Alors que les éditions Les Escales publient le troisième tome de la saga, je ne fais que lire le premier mais ce qui est bon avec les livres c'est qu'ils ne prennent pas une ride avec le temps !
Cette lecture s'est réalisée en plein confinement, autant vous dire que le voyage dans le temps et à travers les continents m'a été bénéfique, et dans un laps de temps très court pour participer avec l'écrivaine et quelques blogueuses à une rencontre littéraire connectée. Je félicite d'ailleurs Anne pour l'organisation de ce temps d'échange tout à fait fascinant.
Avec "Les Déracinés", tout commence à Vienne dans les années 1930. Wilhelm, Wil, est promis à la succession de l'entreprise d'imprimerie familiale créée par le grand-père, Josef Rosenheck. Sa soeur, Myriam, elle, est passionnée de danse depuis sa plus tendre enfance. Leurs destins vont pourtant prendre un tout autre chemin avec l'annexion de l'Autriche à l'Allemagne hitlérienne. Jeune homme, et dans l'ambiance des cafés viennois où se retrouvent les intellectuels, Wil fait connaissance avec Almah, ils tombent fous amoureux l'un de l'autre même si leur histoire relève presque de l'impossible, il suffit de regarder le fossé entre leurs milieux sociaux. L'étau de l'antisémitisme se resserre cruellement autour de leurs existences. Myriam, la soeur de Wil, se marie précipitamment avec Aaron suite à l'agression d'un juif dans la rue. Ils partent pour les Etats-Unis. Wil et Almah, eux, choisissent de rester, au péril de leur vie.
Je ne vais pas vous en dire plus aujourd'hui, tout simplement parce que Catherine BARDON est une formidable conteuse et qu'elle imagine d'incessantes tribulations pour ses personnages, notamment Wil et Almah, éminemment romanesques vous l'aurez compris.
Enfin, imagine, tout ne relève pas de la fiction, et je dois bien dire qu'elle m'a séduite avec le volet historique que revêt le roman. En effet, un jour que l'écrivaine se promenait en République Dominicaine dans la perspective de l'écriture d'un guide vouant les atouts touristiques de l'île, elle fait connaissance avec un vieil homme. Il la fait entrer chez lui et déroule le fil d'une existence, haute en couleur. C'est dans cette histoire personnelle que Catherine BARDON va puiser la substantifique moelle de sa saga.
Forte d'impressionnantes recherches, elle va faire vivre à Wil et Almah tout un tas d'événements géopolitiques, à commencer par la montée du nazisme.
Je n’aurais pas imaginé me sentir un jour appartenir à la communauté juive, tant mon éducation et mon style de vie m’en avaient éloigné. P. 133
Dans leur malheur, Wil et Almah vont aussi vivre des moments d'une richesse humaine absolument incroyable.
Si certains passages sont profondément graves et tristes, Catherine BARDON explore les tréfonds de l'âme humaine et dissèque les comportements des uns et des autres dans les moments les plus tragiques de leur existence pour y puiser un propos lumineux. Je crois que j'aurais beaucoup aimé rencontrer Wil et Almah, dans leur "vraie vie". Ils devaient être des gens merveilleux, non pas dans ce qu'induit ce mot de féeriques mais bien de sensationnels. Ce couple, à n'en pas douter, a toujours su rayonner et embarquer les hommes et les femmes qu'il côtoyait dans des aventures flamboyantes.
Almah me démontrait chaque jour que l’être humain a une capacité de résistance inouïe, qui lui permet de surmonter toutes les douleurs, quelle que soit leur intensité, et toutes les pertes, aussi irréparables soient-elles. P. 166/167
Dans ce roman, il est question, tout en pudeur et bienveillance, d'exil sur fond de génocide du peuple juif. Il en va de la considération des survivants, de leurs souffrances, ce lourd fardeau qui pèsera sur leurs épaules pour l'éternité, à l'image de ce que pouvait en dire Simone WEIL à qui Catherie BARDON emprunte cette citation :
Il faut se déraciner. Couper l’arbre et en faire une croix, et ensuite la porter tous les jours.
Sous la plume de l'écrivaine, les personnages deviennent au fil de la lecture profondément attachants.
J'ai tellement hâte de retrouver Wil et Alma dans "L'Américaine" et "Et la vie reprit son cours", ce troisième et dernier tome vient tout juste de sortir en librairie.
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