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Articles avec #grand prix des lectrices elle catégorie

2018-11-29T07:00:00+01:00

Ásta de Jón Kalman STEFANSSON

Publié par Tlivres
Ásta de Jón Kalman STEFANSSON

Parce qu'un coup de coeur se partage sans modération, j'ai choisi d'extraire ma #citationdujeudi du dernier roman de Jón Kalman STEFANSSON "Ásta" publié aux éditions Grasset.

Il est en lice pour le #GrandPrixdesLectricesElle 2019.

C'est un formidable roman qui parle de la passion amoureuse dans ce qu'elle a de plus fulgurant, de plus douloureux aussi. Je suis sortie de cette lecture totalement habitée par le personnage d'Ásta.

Ce roman d'apprentissage est juste EXTRAordinaire, qu'on se le dise !

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2018-11-23T06:44:00+01:00

Ici, les femmes ne rêvent pas de Rana AHMAD

Publié par Tlivres
Ici, les femmes ne rêvent pas de Rana AHMAD

Editions Globe

Il y a des lectures qui se suivent... et parfois se ressemblent. Toutes les deux sont réalisées dans le cadre du #GrandPrixdesLectricesElle2019. Après "La Vraie Vie" de Adeline DIEUDONNE, un roman, voici "Ici les femmes ne rêvent pas" de Rana AHMAD, là, il s'agit d'un récit de vie, plus précisément, le récit d'une évasion.

Tout commence avec une communication téléphonique qui doit rester secrète. Une jeune femme téléphone à son père qu'elle n'a pas vu depuis 2 ans. Rana est en Allemagne, à Cologne, lui, à Riyad en Arabie Saoudite. Elle a vécu là-bas son enfance, son adolescence, et a fui cet univers qui la brimait. 

Ses parents sont originaires de Damas en Syrie où la famille passe toutes les vacances d'été. Rana, petite fille, y vit plus libre, elle aime prendre son vélo et aller faire les provisions que lui commande sa grand-mère jusqu'au jour où son grand-père décide d'attribuer à un cousin son vélo, ce bien qui lui est le plus précieux. Elle a 10 ans, elle est une fille, elle ne doit plus se vouer à ce type d'activité. Et puis, il est temps pour elle aussi de porter le voile. A 14 ans, elle passe au niqab. Rana fait l'objet d'un mariage arrangé. Une fois le folklore des festivités passé, elle se trouve très vite confrontée aux violences de la belle-famille qui envahit son intimité et celle de son mari. Le piège se referme sur elle, elle est menacée de mort. Elle réussit à divorcer grâce au soutien de son père. Une nouvelle vie commence, celle de l'émancipation. Rana découvre les théories de l'évolution de Darwin sur les réseaux sociaux, il n'en faudra pas plus pour que sa curiosité soit attisée et sa foi en Dieu remise en question. Un tout nouveau combat commence avec sa mère, son frère, elle est la honte de la famille, elle n'aura bientôt plus d'autre choix que de partir... ou mourir.

J'ai été profondément touchée par ce document qui fait partie de la sélection du mois d'octobre.

Dès les premières pages, j'ai été captivée par le destin de cette femme. On mesure très vite la précarité de sa situation et la vulnérabilité de sa survie. Rana AHMAD, il s'agit là d'un pseudonyme, est menacée de mort dans son pays d'origine. Elle vit cachée des siens et tente de construire sa vie à l'étranger.

Comment en est-elle arrivée là ? C'est ce que nous découvrons avec ce livre qui va lentement et chronologiquement relater toute la vie de l'auteure. C'est un témoignage affreux de la violence des hommes faite aux femmes, sous couvert d'un propos religieux qui conférerait aux mâles une quelconque supériorité, propos totalement insupportable d'autant plus quand il s'agit de vie ou de mort. Il y a cette incapacité à s'habiller comme elles le souhaitent


Pourquoi devons-nous constamment cacher là-dessous notre beauté et notre personnalité ? P. 46

mais aussi à sortir quand elles veulent. Les femmes en Arabie Saoudite doivent être accompagnées en permanence d'un homme, leur père, un frère... dans l'espace public. 

Rana a bénéficié d'un père moderne qui souhaitait qu'elle fasse des études supérieures mais le cocon familial, croyant et pratiquant, aura eu raison de ses bonnes intentions. Le personnage de la mère est d'une cruauté sans nom. Comment imaginer qu'une femme qui a enfanté puisse renouveler les interdits à la génération qui suit ? C'est pourtant ce qui se passe. Plus Rana grandit, plus elle cherche à s'émanciper, plus l'étau de la mère se resserre.


