Après "La maladroite", "Un funambule", je rechute avec la plume de cet auteur que j'ai eu la chance d'interviewer. Retrouvez son portrait brossé le 18 avril dernier !
Alexandre SEURAT, sa "marque de fabrique", c'est le roman noir. Et là, j'avoue que "Petit frère" relève du coup de poing le plus féroce. J'en suis sortie K.O..
La découverte macabre, c'est sa petite amie qui a lancé l'alerte. Il ne répondait pas mais elle savait. Elle savait qu'il était mort, dans l'appartement dans lequel il serait mieux, c'est ce qu'avaient prétexté les parents pour qu'il quitte la maison familiale devenue invivable à cause de sa présence et/ou son absence, ce qui était à peu près la même chose. Cet enfant, le petit frère, il a toujours suscité des tensions dans le foyer. Dans sa plus tendre enfance, il était au coeur de toutes les conversations, charmant, séduisant à l'envi, et puis, avec le temps, ses comportements, son incapacité à lui, mais à tous en réalité, à communiquer, en ont fait le petit canard tout noir de la fratrie. Ce n 'est pas faute de lui avoir lancé des perches, d'avoir essayé de le sortir de là, mais de là où ?
Ce roman d'Alexandre SEURAT, c'est l'histoire d'un décrochage, d’une chute vertigineuse, d’une descente aux enfers... du "Petit frère" du narrateur, enfin, du narrateur ça n'est pas tout à fait exact, du grand frère posé en spectateur dans une narration à la 3ème personne du singulier. Largement éclairé par "Un funambule", avec "Petit frère, cette fois, l'écrivain donne à voir les choses de l'extérieur. Il y a ce pas de côté, ce surplomb, qui fait toute la différence.
Le coup de poing, avec cette lecture, il est pluriel.
Il y a le direct, avec cette mort, découverte par le père. La mort d'un homme que l'on suppose jeune, incapable de s'épanouir dans l'environnement dans lequel il évolue. "Petit frère" est trop sensible. Alors, devant des faits, face à des comportements, en confrontation avec les autres, il surréagit. Tout l'agresse, l'étouffe, le met hors de lui. Trop beau, trop grand, trop lumineux, en réalité, trop tout ! "Petit frère", c'est l'image même d'un garçon que l'on qualifierait aujourd'hui de différent, mais à cette époque-là, il y a peut-être une vingtaine d'années, ce mot-là n'existait pas, ou bien il n'était pas utilisé avec ce sens-là, et puis, il vivait dans une famille bourgeoise où chaque geste était convenu, alors, forcément, lui n'était pas à sa place.
Plutôt que différent, certains l'ont dit malade. L'était-il ? N'était-il pas question, plutôt, de normalité ? Mais qu'est-ce que la normalité ?
Il y a ensuite le crochet avec ces carnets dans lesquels "Petit frère" écrivait, dessinait. Comme dans la "vraie vie", il s'agit de petites phrases, qui, jamais, ne s'inscrivent dans le dialogue, l'échange, la conversation. Ce sont autant de petites phrases, assassines, qui, toujours, renforcent la tension déjà palpable, le malaise grandissant. Dans ses carnets, "Petit frère" y décrit ses états d'âme, quelques mots qui donnent à voir l'état de sa détresse, son désarroi et sa tristesse, sa solitude... des dessins aussi, ils m'ont touchée en plein coeur.
Il y a enfin l'uppercut, celui que vous n'avez pas vu venir, celui qui vous prend par en-dessous et qui vous fait lâcher prise. A force de décrire, tantôt la vie de ces dernières semaines, de ces derniers mois, tantôt les souvenirs de l'enfance et l'adolescence, l'écrivain dévoile un fait, un secret de famille très bien gardé, qui, peut-être, pourrait expliquer quelque chose, mais quoi ?
Ce roman m'a mise K.O.. Le ton y est si juste, j'en ai ressenti les vibrations jusque dans mes tripes. Dans un texte composé de phrases courtes, percutantes, chaque mot vous coupe la respiration. Alexandre SEURAT joue le rôle d'équilibriste entre les vides et les pleins, l'absence et la présence. Il inscrit l'histoire dans les murs (moi qui suis passionnée par l'urbanisme et ses effets sur l'individu, j'y suis particulièrement sensible). Il y a ceux de la maison familiale dans laquelle la tension est à son paroxysme et puis il y a ceux de l'appartement, ce refuge d'adoption. "Petit frère" est littéralement habité !
Si je tâtais les murs, mes doigts heurtaient des angles. P. 89
Dès lors, la machine destructrice était lancée, la chute devenait irréversible. Il ne restait plus qu'à en connaître le moment.
Les coutures du monde craquaient les unes après les autres. P 79
Dans ce roman intimiste, Alexandre SEURAT pose des mots sur des maux. Largement inspiré de son histoire personnelle (une confidence faite lors de notre entretien), ce roman décrit la vie de "Petit frère", assailli par un poids trop lourd à porter dans une famille où chacun cherche sa place mais où tous sont liés. L'auteur nous livre "une approche clinique en s'arrêtant au seuil de l'analyse des responsabilités".
Je serrais la rambarde du lit : je me disais que peut-être il y avait des mots qu’il aurait suffit de dire, pour l’atteindre, mais je ne les trouvais pas. P. 66
Loin de lui l'idée d'un livre d'accusation mais plus d'une réhabilitation.
S'il ne croît pas personnellement en l'écriture thérapie, il me l'a dit, il est un mot qui, pour moi, dévoile la démarche, peut-être inconsciente, d'Alexandre SEURAT. C'est le tout dernier mot du roman : "m'apaise", comme un point final à une histoire familiale et littéraire arrivée à son terme.
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