j’ai un faible pour « La Colonne brisée » réalisée en 1944.

 

Ce roman est un coup de coeur à plus d’un titre.

 

Il y a le fond bien sûr. À travers l’itinéraire d’une femme éminemment romanesque, Claire BEREST égrène, comme autant de bijoux dont se pare Frida KAHLO, des souvenirs historiques qui font que le monde est ce qu’il est aujourd’hui. Elle honore aussi la mémoire d’une grande Dame de la peinture.

 

Il y a la forme aussi. Claire BEREST intitule ses chapitres des couleurs primaires utilisées par Frida KAHLO. Mais l’écrivaine qui, comme son icône, a le souci du détail, va plus loin en donnant systématiquement la signification de la nuance évoquée, initiant ainsi le lecteur au symbolisme des couleurs, les associations mentales, les fonctions sociales et les valeurs morales qui y sont liées.

 

La narration est foisonnante, à l’image de la vie de l’artiste célébrée. Elle est poétique aussi :


La peinture c’est un lieu sur la mappemonde de son caractère. P. 209

Claire BEREST maintient un rythme ahurissant qui donne à cette lecture une vivacité et un dynamisme absolument remarquables. J’en suis sortie envoûtée, et aussi sans voix. Je me sens déjà orpheline de la lumineuse Frida KAHLO et me prends à rêver de la vie qu’elle aurait pu mener s’il n’y avait eu l’Accident !

Quant à la plume de l’auteure, j’ai maintenant une furieuse envie d’aller plus loin. Vous me conseillez "Gabrièle" ?

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