Parce que j’ai décidé de croquer la #Rl2018 comme un Petit Lu et que vous connaissez mon irrépressible besoin de partager, retour en images d’une 2ème semaine de dégustation !
2 coups de coeur cette semaine :
- un qui remplit tous les critères, l'Histoire, la grâce de l'art et son pouvoir, un portrait de femme haut en couleur et du rythme, il s'agit de "Pays provisoire " de Fanny TONNELIER, c'est un 1er roman, la plume est délicate, distinguée, la narration est remarquable. Souvenez-vous bien de ce nom. C'est un vrai Petit Lu, de ceux dont vous reconnaissez la saveur à la 1ère bouchée !
- un qui m'a littéralement transportée, surprise à l'envi, exaltée oui, un ovni littéraire, le roman d'Odile d'OULTREMONT " Les déraisons ", là aussi, un 1er roman, mais là, c'est uns saveur extraordinaire, dégustée nul part ailleurs, une gourmandise à savourer sans modération, vous allez évoluer dans un ascenseur émotionnel le temps de cette lecture, j'en suis sûre !
Et puis, il y a eu aussi de très belles découvertes :
- celle d'Alexandre SEURAT avec son 3ème roman " Un funambule ", un roman noir, l'auteur confirme son champ d'expérimentation, je reviendrais vers vous dans quelques jours, je l'ai effectivement écouté hier à la Librairie Richer !
- celle de Caroline PASCAL avec " Juste une orangeade ", un thriller psychologique parfaitement maîtrisé, du grand art.
4 romans très différents, cette #RL2018 se poursuit très bien, j'adore !
"Pays provisoire" est le 1er roman de Fanny TONNELIER. C'est mon 2ème coup de coeur de l'année !
Cette lecture est réalisée en duo avec Leiloona qui anime le blog Brikabook. Je la remercie infiniment pour sa proposition. Pour votre week-end, ce n'est donc pas une chronique que nous vous offrons, mais 2 !
Nous partons pour Saint-Pétersbourg. Amélie Servoz, française d'origine, est modiste. Elle s'est installée dans cette ville comme beaucoup de femmes au tout début du XXème siècle, portées par l'élan de l'aventure et le faste de la Russie. Mais voilà, nous sommes en juillet 1917. La boutique d'Amélie a été pillée, comme celle de tous les autres artisans installés dans sa rue. L'homme qu'elle aimait a été tué au début des événements. C'est le moment pour elle de quitter un Empire en pleine déliquescence. Mais, là commence une toute nouvelle aventure.
Je me suis laissée complètement surprendre par ce roman qui fait la part belle à la mode. J'ai découvert notamment toute la chaîne de production des chapeaux et l'ensemble des métiers qui y sont attachés. Et puis, les chapeaux, on ne le sait peut-être pas, mais ils sont divers et variés, depuis le canotier jusqu'au bibi, en passant par la capeline, le feutre, le béret, la cloche... Fanny TONNELIER prend beaucoup de plaisir à nous faire découvrir l'artisanat d'art, le soin et l'attention apportés aux matières : les plumes, les fleurs, les strass, le papier, le tulle, la mousseline, la gaze, la soie, les taffetas... Les tissus n'ont pas de secret pour ces mains délicates habituées à travailler avec minutie. L'harmonisation des couleurs, le choix des matériaux, l'envergure de l'oeuvre, depuis la plus discrète jusqu'à la plus extravagante, sont autant d'éléments qui pourraient paraître des détails mais qui n'en sont pas dans la recherche de la perfection.
Et puis, dans ce roman, il y a une page de la grande Histoire de l'Empire russe. Par la voie des souvenirs d'Amélie, l'écrivaine nous dresse le portrait d'une capitale éblouissante avec ses canaux, son fleuve, ses palais, l'île Vassilievski, le Lac Ladoga, la perspective de Nevski. Les descriptions sont enchanteresses, elles rendent compte du luxe ambiant, ce contre quoi les Bolcheviks se sont révoltés. Elles relatent la vie du début du XXème siècle avec ses fiacres, ses rues pavées, ses boutiques à l'ancienne... mais toute cette vie est mise à mal par la révolution qui sévit. Le gouvernement est provisoire, c'est notamment la source du titre de ce roman. Tout devient éphémère et précaire.
Mais ce roman ne serait rien sans l'exil d'Amélie, ce départ réalisé dans l'urgence devant la crainte de se faire tuer. Après avoir tout perdu, Amélie décide donc de rentrer en France. Elle va réussir à quitter le territoire et à suivre un périple ô combien audacieux et dangereux pour l'époque. Elle va ainsi prendre le train puis le bateau, se retrouver en Finlande, en Suède, en Angleterre avant de pouvoir poser le pied sur sa terre d'origine. Avec cette épopée romanesque, le livre devient un véritable roman d'aventure avec la découverte de nouveaux horizons, la rencontre de personnes différentes...
C'est ainsi qu'Amélie va prendre connaissance d'un passé douloureux avec la bataille navale de Jutland qui a opposé en mai-juin 1916 les Allemands aux Anglais. 8 000 corps ont échoué sur les côtes suédoises. La Suède a dû organiser des sépultures pour tous ces soldats morts au combat. Un instant, je me suis souvenue de cette lecture qui m'avait profondément marquée il y a quelques années, celle du roman de Maria ERNESTAM "Toujours avec toi", un bijou, j'en frissonne encore !
Tout relève de l'inconnu et devient un événement. L'itinéraire, long et semé d'embûches, est ponctué par ce type de parenthèses qui viennent donner du rythme aux tribulations de la jeune femme.
Avec le personnage d'Amélie, Fanny TONNELIER nous brosse le portrait d'une femme libre du début du XXème siècle. Amélie a beau être loin de chez elle, de sa famille, elle a des convictions et tient à les affirmer.
Voilà bien un militaire, se dit Amélie, on décide, on commande et il faut acquiescer, dire "oui mon lieutenant". Eh bien non, ce n'est pas comme ça la vie ! P. 152
L'écrivaine a tenu à rendre hommage à toutes ces femmes qui, en 1917, ont fait la demande d'un passeport auprès de l'Ambassade de France pour quitter la Russie. Des femmes dont on ne doute pas du courage, de l'audace, de la témérité. Mission accomplie tout en beauté, la plume est belle, délicate, raffinée.
Leiloona dit : "Le récit étonne et charme aussi par sa précision. Que ce soit le métier de chapelière, les conditions de vie durant cette époque troublée, mais aussi les mœurs entre hommes et femmes, tout y est. Quel plaisir de plonger dans cette description de travail de plumassière, son envie de créer une harmonie entre la tenue et le chapeau ! Une belle époque faite de charme et de classe."
