Nouvelle bonne pioche du Book club, "Le Bouquiniste Mendel" de Stefan ZWEIG. De l'auteur, je me souvenais de la "Lettre d'une inconnue".
Au café Gluck de Vienne, un fidèle client y travaille, un bouquiniste, Jakob Mendel, un homme qui voue aux livres toute sa vie, une vie faite d'abnégation, une vie coupée du monde alors qu'il grouille tout autour de lui, une vie que rien, sauf la guerre, ne saurait entraver.
Stefan ZWEIG nous livre une nouvelle, un texte court, écrit à la première personne du singulier, dont on pourrait supposer qu'il s'agit d'un récrit autobiographique.
Homme de lettres, Stefan ZWEIG voue une admiration sans limite au bouquiniste qui revêt, par sa capacité à s'isoler du monde grâce aux livres, une dimension surnaturelle, mi homme mi dieu. Il nous décrit comme un état supérieur, celui de la contemplation, un exercice de concentration auquel l'être humain ne peut accéder qu'avec une discipline d'ascète.
Si les livres ont ce pouvoir d'évasion sur le bouquiniste Mendel, il y a une autre finalité que veut traiter Stefan ZWEIG, celle de la postérité.
A quoi bon vivre, si le vent sur nos talons efface toute trace de notre passage ? P. 38
Mais cette existence, aussi profonde et mystique soit-elle, ne saurait être épargnée par l'ignominie de la guerre. Stefan ZWEIG écrit cette nouvelle à la fin des années 1920, un texte qui sera publié en 1935 dans un recueil intitulé "La Peur" réunissant six de ses nouvelles.
Il y a cette impitoyable machine lancée par l'homme, plus destructrice que tout, une menace y compris sur les intellectuels auxquels il s'identifie. Stefan ZWEIG a bien conscience de la puissance de la guerre y compris contre le savoir. Il y a dans ce texte une telle indignation de l'auteur que nous ne pouvons, avec du recul, qu'imaginer le destin de l'écrivain lui-même...
Ce qui m'a profondément touchée dans cette nouvelle, c'est la cohabitation de deux mondes parallèles. Peut-être vous êtes vous déjà fait cette réflexion, captivé.e par une lecture, de ne plus vous sentir ancré.e dans la réalité. Là, l'auteur force le trait pour en faire un objet littéraire.
Et puis, un sujet que je crois récurrent chez Stefan ZWEIG, c'est la mémoire, le pouvoir fascinant qu'elle a d'enregistrer des connaissances comme le bouquiniste Mendel le réussit très bien, véritable encyclopédie, et sa partie mystérieuse aussi, celle qui fait que des souvenirs s'évaporent...
J'étais agacé, comme nous le sommes toujours à chaque fois qu'une quelconque défaillance nous fait constater l'insuffisance et l'imperfection de nos capacités mentales. Mais je ne renonçais pas à l'espoir de pouvoir encore reconquérir ce souvenir. Je le savais bien, il me suffisait de trouver un minuscule hameçon, car ma mémoire est si étrange, bonne et mauvaise à la foi, têtue, capricieuse, puis à nouveau incroyablement fidèle ! P. 19
Cette nouvelle est terriblement poignante, elle est empreinte de désespoir sur la dimension humaine comparée à un "microbe". Quant aux livres...
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