Miguel BONNEFOY est un formidable conteur. Après « Sucre noir » et « Le voyage d’Octavio », il confirme son talent pour décrire de formidables épopées.
Les Lonsonier se transmettaient le vignoble familial du Jura de génération en génération jusqu’à ce que le phylloxera réduise les ceps sur pied en bois mort. Dès lors, une autre vocation restait à trouver, le Nouveau Monde séduisait les foules, c’était le moment d’embarquer. Le fils Lonsonier pris le bateau au Havre. Drogué par une diseuse de bonne aventure, il se mit à halluciner. Craignant qu’il ne soit malade de la typhoïde, le capitaine du navire décida de le faire accoster à Valparaiso au Chili. C’est là qu’il rencontrera Delphine, d’origine bordelaise, avec qui il aura trois enfants, trois garçons, qui tous, seront engagés dans l’armée pour sauver la France des griffes de l’occupant. Deux tomberont dans les tranchées de la Marne, seul Lazare en réchappera avec des blessures de guerre au poumon. A son retour, il fonde une famille avec Thérèse. Leur fille, Margot, triste, que les jeux d’enfants n’intéressent pas, choisira d’être aviatrice, un destin qui ne sera pas sans faire de cheveux blancs à ses parents. Mais là commence d’autres aventures sur fond de seconde guerre mondiale et de dictature en Argentine.
Ce roman, c’est un voyage entre les continents avec la découverte de l’Amérique du Sud par des Français, c’est aussi un voyage dans le temps dans lequel vont s’égrener les grands événements du XXème siècle, les guerres mondiales et la dictature en Argentine. J’ai adoré me laisser porter par les aventures de cette famille et la transmission entre générations. Le roman devient une véritable saga.
Plus que tous, c’est le personnage de Margot qui m’a « emballée ». Hors norme dès sa plus tendre enfance, son portrait et l’approche de son comportement par sa mère m’ont fait penser à Helen et Kate KELLER dans le roman d’Angélique VILLENEUVE "La belle lumière".
Sa mère fut peut-être la seule à comprendre la distante rêverie de sa fille qu’on confondit avec de la froideur de caractère. P. 68
Miguel BONNEFOY prend le pari audacieux de distinguer l’instinct maternel de celui paternel...
Les silences masculins remplaçaient les baisers, les tâches journalières se substituaient aux indulgences maternelles, les exigences du devoir chassaient les cajoleries. P. 142
Nul doute qu’il ne fera pas l’unanimité mais rappelons-nous, l’histoire se passe au XXème siècle, les us et coutumes évoluent avec le temps, non ?
Bref, la petite Margot n’a cessé de tracer son sillon. On sait ô combien il était difficile à l’époque pour une fille de s’improviser dans des champs réservés aux hommes. Margot faisait preuve de courage et de ténacité, d’une audace absolument incroyable qui lui permit de repousser les limites et participer, elle aussi, à des événements des deux côtés de l’océan Atlantique. En ce sens, « Héritage » revêt le costume du roman d’aventure.
Avec le personnage de Margot, je saisis l’opportunité de rappeler aux filles de tout oser, tout rêver, et de cesser de penser que certaines activités seraient l’apanage d’un genre. Alors, si la littérature peut susciter des vocations, ne nous en privons pas !
Mais les romans de Miguel BONNEFOY ne seraient pas ce qu’ils sont sans une certaine part d’onirisme, c’est un peu la signature de l’écrivain, un registre qui lui va si bien. « Héritage » n’y échappe pas et voit une partie du roman construite sur le fil ténu du rêve. Dès lors, tout peut vous arriver !
Le rythme est fougueux, la plume enchanteresse et le roman captivant. C'est assurément un très bon crû. Il est en lice pour le Prix des Libraires 2021 avec notamment :
de Martin DUMONT découvert grâce aux 68 Premières fois
de Laurent PETITMANGIN également dans la sélection 2021
J’ai rédigé cette critique dans le cadre du mois consacré à la littérature latino-américaine, une initiative de Ingannmic et Goran, découverte Sur la route de Jostein. Dans ce cadre, retrouvez également
« Les Vilaines »
de Camila SOSA VILLADA
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