Je crois qu’elle devine mon appétit, mon désir d’une vie plus grande, avant même que je n’en prenne moi-même conscience - cet instinct qu’ont les mères, même quand on a le sentiment d’avoir perdu toute proximité avec elles. P. 129

Avec ce récit de vie, Rana AHMAD met une nouvelle fois le doigt sur le déterminisme social. Comme chaque enfant, elle reçoit de ses parents une éducation qui lui laisse à penser que toutes les familles vivent de la même manière. Comment imaginer que d'autres références puissent alors exister ? Comment mettre des mots sur les maux du quotidien ?


À cette époque, j’ai l’impression d’avoir grandi dans une prison sans même avoir su que j’étais enfermée. P. 136

Alors que les réseaux sociaux sont habituellement montrés du doigt pour enrôler les jeunes, faire d'eux les victimes de mouvements de radicalisation, là, ils sont synonymes d'émancipation. C'est grâce aux réseaux sociaux que Rana va découvrir une communauté d'ex-musulmans et décider de devenir athée. C'est grâce à eux aussi qu'elle va organiser sa fuite, le passage de la frontière à destination d'Istanbul en Turquie. C'est grâce à eux encore qu'elle va trouver sa voie en Allemagne. Ce document montre la force d'un réseau qui s'appuie, aujourd'hui, sur les nouvelles technologies réduisant de  fait les distances, le monde devient un jardin !

J'ai commencé cette chronique en mettant le doigt sur une similitude avec "La Vraie Vie" de Adeline DIEUDONNE. Il en est un qui est une fiction l'autre profondément ancré dans la réalité, les deux ont comme personnage principal une fille, les deux s'inscrivent dans un parcours initiatique et une quête de liberté, mais aussi et surtout, les deux vont s'appuyer sur la science pour déconstruire tous les schémas qui leur ont été transmis. Rana AHMAD va prendre conscience avec Darwin que Dieu n'est pour rien dans l'évolution des espèces et va, comme la narratrice de "La Vraie Vie", s'appuyer sur des données ô combien rationnelles pour construire sa propre philosophie du monde.  

Ce récit est déchirant mais c'est aussi une formidable leçon de vie. En le refermant, je me prends à rêver, parce que chez nous c'est permis, en un monde meilleur, peut-être n'est-ce là qu'une utopie...

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2018-11-16T07:00:00+01:00

Rivière tremblante de Andrée A. MICHAUD

Publié par Tlivres
Rivière tremblante de Andrée A. MICHAUD

Rivages/Noir
 

"Rivière tremblante" fait partie de la sélection d'octobre pour le Grand Prix des Lectrices Elle 2019 dans la catégorie Policier.
 

Je ne connaissais pas encore la plume d'Andrée A. MICHAUD, c'est une révélation pour moi !
 

Marnie est de retour dans le village de Rivière-aux-Trembles pour les funérailles de son père. Avant de quitter le cimetière, elle demande au ciel qu'un message lui soit envoyé et là, un cri surgit, le même que celui qui, il y a une trentaine d'années, est venu troublé les jeux d'enfant de la fillette et son ami, Michaël. Elle avait 11 ans quand les faits se sont produits, lui 12. Tous deux, portés par leur insouciance, se racontaient des histoires inspirées des livres et autres B.D. qui nourrissaient leur imaginaire, ils endossaient les costumes de leurs héros et partaient à la découverte de la forêt et la rivière qui bordaient leur village, la nature était leur terrain de jeux. Ils étaient complices à la vie, à la mort, et se promettaient de ne jamais se séparer. Pourtant, ce 7 août 1979, le destin en décidera autrement. Alors que les enfants se baignent, le tonnerre commence à gronder. Ils sortent de l'eau, Michael prépare une cabane avec des branchages, Marnie s'y abrite  pendant que le garçon va récupérer les maillots de bain laissés sur un rocher. Un éclair foudroie l'enfant qui devient un pantin désarticulé. Michaël prononce à Marnie quelques mots totalement incompréhensibles et s'enfuit en furie. La fillette, choquée, réussira à rentrer chez elle et à lancer l'alerte mais hormis une chaussure retrouvée, les enquêtes resteront vaines. La disparition restera mystérieuse, la petite fille sera soupçonnée de ne pas dire la vérité. Les gens du village la prendront pour une sorcière. Harcelée, la famille n'aura d'autre choix que de déménager, partir pour fuir l'insoutenable culpabilité.  C'est aussi ce qu'a fait Bill, le père de la petite Billie, disparue à l'âge de 8 ans alors qu'elle quittait l'école pour se rendre à son cours de danse. Il était marié mais leur couple ne résistera pas à la force des événements. Considéré comme coupable par sa femme qui le hait, par la police aussi, il quittera le foyer familial pour souffrir en paix de l'absence de sa fille qu'il chérissait. Une troisième disparition d'enfant dans le village pourrait bien faire se croiser les destins de Marnie, devenue adulte, et Bill, et réveiller la terrible souffrance qui n'a jamais cessé de les habiter.
 