"Pays provisoire" est un coup de coeur, de ces romans qui vous marquent par leur grâce. Il y a une page de la grande Histoire, la splendeur de l'art et de son pouvoir, des personnages hauts en couleur, du rythme, le tout porté par une très belle plume. Je confirme, c'est un coup de coeur et je vous le conseille assurément !
Ce roman concourt au Challenge de la Rentrée Littéraire organisé par le blog "Aux bouquins garnis" :
"Les guerres de mon père", le dernier roman de Colombe SCHNECK publié aux éditions Stock est très en vue dans la presse !
Il fait partie des 5 finalistes du Grand Prix RTL Lire.
Il figure aussi dans la sélection réalisée par Télérama dans le cadre de la #RL2018.
Ce roman, c'est une très belle preuve d'amour à un père décédé il y a 25 ans mais dont l'absence n'avait cessé d'envahir la vie de sa fille. Il y a ces guerres à lui, mais il y a la sienne aussi.
Vous voulez en savoir plus, ma chronique est ici !
C'est un bijou, une pépite. Il parle des déchirures d'une mère devant l'absence de son fils. Il y a cette femme qui regarde à l'horizon, et celle qui plonge à l'infini. Pour ce roman, 2 couvertures, ayez l'oeil et laissez vous séduire, c'est du grand art !
Ce roman, je dois bien l'avouer, il résonne encore en moi comme au dernier jour de sa lecture.
L'itinéraire de la famille de Mathilde Blanc a été pour moi une révélation.
Valentine GOBY assure la mémoire du sanatorium d'Aincourt, un bâtiment qui était la fierté d'une région, de la France toute entière aussi. Il s'agissait pour les années 1930 d'une prouesse architecturale et pourtant...
Avec cette construction en voie de disparition, c'est aussi une page de l'Histoire qui se tourne. 500 patients pouvaient y être accueillis, de quoi laisser une empreinte dans de nombreuses familles.
Enfin, il m'a beaucoup marquée par la démarche menée par une femme en quête de souvenirs. Elle vieillit, elle ressent le besoin de retourner sur place et préserver ainsi la trace laissée par ses parents.
Ce roman historique est particulièrement fouillé, comme j'aime, et porté par une écriture remarquable, délicate et sensible. C'est un coup de coeur !
La #RL2018 est pleine de surprises. Coup de coeur pour le roman qui sort aujourd'hui en librairie, un petit bijou !
Roulement de tambours s'il vous plaît, c'est un événement ! Et en plus, il s'agit de ma 200ème chronique littéraire, ça se fête non ?
La 100ème était consacrée aux "Giboulées de soleil" de Lenka HORNAKOVA-CIVADE, un 1er roman, la 200ème est dédiée aussi à une femme, qui plus est, à une nouvelle plume. Tout autre registre mais quel talent !
"Les déraisons", c'est son titre. Mémorisez-le bien, vous allez entendre parler de lui, c'est certain !
Dès les 1ères pages, j'ai été happée, impossible de le lâcher. Je vous explique : Adrien est au tribunal, il est accusé d'avoir perçu indûment son salaire pendant 12 mois. Il faut dire qu'il y a une vie en dehors du travail, lui, la voue au soutien de sa femme, Louise, qui lutte contre la maladie. A moins que ça ne soit elle qui lui consacre la sienne. Louise est artiste peintre. Un brin fantasque, elle est créative à l'envi. C'est une "ouvrière qualifiée de l'imaginaire", tout un programme que je ne saurais vous dévoiler tant il est riche, lumineux, bourré de fantaisie !
La situation est ubuesque. Le placard dans lequel l'entreprise AquaPlus a mis Adrien était tellement à l'abri des regards que personne ne s'est aperçu plus tôt qu'il n'occupait plus son bureau. L'écrivaine évoque le monde du travail aujourd'hui, les drames sociaux. Le sujet est grave, mais c'est sans compter sur le talent d'Odile d'OULTREMONT pour y mettre de la cocasserie. J'ai personnellement adoré le personnage d'Umma Benurin, cette employée des ressources humaines qui ira jusqu'au bout de ses convictions et assumera pleinement son choix. Un sacré portrait de femme !
En parlant de femme, je suis complètement tombée sous le charme du personnage de Louise. Malgré, ou à cause d'un passé douloureux, elle a adopté l'extravagance comme mode de vie, mode de pensée aussi, quitte à sombrer dans la pure folie. Alors même qu'elle sort de la pharmacie avec tous ces médicaments, elle décide de les personnaliser et d'en faire des comédiens, des cabotins qui feront de sa vie une pièce de théâtre. Mais comme elle est peintre, elle en fait une fresque, vous voyez ?
C'est pour Adrien que je les peins. Parfois, il ne comprend rien mais c'est normal, vous me direz, l'amour est la langue secrète d'une minuscule communauté où l'on réside seul la plupart du temps. P. 79
La maladie qui s'est invitée dans leur vie occupe une place importante mais là aussi, elle est abordée avec poésie, tendresse et sensibilité, à l'image de cette description du monde hospitalier :
Jusqu'ici Adrien pensait qu'en médecine on éprouvait, on calculait, on évaluait, on mesurait mais, depuis qu'il accompagnait Louise à ses séances de chimio, une fois par semaine, il découvrait qu'un hôpital tanguait autant qu'un voilier, il se sentait porté à bâbord ou à tribord selon les jours, les résultats, les humeurs du soignant, le trafic dans les couloirs, la nature des urgences, des paramètres beaucoup trop humains. P. 102
Et Adrien dans tout ça ? Et bien, c'est l'homme du roman, un anti-héros, de ceux qui se laissent porter au fil de l'eau. Avant de rencontrer Louise :
[...], Adrien ignorait l'étendue de la palette de couleurs et l'existence même de pinceaux variés pour lui donner vie. P. 21
Adrien était cet employé d'AquaPlus chargé d'aller informer les clients des perturbations sur le réseau d'eau potable en lien avec la programmation des travaux. Quand il a sonné à la porte de la maison de Louise, il ne savait pas encore qu'il serait entraîné dans un tourbillon de folie, qu'il vivrait des moments d'un amour intense et qu'il serait, lui aussi, contaminé par les délires de Louise.
Ce roman est un coup de coeur, j'ai beaucoup ri (en littérature, c'est suffisamment rare pour être signalé), pleuré aussi (pas de chagrin mais devant la beauté des sentiments), je me suis laissée porter par l'ascenseur émotionnel.
Odile d'OULTREMONT est une écrivaine d'un immense talent, je me suis laissée séduire par la qualité de sa plume, la langue est d'une beauté extraordinaire, ce roman est un poème de quelques 200 pages, de quoi vous offrir un pur moment de bonheur.
