Il me tardait de retrouver Valentina Silva que j'avais quittée en laissant couler de chaudes larmes.
Nous sommes en 1901 (une cinquantaine d'années plus tôt). Cécilio et Luisa sont mariés, ils ont deux jeunes garçons, Esteban et Joaquín de 7 et 6 ans. De retour de la Cordillère où il était parti observer la fonte des neiges, Cecilio découvre la maladie de Joaquín, il l'attend à mourir. Les parents décident d'essayer de sauver leur fils aîné de l'épidémie en le confiant à l'oncle Demetrio de passage, troubadour, aveugle. C'est lui qui transmettra l'amour de la poésie à Esteban. Joaquín s'en sortira pourtant. Adolescents, les deux garçons doivent trouver leur voie, Esteban choisira celle des mots, Joaquín, le métier d'arriero. Mais ces itinéraires ne seraient rien sans l'amour, c'est là que commencent de nouveaux épisodes de vies fascinantes au cœur de la Cordillère des Andes.
Ce roman, je l'ai lu en savourant la beauté des mots de Delphine GROUÈS, cette formidable conteuse passionnée par le Chili.
Que je vous rassure, vous pouvez très bien lire "Cordillera" après "
Les braises de Patagonie". Vous saurez ainsi ce qu'est devenu Valentina avant que le fil de sa vie ne soit savamment détissé jusqu'aux origines. Vous ne l'admirerez que plus !
Entre les deux romans s'équilibrent les éléments. Là, la terre est au cœur de l'épopée, la terre dans ce qu'elle a de plus naturel, de plus beau, et dans ce qu'elle subit aussi du fait des hommes, les entrailles déchiquetées pour l'exploitation de son sous-sol.
Le pendule balance du côté des hommes cette fois. Ils sont sous les projecteurs. Leur condition n'est pas de tout repos. Il y a ceux qui travaillent la terre, ceux qui s'occupent des animaux. Il y a ceux encore qui passent leur vie dans les mines de salpêtre, de soufre, de cuivre... Tous, sous le joug de puissants. Pas étonnant de voir des oppressions émerger un mouvement, le Parti ouvrier socialiste du Chili.
Si les femmes vivent plutôt dans l'ombre des hommes, il n'en demeure pas moins que celles qui vont à l'université réussissent à se faire une place notamment dans le registre de la médecine, à l'image d'Eloísa DIAZ INSUNZA et Belén de SÁRRAGA, des personnages non pas de fiction mais de réelles femmes puissantes du Chili que Delphine GROUÈS a choisi d'honorer dans "Cordillera".
Sous la plume de l'écrivaine, les personnages aux itinéraires foisonnants sont profondément attachants.
J'avoue aimer tout particulièrement quand Delphine GROUÈS parle de l'art à travers les siècles. La première de couverture est admirable en ce sens, regardez la beauté de ces dessins, ils font référence à l'art rupestre dont les traces restent gravées dans les rochers. Si la culture s'incarne de façon concrète à travers des objets, elle devient patrimoine lorsqu'il s'agit des langues. "Cordillera" est un mot emprunté à l'espagnol comme beaucoup d'autres à travers le roman, une manière de montrer que les mots se transmettent à travers les générations comme autant de témoignages du passé.
Quant à les associer au service d'un récit il n'y a qu'un pas...