Je ne suis pas une adepte des romans policiers, craignant de beaucoup les descriptions de scènes macabres, mais je commence à apprécier ce genre littéraire avec les belles découvertes réalisées dans le cadre du #GrandPrixdesLectrices Elle 2019.
 

Assurément, ce roman restera gravé dans ma mémoire pour tout ce qu'il revêt de psychologique. L'écrivaine explore en profondeur les sentiments de Marnie et de Bill, deux être douloureusement marqués par des disparitions. Elle va mettre le doigt sur le deuil impossible à réaliser en l'absence de corps, de funérailles, et remuer le couteau dans la plaie jusqu'à faire exprimer par chacun l'ensemble des émotions. 
 

Par le jeu de la narration, l'auteure évoque cette terrible réalité avec les yeux d'une enfant d'une part, et celle d'un adulte d'autre part. Un chapitre sur deux est dédié à la vie de la petite Marnie pendant que l'autre donne la parole à un père profondément affecté. 
 

A l'en croire, il n'y a pas d'âge, ni de genre, pour cultiver un sentiment terrible d'impuissance devant l'absence totale d'indices susceptibles d'aider chacun à retrouver une trace de l'être cher.


C’est ce genre d’inavouable sentiment qu’éprouvent ceux qu’on place devant le vide et qui doivent se démerder avec l’infinité des possibles susceptibles de donner quelque consistance à leur ignorance. P. 321

Les personnages sont en permanence sur le fil du rasoir. Entre la raison et la folie, leur coeur balance inlassablement, montrant à tout jamais la vulnérabilité de chacun.
 

Mais plus encore, ce qui ressort de ce roman, c'est cette pression de l'environnement, ce besoin irrépressible qu'ont les gens de trouver un responsable, tout de suite, maintenant, transférant de fait les projecteurs des médias, de la police... sur l'un, l'autre, avec la condamnation possible d'innocents !  Marnie et Bill sombrent sous le coup de la double peine. Non seulement, ils souffrent douloureusement de l'absence de l'être cher, mais encore ont-ils à supporter cette culpabilité qui les ronge. Le propos de Mathieu MENEGAUX de son dernier roman : "Est‐ce ainsi que les hommes jugent ?" ne manque de résonner, confrontant le lecteur à sa propre posture, à cette justice rendue hâtivement par la société civile qu'il alimente peut-être lui-même ! Nul besoin de recourir à aux réseaux sociaux, les moyens les plus rudimentaires peuvent aussi contribuer à la propagation de rumeurs. 
 

Personnellement, j'ai été bouleversée par cet acharnement des deux personnages à trouver la voie de la résilience. Meurtris par ces disparitions, Marnie et Bill mènent la quête de leur vie. Chacun, à sa manière, se forge ses propres convictions.


Pleurer n’atténue en rien la souffrance, mais ça lui donne le droit de se laisser aller un peu, de se répandre en petites rigoles salées sur la peau froide, pendant que le cerceau de métal enserrant le plexus solaire se relâche d’un cran ou deux. P. 46

Isolés, tous deux tentent d'imaginer un avenir et de trouver une certaine sérénité. Ce roman nous livre deux formidables leçons de vie.

Ce roman policier est un excellent thriller psychologique à plus d'un titre. L'intrigue est parfaitement maîtrisée, le suspens est haletant jusqu'à la toute dernière page, la narration à deux voix est audacieuse et très réussie, la plume est fluide et émouvante. Je suis séduite.

Un immense merci aux lectrices du jury d'octobre. Sans vous, je serai passée à côté de cette pépite.

Ce roman concourt au Challenge 1% rentrée littéraire organisé par Délivrer des livres, tout comme :

Miss Sarajevo d'Ingrid THOBOIS Coup de coeur

Asta de Jon Kalman STEFANSSON Coup de coeur

Cette maison est la tienne de Fatima FARHEEN MIRZA *****

Chien-loup de Serge JONCOUR Coup de coeur

L'hiver du mécontentement de Thomas B. REVERDY *****

Lèvres de pierre de Nancy HUSTON Coup de coeur

Les exilés meurent aussi d'amour d'Abnousse SHALMANI *****

Quand Dieu boxait en amateur de Guy BOLEY *****

Hôtel Waldheim de François VALLEJO *****

Le Grand Nord-Ouest d'Anne-Marie GARAT *****

37, étoiles filantes de Jérôme ATTAL *****

Je, tu, elle d'Adeline FLEURY ****

La douce indifférence du monde de Peter STAMM *****

La neuvième heure d'Alice McDERMOTT *****

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2018-09-18T06:00:00+02:00

La Loi de la mer de Davide ENIA

Publié par Tlivres
La Loi de la mer de Davide ENIA

Albin Michel

Traduit par Françoise BRUN

Ce document fait partie de la sélection de novembre du 50ème Grand Prix des Lectrices Elle.
Après l'univers de la justice avec "Même les monstres" de Thierry ILLOUZ, place à Lampeduza et ses vagues de migration avec "La Loi de la mer" de Davide ENIA.