Le rythme est soutenu. L'alternance des chapitres consacrés pour les uns aux scènes du tribunal, pour les autres à la vie de Louise ou à celle d'Adrien, fait de ce roman un véritable page-turner.
La cerise sur le gâteau, c'est le vent de folie qui emporte Louise et les siens. Le loufoque est communicatif, il s'incruste dans les pores des deux personnages pour faire de ce roman une toile surréaliste, une oeuvre d'art.
C'est un roman profondément lumineux, d'une générosité immense.
A la lecture de ces quelques lignes :
La cacophonie l'apaisait : des paroles humaines sur le boulevard, des cris de pneus qui adhéraient au bitume, des portes claquées sur le chambranle, des ombres qui résonnaient, la présence de tous ces autres en mouvement, un concert vital comme une douce berceuse. P. 21
la mélodie de Brother Sparrow d'Agnès OBEL m'est subitement revenue en mémoire, je vous quitte donc en musique !
Ce roman concourt au Challenge de la Rentrée Littéraire organisé par le blog "Aux bouquins garnis" :
"Une soeur" est le dernier album de Bastien VIVES sorti en mais 2017. J'avais découvert le graphisme de cet auteur avec Polina, à l'époque, je n'avais pas rédigé de chronique. Alors, je me lance !
2 frères se retrouvent à passer leurs vacances d'été en Bretagne dans la maison familiale. Antoine a 13 ans, Titi un peu moins. Au programme, le dessin et les pokemons. Enfin, ça, c'était avant que n'arrive Hélène, la fille d'une amie des parents. Hélène a 16 ans. Commence alors le parcours initiatique d'Antoine sur la voie de l'adolescence.
La première cigarette, la première gorgée (voire un peu plus) de vin, les premiers baisers... du petit garçon timoré, Antoine va évoluer sur le chemin de l'invincibilité. En l'espace d'une semaine, l'adolescent est métamorphosé !
La première cigarette, la première gorgée (voire un peu plus) de vin, les premiers baisers... du petit garçon timoré, Antoine va évoluer sur le chemin de l'invincibilité. En l'espace d'une semaine, l'adolescent est métamorphosé !
C'est un bel album au graphisme simplifié à l'envi. Monochrome, les dessins se suffisent à eux-mêmes pour évoquer cette période stratégique qui se joue entre l'enfance et l'adolescence.
Les visages sont tout juste estompés mais ils suffisent à exprimer les émotions.
Le scénariste et illustrateur (Bastien VIVES fait tout !) focalise sur ces trois personnes, l'environnement familial, amical... vient seulement nourrir quelques pages. Cette manière d'aborder le sujet permet à lui-seul de montrer à quel point les adolescents ont besoin d'être seul (enfin presque) pour vivre l'aventure de grandir.
La calligraphie, en lettres majuscules, est facile à lire.
J'ai passé un bon moment avec ce roman graphique. Et vous, vous l'avez lu ?
Caroline PASCAL n'en est pas à son premier roman et pourtant, j'étais passée à côté de cette plume. Avec "Juste une orangeade", je viens de repérer le talent d'une écrivaine dont je vais suivre l'actualité de très près, je puis vous l'assurer.
Raphaëlle , la narratrice, est mariée. Avec Marc, elle a eu deux enfants, devenus grands aujourd'hui. Pauline est étudiante, tout comme Charles qui est en train de s'installer à Singapour pour une année de césure. Son père est avec lui. C'est à ce moment que là que la mère de Raphaëlle disparaît. Plus de nouvelle. Aucune. Bien sûr, elle a sa vie, mais quand même. Elle aurait dû quitter sa résidence secondaire pour rentrer à Paris mais elle demeure introuvable, tant en Normandie que dans la capitale. Raphaëlle, qu'un rien déstabilise, prend peur. Et si... Elle met son entourage sens dessus-dessous. Son mari reste tente de dédramatiser la situation mais il est loin. Raphaëlle va trouver du soutien ailleurs. Commence alors une course effrennée, une quête de la vérité, mais quelle vérité ?
Ce roman, autant vous le dire tout de suite, à peine les premières phrases lues, vous ne pourrez plus le lâcher. C'est un page-turner, de ceux qui vous happent, vous agrippent... jusqu'à la fin ! Très vite, vous êtes en empathie pour cette femme. L'absence de cette mère l'étreint, l'angoisse, la tourmente, tous ses sens sont en alerte. Cette disparition, qui n'en est pas encore une, mais qu'elle présume, lui occupe l'esprit, le corps. Elle ne vit plus que pour cette quête. Elle est en décalage complet avec son environnement qui, lui, poursuit sa vie.
Chacun suivait le cours d'une vie sans surprise alors que la sienne était suspendue au-dessus du vide, envahie par l'absence. P. 45
Avec ce roman, et notamment les titres des chapitres, chacun sentira bien la pression du compte à rebours. Chaque minute est précieuse... Avec la minutie des services de police, le lieu, l'heure, les personnes concernées sont scrupuleusement déclarées. L'heure est grave, c'est certain. Impossible, vous me comprendrez, de ne pas adopter le rythme de Raphaëlle. Un peu comme dans les galeries de métro de la capitale, il est bien difficile de ne pas précipiter son allure pour caler ses pas sur ceux des Parisiens. Et bien là, vous allez vous retrouver piéger à vivre chaque minute comme si c'était la dernière !
Ce roman parle de l'absence. Avec le roman de Gaëlle JOSSE "Une longue impatience", c'est une mère déchirée par celle de son fils. Avec Caroline PASCAL, c'est la fille qui est rongée par celle de sa mère. Il est profondément troublant d'explorer cette dimension fille/mère dans ce sens-là. La littérature est particulièrement riche d'épreuves dans le sens descendant des générations mais là, toutes les cartes sont rebattues. Bienvenue dans le monde d'adultes, de deux générations autonomes, indépendantes, qui mènent leur vie, et qui pourtant, restent, à la vie à la mort, liées par la filiation. A laisser la liberté à chacun, les êtres sont devenus des inconnus les uns pour les autres :
A ne rien chercher à savoir, elle avait perdu le fil et errait aujourd'hui dans le dédale d'une existence impénétrable. P. 131
J'ai beaucoup aimé la définition donnée par Caroline PASCAL au statut de mère :
Pas certaine d'avoir jamais réussi à être vraiment une et indivisible, à la fois toujours multiple, pleine de ceux qu'elle aimait et incomplète, amputée de ceux qui manquaient. C'était peut-être ça, être mère, ne plus jamais être seule en soi, une sorte de schizophrénie inquiète. P. 223
Et puis, passionnée par l'urbanisme et ce que les logements peuvent dire de nous, j'avoue avoir été séduite par l'approche réalisée par l'auteure de ces lieux que l'on habite et qui en disent long sur nous, pendant, et après notre passage.
