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2019-10-26T06:00:00+02:00

J'ai cru qu'ils enlevaient toute trace de toi de Yoan SMADJA

Publié par Tlivres
J'ai cru qu'ils enlevaient toute trace de toi de Yoan SMADJA

Belfond

Parce que je ne lis plus les quatrièmes de couverture, 
Parce que je résiste aux chroniques avant d'avoir découvert par moi-même un roman,
et parce que j'adore voir la magie des choix très éclectiques des fées des 68 Premières fois opérer,
je ne savais absolument pas à quoi m'attendre avec le premier roman de Yoan SMADJA et puis vous assurer, maintenant, que c'était mieux ainsi !

Sacha Alona est grand reporter. Elle, qui depuis sa plus tendre enfance, croque la vie à pleines dents, avide de découvertes à réaliser, d'expériences à faire et de défis à relever, elle prend l'avion au printemps 1994 à destination du Cap en Afrique du Sud, missionnée qu'elle est pour relater les premières élections démocratiques post-apartheid. Très vite, avec Benjamin, photographe, Sacha flaire une filière d'armes. Elle découvre des machettes en quantités effroyables et qui, coupantes des deux côtés, ne peuvent répondre aux besoins de seuls agriculteurs africains. Elles sont faites pour tuer. Sans l'accord de son employeur, elle s'envole pour le Rwanda où la guident ses pas... elle ne sait pas encore qu'en quelques mois sa vie basculera. Elle croisera effectivement sur son chemin, un homme, Daniel Kobeysi, chirurgien obstétrique, originaire de Kigali, qui partage sa vie entre sa famille de Butare et les patientes des montagnes des Virunga. Sacha et Benjamin lui demanderont de les mener jusqu'à Paul Kagamé, alors vice-président, pour l'interviewer. Mais très vite, leur destin est percuté par les événements, l'attentat perpétré contre l’avion du Président Habyarimana, l'assassinat du Premier Ministre du Rwanda  avec 10 casques bleus belges chargés de sa protection. Daniel est torturé par l'angoisse de ne pas retrouver sa femme, Rose, et son fils, Joseph, menacés du génocide Tutsi qui sévit dans tout le pays. Tous trois vont partager des moments d'intimité alors même que l'humanité sombre dans l'ignominie.

Ce premier roman est absolument bouleversant.

Il l'est d'abord par le sujet même du livre. Si le génocide du Rwanda apparaît aujourd'hui, plus de 20 après, en littérature, chaque auteur a sa manière de le traiter en lien, souvent, avec sa propre histoire. Dans "Tous tes enfants dispersés" de Beata UMUBYEYI MAIRESSE, l'écrivaine, originaire de Butare, relate le retour au pays aujourd'hui d'une expatriée en France dès les premiers jours des massacres et évoque de façon suggestive la destruction d'une ethnie à travers les souvenirs égrenés par sa mère. Là, avec Yoan SMADJA, vous allez vivre les faits de l'intérieur, lui qui s'est rendu sur place 12 ans après le génocide.

Il l'est encore parce que vous allez, aux côtés de Sacha et Benjamin, participer à l'action de grands reporters dans des pays en guerre. Vous allez monter dans des véhicules improbables, vivre des embuscades et des montées d'adrénaline aux check-points, réagir instinctivement dans des moments d'extrême urgence, vous allez VOIR aussi ! Voir l'histoire se dérouler sous vos yeux, la capturer avec un appareil photo et les voir diffusés au monde entier ou bien l'écrire alors même que les mots vous manquent pour relater l'indicible.


Ceux qui ne savent qu’écrire n’ont pas d’issue, car il n’y a pas de mots. P. 200

Yoan SMADJA rend un vibrant hommage à une profession qui, chaque jour, met en danger la vie d'hommes et de femmes pour permettre à l'information d'être ce qu'elle est, pour permettre à une forme de liberté de perdurer, coûte que coûte. Il y a un très beau moment d'émotion partagé entre Sacha et Benjamin :


Ils esquissèrent un sourire, finirent même par rire, tels des enfants qui se seraient déguisés pour jouer, tels des adultes qui savaient apprécier le bonheur d’un instant, avant que le sol ne se dérobe sous leurs pieds. P. 184

ll l'est aussi parce que vous allez vous interroger sur le pourquoi des faits ? Comment l'Homme peut-il devenir aussi sauvage ? Comment peut-il un jour arriver à tuer ses voisins, ses amis, voire sa propre famille. Yoan SMADJA revient sur les années qui ont précédé le génocide, il explique comment des faits, mis les uns à la suite des autres, ont réussi à instrumentaliser des hommes.


La peur est un mécanisme efficace pour installer l’idée d’un « eux contre nous » obsessionnel. P. 102

L'écrivain concourt au devoir de mémoire. 1994, c'était hier, et nous alerte sur ce que pourrait devenir demain.

Il l'est enfin dans la forme narrative, un hymne à l'écriture. Yoan SMADJA va, dans un procédé ingénieux, se faire côtoyer deux plumes, celle de Sacha qui relate les faits pour son métier et celle de Rose, cette femme qui, tout au long des événements, va écrire à son mari, Daniel, pour lui conter sa vie et celle de son fils au cas où... Le jeu de l'alternance entre chapitres et correspondances vont rythmer un brillant roman.

Quant à la chute, et puisque, moi, je n'ai pas pris comme Sacha d'engagement, je me suis autorisée à pleurer toutes les larmes de mon corps. 

Yoan SMADJA signe assurément un premier roman bouleversant, de ceux qui vous font mesurer la fragilité de l'humanité, dans ce qu'elle a de plus noir, et de plus lumineux aussi. Je ne saurais dire si mes larmes étaient de chagrin ou  de plaisir... 

Retrouvez mes précédentes chroniques :

A crier dans les ruines d'Alexandra KOSZELYK

L'homme qui n'aimait plus les chats d'Isabelle AUPY

Tous tes enfants dispersés de Beata UMUBYEYI MAIRESSE

L'imprudence de Loo HUI PHANG

Ceux que je suis d'Olivier DORCHAMPS

Une fille sans histoire de Constance RIVIERE

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