L'auteur et dramaturge a mené l'enquête sur cette île qui fait la une de l'actualité depuis plusieurs années. Située entre l'Afrique et l'Europe, elle se trouve sur l'itinéraire maritime de tous ces migrants en quête d'une terre plus hospitalière. A bord d'embarcations de fortune, des centaines  d'hommes, de femmes, d'enfants, tentent leur dernière chance, malheureusement, à chaque voyage, ce sont des dizaines, voire la quasi totalité des individus qui périront.

Il y a bien des bénévoles qui font ce qu'ils peuvent pour leur porter secours dans une mer parfois déchaînée, mais la tragédie humaine se poursuit devant l'impuissance générale. Les migrants meurent noyés dans des conditions effroyables, ils sont trop nombreux pour avoir une tombe et des funérailles dignes de tout être humain, leurs corps sont enlaidis par la mer, grignotés par les poissons, gonflés par l'eau.


Le corps est un journal intime où se lisent les événements des derniers jours de la vie. 60

Sur terre, le lecteur fait connaissance avec Paola, une ancienne avocate, et son compagnon, Melo, ils y gèrent une maison d'hôtes. Pour eux, leur existence n'a de sens que par la voie de la solidarité. Leur vie a eux est ponctuée de rencontres, fortuites, temporaires, profondément humaines. 


Une phrase gentille, une poignée de main, une oreille qui écoute le trop-plein qui s’y déverse. C’est de cette façon-là aussi qu’on guérit. P. 136

J'ai été profondément touchée par ces êtres qui s'expatrient par centaines, par milliers, que dis-je, par... comment imaginer que chaque jour l'océan engloutisse ou rejette, selon les cas, des corps en nombre aussi conséquents. Jamais l'expression "une goutte dans l'océan" n'a eu autant de sens. Je sors de cette lecture en colère après les politiques, comment imaginer que ces drames humains perdurent depuis autant d'années ? Je suis profondément indignée aussi du sort réservé à celles et ceux qui fuient leur pays d'origine et qui n'ont plus d'espoir que dans cette traversée, aussi incertaine soit-elle.

Cette Histoire contemporaine, bien réelle, pourrait nous paraître loin de nous mais c'est sans compter sur le talent de Davide ENIA de la mettre en parallèle avec la mort annoncée de l'oncle Beppe, malade d'un cancer. D'un coup, on passe du collectif à l'individuel et là, la prise de conscience est décuplée.

La plume de Davide ENIA, et la traduction proposée par Françoise BRUN, sont assourdissantes. Elles décrivent de façon presque journalistique les événements qui se suivent et malheureusement se ressemblent, elles donnent la voix à des habitants de l'île totalement dépassés par le nombre. Qu'ils s'agisse de ceux qui s'investissent pour porter secours ou des autres qui ferment leur porte pour se protéger eux-mêmes de l'invasion, l'auteur a le mérite d'assurer la traçabilité des propos. C'est beaucoup, et c'est bien peu... 

Retrouvez toutes mes lectures dans le cadre du Grand Prix des Lectrices Elle 2019 :

- "La douce indifférence du monde" de Peter STAMM, roman, sélection de nov,

- "Même les monstres" de Thierry ILLOUZ, document, sélection de nov.

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2018-09-15T06:00:00+02:00

Ásta de Jon Kalman STEFANSSON

Publié par Tlivres
Ásta de Jon Kalman STEFANSSON

Grasset

Traduit par Éric BOURY

Ce roman fait partie de la sélection de novembre du 50ème Grand Prix des Lectrices Elle. Autant vous l'avouer dès maintenant, c'est un coup de coeur.

Ce livre m'a profondément bouleversée.

Je vous dis quelques mots de l'histoire.