En entrant, elle fut saisie par l'odeur de sa mère, un mélange de parfum, de poudre et de laque, comme si elle venait de se préparer pour sortir. [...] Elle avait l'habitude de ces appartements désertés par la vie qui en gardaient pourtant l'évocation la plus intime, l'exhalaison du passé. P. 53
La plume de Caroline PASCAL, je l'ai découverte avec ce roman. Elle est fluide, rythmée, il y a urgence, les phrases sont courtes, percutantes, énergiques... jusqu'aux dernières pages porteuses du dénouement. Une lecture "punchy" !
Ce roman concourt au Challenge de la Rentrée Littéraire organisé par le blog "Aux bouquins garnis" :
La plume d'Alexandre SEURAT, je l'ai découverte dans le cadre de la sélection du Prix Cezam il y a quelques années. Son premier roman, "La maladroite", en faisait partie. "Un funambule", son 3ème roman fait partie de la #RL2018.
Je vous dis quelques mots de l'histoire :
Un jeune homme se promène sur la plage. Il est perturbé par un quad qui fonce droit sur lui, il l'évite de justesse. Et puis, il y a la présence de la mer, il se retrouve submergé. Il aperçoit la coque d'un paquebot, subitement, il a l'impression qu'il pourrait le toucher. Depuis que Solenne l'a quitté, il est triste à mourir. Mais ce mal-être date de beaucoup plus longtemps. Il ne s'est jamais senti à sa place, toujours en décalage, par rapport à son propre corps, mais aussi sa mère, son père, sa soeur. Et l'impossibilité de parler, de mettre des mots. Le silence est roi, il envahit son espace, sa vie, et le réduit à néant.
Ce roman, je l'appréhendais je dois bien le dire. D'abord, parce que l'auteur, lui-même, l'avait présenté le 11 novembre dernier à La Librairie. Il avait qualifié ses textes de noirs, j'étais donc prévenue, ce 3ème roman restait dans la même veine. Mais aussi, parce que ma première lecture m'avait bouleversée, j'en avais encore quelques souvenirs qui n'ont pas manqué de se raviver avec la relecture de ma chronique.
Ce qui m'a profondément troublé dans ce roman c'est le sentiment de ce jeune homme d'être en permanence persécuté, agressé par les autres, par l'environnement. Tout ce qui est extérieur à son corps présente une menace. Plus encore, son propre corps lui échappe. Le malaise est obscur mais il est imprégné dans tous les pores de sa peau.
L'angoisse gonflait comme un ballon, une enveloppe qui épousa progressivement tous les recoins de son être, un corps qui avait grandi dans son corps. P. 75
Et puis, un peu à l'image du roman de Pierre DUCROZET "L'invention des corps", "Un funambule" évoque des événements qui relèvent de la fulgurance, de la soudaineté, de quelque chose qui vient brutalement rompre la sérénité, la quiétude.
Un court moment, c'est comme la sensation de tomber. Peut-être qu'il vaudrait mieux tout arrêter, on dirait stop? et on sortirait du jeu. P. 28
Ce roman, il parle d'abandon aussi. Il y a eu le départ de Solenne, mais il y a eu aussi celui de Germaine. Il n'était encore qu'un tout petit enfant, Germaine s'est occupé de lui pendant 7 ans et puis, un jour, elle est partie. Sa mère avait décidé de s'occuper de lui. Germaine, il ne la reverrait que quelques fois, et puis, un jour, plus rien.
Bien sûr, quand on aime la littérature, on aime les mots, et là, l'impossibilité de mettre des mots sur des émotions, un avis, une opinion... est prégnante dans l'ensemble du texte. J'ai trouvé une phrase très belle qui vient mettre un peu de légèreté dans ce roman éprouvant :
Il aurait fallu pouvoir secouer le silence, pour que des mots en tombent, qui se seraient enfin adressés à lui. P. 52
Mais globalement, vous l'aurez compris, ce roman est douloureux. Il y a une incompréhension entre lui et les autres, il y a aussi cette distance insupportable qui s'insinue dans toutes ses relations, quelque chose d'oppressant par sa force.
Ce roman, c'est aussi un exercice littéraire. A la 3ème personne du singulier, la narration vient renforcer le malaise ambiant, un peu comme si le lecteur devenait un voyeur, un observateur, comme s'il se saisissait d'une loupe et qu'il regardait la situation de loin mais avec des effets décuplés. Alexandre SEURAT diffuse des bribes tout au long du livre jusqu'à vous en rendre prisonnier, comme le personnage du roman. Mais ce n'est pas tout, ce roman est écrit comme s'il ne s'agissait que d'un seul chapitre, il n'offre aucune respiration, le lecteur est en apnée totale depuis la première page jusqu'à la dernière.
Vous l'aurez compris, ce roman m'a profondément troublée. Il me laisse sans voix. Le silence m'aurait-il contaminé ?
Ce roman concourt au Challenge de la Rentrée Littéraire organisé par le blog "Aux bouquins garnis" :
Le lundi 1er janvier, je vous ai proposé de commencer l'année avec les sculptures de Niki de SAINT-PHALLE "Les Trois Grâces", et puis, j'ai pris une résolution pour l'année 2018. Je me suis dit que ça pourrait être intéressant de commencer la semaine avec quelque chose de beau, histoire de bien démarrer la semaine.
Alors, chaque lundi, je vous proposerai une nouvelle oeuvre d'art.
Assez naturellement, on pense aux peintures, sculptures... et là, aujourd'hui, j'ai eu envie de vous surprendre avec une oeuvre architecturale. Passionnée d'urbanisme et de développement durable, je me suis toujours intéressée aux hommes et aux femmes qui ont la volonté de lancer une nouvelle génération urbaine avec l'objectif de protéger la planète. Chaque début d'année, on s'attache à souhaiter une bonne santé à sa famille, ses ami(e)s, voisin(e)s. Alors, j'ai pensé qu'après "Les Trois Grâces", "L'Arbre Blanc" de Manal RACHDI pouvait être de bon augure pour commencer 2018.
Cette construction, esthétiquement très originale, est en cours de réalisation sur Montpellier. 110 logements y seront aménagés sur la base d'un principe, celui que les Montpelliérains profitent d'une météo favorable et qu'ils aiment, plus qu'ailleurs, passer du temps à l'extérieur. Ainsi, chaque appartement disposera d'une terrasse qui pourra être de la même surface que le logement lui-même.
Manal RACHDI est un passionné d'architecture contemporaine et de nature. Dans les bâtiments qu'il dessine, il essaie de marier les deux en favorisant l'écologie, le choix des matériaux, l'orientation, tout est judicieusement pensé pour être durable sans nuire à l'environnement.
