Editions Grasset
Il y a des plumes avec lesquelles s'installe une douce fidélité. Assurément, avec celle de Mathieu MENEGAUX, il y a quelque chose de cet ordre-là. Après "Un fils parfait" et "Je me suis tue", je me suis retrouvée un peu orpheline de ce genre littéraire, celui des affaires judiciaires, et de cette approche aussi, celle qui lentement se diffuse dans les interstices pour démontrer l'indémontrable, se faire l'avocat du diable, quoi ! Alors, inutile de vous dire que j'étais dans les starting-blocs depuis l'annonce de la sortie du troisième roman : "Est-ce ainsi que les hommes jugent ?". Il est aujourd'hui en librairie !
Je vous dis quelques mots de l'histoire :
Claire va bientôt avoir 13 ans. Elle vit avec son père, Bertrand, arboriculteur. Chaque samedi matin, depuis 18 mois, ils ont pris l'habitude, après les courses, d'aller fleurir la tombe de Nathalie, décédée à l'âge de 37 ans d'un cancer du sein. Le temps du recueillement est devenu comme un rituel. Mais, ce samedi matin-là, rien ne se passe comme d'habitude. Il a neigé dans la nuit, des arbres sont tombés. Bertrand n'est pas d'astreinte mais il a répondu à son chef qu'il interviendrait dans cette école où le réseau de chauffage est coupé et qu'un spectacle de danse des élèves est programmé l'après-midi. Bertrand essaie d'accélérer le rangement des provisions à la caisse, il demande à Claire de partir avec les premiers sacs, il la retrouvera à la camionnette. Mais là, non plus, rien ne se passe comme d'habitude. Claire est enlevée par un homme, blond, vêtu d'une veste en jean. Claire hurle, alerte son père qui prend ses jambes à son coup pour arrêter le type qui réussit à monter dans sa voiture. Bertrand change d'allée, il veut mettre la main dessus, la voiture fonce, il fait un écart, le conducteur aussi, c'est l'accident, Bertrand meurt sur le coup. Claire est accueillie par l'une de ses tantes. Pendant 3 ans, il ne se passe rien, l'enquête piétine, mais, un jour, à 6 heures du matin, la police perquisitionne le domicile de Gustavo Santini. Là commence une toute nouvelle histoire...
Alors que Léo FERRÉ reprenait en chanson les vers d'un poème d'Aragon : "Est-ce ainsi que les hommes vivent ?", Mathieu MENEGAUX, lui, nous emmène sur un autre terrain, celui de la justice !
Fidèle aux histoires judiciaires, il nous plonge dans une fiction dans laquelle les rouages sont bien huilés, la mécanique mise en oeuvre par les services de police on ne peut plus maîtrisée. Le dés du jeu de déconstruction de toute dignité humaine sont lancés.
Il y a d'abord cette intrusion dans l'intimité familiale d'une violence incroyable, rien ne saurait la panser. Le "présumé coupable", parce que c'est bien ainsi qu'il est traité, est isolé de ses proches, interdisant toute complicité.
Et puis, sous ces yeux, et ceux de sa famille toute entière, les objets vont être pris à partie. Toutes les petites choses du quotidien empreintes de la singularité de la famille se révèlent dans leur plus simple appareil. La maison bien ordonnée devient un capharnaüm, mise à nu, elle a perdu toute forme d'anonymat.
Dans le chaos ambiant, une question existentielle ne tarde pas à se poser :
Mais l'heure n'est pas aux questions. Gustavo Santini est soupçonné d'homicide volontaire. Très vite, le fil de la vie de cette famille est rapidement déroulé. Mathieu MENEGAUX nous livre les motifs à charge. Gustavo Santini est en garde à vue, là, tous les coups sont permis, depuis la plus simple et mesquine humiliation jusqu'aux pires provocations. Il s'agit de déstabiliser le suspect, le faire avouer !
Après nous avoir touché(e)s en plein coeur avec la tristesse de cette famille endeuillée, Mathieu MENEGAUX sort les armes. Il nous emmène sur le terrain de l'affaire à proprement parler :
Tantôt les preuves justifiant l'arrestation de Gustavo Santini sont accablantes, tantôt elles perdent de leur force pour laisser le doute s'immiscer. Le rythme est trépidant. Tout va très vite, une garde à vue ne dure "que" 24 heures !
Dans cette satire du système judiciaire français, une nouvelle fois, Mathieu MENEGAUX nous brosse un très beau portrait de femme. Gustavo Santini ne dispose que de très peu de moyens pour se défendre, à part garder le silence et faire appel à un avocat. Sa femme, elle, va prendre le relais, elle va se battre, par amour pour son mari. Parce qu'elle est certaine de son innocence, elle va tout mettre en oeuvre et contre-attaquer. Elle fait preuve d'une force insoupçonnée. Du statut de femme au foyer, elle va rapidement prendre les choses en main, une belle leçon de force et de courage.
Vous comprendrez que je ne puisse vous en dire plus, si ce n'est que, pour celles et ceux qui vénèrent le talent de Mathieu MENEGAUX, là, n'ayez aucune crainte, il est confirmé ! Après avoir dénoncé la maltraitance de la présomption d'innocence, il va explorer un autre champ et celui-là, attention à vous, il relève de notre responsabilité collective, la mienne, la vôtre. Il est plus insidieux, et peut-être encore plus dévastateur !
Quand vous fermerez le roman, lu en apnée totale bien sûr, et que vous relirez son titre, nul doute que vous en prendrez pour quelques heures de méditation. Et là, vous ne reconnaîtrez plus la chanson !