Nous sommes dans les années 1950 à Reykjavik en Islande. Helga a 19 ans, Sigvaldi 30. Ils vivent le parfait amour. Ils ont une enfant de 7 mois. Une nouvelle grossesse se profile. Ils cherchent un prénom pour le bébé à venir, une autre fille. En mémoire d'une lecture qu'ils avaient partagée, « Gens indépendants » de Halldór LAXNESS (Prix Nobel de littérature), et qui les avait beaucoup émus, ils choisissent Ásta. A une lettre près, le prénom de la fillette aurait signifié "amour", mais voilà, cette lettre va faire toute la différence ! La grossesse d'Helga est marquée par ses crises de nerfs, un peu comme si la maternité faisait resurgir le passé et tourmentait les âmes par des souvenirs douloureux. Avec la naissance, les sentiments s'apaisent malgré une vie de famille chahutée par une économie en perte de vitesse. Sigvaldi est contraint d'exercer deux métiers pour permettre à sa femme et ses enfants de vivre. Il est marin. Il est peintre en bâtiment aussi, il a monté son entreprise avec un associé. D'ailleurs, un jour il tombe d'une échelle. Un peu sonné, il se remémore les bons moments de son existence. Il culpabilise aussi. S'il n'avait pas été un bon père pour sa fille...  

Ce roman d'apprentissage est absolument EXTRAordinaire.

Dès la première page, j'ai été totalement happée par le tourbillon des destins qui se croisent, se lient, se délient, se relient, perturbés qu’ils sont, comme le climat islandais. Il y est question d'amour, de passion, l'incandescente, celle qui brûle, enflamme, et s'éteint pour ne plus laisser derrière elle que quelques cendres. Mais c'est sans compter, parfois, sur un léger souffle qui suffit à rallumer le tison que l'on croyait à jamais disparu. Jón Kalman STEFANSSON illustre parfaitement la fureur de la passion amoureuse, les hauts, très hauts, et les bas, très bas. Il n'y a pas de demi-mesure, juste l'immense sensation d'exister.


Avoir hâte. Surtout quand il s’agit de retrouver une personne qui vous est chère. Alors, on se sent vivant. P. 217

Dans ce roman dont la construction narrative est exceptionnelle émerge un certain rapport au temps. Il y a d'abord celui qui prend appui sur les deux générations de couples, Helga et Sigvaldi d'une part, Ásta et Josef d'autre part. Mais il y aussi celui qui se déploie au rythme des sentiments, tantôt il y a urgence à vivre, assouvir sa passion, chaque minute, chaque heure compte, tantôt les mois, les années, s'étirent inlassablement.


Nous avons tant à faire que parfois, on dirait que notre existence va plus vite que la vie elle-même. P. 42

Enfin, j'ai été profondément touchée par cette espèce de déterminisme dans les générations de femmes, un peu comme si, avec la filiation, elles se transmettaient une partie de leur histoire qui se répéterait indéfiniment. J'avais déjà mesuré cette fragilité dans le roman de Lenka HORNAKOVA-CIVADE et ses "Giboulées de soleil".

Mais là, sous la plume de Jón Kalman STEFANSSON, la tragédie devient une fatalité, emportant tout sur son passage, y compris la raison. L'histoire d'Ásta est ponctuée par des périodes de profonde dépression, certaines réalités sont trop lourdes à porter.


L’ignorance vous rend libre alors que la connaissance vous emprisonne dans la toile de la responsabilité. P. 264

L’exercice littéraire est époustouflant dans la maîtrise des scénarios. Ce roman fait un peu plus de 490 pages, j'aurais aimé qu'il en fasse 100, 200, 300 de plus, totalement habitée que j'ai été par le personnage d'Ásta.

A saluer également la qualité de la traduction proposée par Eric BOURY, juste prodigieuse !

Ásta fait partie des INCONTOURNABLES de cette rentrée littéraire.

Retrouvez toutes mes lectures dans le cadre du Grand Prix des Lectrices Elle 2019 :

La douce indifférence du monde de Peter STAMM, roman, sélection de nov.

Même les monstres de Thierry ILLOUZ, document, sélection de nov.

La neuvième heure d'Alice McDERMOTT, roman, sélection de nov.

Ce roman concourt au Challenge 1% rentrée littéraire organisé par Délivrer des livres, tout comme :

Cette maison est la tienne de Fatima FARHEEN MIRZA *****

Chien-loup de Serge JONCOUR Coup de coeur

L'hiver du mécontentement de Thomas B. REVERDY *****

Lèvres de pierre de Nancy HUSTON Coup de coeur

Les exilés meurent aussi d'amour d'Abnousse SHALMANI *****

Quand Dieu boxait en amateur de Guy BOLEY *****

Hôtel Waldheim de François VALLEJO *****

Le Grand Nord-Ouest d'Anne-Marie GARAT *****

37, étoiles filantes de Jérôme ATTAL *****

Je, tu, elle d'Adeline FLEURY ****

La douce indifférence du monde de Peter STAMM *****

La neuvième heure d'Alice McDERMOTT *****

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2018-09-14T06:00:00+02:00

La neuvième heure d’Alice McDERMOTT

Publié par Tlivres
La neuvième heure d’Alice McDERMOTT

Editions de la Table ronde_Quai Voltaire

Traduit par Cécile ARNAUD

Ce roman fait partie de la sélection de novembre du 50ème Grand Prix des Lectrices Elle.
Je vous dis quelques mots de l'histoire.