Et puis, vous ne le saviez peut-être pas, Manal RACHDI a toujours souhaité "vivre dans une forêt avec une bibliothèque et quelques murs". Alors, qu'il trouve sa place sur T Livres ? T Arts ? devenait presque une évidence, non ?
Parce que j’ai décidé de croquer la #Rl2018 comme un Petit Lu et que vous connaissez mon irrépressible besoin de partager, retour en images d’une semaine de dégustation...
Je dois dire que j'ai vécu une semaine très riche en émotions.
Coup de coeur pour « Une longue impatience » de Gaëlle JOSSE, un incontournable de cette rentrée littéraire.
Et puis, il y a eu aussi de très belles découvertes, des plumes lues pour la 1ère fois :
- celle de Colombe SCHNECK avec "Les guerres de mon père", un roman d'une profonde sensibilité, quand l'écriture a le goût de la réparation et la saveur de la libération...
- celle de Clarence BOULAY avec "Tristan", un premier roman fulgurant où chaque minute compte, une relation exceptionnelle à la nature et la puissance du pouvoir de l'art, magnifique.
- celle enfin de Philippe KRHAJAC enfin avec "Une vie minuscule", le sujet est grave mais il est traité avec beaucoup de délicatesse, un roman très lumineux d'un auteur qui croit profondément en l'humain, ça fait du bien !
4 romans très différents, cette #RL2018 commence très bien.
Quand Page des Libraires nous souhaite une Bonne Année avec, à sa une, le dernier roman de Gaëlle JOSSE "Une longue impatience"... assurément, je crois que 2018 sera éblouissante.
Ce roman, c'est mon 1er coup de coeur de l'année, nul doute qu'il sera suivi d'autres, mais celui-là est unique.
Vous ne me croyez pas ? Je vous laisse découvrir ma chronique, c'est ici !
Le 15 000ème visiteur est passé sur le blog cette semaine !
Vous ne pouvez imaginer ma joie, mon allégresse, mon bonheur, mon ravissement...
Cette aventure est absolument incroyable et vous y êtes pour beaucoup. Moi, je lis, je visite... et je partage mes découvertes, mais si vous n'étiez pas là, bien vite cette envie s'étiolerait, alors que là... j'ai une formidable énergie pour commencer cette nouvelle année avec frénésie.
Un très grand MERCI pour votre fidélité, nos échanges, je vous LIKE !
Parce que les 1ers romans m'intéressent tout particulièrement (j'aime à découvrir de nouvelles plumes, de celles qui vous surprennent, vous font découvrir des univers littéraires dans leurs fondations...) et que les livres publiés par Sabine Wespieser éditeur retiennent toujours mon attention (c'est la maison d'édition qui édite les romans de Michèle LESBRE), vous comprendrez que je ne puisse passer à côté de "Tristan" de Clarence BOULAY.
Avec ce 1er roman, c'est un formidable voyage que je vous propose.
Ida est à bord de l'Austral, un langoustier. Le bateau de pêche a embarqué 12 passagers à destination d'une île située au large du Cap. Après 7 jours en mer, il accoste. Ida est accueillie par Vera et son marie, Mike. Elle est seule. A la veille du départ, la compagnie a annoncé qu'une unique place restait à bord, Ida et Léon ont tiré au sort, c'est elle qui a gagné. Elle ne sait pas encore que ce billet sera pour elle le point de départ d'une toute nouvelle vie. Un cargo a échoué, les manchots sont menacés par le mazout, tous les habitants de l'île sont appelés à se mobiliser pour sauver les oiseaux. Il y a urgence aussi à contrer l'invasion de rats sur l'Île aux Oiseaux, ils mangeraient les oeufs des manchots, annonçant la disparition définitive de l'espèce. Ida va prêter main forte aux bénévoles, une toute nouvelle aventure commence.
Ce roman, c'est d'abord le rapport à la nature, à ces terres insulaires dont l'atmosphère ne ressemble à aucune autre. Claurence BOULAY décrit avec minutie les paysages, le climat, un peu à l'image de ce que peut faire aussi Peter MAY dans ses romans. J'ai beaucoup aimé tous ces passages sur les oiseaux, cette vie animale préservée dans des contrées où l'homme n'est pas le bienvenu. J'ai beaucoup aimé son approche des territoires :
J'ai toujours pensé que les espaces avaient une vie cachée, une réalité à eux dans laquelle ils se déploieraient librement, insoumis au monde des humains et aux reliefs du temps. P. 71
Si vous me suivez régulièrement, vous savez maintenant que je ne lis plus les 4èmes de couverture, histoire de préserver le secret que renferme le livre que j'ai dans les mains le plus longtemps possible. Je m'étais imaginée que Tristan pouvait être le prénom d'un homme. Il n'en est rien. L'écrivaine a choisi ce titre en référence à l'île Tristan de Cunha où elle a passé huit mois il y a quelques années et qui ont laissé dans sa mémoire, manifestement, une trace indélébile.
C'est aussi un formidable roman d'amour. Cette aventure entre Ida et Saul est d'une puissance passionnée à en perdre la raison.
Elle est sans lendemain, chacun le sait mais chacun veut pourtant y croire, chacun vit cette parenthèse comme si elle était infinie. Dès lors, le temps occupe tout l'espace, tantôt il s'écoule avec fulgurance, donnant à chaque instant une force insoupçonnée, tantôt il s'écoule avec lenteur au point de faire perdre l'espoir de survivre aux éléments. Ida avait besoin de s'éloigner, de prendre du recul...
Embarquer, c'est forcément prendre une distance, emprunter une tangente [...]. P. 27
C'est aussi un très beau roman sur l'art, le dessin en particulier. Ida est illustratrice. L'écrivaine le décrit avec beaucoup de précisions :
Les yeux, la bouche, le nez, tu sais, tout ça, ça n'existe pas en dessin. On pense toujours en positif/négatif, noir/blanc, jour/nuit, bruit/silence. Mais le dessin, ce n'est pas ça. C'est la lumière qui te guide, c'est elle qui te dit ce qui est plutôt clair et ce qui est plutôt foncé, c'est de ces contrastes que vont naître les formes. P. 94
Elle met le doigt aussi sur le pouvoir de l'art, de cette capacité qu'a notamment le dessin à faire perdre tout repère à celui qui le pratique :
Dessiner me vide, m'absorbe entièrement. P. 83
C'est un beau roman, la plume est belle, fluide, enveloppante, entraînante, avec ses pointes de suspens et de frénésie. Souvenez-vous de cette écrivaine, Clarence BOULAY a du talent.
