Coup de cœur pour ce premier roman inspiré d’une histoire vraie sur fond de seconde guerre mondiale
Felix Sitterlin, le narrateur, est Trompettiste classique. Il fut formé au Conservatoire de Paris. À partir de 1938, il intègre la brigade de musique des gardiens de la paix et prendra part à l’insurrection populaire pour reprendre la Préfecture de Police de Paris. Le 12 janvier 1945, il est chargé par le Préfet Luizet de retrouver le Stradivarius du neveu de Monsieur Braun, Juif, ami du Général De Gaulle. Et s’il s’agissait de celui offert par Goebbels le 22 février 1943 à la jeune Nejiko Suwa, prodige japonaise, comme un acte politique pour sceller l’union du régime nazi avec le Japon, les premiers exterminant les Juifs, les seconds les Chinois. Après un enseignement reçu auprès de sa tante Anna, arrivée de Russie, Nejiko évolue auprès de grands maîtres mais son Stradivarius lui résiste. D’où peut bien venir son incapacité à maîtriser parfaitement l’instrument. Certains luthiers affirment que les violons ont de la mémoire ? Et si Nejiko avait intérêt à connaître l’histoire du sien...
« Le Stradivarius de Goebbels » est un roman historique qui va prendre sa source avec le cadeau de Goebbels. Nous sommes en 1943. C’est à cette époque que le régime nazi lance la confiscation des œuvres d’art. Chaque jour, 80 camions de biens juifs quittent Paris pour l’Allemagne et l’Autriche pendant que les propriétaires, eux, étaient transférés au camp de Drancy. Herbert Gerigk est chargé du secteur musical. C’est entre ses mains que le Stradivarius transite. J’ai beaucoup aimé les descriptions de Paris sous l’occupation. J’ai découvert aussi l’épisode des prisonniers japonais dans un hôtel luxueux de Bedford. Ils y resteront 6 mois, de juillet à décembre 1945, suscitant des mouvements de révolte des Américains. L’écrivain a réalisé de nombreuses recherches pour documenter son livre et en faire un roman historique à part entière.
Ce roman, c’est aussi l’exploration d’une discipline artistique, la musique. J’ai savouré les passages autour de l’apprentissage de Nejiko Suwa.
Les jeunes musiciens en ont l’intuition, leurs maîtres la certitude : les violons ont une âme mais ils ont aussi une mémoire. Une mémoire au sens propre : le bois vit, travaille, enregistre les sonorités et les émotions. Il les absorbe, s’en imprègne, les intègre, au point que l’instrument se comporte de manière singulière sur un morceau joué des centaines de fois. P. 51
Et puis, il y a l’adoption de l’instrument par le musicien, le binôme qu’ils composent, l’alchimie qui opère. Alors, imaginer que Nejiko SUWA se sépare de son Stradivarius, même mal acquis, relève de l’illusion à moins que...
Yoann IACONO réussit à maintenir le suspense tout au long du roman, donnant un rythme au propos.
Enfin, sous la plume de l’écrivain, Nejiko Suwa devient un personnage de roman. Entre sa vie à Paris, son retour à Berlin, son emprisonnement aux Etats-Unis... c’est une épopée tout à fait fascinante que nous relate l’auteur qui ne se contente pas seulement des années 1940 mais nous propose d’accompagner Nejiko Suwa tout au long de sa vie. C’est dans les journaux intimes de la musicienne qu’il va glaner une multitude de détails pour reconstituer le fil de son existence.
Ce premier roman est passionnant. La narration à la première personne du singulier met le lecteur dans la position du spectateur d’un scénario hallucinant digne du plus machiavélique des dictateurs. C’est un peu comme si la scène se déroulait sous nos yeux et donnait à cette fiction un ancrage dans le monde réel. Audacieux et très réussi.
commentaires