Nous sommes en hiver, à Brooklyn aux Etats-Unis. Jim a 32 ans, il est marié depuis deux ans avec Annie, enceinte. Il envoie Annie faire les courses et pendant ce temps-là, prépare son suicide au gaz domestique. Cheminot, il avait été renvoyé une quinzaine de jours plus tôt pour manque de fiabilité et insubordination. Il n'a pas supporter cette humiliation. La nouvelle a fait grand bruit dans le quartier et alerté la communauté des nonnes voisines. Soeur Saint-Sauveur prend le relais des pompiers au chevet de la jeune femme, veuve, et assure l'organisation des funérailles. Annie est hébergée par la communauté qui va offrir un cadre de vie à la petite Sally, sa fille. Pour toutes les deux, la vie prend un tournant insoupçonné.

Je ne connaissais pas encore la plume d'Alice McDERMOTT, ni le talent de traductrice d'Alice ARNAUD, me voilà comblée par leur duo littéraire.

Ce roman dresse le portrait d'une communauté religieuse empreinte de solidarité, générosité et bienveillance. Elle porte secours aux plus défavorisés et offre ainsi un tout nouveau foyer à la jeune femme douloureusement affectée par le décès de son mari. La communauté lui assure un toit et le couvert mais elle va plus loin en conférant à la jeune femme une véritable utilité sociale. Elle lui permet de se (re)construire et de trouver une place dans la société religieuse telle qu'elle est organisée, hiérarchisée, rythmée par la prière et la réalisation des services communs. Annie va trouver du réconfort dans cette famille religieuse et établir une complicité avec les femmes qui l'entourent.

J'ai beaucoup apprécié l'approche moderne et ouverte de cette communauté religieuse. Le tableau est élogieux, il est audacieux aussi. Ecrire au XXIème sur la religion catholique aurait pu paraître dépassé, obsolète, démodé et archaïque. Il n'en est rien.

J'ai été aussi particulièrement séduite par le parcours de la petite Sally, qui, devenue adulte, va imaginer que la voie de la religion soit aussi faite pour elle, mais l'abnégation ne s'improvise pas. 


Prononcer ses vœux signifiait laisser tout le reste derrière soi : la jeunesse, la famille et les amis, tout l’amour qui n’était qu’individuel, tout ce qui dans l’existence nécessitait un regard en arrière. P. 53

Malgré une éducation nourrie par la charité, il n'en demeure pas moins que chaque individu a sa manière de percevoir la pauvreté et la souffrance physique, une sensibilité singulière. Les valeurs transmises par la communauté ne sont pas le gage d'une vocation et c'est en cela que le roman est intéressant et original. Le projet littéraire de l'auteure est loin de servir un idéal religieux qui serait exclusif. Ceux qui croient que les ouailles sont des moutons de Panurge seront largement démentis avec "La neuvième heure".

Le style narratif y est remarquable, le texte est tout en beauté, poétique, sensitif, éminemment romanesque. Alice McDERMOTT maîtrise l'art de la description à merveille et séduit le lecteur avec cette composition profondément intimiste.

Si vous aimez la plume de Tracy CHEVALIER, assurément vous apprécierez celle d'Alice McDERMOTT.

Retrouvez toutes mes lectures dans le cadre du Grand Prix des Lectrices Elle 2019 :

- "La douce indifférence du monde" de Peter STAMM, roman, sélection de nov.

- "Même les monstres"  de Thierry ILLOUZ, document, sélection de nov.

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2018-09-12T06:00:00+02:00

Même les monstres de Thierry ILLOUZ

Publié par Tlivres
Même les monstres de Thierry ILLOUZ

L’iconoclaste
 

Ce document fait partie de la sélection de novembre du 50ème Grand Prix des Lectrices Elle. Il sort aujourd'hui en librairie.

Thierry ILLOUZ, avocat nous livre l'histoire de sa vie, de sa vocation pour la défense de "monstres", que dis-je, d'êtres humains qui, un jour, ont commis l'irréparable.