Ce roman concourt au Challenge de la Rentrée Littéraire organisé par le blog "Aux bouquins garnis" :
La plume de Véronique OVALDE me séduit à l'envi. Alors, quand son dernier roman "Soyez imprudents les enfants" sort en version poche, j'applaudis.
Initialement publié chez Flammarion, une nouvelle naissance lui est offerte par les éditions Points.
Si vous ne le connaissez pas encore, c'est le moment ou jamais de vous lancer.
Véronique OVALDE nous propose des romans foisonnants. Celui-là ne déroge pas à la règle, elle nous raconte une histoire avec des personnages hauts en couleur, en particulier des femmes, elle nous parle de l'art aussi, et puis, de la liberté.
Je viens de faire une entrée en beauté dans la rentrée littéraire 2018. Je vous propose effectivement un coup de coeur, rien de moins, avec le tout dernier roman de Gaëlle JOSSE.
Pour moi, c'est toujours un plaisir de retrouver la plume de Gaëlle JOSSE, la promesse d'une lecture ponctuée de vives émotions, un livre court où chaque mot est juste, chaque phrase bouleversante.
Je vous dis quelques mots de l'histoire.
Nous sommes en 1950. Louis a 16 ans. Il n'est pas rentré. Cette fugue, Anne, la mère et narratrice, l'a ressentie dans tout son corps, tout son coeur. Dès la tombée de la nuit, elle s'est mise à la redouter. Et puis, au fil du temps qui s'est écoulé, elle a sû qu'il ne rentrerait pas. Elle ne pouvait en rester là pour autant, elle s'est battue pour connaître la vérité, et puis, un jour, elle s'est mise à rêver de son retour. Bien sûr, il y avait son mari, Etienne, et ses deux autres enfants, Gabriel et Jeanne. Il y avait la maison aussi, celle des Quemeneurs, rue des Ecuyers. Mais rien d'autre ne pouvait la retenir que le vide laissé par son fils. Torturée par son absence, elle s'est mise en quête de nouveaux ancrages et s'est attachée à rythmer ses journées avec de nouvelles activités, à la vie, à la mort.
Ce merveilleux texte se focalise sur l'amour maternel, cet amour incommensurable qu'une mère voue à ses enfants, ces êtres qu'elle a portés au plus profond de son corps, à qui elle a donné la vie et qui occuperont son esprit jusqu'à la fin de sa propre vie. C'est un tableau empreint d'un immense amour, de tendresse, de douceur, d'affection, de bienveillance, de grâce, et d'énergie aussi, de vivacité, d'ardeur, de fougue, de pétulance... que nous peint Gaëlle JOSSE.
Car toujours les mères courent, courent et s'inquiètent, de tout, d'un front chaud, d'un toussottement, d'une pâleur, d'une chute, d'un sommeil agité, d'une fatigue, d'un pleur, d'une plainte, d'un chagrin. Elles s'inquiètent dans leur coeur pendant qu'elles accomplissent tout ce que le quotidien réclame, exige, et ne cède jamais. Elles se hâtent et se démultiplient, présentes à tout, à tous, tandis qu'une voix intérieure qu'elles tentent de tenir à distance, de museler, leur souffle que jamais elles ne cesseront de se tourmenter pour l'enfant un jour sorti de leur flanc. P. 147/148
Cette mère est dans une détresse inouïe, j'ai été touchée par l'intensité de son chagrin, le vertige de sa douleur. La souffrance est charnelle. Gaëlle JOSSE s'attache à trouver les mots pour décrire l'affliction de cette mère, ses sentiments aussi. La narration à la première personne du singulier en accroît l'écho. L'écrivaine parle prodigieusement de l'absence :
Son absence est ma seule certitude, c'est un vide, un creux sur lequel il faudrait s'appuyer mais c'est impossible, on ne peut que sombrer, dans un creux, dans un vide. P. 17
Elle évoque aussi avec beaucoup de justesse la position de cette mère, écartelée entre l'amour qu'elle voue à son fils absent et celui qu'elle porte à son mari. Et manifestement, dans le couple, quelque chose s'est brisé. Dans les premières pages du roman, Anne explique qu'elle a craché à la figure d'Etienne cette phrase :
Tu n'aurais pas dû. P. 19
Non seulement, elle est rongée par la souffrance de l'absence de son fils, mais elle se retrouve aussi isolée de son mari à qui elle en fait porter la responsabilité. Que s'est-il passé ? Je ne vous en dirai bien sûr.
J'ai été profondément émue devant cette infinie solitude dans laquelle cette mère se retrouve plongée. Plus personne à qui parler, confier sa peine, exprimer ses souffrances. J'ai senti le sol se déchirer, les repères s'effondrer, j'ai pensé qu'elle ne saurait être sauvée de l'abîme et pourtant...
Elle va se résigner à apprécier les petits plaisirs de la vie :
J'apprends à me réjouir de ce qui est heureux, de ce qui est doux, de ce qui est tendre, des bras des enfants autour de mes épaules, des mains brûlantes d'Etienne sur mes hanches, de la rosace parfaite d'une fleur de camélia, d'un rayon de lumière qui troue le nuages et vient danser sur le mur, de la fraîcheur des draps en été, du beurre salé qui fond sur le pain tiède, je me fabrique toute une collection de bonheurs dans lesquels puiser pour me consoler, comme un herbier de moments heureux. P. 118
Elle va puiser aussi dans son passé les moyens de sa survie et là, c'est tout le fil de son existence qui va se dérouler.
Gaëlle JOSSE nous dresse le portrait d'une femme déchirée mais combative. Plus largement, elle va rendre hommage à celles qui, pendant la seconde guerre mondiale, ont mis leur vitalité au service de leur pays pour assurer sa survie. Il y a de très beaux passages sur le travail des femmes de Bretagne dans les conserveries, qu'elles en soient honorées.
Ce roman est aussi intensément lumineux, il est ponctué de magnifiques expressions d'amour de cette mère à son fils, à l'image des lettres qu'elle lui écrira et qui ne manqueront pas d'éveiller tous les sens de qui les lira. Et puis, il est un secret que je ne vous dévoilerai pas mais qui est le signe d'une profonde humanité, d'une grandeur d'âme incroyable. Le rapport aux lieux, le harcèlement à l'école, les différentes dimensions du couple... sont autant de thèmes abordés aussi par "Une longue impatience" , tout ça sur fond de références musicales judicieusement choisies (Andrews Sisters, Glen Miller, Edith Piaf...).
