Je me souviens de la lecture de « Maria » comme si elle datait d’hier. C’est dire si j’avais hâte de retrouver la plume d’Angélique VILLENEUVE. Quelle joie de lire ses mots !
Ce nouveau roman, « La belle lumière », commence avec une scène tout à fait saisissante.
Nous sommes en 1886, aux Etats-Unis, à Tuscumbia, dans les bois. Kate KELLER, la mère, est toute attentionnée à l’itinéraire de sa fille, Helen, que l’on soupçonne... différente. Elle est en réalité aveugle, sourde et muette.
Kate a épousé un homme, Arthur, à la tête d’un journal, âgé de 20 ans de plus qu’elle. L’enfant naît 2 ans après leur mariage. Tout se passe « normalement » (si normalité il y a), jusqu’à ses 19 mois. Là, elle est prise de fortes fièvres. Sa mort est annoncée. Le bébé survit pourtant mais avec des séquelles profondes. Si les apprentissages de la vie quotidienne de l’enfant sont difficiles, il est un champ dans lequel Helen évolue en s’affranchissant de toute forme de handicap, c’est celui des fleurs, des roses très précisément. A sa naissance, un premier rosier, « Pâquerette », créé par une roseraie lyonnaise, avait été offert à Kate, celui-là ne supportera pas les différences de températures entre la France et les Etats-Unis mais il sera le point de départ d’une collection tout à fait exceptionnelle au sein de laquelle Helen « s’épanouira comme une fleur » ! Mère et fille évoluent dans une famille élargie. Il y a la soeur d’Arthur, il y a deux fils d’un premier mariage, il y a une nièce orpheline et, pour les servir, des hommes et des femmes, noirs. Virginia s’occupe de la maison, Yates du jardin, Hilliott des chevaux. C’est dans cet environnement interculturel que Kate va mener son plus grand combat, celui de l’éducation de sa fille par la voie d’un apprentissage « adapté », mais là commence une toute nouvelle histoire.
Dans « Eldorado », Laurent GAUDE disait :
Ils étaient beaux de cette lumière que donne l'espoir au regard.
Dans ce roman d’Angélique VILLENEUVE, c’est une déclinaison à la troisième personne au féminin que personnellement je conjuguerai au pluriel !
Ce roman, c’est un formidable message d’espoir, notamment à tous les parents d’enfants porteurs d’un handicap.
Dans le regard posé par Kate KELLER, il y a un amour incommensurable, de ceux qui, dans une vie « normale » passeraient pour communs, mais qui, là, face aux difficultés quotidiennes rencontrées, sont la révélation d’une force redoutable. Kate KELLER est animée d’une grande lucidité sur l’état de santé de sa fille et revendique ses potentiels développements. Il y a des passages juste fabuleux de l’enfant évoluant au milieu des rosiers...
Elle en possède en profondeur le répertoire, en tout cas mieux que tout autre ici, odeur, texture, forme et poids, férocité des épines. Elle sait tout. D’une manière étrange, mais tout. Kate en est convaincue. Entre elles, les fleurs et les mains sont des solides liens. P. 80
Pour autant, Angélique VILLENEUVE sait alerter tout en finesse sur les limites de l’exercice :
L’espoir d’un jour meilleur, pense Kate, est une faute de goût s’il est exprimé devant n’importe qui. P. 138
Angélique VILLENEUVE sait aussi exprimer avec beaucoup de gravité la solitude endurée par cette femme face au regard des autres posé sur sa fille. Elle décrit avec force et violence les doutes qui l’assaillent, le déchirement qui la torture. Bon gré, mal gré, Kate KELLER va poursuivre sa lutte contre tous jusqu’à la voie, tout à fait « miraculeuse », de la langue des signes, manuelle, pratiquée à l’Institution Perkins.
Après quelques recherches, elle a réussi à collecter des informations sur l’origine de la dactylologie. Il s’agit d’un système inventé autrefois par un groupe de moines espagnols qui avaient fait voeu de silence mais souhaitaient communiquer entre eux malgré tout. P. 191
L’exploration par l’écrivaine de la relation mère/fille, mise à l’épreuve du handicap et plus largement de la différence, est tout à fait passionnante d’autant que, vous l’avez compris, Angélique VILLENEUVE honore la mémoire d’une écrivaine, militante politique, Helen KELLER décédée en juin 1968, cette femme extraordinaire qui fut la première femme handicapée diplômée de l’université. Que de chemin parcouru !
Il fallait l’empathie d’une mère pour comprendre que, si Helen avait des comportements violents pendant sa tendre enfance, ils étaient liés à son incapacité à communiquer avec son environnement, emprisonnée qu’elle était dans sa plus profonde intimité :
Elle sent l’odeur légère de la vieille poupée monter vers ses narines, en sent le poids sur ses cuisses, c’est un poids de rien et une odeur de tout. De l’enfance qui ne peut être dite mais se tient encore à l’intérieur d’elle, bien plus vaillante qu’elle ne l’aurait crue. P. 182
Certains y verront peut-être là l'expression d'un instinct... maternel !
Sans nier des passages d’une intense gravité, Angélique VILLENEUVE magnifie l’itinéraire de Kate et Helen KELLER dans une plume d’une extrême sensibilité. Dans une écriture presque cinématographique, l’écrivaine brosse le portrait détaillé d’une époque, de la vie d’une famille américaine, d’un environnement naturel aussi. Il y a des descriptions de paysages tout à fait exceptionnelles avec l’éveil des sens, vous les verrez, vous les entendrez, vous les sentirez !
De cette lecture, je sors « illuminée » par la beauté des mots, et c'est loin d'être un vain mot !
Elle ne saurait, pourtant, me faire oublier l'inaccessibilité de certains publics à des supports internet. Aussi, c'est avec "La belle lumière" que je lance, sur le blog, les enregistrements vocaux de mes chroniques ! A votre bon coeur...
Mon avis sur le roman d'Angélique VILLENEUVE, "La belle lumière", sorti en librairie le 27 août 2020
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