Si les lectures de ces dernières semaines pouvaient être éprouvantes par la gravité des sujets, l'intensité des histoires, la nervosité des plumes, il en est une qui s'est invitée dans mon quotidien comme une parenthèse providentielle. "Le Maître de l'Océan" de Diane DUCRET est un conte philosophique.
Le narrateur est un jeune garçon né à Hubei en Chine. Sa mère, Yunhe, « nuages de paix », s'est vue imposée la tradition des pieds bandés pour permettre aux filles de séduire des hommes de la haute société et ainsi fuir les travaux de la terre. Yunhe vivra pourtant une toute autre destinée. Elle fera la rencontre d'un homme dans la forêt. De cette liaison, naîtra un bébé. Abandonnée par le père, Yunhe sera une fille mère, de ces femmes sur qui repose la vie toute entière de leur progéniture. Pourtant, sa vie à elle ne sera que de courte durée, elle décèdera effectivement quand l'adolescent aura 13 ans. Il deviendra un disciple du Temple d’Or de la montagne Sacrée de Wudang mais c'est sans compter son attirance irrépressible pour l'océan. Là commencera une toute nouvelle histoire...
Quel plaisir de retrouver la plume de Diane DUCRET après :
Les indésirables, un énorme coup de coeur
La meilleure façon de marcher est celle du flamant rose,
et de découvrir qu'elle puisse s'inviter dans tous les registres littéraires avec talent.
Les contes philosophiques, je les aime pour les messages qu'ils véhiculent, l'occasion d'un petit clin d'oeil à "L'homme qui n'aimait plus les chats" d'Isabelle AUPY, découvert avec les 68 Premières fois.
Là, à travers le parcours initiatique d'une adolescent, l'écrivaine donne à voir la capacité de chacun à prendre son destin à bras le corps, repousser les limites, s'ouvrir au monde.
Le jeune homme est en quête de l'océan, cet élément naturel fantasmé qu'il se fixe comme objectif d'atteindre. Il va ainsi naviguer sur le fleuve Yang Tsé, atteindre Shanghai, monter à bord d'un navire à destination de la Mer Méditerranée pour arriver en France.
Le chemin est semé de belles rencontres. Cette fable, c'est aussi le moyen de se réconcilier avec l'Homme. En pleine Guerre d'Ukraine, qu'il est bon d'imaginer encore pouvoir compter sur de belles âmes.
Mais là où Diane DUCRET excelle, c'est dans le rapport à l'eau, le flux et le reflux, les vagues. Comme j'ai aimé ces passages où l'écrivaine décrit l'apprentissage de l'océan par un adolescent qui a encore tout à apprendre, y compris dans sa confrontation avec Dame Nature.
Le seul endroit encore insondé , que les hommes n’ont pas délimité, enfermé, mesuré et possédé est l’océan. Lui seul leur donne le sentiment d’infini et d’éternité nécessaire à la foi. […] La foi nous pousse à croire en ce que l’on ne voit pas, ce que ni nos sens ni notre esprit ne peuvent embrasser et contenir. P. 191
La métaphore était trop belle avec le coeur de ce récit, la découverte de soi.
Dans une prose un brin mystique traversée par la sagesse maoïste, Diane DUCRET nous fait réfléchir sur notre rapport u monde, notre relation singulière aux autres, la force et la puissance qui en découlent.
Il existe pour un homme deux types de silence. Le silence noble et le silence craintif. Le premier marque la maîtrise de ses pulsions et de ses émotions, la tempérance. Le second est la marque d’une inhibition, d’une peur du jugement. Le premier a la force d’un éléphant, le second a celle du rat. P. 58
La plume est éminemment poétique, tendre et délicate.

/image%2F1400564%2F20220412%2Fob_9d527d_img-1701.jpg)
commentaires