Ce roman, je l'ai refermé en pleurant toutes les larmes de mon corps. Je suis sortie de cette lecture profondément touchée par le sort de cette mère bien sûr mais aussi par la beauté du texte. Gaëlle JOSSE est une écrivaine dont la plume est absolument sensationnelle. Nul besoin d'en écrire 400 ou 500 pages. Non ! Moins de 200 pages suffiront à vous émouvoir, c'est tout le plaisir que je vous souhaite.
Ce roman concourt au Challenge de la Rentrée Littéraire organisé par le blog "Aux bouquins garnis" :
Roulement de tambour s'il vous plaît pour cet heureux événement !
Le dernier roman de Valérie TONG CUONG, "Par amour", édité initialement par les éditions Lattès, sort aujourd'hui chez Le livre de poche. C'est un peu comme une nouvelle naissance !
Sur fond de seconde guerre mondiale, l'auteure aborde l'histoire de la Ville du Havre à travers l'itinéraire d'une famille. C'est un roman historique particulièrement dense et fouillé qui embrasse la période 1940-1945 et s'attache à s'affranchir des frontières, il vous emmènera jusqu'en terre algérienne.
Ce roman choral est d'une beauté remarquable.
Je vous en dis plus dans ma chronique, c'est ici !
Phérial Chpapjik a 4 ans, il arrive à l'orphelinat plongé dans une immense forêt de Bourgogne. Nous sommes dans les années 1970. Ce petit garçon est de l'Assistance Publique. Après avoir été hébergé en famille d'accueil, maltraité, il rejoint une structure collective et le groupe des dauphins. Tous les enfants qui vivent là ont eu, comme lui, des itinéraires difficiles. Mais voilà, l'orphelinat ne peut pas être une solution durable. Alors, de nouveau, Phérial connaît les familles d'accueil, certaines très attentionnées, d'autres moins. Chaque fois, c'est une nouvelle éducation qui se dévoile, pour le meilleur et pour le pire. Phérial n'a de cesse de lutter contre ses propres démons et doit affronter, en plus, un monde d'adultes impitoyable. Trouvera-t-il le chemin qui donnera à sa vie minuscule toute sa grandeur ?
Ce 1er roman de Philippe KRHAJAC est le chemin de croix d'un tout jeune enfant malmené par la vie, de ces êtres vulnérables qui semblent attirer sur eux toutes les forces maléfiques, mais c'est sans compter sur le talent de l'auteur qui ponctue cette histoire de formidables parenthèses d'amour.
J'ai particulièrement aimé partager le quotidien des Liliane, cette famille dont la maman souffre d'une sclérose en plaque qui surmonte la maladie et les handicaps qu'elle engendre tout en beauté. J'ai été transportée par cette sortie familiale au cinéma, un bain de culture apprécié à sa juste valeur par une famille mise sur son trente-et-un le jour de l'événement.
Les lumières de la salle s'éteignent doucement, presque en même temps que le silence se fait. Quand le film commence, on est comme sous l'effet d'une potion. Nos yeux dévorent l'écran. Le voyage est grandiose. P. 87
Par la plume de Philippe KRHAJAC, c'est un très bel hommage aux familles qui acceptent d'accueillir des enfants en souffrance au sein de leur foyer. Les éducateurs, éducatrices serait plus exact, font preuve d'une profonde générosité, d'une disponibilité sans faille et d'un attachement incroyable, comme autant de petites bouées lancées à un enfant en plein naufrage.
Mon voeu est exaucé, c'est vraiment la fée bleue, cette Mlle Isabelle ! On nage en plein conte avec elle. Elle est de ces êtres qui savent exactement de quoi on a besoin et le livrent avec la plus grande simplicité. Vous voulez un gâteau, elle en a trois dans la poche et tous au chocolat. P. 39
Ce roman est d'une intense profondeur. Il explore le mal-être de cet enfant, ses crises d'angoisses et la manière, à l'époque de les traiter. Les boîtes de valium comme la solution aux tourments d'un petit être isolé, croulant sous le poids des secrets.
Parce que la menace est toujours là mais qui le croirait, hein ? Le garçon garde au fond de lui l'empreinte de toutes les agressions qu'il a vécues comme un boulet qui, sans cesse, le tire vers les profondeurs.
Il va grandir avec, passer l'adolescence avec perte et fracas, vivre dans la vulgarité, côtoyer les durs, les caïds, sombrer en prison, en ressortir et garder en lui cette formidable envie de vivre.
Mon coeur palpite plus fort que jamais et la vie l'emporte sur ma peine. P. 212
Tout au long de sa modeste existence, Phérial va rencontrer des êtres humains attentionnés, à l'image de cette professionnelle qui porte très bien son nom :
Ce ne sont pas les questions ou les réponses qui m'apaisent, madame Lecoeur, mais les yeux qui me les posent ou me les donnent. P. 282
Et si l'art, le théâtre particulièrement, lui permettait de s'épanouir, grandir, s'affranchir des pressions ? L'écrivain donne à Phérial l'opportunité de sonder un tout nouveau champ des possibles. Le chemin n'est pas sans embûche mais c'est peut-être celui de la résilience, il mérite d'être visité !
Et puis, dans ce roman, il y a aussi l'appel impérieux des origines. Il y a, bien sûr, celui de la filiation. Comment se construire soi-même sans connaître nos géniteurs, le motif de leur abandon ? Le jeune garçon va mener son parcours initiatique avec un seul but, celui de retrouver sa mère. Avec elle, c'est aussi le fil de l'histoire d'un pays tout entier qui est tiré. Phérial est originaire de Yougoslavie, un pays étranger avec sa langue, ses traditions...
Philippe KRHAJAC conclut son 1er roman tout en beauté, pour donner à "Une vie minuscule" toute sa grandeur. La chute imaginée avec la couverture, cet enfant au bord d'un gouffre envahi par des nuages, se révèle être une petite bombe, éblouissante. Après avoir maintenu le.a lecteur.rice dans la brume, étouffant sous la chape de plomb, il fait souffler un vent d'optimisme sur l'humanité.
Je me suis surprise à refermer ce roman, un sourire aux lèvres, de ceux qui témoignent que la vie est belle et que chacun peut trouver sa voie, des mentors sont là à veiller sur nous !
Une nouvelle plume à suivre, c'est certain. Peut-être saura-t-il séduire les fées des 68 Premières fois...
Ce roman concourt au Challenge de la Rentrée Littéraire organisé par le blog "Aux bouquins garnis" :
Annie GOETZINGER, illustratrice, s'est éteinte le 20 décembre 2017.
J'avais eu la chance de la rencontrer sur le Salon du Livre de Paris et d'échanger avec elle le temps d'une dédicace. C'est donc assez naturellement que je vous propose de lui consacrer ma 1ère chronique BD 2018.
"Les apprentissages de Colette", c'est son dernier graphique.