L'auteur déroule le fil de son existence depuis le déracinement de sa terre natale. Il n'avait qu'un an quand sa famille a décidé de s'exiler pour le protéger, lui. Il a été élevé en France avec son frère, en Picardie. Son père était policier, il incarnait la loi et tenait à la faire respecter, chez lui, nulle place à l'humain, la faille, la faiblesse, la fragilité. De là à imaginer que Thierry ILLOUZ y ait puisé les sources de sa vocation, il n'y a qu'un pas, un virage à 180° des principes inculqués par son père comme un acte de résistance, de rebellion. 

Mais il n'y a pas qu'à l'égard de son père qu'il a souhaité prendre sa revanche, non, il y a aussi quelque chose qui relève de l'amertume à l'encontre d'une société qui ghétoïse les rapatriés d'Algérie dans des quartiers populaires, des zones urbaines sensibles. L'enfant timide qu'il était aurait pu s'identifier aux jeunes de son quartier, adopter leur mode de vie et de subsistance, mais c'est sans compter sur son rejet du stéréotype de l'immigré coupable de tous les maux.


Je crois que nous ne décidons que de cette manière, par les visages, par le mélange, par les lieux, les mots entendus, les regards qu’on a portés sur nous. P. 20

Alors, il va tracer sa voie, se former au métier d'avocat et décider du public qu'il servira. Il sera le défenseur de ceux qui sont dans le box des accusés. Bien sûr, il y a les victimes pour lesquelles il ressent un profond respect mais sa place n'est pas là. Non, lui veut comprendre ces hommes et ces femmes qui, à un moment de leur vie, basculent.

Thierry ILLOUZ va, tout au long du document, égrener les définitions qui sont les siennes du verbe défendre.

Il va mettre la focale d'abord sur la nécessité de dire, d'exprimer, de formuler, d'exposer les faits reprochés. Nulle intention de sa part de les cacher :


Défendre, ce n’est pas masquer mais dévoiler. P. 47

Et puis, il y a cette volonté qui l'a toujours animée, celle de comprendre. Qu'est ce qui fait qu'un jour, un homme, une femme, soit pris d'un sursaut de violence au point de commettre des faits totalement inimaginables pour un être raisonnable ? Dans chaque individu qu'il est amené à défendre, il cherche ce qui a pu justifier son action.


Défendre, c’est comprendre ce qui se trouve derrière les gestes, derrière les comportements [...] P. 52

Lui-même sait ô combien son itinéraire aurait pu être différent si... et pourtant, il a choisi de porter la robe et de servir celles et ceux qui sont considérés comme des "monstres" aux yeux du commun des mortels. Le propos de Thierry ILLOUZ est profondément humaniste. Celles et ceux qu'il défend sont faits de chair et d'os, ce sont nos semblables, ni plus ni moins. Il nous incite à les considérer tout simplement, les reconnaître comme des hommes et des femmes, ce qu'ils n'ont jamais cessé d'être.

Enfin, il s'attache à la notion du mal et au risque trop grand de se voir considéré, lui, l'avocat, par la société tout entière, comme la caution de ce qui a été commis.


Défendre n’est pas épouser le mal, ni la faute, ni le crime, jamais. Défendre, c’est ôter au mal toute chance d’être le mal, c’est-à-dire une idée réfractaire à toute compréhension, à toute histoire. P. 101

Thierry ILLOUZ attire l'attention du lecteur sur les travers d'une justice aujourd'hui hyper-médiatisée, une justice qui tend de plus en plus à être prononcée non pas par des "hommes de loi" mais par la société civile, avide qu'elle est de la presse à scandale. Mathieu MENEGAUX l'avait illustrée dans "Est-ce ainsi que les hommes jugent ?" mais il s'agissait d'une fiction. Là, le propos prend son ancrage dans une réalité qu'il dénonce.

L'écrivain nous livre une véritable plaidoirie. Il y a les faits et puis, les droits des accusés, et enfin, leurs prétentions. Thierry ILLOUZ, dans un exercice littéraire, signe un acte militant en faveur de celles et ceux sur qui nous devons oser porter le regard, une véritable leçon de vie qui prend appui sur la bienveillance, l'indulgence, l'écoute, la disponibilité, la compréhension. 
Homme de loi, Thierry ILLOUZ est aussi un homme de lettres. Ecrivain et dramaturge, il use d'une plume franche, sincère, droite et loyale, pour servir la cause des stigmatisés, des relégués... 

Même si ce qui est dénoncé a déjà pu être dit, écrit, "Même les monstres" a la force de la personnalisation, de quoi nous offrir quelques moments de méditation.

Retrouvez toutes mes lectures dans le cadre du Grand Prix des Lectrices Elle 2019 :

- "La douce indifférence du monde" de Peter STAMM, roman, sélection de nov.

