Ce premier roman aura été une sacrée aventure pour son auteur, Raphaël ALIX, et ses éditrices, Lola NICOLLE et Sandrine THEVENET. Rien que pour ça, on peut lui faire la ola, non ? Sachant que j'ai tout un tas d'autres bonnes raisons dans ma besace pour lui faire une ovation...
Rose et Marcus dansent chaque soir en bord de Seine. Depuis 5 ans, ils se délectent sur les notes langoureuses et fougueuses du tango, cette danse venue d’Amérique du Sud, cette danse à quatre temps de Buenos Aires. Tout se passe formidablement bien entre eux, ils s’aiment, jusqu’au jour où Rose propose à Marcus d’avoir un enfant. Rose et Marcus s’adonnent, en plus de la danse, aux ébats amoureux pour concevoir l’enfant. Malheureusement, tout ne se passe pas comme ils l’avaient prévu, au point que Marcus se retrouve à héberger l’embryon du couple. Là commence pour eux une toute nouvelle histoire.
Marcus n’est autre que le narrateur de ce roman, un brin loufoque, parfois burlesque, d’une fraîcheur et d’une modernité sans égal. C’est donc par le filtre de son regard que, le temps d’une lecture, nous allons nous plonger dans le corps, et les neurones, de ce garçon que la virilité ne va pas manquer d’être ébranlée.
Ne vous méprenez pas, ce n’est pas parce que le scénario prête à rire qu’il ne porte pas sur des sujets graves.
Comme Marcus,
J’avais le souci du détail. J’étais perfectionniste. P. 137
Raphaël ALIX ne va rien laisser au hasard dans ce roman foisonnant, à commencer par le tango, une danse qui, au tout début du XXème siècle, a puisé sa force et son énergie dans la mixité des danseurs. C’est à cette époque que les danses de Blancs et de Noirs se mélangent, elles s’inspirent les unes des autres, s’imitent, se singent, le métissage est à l’oeuvre pour donner ce que nous connaissons aujourd’hui, une danse aux mille et une tonalités, largement pratiquée dans les salles de bal du monde entier.
Pourquoi le XXIème siècle ne serait-il pas, lui, celui de la pamernité ?
L’auteur consacre son tout premier roman à la question de la procréation largement médiatisée en France ces dernières années et qui ne laisse pas indifférent, dans la réalité comme dans la fiction. Raphaël ALIX va confronter avec espièglerie son personnage principal aux normes de notre société. Il y a des moments absolument truculents qui vous feront peut-être pleurer, de rire, à moins que ça ne soit de chagrin sur ce que nous sommes, des êtres obtus.
Aujourd’hui, ne serait-ce que le vocabulaire, rien n’est prévu dans la langue française pour conjuguer la grossesse au masculin. Si le terme « paternité » est aujourd’hui largement prononcé, il l’est en référence au congé accordé au père depuis 2002 dans le code du travail. Raphaël ALIX s’exerce, lui, à prononcer le mot enceint pour qualifier l’état de Marcus, et il a bien raison.
D’un point de vue biologique, il ne vous a pas échappé que l’homme se différentie de l’hippocampe, le seul poisson et mâle du genre animal à assurer naturellement la gestation. Pour autant, certains hommes peuvent porter un enfant. Etre enceint est donc possible, c’est le cas de certains transgenres. Evoquer cette hypothèse dans un roman permet, a minima, de porter au grand nu des pratiques qui à défaut, risquent d’être réalisées sous le manteau et vécues dans le plus grand anonymat.
Du point de l’éthique, toutefois, il n’y a qu’un pas que les scientifiques ne sont pas prêts de s’aventurer à franchir, il en va notamment de la vie du père, mais pas que. Le simple fait d’être enceint vient rebattre les cartes de notre société et fragiliser ses fondations en revisitant la question du genre.
Chacun se plie à son rôle, chacun se voit réduit, cloué à son genre. Voici le canevas, débrouillez-vous comme vous voudrez : un homme, ça se conjugue au verbe avoir [...]. Une femme, ça se conjugue au verbe être, une femme c’est joli, c’est soigné, affectueux, sensible, salope. Et enceinte. P. 101
Si Raphaël ALIX initie un souffle d’autodérision dans son roman avec le personnage de Marcus, obligé de se grimer en femme, de se travestir pour sortir de chez lui et espérer une vie normale, il n’est, en réalité, plus simplement question pour un garçon de jouer à la dinette et/ou de pouvoir porter du rose, une robe, et tous autres artifices habituellement dédiés aux filles. Non, il s’agit de donner la vie.
Je vacillais. Je ne savais plus qui j’étais, ni où me situer. L’avais-je déjà véritablement su ? Qui peut répondre à ça : qu’est-ce qu’être un homme ? Et une femme ? Derrière la mise en scène, les rôles que chacun s’efforce d’incarner, personne ne le sait, surtout pas ceux qui aboient la réponse à la face du monde... [...]. P. 131/132
Plus que le genre, c’est finalement une question d’identité à laquelle il s’agit de répondre. Vous voilà plongés, bon gré mal gré, dans un bain philosophique dans lequel il ne vous reste plus qu’à nager !
J’avoue que Lola NICOLLE et Sandrine THEVENET sont particulièrement audacieuses en déroulant le tapis rouge de leur première sélection littéraire pour le roman de Raphaël ALIX. Ces femmes osent, par la voie de la littérature, espérer :
Décoloniser les esprits, et les rendre plus libres. P. 168
Modeste intention, n’est-ce pas !
« Le Premier Homme du monde », c’est un roman revigorant, bourré de fantaisie, fin et intelligent, de ceux qui vont semer dans votre esprit de petites graines et creuser un sillon. Tiens, tiens, je crois bien avoir déjà lu ça quelque part. Et si c’était la ligne éditoriale de la collection « Les Avrils »...
Alors, on la fait cette ola ?
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