Il commence avec le mariage de Sidoine-Gabrielle Colette après deux années de fiançailles avec Willy, journaliste à l'Echo de Paris. Nous sommes en 1893. Elle quitte sa campagne de Chatillon-Coligny pour être introduite dans l'univers mondain du Quartier Latin.
Elle découvre la vie parisienne dans tout ce qu'elle a de plus faste. Elle côtoie les hommes de pouvoir et leurs épouses, elle s'adonne aux activités les plus voluptueuses, comme son mari d'ailleurs. Elle découvre ses infidélités.
Son couple n'y survivra pas. Elle vivra ensuite plusieurs autres histoires d'amour.
Colette est une femme éprise de liberté. Elle se met à la danse, au mime.
Elle se consacre aussi à l'écriture. La série des "Claudine" avait été spoliée par son mari, elle réussira à s'affranchir de sa pression pour publier en son nom. Elle sera l'une des premier(e)s écrivain(e)s à publier des chroniques cinématographiques.
Elle sera mère à 40 ans mais Bel-Gazou ne saura la retenir. Colette est une femme éprise de liberté. Le reste de sa vie sera consacré à la création artistique.
Le reste de sa vie sera consacré à la création artistique.
L'album s'achève en 1923 quand Colette se sépare de son deuxième mari, Henry de Jouvenel. Elle entretient alors une relation amoureuse avec son fils.
Annie GOETZINGER nous livre un roman graphique au graphisme gracieux, sensuel. Formée à l'Ecole des Arts Appliqués, elle étudie plus particulièrement le dessin de la mode. Son coup de crayon, élégant et distingué, se prête tout à fait à l'euphorie et la désinvolture des années folles, l'ambiance libertine du moment, la vie n'est alors que jouissance et plaisir.
La calligraphie est soignée et raffinée, elle accompagne à merveille cet album aux couleurs pastelles.
Assurément, un très bel album.
Les mots me manquent pour rendre l'hommage qu'il se doit à cette grande Dame de la BD.
Ce roman de Colombe SCHNECK ouvre le bal de cette rentrée littéaire de janvier 2018 !
L'écrivaine se livre à un exercice littéraire un peu particulier, je vous explique :
Colombe SCHNECK tire le fil de l'existence de sa famille, ses grands-parents, ses parents. Elle part à la recherche de tous les témoins encore vivants qui lui livreront leurs souvenirs pour reconstituer le puzzle de leur vie, ses origines à elle, ses racines. Elle découvre la migration de ses grands-parents paternels, Majer et Paula, devenus Max et paulette, dont les pays n'existent plus. Les territoires de la Transylvanie hongroise, la Galicie polonaise et la Bessarabie russe ont aujourd'hui disparu en tant que tels. Elle relate l'histoire de ses parents aussi, la vie de son père en particulier, Gilbert qui aimait tant sa fille, la première guerre à laquelle il fut confronté, celle de 39-45, la chasse faite aux Juifs, ses études de médecine puis les années en Algérie où il intervenait au moment des "événements".
Ce roman a un petit goût de réparation. La famille a été profondément blessée par ce qui a pû être dit, écrit, publié, diffusé au grand public. Colombe SCHNECK porte elle-même les traces de cet itinéraire. Elle tient avec ce livre à rendre justice à ses ascendants :
J'ai alors rédigé une lettre un peu grandiloquente et prétentieuse sur la nécessité littéraire d'être au plus juste des faits, de réparer avec mes mots les blessures faites à mon père, à ma famille. P. 104
Colombe SCHNECK admirait son père, comme lui admirait les autres. Il a transmis à sa fille le besoin de se faire plaisir et de créer des souvenirs, à l'image de ceux que lui-même s'offrira en 1949 lors de sa visite de la Cathédrale de Chartres, émerveillé qu'il est devant la beauté architecturale du site et le bleu des vitraux. Un très beau passage !
L'écrivaine prend de la distance par rapport à son noyau familial pour donner une dimension collective, celle d'une nation, la France. Elle évoque ainsi la grande Histoire à travers deux périodes marquées par de nombreuses victimes. Il y a eu la seconde Guerre Mondiale bien sûr, mais aussi la guerre d'Algérie, celle dont aujourd'hui le passé est lentement reconstitué par les écrivain(e)s à l'image de Kaouther ADIMI avec "Nos richesses", Valérie ZENATTI avec "Jacob, Jacob"...
Elle rend un formidable hommage à celles et ceux qui ont contribué à sauver des vies juives. Gilbert SCHNECK était un petit garçon de 11 ans quand il a été caché par une famille française et, sauvé.
Mon père admirait. Il avait rencontré des héros, il savait que certains ont davantage de courage, de liberté de pensée que d'autres, que nous ne sommes pas tous égaux pour affronter la guerre. P. 61
Elle évoque la guerre d'Algérie comme les Français la connaissent peu.
Gilbert a beaucoup lu sur l'Algérie, avant de débarquer, son opinion est faite, il est pour l'indépendance. Il a été horrifié par la répression des manifestations de nationalistes algériens le 8 mai 1945 à Sétif. P. 119
Gilbert, tout jeune médecin, réalise son service militaire à Sétif. Nous sommes en 1959. Il y reste 30 mois. Il participe aux campagnes de vaccination et d'hygiène dans la Cité Bizard, là où la mortalité y est précoce. Il y déplore le manque de soins.
Mais l'écriture de ce roman ne saurait cacher une autre guerre, celle de l'intime. Colombe SCHNECK a mis 25 ans à accepter la mort de son père, à se dire qu'il ne reviendra pas et à s'autoriser, à son tour, à être de nouveau aimée. Ce roman est une très belle preuve d'amour faite à son père, un homme qu'elle vénérait et avec qui, depuis sa plus tendre enfance, elle a partagé un très grand amour. L'auteure a profondément souffert de son absence, de ce manque et par la voie de l'écriture, c'est le chemin de la résilience qui s'offre enfin à elle. Cet exercice littéraire a la saveur de la libération, même s'il lui réserve quelques surprises...
J'étais, alors, innocente, je pensais que connaître la vérité serait bien pour ma grand-mère, ma famille, la mémoire de mon père, et que tout le monde serait d'accord avec moi, m'encouragerait, m'applaudirait même. P. 102
Ce roman ressemble, à bien y regarder, à celui de Marie BARRAUD "Nous, les passeurs". C'est vrai mais chaque famille est unique. Toutefois, ces livres nous éclairent encore une fois sur la relation qui peut lier un père à sa fille !
Je tiens à remercier la maison d'édition et Netgalley pour cette mise à disposition d'un roman qui marquera ma mémoire.
Ce roman concourt au Challenge de la Rentrée Littéraire de janvier 2018 organisé par le blog "Aux bouquins garnis"