Coup de cœur pour le dernier roman de Marie CHARREL qui fait une entrée fracassante chez les éditions de L’Observatoire avec « Les danseurs de l’aube », l'occasion de mettre une nouvelle fois sous les projecteurs la sculpture de Marie MONRIBOT.
Tout commence dans le chaos. Le quartier de Schanzenviertel de Hambourg en Allemagne connaît une nouvelle vague de rébellion, cette fois orientée contre le G20. Le théâtre Rote Flora est squatté, fief d'une communauté anarchiste de longue date. Chaos toujours, les événements se passent en Hongrie. Les Roms sont expulsés, ils doivent libérer les logements qu’ils habitent pour les laisser à d’autres. Iva fait partie de ces populations mises de force sur les route. Elle arrive à Hambourg, tout comme trois amis, trois garçons, trois berlinois, tout juste bacheliers. Lukus, Nazir et Carl vont commencer des études universitaires d’informatique. Ils s’offrent une escapade estivale à Hambourg. Pendant que Nazir et Carl fréquentent les clubs de strip-tease, Lukus, lui, le jeune homme efféminé, part sur les traces d’un danseur de flamenco, juif et travesti, Sylvin RUBINSTEIN qui est décédé en 2011. Cet artiste, c’est sa professeure de danse classique qui l’a mis sur la voie. Il n’avait alors que 12 ans. Il deviendra son icône. C’est dans cette ville allemande, en juillet 2017, que Iva et Lukus vont se croiser. Leur photographie d’un couple sorti mystérieusement des brumes de la ville incendiée sera diffusée à travers le monde entier. Elle marque le début d’une épopée éminemment romanesque.
Ce roman, c'est un jubilé de sujets qui me passionnent.
D'abord, il y a l'art à travers le flamenco, cette danse incandescente à laquelle Lukus a choisi de se consacrer. Au prix de multiples efforts et d'une longue pratique, les corps apprivoisent le rythme des cymbales, tantôt en douceur, tantôt avec violence, en quête du duende, cette ivresse que Federico GARCIA LORCA décrivait tout en beauté dans "Jeu et théorie du Duende" : "Pour chercher le duende, il n’existe ni carte, ni ascèse. On sait seulement qu’il brûle le sang comme une pommade d’éclats de verre, qu’il épuise, qu’il rejette toute la douce géométrie apprise, qu’il brise les styles, qu’il s’appuie sur la douleur humaine qui n’a pas de consolation."
Mais plus encore, c'est à travers les jumeaux RUBINSTEIN que vous allez mesurer la puissance de l'enivrement. Nous voilà en 1913, quasiment un siècle plus tôt. Rachel et Pietr Dodorov Nikolaï tombent amoureux l’un de l’autre. Elle est juive, danseuse à l’opéra de Moscou. Lui est duc, aristocrate, officiel du Tsar Nicolas II. De leur union naissent Sylvin et Maria. A la Révolution, elle doit fuir avec ses enfants. Elle ne reverra jamais son mari, fusillé. Les enfants sont bercés par les chants de la soprano Ewa BANDROWSKA-TURSKA. Ils sont formés par Madame Litvinova dans une école de danse de Lettonie. Inspirés par le flamenco découvert dans un camp gitan, ils quittent l’école pour la Pologne. À Varsovie ils sont recrutés par Moszkowicz, directeur du théâtre l’Adria. C’est lui qui leur donne leur nom de scène : "Imperio et Dolores", un nom aux sonorités espagnoles pour leur permettre d'entrer dans le cercle très fermé des danseurs du genre et cacher leurs origines juives.
Il y a, dans ce roman, des descriptions tout à fait fabuleuses des moments de spectacle, d'exaltation, des jumeaux reconnus dans le monde entier pour leur talent. Nous sommes dans les années 1930, les années folles, cette période éblouissante marquée par l'élan d'euphorie qui souffle sur les disciplines artistiques.
Ce que j'ai beaucoup aimé, c'est aussi la singularité du travesti. Sylvin RUBINSTEIN se produisait en tenue de femme. Tout a commencé avec Maria qui, lors d'un , s'est habillée avec le costume d'un homme. Il n'en fallait pas plus pour que son frère, lui, au corps si fin, ne se glisse dans une robe de flamenco. Au fil du temps, resté seul, il perpétuera le souvenir de sa soeur en s'annonçant comme Dolores.
Mais il ira beaucoup plus loin. Alors que la seconde guerre mondiale frappe, c'est en habit de femme qu'il mènera des actes de résistance. Là, le roman de Marie CHARREL devient historique et honore sa mémoire. L'écrivaine dresse le portrait d'un homme puissant.
La lecture est jubilatoire. Dans une plume haute en couleurs et en intensité, "Les danseurs de l'aube" deviennent des personnages héroïques. Entre passé et présent, réalité et fiction, mon coeur s'est laissé porter par la fougue d'êtres hors du commun, des hommes et des femmes, indignés, qui, de gré ou de force, choisissent la voie de la liberté, à la vie, à la mort. Marie CHARREL restitue tout en beauté d'innombrables recherches réalisées pour être au plus près de l'actualité comme de l'Histoire. Elle nous livre un roman d'une richesse éblouissante.
A bien y regarder, j'ai l'impression que je cumule les coups de coeur ces dernières années avec les éditions de L’Observatoire. lls vous séduiront peut-être aussi...
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