Cette lecture, je l’ai réalisée à l’invitation des Editions Les Escales et dans la perspective d’une rencontre littéraire à distance avec l’autrice le 1er décembre dernier. Merci à Sarah RIGAUD, Anne LABORIER et leur équipe de cette organisation.
Amandine Berthet a 80 ans. Elle est hébergée depuis trois ans à l’EMS (établissement médico-social) Les Chênes, une pension en Suisse Romande. Toute sa vie elle a raconté des histoires ; d’abord, à ses frères et soeurs quand elle était enfant, ensuite aux élèves de sa classe quand elle allait à l’école. C’est donc assez naturellement qu’elle s’est mise à raconter l’histoire d’Amanda Wilkson aux résidents de l’EMS. Quelle fut la surprise du personnel de l’établissement de découvrir des personnes âgées, des hommes et des femmes, suspendus aux péripéties des personnages imaginés par Amandine. Une entorse au règlement a même été décrétée pour autoriser ce moment d’évasion à un moment où chacun devrait avoir pris ses médicaments et respecter le couvre-feu de l’EMS. Avouons qu’Amandine avait plus d’un tour dans son sac. Proposer un voyage en pleine Amazonie à des personnes « condamnées » à vivre dans cette pension n’était pas pour déplaire aux résidents, parfois meurtris par un passé lourd qu’ils passeraient la journée à ressasser. C’est ainsi qu’ils se retrouvèrent au Brésil dans une fazenda située à l’embouchure du delta de la baie de Guajará. Mais, si les résidents se reposaient sur leur conteuse pour leur ouvrir des portes sur le monde, Amandine, elle, rêvait d’un vrai voyage. Elle décida donc d’échapper à la surveillance du personnel de l’EMS (!) et de fuguer. Amandine se retrouva en pleine manifestation, une Street parade. C’est là qu’elle rencontra une charmante personne avec qui elle vivra de sacrées aventures. Mais là, commence une toute nouvelle histoire.
Ce roman, s’il est exigeant pour le lecteur en termes de forme, en lien avec l’imbrication des histoires de deux femmes, tantôt Amandine, tantôt Amanda, a pourtant eu raison de mes émotions.
D’abord ce roman c’est une invitation à un ailleurs que la littérature propose inlassablement. J’aime beaucoup la citation de Grégoire DELACOURT extraite de son roman "La liste de mes envies" :
"Il n’y a que dans les livres que l’on peut changer de vie. Que l’on peut tout effacer d’un mot. Faire disparaître le poids des choses. Gommer les vilénies et au bout d’une phrase, se retrouver soudain au bout du monde."
C’est exactement ce que vivent les résidents de l’EMS Les Chênes lors des séances de conte animées par Amandine Berthet.
Son public est âgé. Il surmonte aujourd’hui des fragilités physiques qui entravent sa liberté et parfois le fait souffrir.
Une maison de retraite, c’est comme un pensionnat ou une colonie de vacances, l’urgence en plus. P. 166
Il est hébergé dans un établissement qu’il n’a pas forcément choisi et a vécu le déracinement de sa terre d’origine. Il porte le lourd fardeau d’une existence toute entière, et celui d’Amandine n’est pas plus léger. Jeune fille, elle fut vendue par ses parents, pauvres fermiers, contre trois vaches laitières à un homme tortionnaire. Elle aura avec lui un garçon, Jean, la cinquantaine maintenant.
Ce roman est un hymne au conte. J’ai été profondément touchée par le pouvoir exercé par celle ou celui qui en use :
Tels sont le pouvoir et la frustration des vrais conteurs : ils font naître chez ceux qui les écoutent des rêves encore plus forts que les leurs, et créent des mondes auxquels ils n’ont pas accès. P. 247
Si on a plus l’habitude d’une heure du conte dédiée aux enfants, il est moins fréquent de l’envisager en foyer logement, quelle erreur ! J’espère que ce roman donnera tout un tas d’idées au personnel qui y travaille quotidiennement.
Et puis, ce livre, c’est aussi une formidable rencontre intergénérationnelle. Quand Amanda va quitter l’établissement, elle va se retrouver à côtoyer des jeunes et vivre des aventures éminemment romanesques.
Elle aurait pu avoir des relations avec ses petites filles mais les liens se sont distendus avec le temps. Là, il y a une sincérité profonde, des émotions fortes devant les scènes de fiction de Nicole GIROUD comme si le fait qu’il s’agisse de personnages sans aucune relation préétablie libère les mots, les attentions, les gestes. Si Aurélie et Carla sont de jeunes femmes tout à fait intéressantes à décrypter, j’avoue être tombée sous le charme de Rocco, un jeune homme dont pourrait rêver chaque grand-mère.
Parce qu’Amanda, ce qu’elle voulait, elle, c’était :
La vie en grande largeur ! La vie quand ne vous attend plus que l’ébauche maladroite du dernier pointillé. P. 26
C’est une bien belle manière de revisiter nos relations aux « vieux ». Si on acceptait d’être naturels, d’être nous-mêmes en fait, peut-être que tout deviendrait simple, non ?
Personnellement, je me suis gorgée des plaisirs des dernières pages, un pur bonheur, avec une fin, juste théâtrale.
La plume de Nicole GIROUD est foisonnante. Si elle nécessite de maîtriser quelques codes pour faciliter son acculturation, une fois adoptée, elle sait révéler de bien belles merveilles.
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