Quand la littérature assure le devoir de mémoire de l'acte de résistance d'un homme et restaure l'honneur de toute une famille, c'est le message que porte "Celui qui disait non", le premier roman d'Adeline Baldacchinopublé chezFayard.
J’ai découvert la plume d’Arnaud DUDEK avec « Les vérités provisoires », un roman que j’ai beaucoup aimé. C’est avec quelques acquis que j’ai abordé la lecture de « Tant bien que mal », son tout nouveau livre qui sort aujourd’hui dans toutes les bonnes librairies, et bien, c’est une erreur totale !
J’aurais pourtant dû me méfier, le livre est fin (seulement 90 pages) et les séquences irrégulières, deux premières originalités, mais il ne s’arrête pas là.
Alors, vous comprendrez que je m’adapte quelque peu à cet O.V.N.I. littéraire pour vous proposer une chronique qui sorte des sentiers battus. Une fois n’est pas coutume, commençons avec une citation :
Une voiture s’arrête à ma hauteur, la vitre descend, j’ai sept ans, j’écoute ce que me dit le conducteur. [...] Je suis en partie mort ce soir-là. P. 13
Ce roman de 90 pages résonne comme une rafale de kalachnikov. A chaque page sa balle, certaines sont perdues, d’autres atteignent leur cible en plein coeur.
Dans ce livre, le narrateur relate sa vie depuis l’événement, le trou noir.
Ce roman est profondément blessant, le narrateur dit lui-même être en partie mort, la lectrice que je suis s’est retrouvée terrassée, profondément touchée par l’obsession de l’homme à la boucle d’oreille et son odeur de tabac, bouleversée par les conséquences sur le petit être d’alors et la construction de l’homme qu’il est devenu.
Arnaud DUDEK choisit la résilience par la voie de l'écriture, poser des mots sur des faits, des ressentis, des émotions, des sentiments pour offrir une libération du narrateur du fardeau qui pèse sur ces épaules depuis sa plus tendre enfance. Il accompagne le personnage jusqu'à la paternité, c'est là que repose la luminosité du roman et la perspective d'une SURvie.
L’écriture justement, parlons-en. Dans ce roman, elle est tranchée, les phrases sont courtes, concises, cinglantes. Et si la question vous taraudait :
Pourquoi écrivez-vous ?
Vous pourriez trouver cette réponse :
[...] Il n’y a pas de raisons, pas de réponse définitive, simplement un fait, c’est ma façon d’être là, d’occuper l’espace, d’y laisser quelques traces. P. 34
Que Monsieur DUDEK soit rassuré, l’univers de la littérature sera bien marqué à jamais de son empreinte !
Jamais 2 sans 3, après « Une mère modèle » de Pierre LINHART et « Éparse » de Lisa BALAVOINE, c’est un nouveau roman familial qui s’offre à moi, et pas des moindres, il s’agit du lauréat du Prix Goncourt 2016 : « Chanson douce » de Leïla SLIMANI.
Je vous dis quelques mots de l’histoire :
Paul et Myriam vivent dans le 10ème arrondissement de Paris. Ils ont deux enfants, Mila et Adam. Myriam s’ennuie dans sa vie de mère, elle pense reprendre sa vie professionnelle quand elle rencontre un étudiant de sa promo installé dans un cabinet d’avocat. Il cherche un.e collaborateur.rice et propose à Myriam de pourvoir le poste. Les réflexions s’accélèrent au sein du foyer, il faut assurer la garde des enfants. Les parents choisissent d’accueillir à domicile une nourrice. Un appel à candidatures est lancé, les personnes reçues, Louise apparaît comme celle la plus à même de remplir la fonction. Elle est recrutée, Myriam prend son poste, rapidement la relation entre la nourrice et les enfants s’établit, Louise prend de plus en plus de place au sein de la famille. Irréprochable, elle devient indispensable, jusqu’au jour où...
En réalité, les choses ne se passent pas tout à fait dans cet ordre-là.
A celles et ceux qui se surprendraient déjà à fredonner les paroles de la Chanson douce d’Henri SALVADOR, je ne pourrais que leur conseiller de laisser passer les premier et deuxième couplets, le troisième me semblant beaucoup plus adapté. Vous ne vous en souvenez plus ? Il suffit de demander...
La petite biche est aux abois
Dans le bois, se cache le loup
Les premières pages du roman sont saisissantes, elles font état d'une scène de crime. Le bébé est mort, la petite fille pas encore, la mère est en état de choc, la nourrice a tenté de mettre fin à ses jours mais elle respire encore. Bien sûr, vous pourriez décider d'abandonner ce roman, vous dire qu'il n'est pas fait pour vous mais c'est sans compter sur le talent de Leïla SLIMANI qui va lentement détricoter l'oeuvre machiavélique de la nounou, une femme qui va s'approprier une place dans un cocon familial de substitution.
Elle a l’intime conviction à présent, la conviction brûlante et douloureuse que son bonheur leur appartient. Qu’elle est à eux et qu’ils sont à elle. P. 81
Ce thriller psychologique est parfaitement maîtrisé, les premières pièces du puzzle ajustées, il ne reste plus qu'à combler les quelques emplacements restés libres pour que l'ensemble compose un terrible tableau.
Quand les premiers indices sèment le trouble, il est déjà trop tard. Mais d'ailleurs, qui voudrait bien les voir ? Elle est si parfaite cette nounou, elle est si présente, elle sait si bien instrumentaliser les enfants, qui oserait mettre à mal ce jeu d'équilibre entre un couple happé par ses activités professionnelles et une nounou si bien attentionnée.
Mais Louise a les clés de chez eux, elle sait tout, elle s’est incrustée dans leur vie si profondément qu’elle semble maintenant impossible à déloger. P. 177
Je ne vous en dirai pas plus, promis, sauf à dévoiler la substantifique moelle du roman. Sacrilège bien sûr !
Ce que je peux vous dire par contre, c'est que ce roman, je l'ai lu d'une traite. Une fois les premières pages passées, vous ne pourrez bien sûr plus le lâcher. Je ne connaissais pas encore la plume de cette femme dont je scrute chacune de ses interventions. Elle me séduit par la justesse des mots qu'elle emploie. Elle a cette force dans le propos qui désarme n'importe quel combattant. Il suffit de se rappeler la formidable conclusion apportée avec sa chronique "Un porc, tu nais ?" à cette polémique autour de la tribune signée d'une centaine de femmes publiée dans le Journal Le Monde à propos de la condition féminine, du harcèlement, et tutti quanti.
Son parcours me captive et la distance avec laquelle elle aborde les sujets me fascine.
Je connais maintenant une autre corde à son arc, celle d'écrivaine. Leïla SLIMANI a un immense talent, elle n'a pas trompé l'Académie du Goncourt !