 

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2018-09-11T06:00:00+02:00

La douce indifférence du monde de Peter STAMM

Publié par Tlivres
La douce indifférence du monde de Peter STAMM

Christian Bourgeois éditeur

Traduit de l'allemand par Pierre DESHUSSES
 

Ce roman fait partie de la sélection de novembre du 50ème Grand Prix des Lectrices Elle.

Je vous dis quelques mots de l'histoire :

Un vieil homme, hébergé en maison de retraite, est hanté par des images de Magdalena, une femme dont il a été passionnément amoureux, avec qui il a passé trois années de sa vie et sur qui il a écrit un livre. Il se lève, va à la fenêtre, voit Magdalena qui l'invite à le suivre. Nous sommes à Stockholm, il fait froid, le paysage est enneigé, le vieil homme a quitté sa chambre précipitamment, tout endimanché pour séduire sa belle, il en a oublié sa canne. Elle est encore jeune, lui, a dû mal à se déplacer. Et puis, il y a ce rendez-vous dans un cimetière de la ville. L'homme veut lui raconter une histoire, à Magdalena, à moins que ça ne soit Lena, une femme qui lui ressemble à s'y méprendre.

Je dois l'avouer, je ne connaissais pas l'univers de Peter STAMM avant cette lecture, je m'y suis plongée à m'en délecter.

Ce roman évoque la rupture amoureuse et le sentiment d'abandon qui meurtrit l'âme et le corps, l'absence de l'être cher qui avec le temps et l'âge se voit fantasmé. Le narrateur est profondément nostalgique de cette passion partagée avec Magdalena, comédienne. Il se souvient de ces moments de bonheur, portés qu'ils étaient par l'ardeur de leur relation. J'ai été profondément touchée par les empreintes laissées à jamais par l'être aimé :


C’était peut-être pour ça que je m’y sentais bien, ma vie aussi était une pièce vide où seules les ombres sur les murs révélaient qu’elle avait été habitée un jour. P. 92

L'auteur choisit la voie de la métaphore pour aborder les traumatismes psychiques de l'être délaissé, la mélancolie, le chagrin et l'isolement.

A l'époque de la rupture, le narrateur avait déjà l'idée d'écrire un livre et de faire de sa compagne un personnage de roman. Entre fiction et réalité, le personnage a sombré. C'était il y a 16 ans et déjà, le trouble était semé dans l'esprit du narrateur, épris d'une femme dont il ne réussissait plus à mesurer les contours.


En réalité j’avais peur que Magdalena me redevienne étrangère, que le personnage fictif puisse définitivement prendre le pas sur le personnage réel. P. 64

Le mal n'a fait que s'aggraver avec le temps pour laisser place à une nouvelle forme de confusion. Au gré des conversations du narrateur avec Magda(Lena), Peter STAMM nous livre les fragments  d'une vie. Il suffit d'un mot, d'une image, pour que les souvenirs ressurgissent et qu'ils donnent lieu à un conte. L'auteur explore la capacité du cerveau à mémoriser dans le détail des instants qui devront inoubliables, ou presque.

Et si cette histoire se conjuguait aussi au présent ? Lena et Chris ne suivent-ils pas à quelques écarts près le même itinéraire ? Leurs existences ne sont-elles pas marquées par les mêmes lieux ? Et si ces coïncidences qui paraissent fortuites étaient en réalité au service d'un destin tout tracé ? Peter STAMM donne ainsi au roman une portée philosophique et pose la question de notre liberté. Sommes-nous responsables de nos actes ou bien les marionnettes d'un être supérieur qui orchestrerait nos vies jusqu'à décider de la date de notre mort ? 

Dans un registre onirique, Peter STAMM montre son immense talent narratif. L'énigme est entretenue jusqu'à la toute dernière page, la plume est sensuelle et délicate, le jeu de l'écriture est parfaitement maîtrisé, le lecteur est sous tension.

Je me suis littéralement laissée porter par cette histoire, nul doute qu'elle va me poursuivre encore longtemps !

Ce roman concourt au Challenge 1% rentrée littéraire organisé par Délivrer des livres,

tout comme :

- "Cette maison est la tienne" de Fatima FARHEEN MIRZA, *****

- "Chien-loup" de Serge JONCOUR, coup de coeur

- "L'hiver du mécontentement" de Thomas B. REVERDY, *****

- "Lèvres de pierre" de Nancy HUSTON, coup de coeur

- "Les exilés meurent aussi d'amour" d'Abnousse SHALMANY, *****

- "Quand Dieu boxait en amateur" de Guy BOLEY, *****

-  "Hôtel Waldheim" de François VALLEJO, *****

-  "Le Grand Nord-Ouest" de Anne-Marie GARAT, *****

-  "37, étoiles filantes" de Jérôme ATTAL, *****

 

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